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Edito : L'hydrogène naturel pourrait devenir une véritable source d'énergie propre et inépuisable…
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Actuellement, les 75 millions de tonnes par an d’hydrogène que consomme l’Humanité est essentiellement produit par vaporeformage, un procédé très énergivore qui utilise des énergies fossiles (méthane, pétrole, charbon). Le coût économique et écologique de cette production reste malheureusement très important : à capacité énergétique égale, l'hydrogène coûte cinq fois plus cher que le pétrole à fabriquer, et chaque kilogramme d'hydrogène issu des énergies fossiles entraîne l’émission de dix kilogrammes de dioxyde de carbone (CO2). Enfin, dernier obstacle qui freine l’utilisation d’hydrogène comme source directe d’énergie, le rendement énergétique de sa production est inférieur à celui de la combustion directe des ressources hydrocarbonées fossiles servant à le fabriquer. Si l'on devait produire l'ensemble de l’hydrogène que nous consommons au niveau mondial par électrolyse de l'eau, il faudrait dépenser pas moins de 3 600 térawattheures par an, l'équivalent de 15 % de la production mondiale d'électricité...
Il existe cependant une possibilité, encore sous-exploitée, de produire un hydrogène propre, à partir du nucléaire. Outre Atlantique, trois producteurs d’électricité et le Idaho National Laboratory viennent d'être chargés d'adapter trois centrales nucléaires, situées dans l’Ohio, le Minnesota et l’Arizona, afin qu'elles puissent produire de l’hydrogène par électrolyse de l'eau, sans émissions de CO2. En France, si nous voulons que l'hydrogène couvre 20 % de notre consommation en énergie en 2050, comme cela est prévu dans nos objectifs énergétiques, nous devons également adapter sans tarder certaines de nos centrales nucléaires, afin qu'elles soient en capacité de produire de grandes quantités d'hydrogène propre. Le gouvernement semble avoir pris conscience de cette nécessité et le Ministre de l'Economie a annoncé il y a quelques semaines une initiative commune avec l'Allemagne, visant à développer la production d'hydrogène sans émissions de CO2.
Quant aux piles à combustible, leur principe est connu depuis 1839, et elles permettent de convertir directement de l’énergie chimique en énergie électrique. Sans rentrer dans des détails trop techniques, ces piles à combustible utilisent soit des électrolytes acides, soit des électrolytes basiques. La première catégorie (électrolytes acides) fonctionne à basse température et elle est plutôt dévolue aux transports. La seconde catégorie (électrolytes basiques) fonctionne à haute température et est destinée à la cogénération, c’est-à-dire à la production simultanée de chaleur et d’électricité, ce qui permet d’alimenter en énergie des habitations et des bureaux.
Les piles à combustible à basse température, qui équipent déjà certaines voitures, utilisent la technologie dite à membrane échangeuse de protons (PEM). Mais cette technique reste très onéreuse car elle nécessite des catalyseurs à base de métaux précieux, comme le platine ou l'iridium, et des électrodes en titane. C’est ce qui explique que les voitures à hydrogène coûtent encore plus de 60 000 € (hors aides de l’État), ce qui ne permet pas d’envisager à court terme leur commercialisation massive, et cela d’autant plus que ces véhicules nécessitent le déploiement, lui aussi très coûteux, d’un réseau de distribution d’hydrogène devant répondre à des normes draconiennes en termes de sécurité.
Heureusement, l’obstacle rédhibitoire que constitue le prix actuel de fabrication des piles à combustible pour véhicule pourrait être levé plus rapidement que prévu grâce à plusieurs avancées technologiques récentes. Citons par exemple, les récentes recherches menées par des scientifiques de l'Université d'État de Washington. Cette équipe a réussi à concevoir un nouveau type de piles à combustible fonctionnant avec un excellent rendement dans un environnement alcalin ou basique, uniquement à l’aide de fer, de nickel, métaux abondants et bon marché, sans avoir recours au platine, à l’iridium et au titane. Ces piles de nouvelle génération, sous réserve qu’elles confirment leurs promesses en termes de fiabilité et de longévité, pourraient permettre de fabriquer en masse des véhicules à hydrogène au même prix que les véhicules thermiques, d’ici la fin de cette décennie.
Mais si l’utilisation de l’hydrogène comme source directe d’énergie reste problématique, le recours à l’hydrogène comme vecteur de stockage et de transformation de l’énergie est en revanche en plein essor, notamment grâce à une technologie qui ne cesse de se développer, tant en France qu’en Europe : le « Power-to-Gas ». Ce concept consiste à convertir en hydrogène, par électrolyse de l’eau, les excédents d’électricité issus des énergies renouvelables, solaire et éolien principalement. Cet hydrogène peut alors, soit être injecté directement dans le réseau de gaz naturel (jusqu’à une concentration de 20 %), soit être combiné à du CO2, pour obtenir du méthane de synthèse qui pourra également être utilisé dans les infrastructures de distribution de gaz.
En France, plusieurs études récentes ont montré que l'électrolyse pourrait ainsi assurer la gestion de surplus de production du système électrique français d'au moins 3 TWh/an en 2030, et jusqu’à 30 TWh/an à l'horizon 2050, ce qui représente respectivement 100 puis 1500 installations de 10 MW qui fonctionneraient 2500h/an !
Reste que, contrairement aux énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) que l’on peut directement exploiter et utiliser, l’hydrogène, bien qu’il soit trois fois plus énergétique, à masse égale que le pétrole, doit être fabriqué à partir d’autres sources d’énergie, car il n’existe qu’en quantité extrêmement faible à l’état naturel sur notre planète. C’est du moins ce que l’on a longtemps cru, jusqu’à ce qu’une publication de l’Institut Français du Pétrole et des énergies renouvelables -IFPEN- en 2013 ne vienne complètement remettre en cause cette quasi-certitude.
Dans cette note, l’IFPEN rappelait que les premières sources naturelles d’hydrogène - résultant du contact entre l’eau de mer et des roches provenant du manteau terrestre, les péridotites - avaient été découvertes le long des dorsales media-océaniques il y a plus d’un demi-siècle, mais cet organisme, à la compétence scientifique reconnue, précisait que l' exploitation de cet hydrogène marin n’était pas envisageable, en raison d’un coût économique prohibitif.
Depuis 2013, l'IFPEN a donc orienté ses travaux sur les sources terrestres d’hydrogène, les seules qui soient économiquement exploitables et ont été observées dans deux types de configuration géologique : d’une part, dans les grands massifs terrestres de péridotite, qui se caractérisent par une situation tectonique particulière, exposant les roches issues du manteau au contact des eaux météoriques ; d’autre part, dans certaines zones situées au cœur des continents, appelées zones intraplaques.
Plus récemment, de nouvelles recherches de l'IFPEN ont confirmé l'existence de flux beaucoup plus puissants que prévu d’hydrogène sur les plus grands massifs de péridotites, en différents endroits du globe. Ces investigations ont également confirmé la permanence de flux d'hydrogène dans des zones intraplaque.
De manière tout à fait inattendue, ces nouvelles explorations ont montré que les fluides naturels découverts pouvaient être composés de plus de 80 % d’hydrogène. Autre découverte importante, cet hydrogène est souvent associé à du méthane et à de l'azote, et, pour certains sites, à de l'hélium techniquement récupérable, un gaz rare et très recherché, notamment dans certaines applications de haute technologie.
À ce jour, la communauté scientifique reste partagée quant aux mécanismes qui sont à l’origine de cette production d’hydrogène océanique et terrestre. S’agissant de l’hydrogène marin, l’hypothèse scientifique la plus vraisemblable pour l’instant repose sur une interaction physico-chimique entre l'olivine, qui contient du fer ferreux (des ions Fe2+), et l'eau chaude, produite par l'hydrothermalisme qui caractérise les rides médio-océaniques. Selon cette hypothèse, il semblerait que ce fer ferreux se dissolve dans l’eau, provoquant une réaction d'oxydo-réduction, qui transforme le fer ferreux en fer ferrique (Fe3+), ainsi qu’une production d’hydrogène moléculaire. Cette réaction, dite de serpentinisation, peut se produire dans les conditions particulières de température et de pression qui règnent dans les grands fonds océaniques.
L'origine de l'hydrogène terrestre, qui serait présent en quantité importante, pouvant aller jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes par jour et par structure, dans certaines zones continentales, fait également l’objet de plusieurs hypothèses. Pour expliquer l'émission d'hydrogène naturel, Nikolay Larin, de l'institut Schmidt de physique de la Terre à Moscou, et ses collègues, avancent que l'hydrogène serait piégé dans des hydrures métalliques (structures cristallines combinant des atomes d'hydrogène et de métal) au sein du noyau terrestre ; cet hydrogène se libérerait ensuite très progressivement et finirait par remonter jusqu'à la surface, au cours d’un processus de durée extrêmement longue : plusieurs centaines de milliers ou plusieurs millions d’années.
Quoi qu’il en soit, il est à présent avéré que les estimations du flux naturel d’hydrogène sont importantes et pourraient répondre, selon certaines études, à l’ensemble des besoins en hydrogène dans le monde, qui est de l’ordre de 75 Mt/an). Mais la découverte capitale qui ressort de ces récentes recherches et explorations est que cette importante production terrestre d’hydrogène naturel résulte bien d’un flux continu et permanent, qui vient des profondeurs de la terre, et non d’une ressource fossile, par définition limitée en quantité totale.
Pour d’autres chercheurs, il est également possible que cette présence en grande quantité d’hydrogène « primordial » s’explique par sa présence dans le manteau depuis la formation de la Terre. Si tel était le cas, cet hydrogène naturel serait alors une ressource que l’on pourrait qualifier de fossile, mais il existerait dans les profondeurs de notre planète en quantité quasiment inépuisable. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que la totalité du pétrole produit depuis près de deux siècles représente un volume de l’ordre de 250 km³, à comparer au volume du manteau terrestre (≈ 920. 000 km³) …
Cette présence en grande quantité d’hydrogène sous nos pieds a également été confirmée par la découverte tout à fait accidentelle, au Mali, à la suite du forage d’un puits pour chercher de l’eau, d’un gisement d’hydrogène important et continu, qui a été mis en production par la compagnie Petroma, devenue Hydroma. Le directeur de cette société, Aliou Diallo, a rapidement compris qu’il avait découvert une source d’énergie très intéressante pour accompagner le développement local de ce pays très pauvre. L’hydrogène natif issu de ce puits est en effet pur à 96 %. Il est récupéré sur place et sert à alimenter une turbine à gaz qui peut produire suffisamment d’électricité pour tout un village.
Fait remarquable, ce puits d’hydrogène est à présent exploité depuis quatre ans, sans qu’aucune diminution de pression n’ait été pour l’instant observée, ce qui est d’autant plus troublant que le réservoir d’hydrogène n’est qu’à 110 m de profondeur. En outre, les nombreux capteurs d’hydrogène disséminés à la surface ont bien confirmé l’absence de fuite. Cette situation très étrange, mais pourtant bien réelle, montre donc que, contrairement à ce qui était admis jusqu’à présent, il existe bien des configurations géologiques particulières qui permettent une accumulation importante, à une profondeur relativement faible, d’hydrogène à l’état gazeux.
Pour essayer de mieux évaluer l’importance et la régularité de ces flux d’hydrogène terrestre, des chercheurs d’Engie ont mis au point un nouveau capteur d’hydrogène qui mesure ce flux toutes les heures et transmet automatiquement les données par satellite aux scientifiques. Ces chercheurs ont disposé plus d’une centaine de ces capteurs dans le bassin de Sao Francisco au Brésil, un site qui était déjà connu pour ses émanations d’hydrogène gazeux. Après deux ans d’observations rigoureuses, ces scientifiques ont pu confirmer l’importance du flux d’hydrogène observé : environ 7 000 m³/jour sur une structure de 0,4 km2…
L’ensemble de ces récentes explorations et découvertes a permis de montrer que la production d’hydrogène terrestre serait de l’ordre de 50 et 1 900 kg/km²/jour, selon la spécificité des sites géologiques observés, ce qui est tout à fait considérable, quand on sait qu’il suffit de seulement 5 kg d’hydrogène pour remplir le réservoir d’une voiture et faire 800 km.
Il reste à présent un vaste travail de recensement et d’exploration au niveau mondial de l’ensemble des sites et configurations géologiques les plus faciles et les plus rentables à exploiter pour produire et récupérer de grandes quantités d’hydrogène venant des entrailles de la Terre. L’enjeu de ces recherches est immense, car si cet hydrogène naturel s'avérait effectivement exploitable à un coût économique compétitif par rapport à celui des autres sources d’énergie fossile, l’humanité aurait à sa disposition une nouvelle source d’énergie propre et quasi inépuisable, de surcroît bien répartie sur les différents continents, ce qui n’est pas le cas des énergies fossiles.
Dans un tel scénario, l’utilisation massive de l’hydrogène deviendrait une réalité, non seulement en tant que vecteur pour le stockage et la transformation de l’énergie, mais également en tant que source directe d’énergie, pouvant se substituer aux énergies fossiles pour les transports et le chauffage des bâtiments, qui représentent à eux seuls près des deux tiers de la consommation mondiale d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine.
Une telle perspective permettrait évidemment de gagner de précieuses années dans le rythme de réduction de nos émissions de CO2 qui, rappelons-le inlassablement, doivent absolument être divisées par quatre d’ici 2050, si nous voulons avoir des chances raisonnables de limiter le réchauffement climatique en cours à moins de 2°.
Compte tenu de ces récentes découvertes, il serait éminemment souhaitable que la France prenne l’initiative, en coopération avec ses grands voisins européens, de lancer immédiatement un ambitieux projet visant à évaluer précisément le potentiel énergétique et économique d’exploitation de l’hydrogène terrestre, afin que ce gaz, qui présente l’immense avantage d’avoir à la fois une très grande efficacité énergétique et de ne pas produire de CO2, ni d’émanations polluantes lors de sa combustion, puisse devenir, en synergie avec l’ensemble des énergies renouvelables, en plein essor, le moteur qui permettra, en une seule génération, de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, de diminuer de manière décisive les effets désastreux de la pollution sur notre santé et de restaurer notre environnement.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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