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Edito : Les hommes préhistoriques n’ont pas fini de nous étonner par leur ingéniosité et leur culture…

Cette semaine, nous repartons pour un voyage dans le temps, celui du lointain passé de notre espèce, encore bien méconnu et que viennentt éclairer d’une lumière nouvelle de récentes et passionnantes études qui sont en train de bouleverser le regard que nous avons sur nos ancêtres et sur la préhistoire. Il y a un an, une découverte majeure a eu lieu dans un site archéologique majeur de la côte Atlantique du Maroc, la Grotte des Contrebandiers : une équipe de scientifiques, dont l'anthropologue Emily Hallett, de l'Institut Max-Planck de science de l'histoire humaine, en Allemagne, a examiné quelque 12 000 fragments d'os trouvés sur place (Voir Cell).

Ces travaux ont révélé une soixantaine d'os d'animaux, façonnés en outils par des humains, et ont montré que ces outils ont servi à fabriquer des vêtements, il y a 120 000 ans. On ignore encore à quoi servaient exactement tous ces outils, mais certains, fabriqués à partir de côtes de bovidés, ont très probablement été utilisés pour confectionner plusieurs types de vêtements, qui répondaient sans doute à des fonctions à la fois utilitaires, sociales et symboliques. Les chercheurs ont réussi à formellement identifier plusieurs espèces de carnivores dont les os comportaient des traces d'écorchure. L’hypothèse de ces anthropologues est que les os de ces animaux ont été utilisés pour travailler la fourrure. Ces scientifiques ont pu également identifier des restes de bovidés, qui ont, quant à eux, été utilisés pour travailler le cuir.

Cette découverte majeure pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, car il est impossible de savoir à quoi ressemblaient exactement ces premiers vêtements humains, et quelles étaient leurs fonctions sociales et symboliques. On peut cependant supposer que ces vêtements, outre le prestige social qu’ils conféraient aux individus qui les portaient, ont pu apporter à ces hommes des temps lointains une protection précieuse contre les rigueurs du climat, les intempéries et même certains prédateurs potentiels, animaux ou humains. Ils ont aussi probablement facilité les déplacements de nos ancêtres dans de nouvelles régions peu hospitalières et encore inexplorées du globe.

Il semble bien que dans ces temps reculés, les hommes ne se contentaient pas de porter des vêtements déjà élaborés mais aimaient également, dans certaines circonstances, porter des parures et des bijoux. En 2015, des anthropologues ont découvert huit serres d'aigles, sur un site préhistorique en Croatie, qui ont été modelées par des hommes, mais pas des Sapiens… Ces étonnants bijoux, fabriqués il y a 130 000 ans, ont été fabriqués par des Néandertaliens, bien avant l'apparition en Europe de l'homme moderne.

En mai 2021, une autre équipe de paléontologues, composée de l'INSAP de Rabat, de l'Université d'Arizona (Tucson, Etats-Unis) et du Laboratoire méditerranéen de préhistoire Europe Afrique, a trouvé plusieurs colliers et bracelets formés de petits coquillages percés et colorés à l’ocre rouge dans la grotte de Bizmoune, au Maroc. Mais ce qui a sidéré ces chercheurs, c’est que ces parures ont au moins 150 000 ans, ce qui en fait désormais les bijoux les plus anciens de l’humanité. Rappelons que c’est également au Maroc qu’ont été retrouvés en 2017 par l’équipe de Jean-Jacques Hublin, à Jebel Irhoud, les restes des plus vieux représentants de notre espèce homo sapiens, cinq individus datant d'environ 315 000 ans, ce qui repousse de plus de 100 000 dans le passé l’apparition des premiers Sapiens…

Les premières expressions artistiques élaborées, on le sait à présent grâce à de récentes découvertes, sont également bien plus anciennes que l’ont très longtemps pensé les spécialistes. En 2008, des archéologues ont découvert des fragments de flûtes taillées à partir de vautours et d’os de mammouth dans une grotte du sud de l’Allemagne, sur le site de Hohle Felsdatant. Selon ces scientifiques, ces instruments remonteraient à 43 000 ans, ce qui renvoie de 7000 ans en arrière l’apparition des premiers instruments de musique. Notons que l’archéologue Ivan Turk a trouvé en 1995, dans le parc archéologique de Divje Babe, en Slovénie, un fémur d’ours des cavernes, datant de 43 000 ans et présentant quatre perforations qui correspondraient, selon le musicien Bob Fink, aux notes d’une gamme de l’échelle diatonique (Do, Ré, Mi, Fa …).

Un autre coup de tonnerre a secoué l’anthropologie en 2014, lorsque le plus vieux dessin du monde, âgé de 500 000 ans, a été découvert par l’équipe de Francesco d’Errico, de l’Université de Bordeaux en France, et José Joordens, de la Faculté d’archéologie de l’Université de Leyde aux Pays-Bas, sur les rives de la rivière Solo, dans l’île de Java, après sept ans de recherche. Cette incroyable découverte vient faire reculer de 400 000 ans la datation des premiers motifs générés par la main d’un homme (Voir Nature) et surtout, elle montre que, bien avant l’apparition de Sapiens, des hommes avaient déjà atteint le stade décisif de l’abstraction.

Dans le domaine des peintures rupestres, on sait également, depuis l’étude retentissante de Benjamin Sadier (CNRS), qui a utilisé de nouvelles méthodes de datation (Voir PNAS), que les magnifiques peintures de la Grotte Chauvet sont bien plus anciennes qu’on ne le pensait initialement et ont au moins 30 000 ans, ce qui bouleverse complètement notre vision du paléolithique supérieur et montre que l’art pariétal est né bien avant Lascaux (dont les gravures sont à présent datées de 21 000 ans) et s’est répandu très rapidement, atteignant déjà un incroyable niveau de perfection dans cette splendide grotte ardéchoise.

Et pendant que nos ancêtres peignaient la Grotte Chauvet, il semble qu’ils étaient également capables de réaliser des opérations chirurgicales complexes. Une étude très sérieuse, publiée récemment dans la revue Nature, décrit en effet la plus ancienne preuve d'une amputation chirurgicale, découverte sur un squelette, dans une grotte indonésienne de Bornéo, et réalisée… il y a 30 000 ans. On mesure mieux l’importance de cette découverte quand on sait que la plus vieille intervention chirurgicale connue remontait jusqu’à présent à seulement 7.000 ans. « Cette découverte réécrit complètement notre compréhension du savoir-faire médical de nos ancêtres », souligne le paléontologue Tim Maloney, de l'Université de Griffith en Australie, qui a dirigé l'étude (Voir Nature).

Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs s’appuient sur les ossements d’un squelette humain très bien conservé, trouvé en 2020 dans la grotte calcaire de Liang Tebo, déjà réputée pour ses peintures rupestres. Ces scientifiques ont constaté qu’il manquait à ce squelette la cheville et le pied gauches. Ils ont également observé la présence d’une découpe nette et oblique sur l’extrémité de cette jambe. La régularité et la précision de cette amputation exclut, selon les chercheurs, l’hypothèse d’une chute ou d’une attaque d'animal. 

Mais le plus étonnant, c’est que ce patient, décédé vers l'âge de vingt ans, a manifestement survécu six à sept ans après l'intervention, si l’on en croit les signes de réparation osseuse, observables au microscope. Selon cette étude, un acte aussi complexe suppose nécessairement une connaissance approfondie de l'anatomie humaine, tant sur le plan osseux que musculaire et vasculaire. En outre, pour que ce jeune patient puisse survivre tant d’années, dans le rude environnement de l’époque, ses proches ont dû régulièrement nettoyer, désinfecter et panser la plaie, pour prévenir toute hémorragie ou infection post-opératoire pouvant entraîner la mort.

Ces travaux remettent complètement en question le niveau de connaissance et de pratique médicale dans ce lointain passé et posent une multitude d’interrogations, qui ne sont pas sans rappeler celles suscitées par la découverte de l’incroyable machine d’Anticythère, conçue par les ingénieurs Grecs, au 1er siècle avant notre ère, et qui avait plus de douze siècles d’avance sur les technologies mécaniques occidentales. Les chercheurs se demandent notamment comment ces hommes ont pu atteindre une telle connaissance du corps humain, bien avant l’apparition de l’agriculture, de l’écriture et des premières civilisations. On ne sait pas non plus si de telles interventions étaient exceptionnelles, ou au contraire relativement fréquentes. Autre question passionnante, se pourrait-il que ces humains aient également développé de manière empirique une pharmacopée diversifiée et puissante, intégrant des composés antiseptiques et analgésiques, issus de la nature très riche de Bornéo ?

Evoquons également une découverte extraordinaire, révélée il y a quelques jours à peine par une équipe de chercheurs de l'Université d'Oxford. Ces scientifiques, dirigés par le Docteur Michael Fradley, ont identifié, en exploitant une banque d'images satellites du désert de Nafud, en Arabie Saoudite, une série de structures monumentales, réalisées il y au moins 8000 ans, qui se sont avérées être des pièges de chasse longs de plusieurs kilomètres. Appelées cerfs-volants, ces structures sont formées par des murets de pierre formant une enceinte frontale, complétée par de nombreux murs de guidage, pouvant atteindre des kilomètres de long. Selon ces archéologues, ces infrastructures monumentales étaient utilisées pour piéger le gibier, abondant à cette époque dans cette région, dans une nasse où il pouvait être facilement tué (Voir Sage Journals). Certes, ces cerfs-volants étaient déjà bien connus en Jordanie et en Syrie, mais cette fois, les chercheurs ont identifié 400 km de structures dans le nord de l'Arabie saoudite et du sud de l'Irak. Certains de ces murs s'étendent en lignes droites sur plus de 4 kilomètres, et suivent un relief accidenté. L’étude souligne que leur construction et leur entretien au cours des siècles ont dû mobiliser des moyens considérables et témoignent à la fois d’une ingéniosité technique remarquable pour l’époque et d’une organisation sociale complexe.

Toujours il y a quelques semaines, des chercheurs de l'Université de Bristol, en pratiquant des analyses chimiques de plusieurs poteries anciennes retrouvées dans des petites îles artificielles d’Ecosse (Les “crannogs”), ont pu reconstituer de manière précise le type d’alimentation qui avait cours il y a plus de 6000 ans, dans cette partie de la Grande-Bretagne (Voir Independent). Ces recherches montrent que ces peuples préhistoriques, contrairement à ce qu’on imaginait, consommaient régulièrement de la viande, mais aussi des céréales, ainsi que des produits laitiers, non seulement de manière séparée, mais aussi associée. Ces archéologues ont pu déterminer que nos ancêtres concoctaient une espèce de ragout, complet et équilibré, dans lequel on trouvait les céréales, cuites en premier dans des casseroles de petite taille, les produits laitiers, et enfin, la viande, qui avait été cuite à part, dans des récipients de plus grande taille. Contrairement aux idées reçues, cette cuisine avait donc déjà atteint un remarquable niveau d’élaboration et s’appuyait à la fois sur des moyens variés de stockage et de conservation et sur une bonne connaissance des modes et temps de cuisson des aliments.

Je termine ce rapide tour d’horizon des découvertes récente les plus marquantes en matière d’Archéologie, d’anthropologie et de paléontologie, par une passionnante étude de l'Institut Max Planck de Dresde, publiée il y a quelques jours. Ces recherches montrent que, si les Sapiens ont développé un avantage cognitif et adaptatif sur les autres hominiens, dont les Neandertal, ce pourrait être parce que nous sommes les seuls à posséder une protéine transketolase-like 1 (TKTL1) modifiée (sans doute sous l'effet d'un changement de notre environnement), ce qui nous a permis de produire beaucoup plus de neurones neocorticaux et d’effectuer un saut cognitif décisif qui nous a permis de supplanter définitivement d’autres espèces humaines « cousines », comme les Dénisoviens et les Néandertaliens, qui ont coexisté des centaines d’années avec Homo Sapiens et avaient elles aussi développé de surprenantes et insoupçonnées capacités cognitives, artistiques et symboliques, avant d’être définitivement distancées par Sapiens. On voit donc à quel point le processus darwinien d'évolution adaptative, souvent caricaturé, est en réalité complexe et intègre une boucle de causalité circulaire qui inclut les dimensions biologiques sociales, culturelles et environnementales, sans qu'on puisse établir de hiérarchie fixe et réductrice entre celles-ci (Voir Science).

On voit qu’aussi loin que nous remontions dans le passé, et même bien avant l’apparition de Sapiens, il y a au moins 300 000 ans, nous trouvons des traces toujours plus nombreuses, tangibles et troublantes, de culture, de technique, d’art et de préoccupations symboliques et spirituelles chez nos lointains ancêtres. Il n’est pas exagéré de dire, surtout depuis que l’on sait que les premiers outils ont 3,3 millions d’années et ont sans doute été réalisés par des Australopithèques, avant l’apparition des tous premiers hommes, que notre humanité plonge ses racines dans la nuit des temps et s’inscrit dans un très long et mystérieux cheminement dont l'origine semble sans cesse reculer à mesure que nous pensons nous en approcher…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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