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Généticiens et biologistes sur la piste de l'immortalité

Pourquoi vieillit-on et meurt-on ? Pour quelle raison ne restons-nous pas éternellement jeunes et fringants ? La théorie de l'évolution apporte plusieurs explications à ces questions. Elles s'appuient, au départ, sur la séparation entre le germen, ou lignée germinale - l'ensemble des cellules sexuelles - qui restent saines et en parfait état de marche ; et le soma - le corps qui abrite ces mêmes cellules reproductrices. Les organismes vivants chez lesquels il n'existe pas de différenciation entre le germen et le soma - l'amibe, par exemple - se reproduisent par simple duplication. Ils sont, de ce fait, « immortels ». Pour les autres, et notamment l'homme, on peut dire qu'une fois fournie la part d'effort pour la reproduction, le corps va lentement décliner jusqu'à la mort. De manière plus approfondie, trois théories génétiques contribuent à expliquer le mécanisme du vieillissement et de la mort. La première est l'accumulation des mutations de la lignée germinale qui apparaissent avec l'âge, quand la plupart des autres organismes ont péri par accident ou prédation (le lot commun des animaux sauvages) et que la sélection naturelle n'est pas suffisamment forte pour s'opposer à ces mutations. La seconde hypothèse, liée à la première, est que les gènes qui ont des effets délétères dans le vieil âge sont conservés au sein d'une population en raison des avantages qu'ils procurent dans la jeunesse. Ce compromis entre pertes et profits est lié à la troisième théorie, qui veut que les réserves d'énergie sont rares, et doivent être réparties entre survie et reproduction. C'est ainsi que 90 % des souris, par exemple, meurent au cours de leur première année. L'investissement en mécanismes de survie au-delà de cet âge ne profitant qu'à un très petit nombre d'individus, la sélection naturelle des caractères qui prolongent la vie sera relativement faible. D'une manière générale, l'organisme consacrera son énergie à la reproduction aux dépens de sa propre conservation. Les expériences de laboratoire montrent que les animaux maintenus en captivité mais privés de la reproduction ont tendance à vivre plus longtemps. Rien n'explique, en revanche, les énormes disparités dans la durée de vie des organismes. Votre hamster favori ne vivra guère plus de deux ans, même confié aux soins du meilleur vétérinaire et mis à l'abri de votre chat. Ce dernier vit dix fois plus longtemps que le plus vieux des hamsters ; mais les chats sont déjà décrépits quand les humains sortent à peine de l'adolescence. Et l'homme dépasse rarement le siècle, qui correspond à la fleur de l'âge pour les tortues géantes ou à la prime jeunesse pour les séquoias. D'où viennent de telles différences ? Pourquoi n'y a-t-il pas de hamsters centenaires ? On sait depuis longtemps que les animaux au métabolisme rapide ont souvent une durée de vie brève. Cette hypothèse du « qui vit vite meurt jeune » est vérifiée d'une manière très générale, mais elle ne résiste pas à un examen approfondi. Ainsi, alors que la chauve-souris et la souris possèdent des métabolismes à peu près identiques, la première a une durée de vie dix fois supérieure à la seconde. Beaucoup de primates et d'oiseaux ont un métabolisme plus rapide que leur longévité ne le laisserait penser. C'est notamment le cas de l'homme - un des animaux qui vit le plus longtemps - ou du perroquet. Le métabolisme donne, néanmoins, une indication de taille. Il sécrète des sous-produits extrêmement réactifs, les ROS (Reactive Oxygen Species, ou, en français, dérivés actifs de l'oxygène). Les ROS sont extrêmement dangereux pour les cellules, les tissus et l'ADN. Les preuves sont de plus en plus nombreuses de leur implication dans les manifestations physiques attribuées à l'âge. On sait aussi que leur production est fonction du rythme du métabolisme. Le lien entre ROS et vieillissement laisse supposer que les antioxydants - substances qui protègent contre les ROS - pourraient être utilisés pour retarder les effets de l'âge. Mais le problème n'est pas si simple. Les ROS jouent peut-être aussi un rôle bénéfique. Cela semble le cas de l'anion superoxyde, dont les globules blancs se servent pour lutter contre les agents infectieux. Un autre ROS - le monoxyde d'azote (NO) - intervient dans la régulation du tonus des muscles lisses (et donc de la tension artérielle) ainsi que dans la neurotransmission. Les ROS pourraient même participer au réglage des rythmes du métabolisme, établissant un nouveau lien entre l'hypothèse du qui-vit-vite-meurt-jeune et l'implication directe des ROS dans le vieillissement. Il existe, d'autre part, des mécanismes qui réparent les dommages causés par les ROS. Mais ces dommages peuvent aussi, paradoxalement, présenter des avantages. Ils font partie d'un phénomène connu sous le nom de « stress oxydatif ». La manière dont nous supportons ce stress dépend d'un subtil équilibre entre l'action des ROS et la réponse que notre corps y apporte. Il semble que le vieillissement soit moins lié aux ROS qu'à une aptitude réduite de l'organisme à réagir au stress oxydatif. S'il est fatal à hautes doses, le stress oxydatif peut, en quantité réduite, donner un coup de fouet, stimuler notre biochimie et l'amener à mieux répondre aux périodes de stress important. On a pu trouver une multitude de gènes et de protéines qui lient l'allongement de la vie à l'aptitude à résister au stress oxydatif. Chez le ver de laboratoire Cænorhabditis elegans, notamment. Mais les vers sont très loin des humains. Et, jusqu'à l'année dernière, rares étaient les études relatives aux mutations génétiques de l'allongement de la vie chez les mammifères. Dans un rapport publié par Nature en 1999, Pier Giuseppe Pelicci et son équipe de l'Institut européen d'oncologie de Milan ont montré néanmoins que les souris auxquelles il manque une certaine protéine résistent au stress oxydatif et vivent plus longtemps que les autres (Le Monde du 19 novembre 1999). Cette protéine, qui porte le nom de p66shc, est présente dans la voie biochimique qu'emprunte la réplique à l'action des ROS. Les chercheurs estiment aujourd'hui que les ROS, le stress oxydatif et la réaction biochimique à ce stress sont des éléments-clés de la longévité naturelle ou prolongée. Mais il y en a d'autres, et beaucoup de questions restent posées, dont celle de savoir dans quelle mesure toutes ces découvertes sont applicables à l'être humain. A ce propos, il convient peut-être de rappeler que l'espérance de vie de l'homme a considérablement augmenté en l'espace d'un siècle. Depuis 1900, elle est passée de quarante-sept à soixante-seize ans aux Etats-Unis, ce qui représente une augmentation de 62 %. Beaucoup plus que ce que l'on obtient en laboratoire sur la mouche ou le ver. La raison n'en est pas une mutation génétique spécifique, mais l'accès des populations à une alimentation plus saine, à l'eau potable et aux soins de santé. Hélas, tout le monde n'a pas cette chance. Et, avant de s'efforcer de battre le record de longévité de cent vingt-deux ans détenu par Jeanne Calment, mieux vaudrait faire en sorte que l'espérance de vie des habitants des pays développés soit généralisée à l'ensemble de la population mondiale.

Le Monde :

http://www.lemonde.fr/article/0,2320,seq-2077-100966-QUO,00.html

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