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Edito : Un monde sans énergies fossiles en 2050, c'est possible !
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La production primaire d'énergie dans le monde a augmenté de 48 % depuis 1990, atteignant à présent les 13,3 gigateps (gigatonnes d’équivalent-pétrole). Mais 85 % de cette énergie reste produite à partir de sources fossiles (pétrole charbon et gaz). Selon l’Agence Internationale de l'Energie, cette production mondiale d’énergie devrait continuer à augmenter d’au moins 45 % d’ici 2050, atteignant 19,3 gigateps, sous le double effet de l’évolution démographique planétaire et du décollage économique dans plusieurs régions du monde.
Parallèlement, l’homme émet à présent de 50 gigatonnes équivalent-carbone par an et la concentration moyenne de CO2 dans l’atmosphère vient de franchir il y a quelques semaines la barre symbolique des 400 ppm, ce qui représente une augmentation de 27 % au cours des 50 dernières années…
Pourtant, si nous voulons atteindre les objectifs ambitieux définis à l’issue de la COP21, en décembre 2015, et limiter ainsi la hausse moyenne des températures à 2°C, nous ne devons pas émettre plus de 1000 milliards de tonnes d’équivalent CO2 d’ici la fin de ce siècle, soit 16 gigatonnes par an, en moyenne, à partir de 2017. Concrètement, cela signifie qu’il va falloir parvenir à baisser d’environ 70 % nos émissions mondiales de CO2 d’ici 2050 puis tendre vers une quasi-élimination de ces émissions de carbone d’origine humaine d’ici la fin du siècle.
Pour résoudre cette équation redoutable qui va consister à décarboner massivement et rapidement notre production d’énergie, l’Humanité doit impérativement sortir des énergies fossiles d'ici 2050. Mais cet objectif, qui était encore jugé par beaucoup utopique et inaccessible il y a quelques années, est en train de devenir réaliste. C’est en tout cas la thèse défendue par une étude que vient de publier, il y a quelques semaines, la prestigieuse université américaine de Stanford. Selon ce travail, produire la totalité de notre énergie à partir de sources renouvelables est non seulement un objectif réalisable du point de vue économique et technologique mais souhaitable du point de vue de l'emploi et des bénéfices sociaux et environnementaux (Voir Stanford).
Cette étude dirigée par Mark Jacobson présente un panorama très complet du paysage énergétique mondial sur 139 États dans le monde. Elle montre que la planète peut changer de moteur énergétique d’ici à 2050 pour passer aux énergies renouvelables et sortir à la fois des énergies fossiles et du nucléaire. Le grand intérêt de ce travail qui tente d’imaginer, à partir des infrastructures énergétiques actuelles dans tous les domaines (agriculture, industrie, transport, chauffage) des 139 pays étudiés, comment passer à des systèmes entièrement alimentés par le vent, l’eau et le soleil.
L’étude prend en également en compte la quantité d’énergie que consomme le système énergétique lui-même pour fonctionner, c’est-à-dire produire et distribuer l'énergie finale. Il faut en effet rappeler qu’actuellement au moins 40 % de l’énergie est perdue au niveau mondial, si l’on fait la différence entre la totalité de l’énergie produite et l’énergie finale réellement consommée en bout de chaîne. Cette perte considérable s’explique notamment par le fait que les énergies fossiles, qui constituent encore plus 80 % de l’énergie consommée dans le monde, doivent être extraites, transportées et distribuées à grands frais jusqu’au consommateur final.
A contrario, les énergies renouvelables, si elles doivent être stockées sous différentes formes et acheminées vers l’utilisateur final, ne nécessitent pas d’extraction, ni de transformation pour être utilisées. Cette différence de nature produit des conséquences concrètes tout à fait considérables puisque l’étude a calculé que le mix énergétique mondial actuel, basé essentiellement sur les énergies fossiles, suppose d’augmenter la production mondiale d’énergie de 40 %, pour atteindre 20 600 GW en 2050. En revanche, un système énergétique mondial entièrement approvisionné par des sources d’énergie renouvelable ne nécessiterait que 11800 GW en 2050, soit une consommation énergétique mondiale diminuée de 42 %...
En analysant ensuite l’ensemble des données sur l’énergie recueillies par l’Agence internationale de l’énergie, cette étude a tenté d'estimer le potentiel de développement des énergies renouvelables et l’évolution des besoins énergétiques dans les différentes régions du monde. Ces prévisions ont également intégré les gains économiques et sociaux attendus, notamment en matière de création d’emplois, de réduction de la pollution de l’air et d’amélioration de la santé globale des habitants.
Le moins que l’on puisse dire est que le résultat de cette étude sérieuse, cohérente et globale est édifiant. Selon les calculs de ces chercheurs, il faudrait en effet, passer à un paysage énergétique mondial entièrement renouvelable, mettre en service 1,6 million de d’éoliennes terrestres de 5 MW (assurant 23,5 % de la production énergétique mondiale), 935.000 éoliennes marines de 5 MW (13,6 %). Le solaire thermique avec stockage assurerait environ 10 % de la production énergétique globale, le solaire photovoltaïque produirait 26 % de l’énergie totale et le solde énergétique serait assuré par les autres sources d’énergie renouvelable, énergie hydraulique, biomasse et énergies des mers. Quant au prix du kilowatt/heure, il serait de l’ordre de 10,1 centimes, en moyenne, contre 9,7 centimes, si la production énergétique mondiale reste essentiellement assurée par les énergies fossiles. Enfin cette étude souligne qu’une telle transition énergétique mondiale permettrait d’éviter au moins 4,6 millions de décès prématurés par an, liés à la pollution provoquée par l’utilisation massive des énergies fossiles.
Cette étude de Stanford prolonge et confirme les travaux publiés en mars dernier par l'IRENA (Agence internationale pour les énergies renouvelables). Selon ces recherches, doubler la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique mondial d’ici 2030 permettrait d'économiser 4 200 milliards de dollars. Cette étude de l’Irena a notamment calculé que pour porter la part des énergies renouvelables à 36 % en 2030, il faudrait investir 770 milliards de dollars par an, ce qui augmenterait le coût du système énergétique mondial de 290 millions de dollars par an d'ici à 2030. Mais Irena précise que les économies que permettrait de réaliser cette transition énergétique accélérée seraient 15 fois supérieures au coût total de cette transformation, si l’on prend en considération les millions de vies sauvées chaque année du fait de la diminution drastique de la pollution et l’impact extrêmement positif d’une telle transition sur l’environnement et le climat de la planète. Cette étude souligne en outre qu’un tel passage accéléré vers les énergies renouvelables permettrait de créer au moins 24,4 millions d'emplois et d’augmenter le produit mondial brut de 1 300 milliards de dollars par an.
Heureusement, même si le paysage énergétique mondial reste aujourd’hui dominé par les énergies fossiles, il semble bien que cette transition énergétique mondiale vers les énergies renouvelables s’accélère. À cet égard, le dernier rapport publié par l’AIE il y a quelques semaines (Voir IEA) révèle que les capacités de production des énergies renouvelables ont dépassé celle du charbon pour la première fois de l’histoire en 2015, avec 1 995 GW, contre 1 969 pour le charbon.
Commentant ce basculement, Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE, souligne que « Nous assistons à une transformation des marchés de l’énergie, tirés dorénavant par les énergies renouvelables ». L’accélération de cette transition énergétique a surpris l’AIE qui a revu à la hausse de 13 % ses prévisions de production d’énergies renouvelables pour 2020 et prévoit l’installation de 825 gigawatts de nouvelles capacités d’énergies renouvelables d’ici à 2021, soit 42 % de plus que le niveau atteint en 2015.
L’AIE prévoit par ailleurs que les énergies renouvelables devraient fournir dans cinq ans 28 % de l'électricité mondiale, contre 23 % à la fin 2015. Cette part d’électricité propre atteindra alors 7 600 terra watts/heure (TWh), soit l’équivalent de la production électrique cumulée des États-Unis et de l’Union européenne en 2015. Et pour illustrer cette accélération de la montée en puissance des énergies renouvelables, l’AIE rappelle que, dorénavant, 500 000 panneaux solaires sont installés chaque jour dans le monde. Ce décollage des énergies renouvelables s’explique principalement par le fait que les coûts de production ne cessent de diminuer. Depuis 10 ans les prix des panneaux photovoltaïques ont par exemple chuté de 80 %, et ceux des éoliennes de grande capacité de 40 %. Et cette tendance va se poursuivre : l’AIE prévoit en effet que les coûts de productions de l’énergie solaire photovoltaïque et de l'énergie éolienne baisseront de 25 % d’ici cinq ans et de 50 % d’ici 10 ans.
Une autre étude du The Carbon Tracker Initiative révèle par ailleurs que cette année, pour la première fois, le coût moyen réel des énergies renouvelables est devenu légèrement inférieur à celui du coût moyen de production des énergies fossiles : 6 cents le kilowattheure pour l’éolien terrestre et 7 cents pour le solaire photovoltaïque, contre 7 à 7,5 cents pour le charbon et le gaz (Voir Ecologist).
Il est également très intéressant de souligner que selon l’étude de Stanford, la France est tout à fait en mesure de satisfaire complètement à ses besoins énergétiques à partir des énergies renouvelables d’ici 2050. Pour notre pays, les chercheurs américains proposent un scénario énergétique qui serait composé de 55 % d’éolien terrestre et marin et de 37 % de solaire photovoltaïque et thermique. Le solde énergétique serait assuré par l’hydroélectricité et les énergies marines. Fait remarquable, dans ce scénario « 100 % renouvelable », la consommation totale d’énergie de notre pays serait inférieure de 36 % à son niveau actuel, grâce à la plus grande efficacité énergétique intrinsèque des énergies renouvelables. Toujours dans ce scénario, les panneaux solaires occuperaient 0,3 % du territoire et les éoliennes 2,43 %, ce qui est conforme aux prévisions déjà réalisées par l’Ademe. Les auteurs de l'étude ont également calculé qu'une telle transition énergétique permettrait à la France de réaliser 379 milliards d'euros d’économies chaque année et de créer 334 000 emplois pérennes d’ici 2050. Le prix du kilowattheure en France serait, dans ce scénario, de 9,2 centimes en 2050, contre 10,5 en 2015.
La transition énergétique mondiale proposée dans cette étude américaine pourrait en outre être accélérée par une vague d’innovations de rupture, comme celle annoncée il y a peu par une équipe de recherche de l’Oak Ridge National Laboratory (ORNL), aux États-Unis (Voir Oak Ridge National Laboratory).
Ces chercheurs ont en effet découvert par hasard une méthode pour transformer le dioxyde de carbone (CO2), l’un des principaux gaz à effet de serre, en biocarburant : l’éthanol. « Nous étions en train d’étudier la première étape d’une réaction quand nous nous sommes aperçus que le catalyseur la réalisait tout seul en intégralité », explique Adam Rondinone, chercheur à la tête du projet.
Ce fameux catalyseur est composé de carbone, de cuivre et d’azote, et il a été conçu spécialement par les équipes du laboratoire. Les scientifiques lui ont appliqué un courant électrique, ce qui a déclenché une réaction chimique complexe inversant le processus de combustion et transformant ainsi leur solution de dioxyde de carbone dissout en éthanol. Cette technique offrirait par ailleurs un rendement étonnamment élevé, d’environ 63 %.
Ces expériences ont montré que cette réaction électrochimique offrait la possibilité d’inverser, à température ambiante, le processus de combustion du carburant, qui est quant à lui considéré comme une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre. Le procédé présente également l’avantage d’être peu onéreux et pourrait être appliqué assez facilement aux centrales thermiques utilisant des énergies fossiles comme le charbon ou le gaz. Si cette découverte tient ses promesses, il deviendrait possible de produire et d’utiliser de l’éthanol comme carburant au sein de nos véhicules actuels, qui n’auraient même pas besoin d’être modifiés pour l’occasion. Mais il serait également possible de stocker facilement et à faible coût sous forme d'éthanol la production excédentaire d’électricité issue des énergies renouvelables et liée au caractère intermittent de ces sources d’énergie.
Autre innovation majeure qui pourrait avoir un impact considérable dans le domaine des transports, l’e-diesel, mis au point par Audi. Le constructeur allemand a en effet réussi, en coopération avec Sunfire, à produire en 2015 une énergie synthétique propre, à partir d’eau, de CO2, et d’hydrogène. La création de l’e-diesel ne nécessite que deux matières premières : l’eau et le dioxyde de carbone. L’intérêt écologique du e-diesel d’Audi est d’utiliser le dioxyde de carbone, gaz à effet de serre habituellement produit par la combustion des moteurs thermiques, comme une matière première. Le cycle du carburant d’Audi est alors neutre pour l’atmosphère puisque le CO2 émis par la voiture diesel correspond au CO2 capté pour la production du e-diesel Audi.
Il faut évoquer le remarquable processus de photosynthèse artificielle présenté il y a quelques mois par l’équipe du Professeur Daniel Nocera, professeur des sciences de l’énergie à l’Université de Harvard et inventeur prolifique. Ce système permet la fabrication de combustibles liquides à partir de la lumière du soleil, du dioxyde de carbone et de l’eau. Il utilise un nouveau catalyseur haute performance à base de cobalt nécessitant des courants plus faibles pour réaliser l’électrolyse de l’eau. Il devient ainsi possible de « casser » les molécules d’eau grâce à l’énergie solaire.
Quant à la deuxième étape réalisée par cette « feuille artificielle » elle est assurée par une bactérie autotrophe (qui fixe le CO2), bien connue des microbiologistes : Ralstonia eutropha. Cette bactérie présente dans le sol et l’eau possède l’étonnante propriété de pouvoir utiliser l’hydrogène comme source d’énergie en présence d’oxygène. Les chercheurs sont parvenus à modifier génétiquement cette bactérie afin qu’elle produise de l’isopropanol et de l’isobutanol, deux alcools qui présentent des densités énergétiques proches de celle de l’essence. Bien que cette feuille bionique ait pour l’instant un rendement énergétique assez faible - environ 7 % - ce système pourrait être tout à fait rentable à un niveau de production industrielle car l’énergie solaire qui l’alimente est inépuisable…et gratuite.
Dans le domaine de l'énergie solaire, les cellules à base de pérovskites vont être, d'ici seulement quelques années, à l'origine d'une nouvelle rupture technologique et industrielle en permettant la construction de panneaux solaires à haut rendement (plus de 20 %) mais cinq fois moins chers que les panneaux actuels à base de silicium. Cet été, une équipe franco-américaine a même franchi une nouvelle étape dans cette voie prometteuse en annonçant qu'elle avait mis au point une pérovskite hybride organométallique capable de s'autoréparer, ce qui lève l'un des verrous majeurs à l'utilisation à grand échelle de ce nouveau type de panneaux solaires.
Mais l'éolien n'est pas en reste et une collaboration scientifique regroupant plusieurs universités, dont le laboratoire national Sandia (Nouveau Mexique), travaille sur la conception d'une nouvelle génération d'éolienne géante d'une puissance de 50 MW qui pourra alimenter 50 000 foyers en électricité. En matière d'éoliennes marines, la mise au point d'éoliennes flottantes stables et sûres, comme celles testées actuellement au large du Portugal par la filiale métal d'Eiffage, va permettre prochainement de repousser à des fonds de 200 mètres la zone possible d'implantation d'éoliennes marines, ce qui va multiplier par trois le nombre de machines potentiellement installables en mer.
Mais la révolution technologique en cours dans le domaine des énergies renouvelables est loin de se limiter à la production propre de biocarburant, au solaire et à l'éolien et concerne également les énergies marines. En juillet dernier, des chercheurs de l'EPFL de Lausanne en Suisse ont ainsi publié une étude qui montre qu'il est possible, en utilisant un nouveau type de nanomembrane composée de Disulfure de molybdène, de multiplier par un facteur 1000 le rendement énergétique de l'énergie osmotique, qui résulte d'une différence de concentration ionique entre l'eau douce et l'eau salée. Ces recherches montrent qu'on peut espérer, avec une membrane d’un mètre carré, dont 30 % de la surface serait couverte de nanopores, produire 1MW, soit de quoi alimenter 50 000 ampoules économiques standard....Si ce type de membrane peut être produite à un coût suffisamment bas, l’énergie osmotique pourrait jouer, d'ici une dizaine d'années, un rôle majeur dans la production d’énergie renouvelable car, contrairement à l’éolien et au solaire, elle peut être produite par tout temps.
Toujours en juillet dernier, le physicien français Alain Elayi a présenté une remarquable innovation technologique qui permet de produire de manière propre de l'électricité en quantité avec de l'eau. En utilisant de manière ingénieuse la différence de pression et de température entre un réservoir d'eau et une grande étendue d'eau située en dessous, ce scientifique a montré qu'il était possible de produire une quantité importante de vapeur d'eau à température ambiante sans apport d'énergie. Elayi montre qu’il est même possible d'accélérer ce phénomène d'évaporation rapide en évacuant l'eau de surface du réservoir. L'énergie ainsi obtenue par l'évaporation de l'eau est de « 2,5 millions de joules par kilogramme d'eau évaporée », selon Alain Elayi. Cette technique simple et peu coûteuse à mettre en œuvre pourrait permettre, selon son concepteur de produire de l’énergie propre en économisant 92 % de l'énergie nécessaire pour chauffer l'eau. En outre, « Ce système permet également de dessaler de l'eau de mer et ouvre des perspectives intéressantes pour l'irrigation », estime Alain Elayi.
Notre Pays qui a la chance extraordinaire de posséder un gisement énergétique potentiel considérable aussi bien dans l’éolien que dans le solaire, la biomasse et les énergies marines, doit sans plus attendre prendre la tête de cette transition énergétique mondiale inévitable et irréversible et se donner l’objectif ambitieux de devenir, avant le milieu de ce siècle, le premier État produisant la totalité de son énergie de manière propre et durable et ce sans se laisser perturber par une nouvelle politique énergétique que serait tenté de lancer le nouveau Président des Etats-Unis.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
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- Publié dans : Energie
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