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Edito : L’énergie solaire va dominer le paysage énergétique du XXIème siècle

Je reviens cette semaine sur une question que j'ai souvent abordée mais qui est cruciale pour l’avenir de la planète : celle des choix stratégiques à effectuer, dans le cadre de la transition énergétique mondiale en cours, pour parvenir à décarbonner suffisamment la production d’énergie d’ici 2050 pour éviter une rupture climatique catastrophique, ou du moins en limiter autant que possible les effets.

Pour éclairer cette question, il est bon de rappeler quelques chiffres. La production électrique mondiale issue de l’ensemble des filières renouvelables pourrait augmenter d’un tiers d’ici 2022 selon les prévisions de l’AIE (Agence Internationale de l'Energie). Elle dépasserait alors 8 100 TWh par an, soit environ un tiers de la consommation électrique mondiale (25 000 TWh), ou encore l’équivalent des consommations électriques annuelles, actuelles, de la Chine, de l’Inde et de l’Allemagne réunies.

Avec 56 % de la production mondiale, l’hydroélectricité resterait la première source de production d’électricité renouvelable, devant l’éolien (22 %), le photovoltaïque (11 %) et la biomasse (9 %). « La capacité renouvelable va progresser de près de 1.000 GW d’ici 2022, ce qui est la moitié de la capacité totale des centrales au charbon que l’on a construit en 80 ans », commente Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE.

L’AIE indique par ailleurs que la croissance du solaire photovoltaïque dans les cinq années à venir sera bien plus rapide que celle de toutes les autres sources d’électricité. Selon le scénario de référence de l’agence, la puissance installée du parc photovoltaïque mondial pourrait atteindre 740 GW en 2022 (contre près de 300 GW à fin 2016). Grâce à cette croissance très forte de l'énergie solaire, la production d'électricité à partir du solaire photovoltaïque devrait passer de 400 TWh en 2019 à près de 900 TWh en 2022, soit 3,3 % de la consommation mondiale d’électricité, ou encore deux fois la consommation électrique de la France.

S’agissant du coût de production de l’électricité solaire, dans son dernier rapport, l'Irena rappelle que depuis 2010, le coût moyen de l'électricité d'origine solaire photovoltaïque a chuté de 73 %, contre seulement 22 % pour l’éolien. Cette tendance devant se poursuivre, l’Irena estime que le solaire photovoltaïque sera aussi compétitif que les énergies fossiles vers 2020 en Europe du Sud, et vers 2025 en Europe du Nord. Cette prévision est partagée par le très sérieux Institut Fraunhofer, qui prévoit un coût du kWh solaire à 5 centimes dans le sud de l’Europe en 2025. Il est de 9 centimes aujourd’hui en Allemagne, contre 40 centimes en 2005.

Mais si l’énergie solaire va, je le crois, dominer le paysage énergétique de ce siècle, ce n’est pas seulement parce qu’elle est en train de devenir compétitive par rapport aux énergies fossiles, mais également parce qu’elle présente la spécificité - par rapport aux autres sources d’énergies renouvelables - de pouvoir produire simultanément de l’électricité de la chaleur. C’est ainsi que depuis plusieurs années, la société DualSun, située à Marseille, développe un système hybride qui fonctionne avec un fluide. Celui-ci se réchauffe grâce aux rayons du soleil et l'effet est amplifié grâce à un échangeur thermique. Ce système hybride remarquable permet d’obtenir un rendement 3 à 4 fois supérieur à une installation photovoltaïque de base. Avantage supplémentaire de ce procédé, la production photovoltaïque est améliorée car l'air ou le liquide, qui passe sous le panneau, permet de stabiliser sa température, un atout décisif lorsqu'on sait qu'à partir de 25°C les panneaux photovoltaïques voient leur performance diminuer (-0,4 % de rendement pour chaque degré supplémentaire !).

De son côté, la société Base-innovation, créée en 2009, a développé un panneau thermovoltaïque. Cogen’Air est un panneau solaire hybride qui produit à la fois de l’électricité et de l’air chaud. Sa face avant produit de l’électricité photovoltaïque et sa face arrière, équipée d’un système d’échangeurs thermiques et d’un caisson étanche, produit de l’air chaud. Chaque panneau Cogen’Air produit 250Wc électriques et 744W thermiques. Le refroidissement du panneau engendre une augmentation de la production électrique de +10 %. Le rendement total du panneau est de 65 % (contre 17 % pour un panneau photovoltaïque standard). En installant quatre panneaux de ce type dans le Sud ou six dans le Nord, un foyer de quatre personnes occupant une maison de 100 m² va couvrir, grâce au soleil, environ les deux tiers de ses besoins en eau chaude sanitaire et autoconsommer 80 % de sa production d’électricité, ce qui représente une baisse allant de un tiers à la moitié de ses besoins d’électricité spécifiques.

Quant aux cellules solaires photovoltaïques proprement dites, elles vont dans les années à venir connaître encore des améliorations spectaculaires de leurs performances, et une baisse accrue de leur coût de production, grâce à plusieurs ruptures technologiques en cours. La première est celle des pérovskites. Cette famille de minéraux a été découverte il y a près de deux siècles dans l’Oural par l’Allemand Gustav Rose. Ce scientifique les a baptisés de ce nom en l’honneur du minéralogiste russe Lev Perovski. Les pérovskites désignent aujourd’hui une structure atomique particulière qui a pu être reproduite en laboratoire il y a 10 ans, grâce aux travaux du chercheur japonais Tsutomu Miyasaka. Ce scientifique a compris l’immense potentiel de ce nouveau matériau, pour fabriquer un nouveau type de cellule solaire très performante. En 2013, la chercheuse Polonaise, Olga Malinkiewicz, a franchi une nouvelle étape décisive, en créant une cellule photovoltaïque composée d’une couche de pérovskites déposée par évaporation, puis par une simple impression à jet d’encre.

Depuis dix ans, diverses équipes scientifiques dans le monde n’ont cessé d’améliorer l’efficacité énergétique de ce type de cellules solaires, qui est passé de 4 % à 24 %, un taux comparable à celui des panneaux classiques en silicium. Quant au coût de production, il défie toute concurrence : en 2020, un panneau standard d’environ 1,3 m2 devrait coûter 50 euros à fabriquer, pour un rendement équivalent aux panneaux classiques. Aujourd’hui, Mohammad Khaja Nazeeruddin, professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), en Suisse, et spécialiste mondialement reconnu de l’énergie photovoltaïque, considère que « Les cellules solaires pérovskites ont le potentiel de remédier à la pauvreté énergétique mondiale ».

Selon cet éminent scientifique, on peut aller encore plus loin et déposer directement les matériaux en couches minces sur un support flexible en plastique, par un procédé semblable aux imprimantes à jet d’encre. Le module solaire que l’on obtient est alors flexible, léger et quasi transparent. Ce domaine de recherche sur les cellules solaires souples imprimables est en pleine effervescence mondiale. En Australie, l'équipe de Paul Dastoor, professeur de l’Université Newcastle a mis au point  un liquide, dont la formule demeure secrète, qui est capable de capter et de conserver l’énergie solaire. Ce liquide est utilisé comme une encre dans une imprimante. Ces scientifiques ont réussi à imprimer des panneaux solaires ultra-légers, flexibles et adaptables à presque tous les types de surface : sol, mur, toit de voiture… L’encre est imprimée sur des films en plastique PET, très robustes et recyclables. Résultat : les panneaux font moins d’un millimètre d’épaisseur et peuvent être fixés avec un simple adhésif double-face (Voir The University of Newcastle).

Certes, pour l’instant, le rendement énergétique de ces panneaux reste inférieur à ceux des panneaux traditionnels à base de silicium. Mais ce handicap est compensé par le fait que ce nouveau type de panneaux solaires imprimables permet de maintenir un flux d’énergie constant, même dans un environnement avec très peu de luminosité. « Notre solution solaire imprimée continue de fonctionner de manière homogène par faible luminosité et sous une couverture nuageuse, ce qui signifie que les utilisateurs ne font pas l'expérience d'une baisse de productivité », explique le professeur Paul Dastoor. Cette technologie n'est pas seulement simple et pratique, elle est bien moins coûteuse que celles existantes, avec un coût de production d’environ neuf euros le mètre carré, 20 fois moins élevé que celui des panneaux conventionnels. Les panneaux flexibles sont imprimés avec un système rouleau à rouleau (R2R), notamment utilisés pour fabriquer des étiquettes ou des autocollants.

« En utilisant une imprimante de taille commerciale, nous pourrions atteindre plusieurs kilomètres carrés par jour. Avec seulement dix imprimantes en fonctionnement jour et nuit, nous pourrions imprimer suffisamment de matériel pour alimenter 1 000 foyers par jour », précise Paul Dastoor, qui se dit certain que cette technologie fiable et peu coûteuse pourrait enfin permettre d’amener l’électricité au milliard de personnes qui en est encore privé aujourd’hui dans le monde.

En France, les recherches visant à améliorer l’efficacité des panneaux solaires se poursuivent également activement. Le Laboratoire d'innovation pour les technologies nouvelles et les nanomatériaux du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA-Liten) installé à l'Institut national de l'énergie solaire (INES) à Chambéry a annoncé, il y a quelques semaines, qu’il était désormais en mesure de pouvoir produire en continu des cellules photovoltaïques atteignant un rendement de 24 %. Aujourd'hui, les cellules les plus efficaces (à base de silicium monocristallin) installées sur les toits des particuliers ou dans les parcs solaires ne dépassent pas les 20 % (Voir CEA).

Pour atteindre un tel rendement énergétique, les chercheurs du CEA-Liten ont eu recours à l'hétérojonction, une technique qui consiste à marier une couche de silicium monocristallin avec des dépôts de silicium amorphes afin de mieux convertir la lumière solaire, des ultraviolets jusqu'à l'infrarouge. Cette structure améliore à la fois la tension de fonctionnement des cellules et leur rendement, qui atteint déjà 26,7 % en laboratoire. Par ailleurs, contrairement aux panneaux classiques, la technologie hétérojonction perd moins en efficacité lorsque la température extérieure et celle du panneau dépassent les 25°C. Autre avantage supplémentaire, ce nouveau type de cellules est donc capable de convertir en électricité la lumière qui arrive par la face avant mais aussi par la face arrière, ce qui conduit à des gains de production d'énergie supplémentaires.

Ces chercheurs ont par ailleurs montré qu’il était possible de réduire l’épaisseur de ce type de cellules à hétérojonction, de 170 à 80 microns, sans perte de rendement, une performance inatteignable avec d’autres technologies. Les équipes de recherches du CEA-Liten ont également développé des machines capables de manipuler et assembler ces feuilles solaires très fines, sans les endommager ou les briser. Grâce à ces travaux, il est aujourd’hui possible de produire à un stade industriel ce type de cellules, prises en sandwich entre une dalle de verre et un plastique semi-rigide. A surface égale, ces panneaux solaires atteignent déjà une puissance record de 348 watts contre 320 watts pour les meilleurs panneaux actuellement sur le marché.

En combinant cette avancée technologique avec une cellule biface et l'adjonction d’une fine couche pérovskite, ces chercheurs sont persuadés qu’il sera possible de produire au stade industriel, d’ici 2025 ce nouveau type de cellules photovoltaïques qui auront alors un rendement énergétique supérieur de 45 % au rendement moyen actuel des meilleures cellules solaires au silicium.

Mais d’autres chercheurs sont en train de montrer qu’on peut aller encore plus loin et s’affranchir de la limite actuelle d'efficacité théorique des cellules solaires de 33 %, considéré comme une barrière indépassable. Des chercheurs du Centre de recherches scientifiques avancées (ASRC) de l’Université de New York (CUNY) ont récemment réussi à modifier certaines des molécules présentes dans deux colorants industriels couramment utilisés pour créer des matériaux auto-assemblés qui autorisent un rendement plus élevé en électrons pouvant être capturés et prolongent la durée de vie de ces électrons. Ce processus d'auto-assemblage provoque l'empilement des molécules de colorant selon une structure qui leur permet  de se coupler et de partager les photons absorbés avec les colorants, ce qui provoque une excitation accrue des électrons et une production finale sensiblement plus importante d’énergie. Selon le Docteur Levine, qui dirige ces travaux, « Notre étude ouvre la voie vers des cellules solaires bon marché qui auront une limite théorique d’efficacité énergétique de 44 %, au lieu des 33 % actuels, et cela change tout » (Voir Eurekalert).

Quant au coût du photovoltaïque, il a déjà chuté d’un facteur 1000 sur les trente dernières années. Mais, ce qui est encore plus important, le solaire photovoltaïque est en train de « doubler » l’éolien et de rattraper bien plus rapidement que prévu les énergies fossiles. Selon une récente étude de la Banque Lazard, le coût moyen du mégawattheure éolien - hors subventions - a été divisé par plus de trois entre 2009 et 2018, pour passer de 135 à 42 dollars (37 euros). Mais cette étude souligne que l'énergie solaire a vu son coût divisé par huit au cours de la même période, passant de 359 dollars en 2009 à 43 dollars (38 euros) aujourd'hui. Ce coût est également devenu inférieur à celui du nucléaire EPR de nouvelle génération (estimé à 120 euros le Mégawattheure).

Maintenant, si l’on compare le coût de l’électricité solaire avec celui de l’électricité issue des centrales à charbon, on constate que, pour l’instant, le mégawatt issu du charbon coûte encore 30 % moins cher (autour de 25 euros). Mais tous les experts s’accordent sur le fait que ce différentiel de coût sera comblé dans deux ou trois ans et que, dans une dizaine d’années, le coût de l’électricité solaire sera deux fois moins élevé que celui de l’électricité issue des énergies fossiles, surtout si l’on intègre dans ces prévisions les innovations de rupture en cours que je viens d’évoquer : panneaux souples, panneaux hybrides et cellules à base de pérovskite, autant de percées technologiques qui vont encore accélérer la baisse déjà spectaculaire du prix de l’énergie solaire, qu’elle soit électrique ou thermique.

Un autre élément va conférer un avantage décisif à l’énergie solaire pour s’imposer dans le paysage énergétique mondial de ce siècle : l’arrivée de cellules solaires ultrafines, souples et imprimables va décupler le potentiel d’installation, car ces films solaires qui coûteront de moins en moins cher pourront être installés partout, non seulement au sol ou sur les toits des immeubles, mais également sur les façades des bâtiments, sur les routes, sur les trottoirs, sur le toit des voitures, ou encore sur les vêtements…

Toutes ces révolutions technologiques devraient donc considérablement accélérer l’avènement d’une véritable « économie solaire » et permettre de basculer bien plus rapidement que prévu d’un monde dans lequel les trois quarts des besoins énergétiques sont encore malheureusement couverts par les énergies fossiles, à un monde où l’essentiel de ces besoins sera assuré par l’ensemble des énergies propres, au premier rang desquels l’énergie solaire est appelée à jouer le premier rôle dès 2030.

Dans cette mutation économique et énergétique majeure que nous allons connaître bien plus vite que prévu, il est capital que la France se donne les moyens de devenir leader mondial du secteur solaire. Notre pays a la chance de posséder à la fois un remarquable potentiel de production photovoltaïque et des compétences scientifiques de premier plan dans ce domaine solaire. Pour l’instant, bien qu’elle ait fortement progressé au cours de ces cinq dernières années, la production d’électricité d’origine solaire - environ 5 TWH par an - ne représente encore que 2 % de notre consommation électrique nationale totale. En intégrant les avancées technologiques en cours, notre Pays doit se fixer un objectif solaire bien plus ambitieux : multiplier par 10 en 10 ans notre production d’énergie solaire (chaleur et électricité), ce qui permettrait à notre Pays de couvrir avec le solaire photovoltaïque 10 % de sa consommation d’électricité en 2030, soit une part équivalente (50 TWH par an), à celle de l’énergie hydraulique.

Si nous parvenons à atteindre cet objectif ambitieux, nous pourrons à la fois nous passer presque complètement des énergies fossiles pour produire notre électricité nationale à l’horizon 2030, créer des dizaines de milliers d’emplois pérennes pour la construction et l’entretien de ces nouvelles installations solaires (qu’il s’agisse de grandes centrales au sol ou de petites installations domestiques) et exporter notre savoir-faire technologique et industriel dans le monde entier, qui va devoir augmenter de moitié sa consommation en énergie d’ici 2050, pour répondre aux besoins des 10 milliards d’êtres humains que comptera la Terre à cet horizon. J’espère que nos responsables politiques sont pleinement conscients de ce grand défi de société et qu’ils sauront voir loin et anticiper le monde de demain qui devra résoudre une redoutable équation : apporter à tous une énergie propre, à un coût abordable, et maîtriser le changement climatique planétaire.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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