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Edito : CO2 : comment le capturer, le transformer et le valoriser ?

Depuis un siècle, nos émissions mondiales de CO2 ont été multipliées par huit et ont progressé deux fois plus vite que la population mondiale, passant d’environ 5 gigatonnes, au sortir de la première guerre mondiale, à plus de 40 gigatonnes aujourd’hui. On le sait, après une stabilisation de trois ans, les émissions humaines mondiales de CO2, dopées par la croissance économique de la Chine qui en émet à présent plus du quart, sont reparties à la hausse, avec 41 gigatonnes en 2017, soit 2 % de plus qu’en 2016.

Or, comme l’indique clairement le rapport de l’ONU publié fin 2017 et intitulé « Rapport sur le pic d’émissions de CO2 en 2017 » (Voir UN), les engagements pris par la communauté internationale dans le cadre de la COP 21 ne suffiront pas, surtout après le retrait américain, à atteindre les objectifs de réduction qui auraient permis de réduire à deux degrés le réchauffement climatique au cours de ce siècle.

Si l'on souhaite avoir une chance d'échapper à ce réchauffement de 2°C à l'horizon 2100, le récent rapport indique que les émissions totales ne doivent pas excéder les 42 milliards de tonnes de CO2 en 2030. Ce seuil représente environ 80 % des émissions totales de gaz à effet de serre qui ont atteint, l’année dernière, 52 milliards de tonnes d'équivalent de CO2.

Les engagements pris en vertu de l'Accord de Paris sont malheureusement loin d'atteindre cet objectif. Même dans le meilleur des scénarios d’application de cet accord, les émissions mondiales en 2030 atteindront au moins 53 milliards de tonnes en équivalent de CO2 en 2030, soit un dépassement de 11milliards de tonnes, l’équivalent des émissions actuelles de CO2 de la Chine…

Une autre étude internationale de grande ampleur publiée en septembre 2017 réévalue, certes, à la hausse notre « budget carbone » planétaire, qui serait d’environ 880 gigatonnes au total (soit 20 ans d’émissions au niveau actuel) mais nous rappelle néanmoins que, pour ne pas dépasser un réchauffement global de 1,5°, il faudra diminuer d’au moins 25 % nos objectifs de réduction d’émissions de CO2 d’ici 2030, par rapport aux engagements de la COP21. Cette étude, réalisée par les meilleurs spécialistes mondiaux du climat, souligne également qu’entre 2030 et 2050, il faudra absolument tendre vers la neutralité carbone, ce qui suppose à la fois une réduction drastique de nos émissions et la capture/transformation du CO2 qu’il sera impossible de ne pas émettre (sans doute autour de 10 gigatonnes par an en 2050).

Cela veut dire clairement qu’il faudra donc, d’ici 2030, en plus d’un effort considérable de réduction mondiale des émissions de CO2 liées à l’énergie, à l’industrie, à l’agriculture, aux transports et au logement, réduire encore de 20 % à 25 % en plus ces émissions en recourant à de nouvelles technologies économiquement viables de stockage, de transformation et de neutralisation du CO2 (Voir Nature).

Depuis de nombreuses années, des scientifiques tentent d’aspirer le dioxyde de carbone (CO2) qui contribue au réchauffement climatique, pour en faire du carburant en le combinant avec de l’hydrogène. Plusieurs laboratoires se sont lancés dans cette entreprise mais les coûts du recyclage s’étaient jusqu’à présent révélés prohibitifs : de l’ordre de 600 dollars (518 €) la tonne de CO2 recyclé.

Heureusement, plusieurs découvertes et avancées scientifiques sont venues, ces dernières années, relancer la perspective d’une capture et d’une transformation, à un coût économiquement acceptable,  du CO² présent dans l’atmosphère.

Fin 2016, des scientifiques du Laboratoire national d'Oak Ridge dans le Tennessee ont par exemple découvert de manière fortuite, alors qu'ils testaient un catalyseur au graphène pour convertir le CO2 en combustible, une nouvelle réaction chimique qui transforme le dioxyde de carbone en éthanol. Ces hercheurs on en effet eu la surprise de constater qu’une base de cuivre et de carbone sur une surface de silicium, baptisée "nanospikes"  permettait une réaction chimique produisant de l'éthanol (Voir Wiley).

Ces recherches ont montré que les nanospikes - qui représentent seulement quelques atomes d'épaisseur – s’avèrent bien plus efficaces, à cause de leur structure tridimensionnelle asymétrique, qu'un catalyseur plat comme le graphène. Ce catalyseur, composé de nanoparticules de cuivre disséminées dans des pics de carbone, présente une surface irrégulière qui accélère la conversion du CO² en éthanol. Evalué en laboratoire, son rendement varie de 63 à 70 %, en fonction de l'échantillon, ce qui est considéré comme remarquable. Par ailleurs, la réaction fonctionne à température ambiante et consomme peu en énergie. Cette nouvelle technologie pourrait potentiellement être utilisée pour produire un carburant renouvelable, compatible avec les véhicules thermiques actuels. Mais cette technique pourrait également permettre de  stocker les excédents d’énergie produits sous la forme d’éthanol, ce qui constituerait un moyen puissant et peu onéreux d’équilibrer les réseaux de distribution alimentés par des sources d’énergie renouvelable intermittentes.

La société canadienne Carbon Engineering (notamment financée par Bill Gates) vient pour sa part d’annoncer qu’elle avait développé une solution permettant de diviser ce tarif par trois. Son procédé, baptisé AIR TO FUELS, fait coup double : il élimine le CO2 présent dans l'atmosphère tout en générant un carburant propre, entièrement compatible avec les moteurs existants.

Concrètement, cette entreprise utilise des ventilateurs géants appelés DAC (Direct Air Capture – capture directe d’air), qui capturent le CO2 grâce à des fixateurs chimiques. Le dioxyde de carbone peut ensuite être injecté sous terre ou réutilisé pour produire différents matériaux, ou combiné à de l’hydrogène, pour produire du méthane de synthèse. Celui-ci étant chimiquement proche du contenu du gaz naturel, il peut sans difficultés être injecté en grandes quantités dans les infrastructures gazières existantes. À grande échelle, cette solution permettrait de capturer du CO2 pour un coût situé entre 94 et 232 dollars la tonne. Quant au carburant produit à partir de ce CO2 piégé, il reviendrait à environ un dollar le litre, avec une empreinte carbone inférieure de 70 % à celle d'un combustible fossile.

Carbon Engineering affirme que son usine pilote située à Squamish, en Colombie-Britannique (Canada) sera capable, à plein régime, de capturer un million de tonnes de Co2 par an. En théorie, il serait donc possible, à l’aide de 4 000 de ces unités réparties sur toute la surface du globe, de capturer et de réutiliser 10 % (4 gigatonnes) des émissions annuelles totales de CO2 d’origine humaine.

Autre innovation importante à souligner, celle proposée par une start-up indienne, Carbon Clean Solutions (CCSL).Fondée par deux ingénieurs indiens et financée par une subvention du gouvernement britannique, cette jeune société a démarré avec succès sa première installation et réalisé une première mondiale en réussissant à capter et réutiliser à 100 % les émissions de CO2 d'une petite centrale à charbon en Inde, à Chennai (Madras). Désormais, 60.000 tonnes de CO2 seront captées chaque année. Purifié, le CO2 sera ensuite revendu à un industriel local, Tuticorin Alkali Chemicals and Fertilizers, qui a besoin de ce CO2 pour fabriquer ses produits.

Grâce à ce nouveau procédé qui divise par deux le coût du captage par rapport aux techniques actuelles de captage aux amines, il devient envisageable de capter et de  purifier le CO2 à un coût assez bas pour que sa revente soit possible à un prix concurrençant celui du marché du CO2 liquéfié. La technologie mise au point par CCCL permet en effet de proposer un carbone recyclé à 40 dollars la tonne sur le marché européen, un prix nettement inférieur à celui du CO2 que les industriels doivent acheter sur le marché pour satisfaire leurs besoins, et qui leur est facturé, en fonction des usages, entre 70 et 140 dollars la tonne.

En France, la recherche est également très active dans ce domaine stratégique de la neutralisation et de la valorisation du CO2. Une équipe de chercheurs du Laboratoire d'électrochimie moléculaire (Université Paris Diderot/CNRS) en collaboration avec une équipe japonaise (Tokyo Institute of Technology, Tokyo, Japon) et une équipe chinoise (City University of Hong Kong, Hong Kong) vient de développer un procédé capable de transformer le dioxyde de carbone (CO2), un des principaux gaz à effet de serre émis par les activités humaines, en monoxyde de carbone (CO) à l'aide de lumière solaire, d'un catalyseur moléculaire à base de fer et d'un matériau carboné qui absorbe la lumière et permet d'activer le catalyseur. Principale innovation : cette transformation est pour la première fois effectuée avec des matériaux abondants (Voir JACS).

En outre, la molécule produite, le monoxyde de carbone est une des « matières premières » essentielles de l'industrie chimique, notamment pour la production de méthanol ou de méthane.

Contrairement à la plupart des processus utilisés cette transformation du CO2 en CO - qui reposent sur des catalyseurs à base de métaux rares et précieux - ces chercheurs ont réussi à mettre au point un système catalytique n’employant que des éléments abondants et peu coûteux, en particulier du fer. Ce processus catalytique fonctionne de plus à pression et température ambiantes, ce qui ouvre enfin la voie vers la production massive de « carburant solaire », utilisant le CO2 comme matière première renouvelable.

Mais c’est peut-être en s’inspirant de la nature que les scientifiques trouveront la solution la plus efficace à ce redoutable défi que constitue la capture et la transformation du CO2. Appelée BECCS (Production de Bioénergie à partir du Carbone Capturé et Stocké), l’idée consiste à utiliser des plantes et végétaux  pour faire d’une pierre, deux coups : absorber du CO2 de l’atmosphère et produire des biocarburants avec un haut rendement.

Des chercheurs américains de l’Université de Santa Cruz (Californie, de l’Institut de recherche navale de Washington et de l’Université Boulder (Colorado) ont publié, il y a quelques semaines, une étude dans laquelle ils proposent un nouveau procédé électro-géochimique d’émission négative de CO2 (Voir Nature). Leur concept revient à utiliser de l'énergie électrique, issue d’un mix solaire-éolien-nucléaire, pour décomposer l’eau de mer par électrolyse et produire de l'hydrogène. Celui-ci serait ensuite stocké en attendant d'être utilisé par des piles à combustibles.

Mais la véritable innovation n’est pas là ; elle réside dans l’utilisation et la maîtrise de toute une série de réactions chimiques entre les produits de l'électrolyse de l'eau de mer et des minéraux, des carbonates et silicates, ce qui permet, in fine, non seulement de capturer de grandes quantités de CO2 atmosphérique, mais également de produire du bicarbonate. Celui-ci pourrait être relargué dans les océans, pour lutter contre leur acidification accélérée, un phénomène qui menace tout la chaîne du vivant, à commencer par le plancton marin. Selon cette étude, ce nouveau procédé de production négative d'énergie serait 50 fois plus efficace que les techniques de BECCS proposées jusqu’à présent.

Les chercheurs à l’origine de ce procédé électro-géochimique affirment que cette nouvelle technique d’émission négative de CO2 pourrait produire au moins 300 exajoules d’énergie-hydrogène par an, soit environ sept gigatonnes-équivalent-pétrole, ce qui représente plus de la moitié de la production mondiale d’énergie en 2017. Cette technique pourrait par ailleurs éviter l’émission d’au moins 90 gigatonnes de CO2 par an dans l’atmosphère, soit plus du double des émissions humaines annuelles de CO2 (41 gigatonnes par an en 2017). Quant au coût d’une telle production d’énergie, elle dépendrait fortement des sources d’énergie utilisées et varierait de 7 dollars par kilowatt-heure d’hydrogène, en utilisant l’énergie hydraulique, à seulement 64 cents, en ayant recours à de l’électricité solaire.

On le voit, des ruptures technologiques majeures sont en cours et laissent entrevoir la possibilité, parallèlement à l’effort mondial absolument nécessaire de réduction à la source de nos émissions, de capturer, de recycler et de valoriser les quantités gigantesques de carbone  - 5,5 tonnes en moyenne par être humain et par an - que nous envoyons dans l’atmosphère.

Reste que, pour pouvoir déployer dans un temps suffisamment bref ces nouvelles solutions technologiques à un niveau industriel massif leur permettant de neutraliser plus de 10 gigatonnes de CO2 par an, il faudra obligatoirement, comme l’a bien montré le rapport dirigé conjointement par Nicolas Stern et Joseph Stigitz en 2017, que la communauté internationale parvienne à fixer un prix mondial par tonne de CO2 de l’ordre de 40 et 80 dollars la tonne en 2020, et de 50 et 100 dollars en 2030 (Voir CPLC). Ce juste prix du carbone, intégrant son coût social, environnemental et humain, permettra, comme le souligne avec force ces deux grands économistes, d’accélérer la sortie inexorable des énergies fossiles et rendra également compétitifs les investissements visant à limiter à la source nos émissions de CO2, non seulement grâce aux énergies renouvelables, mais plus encore par une rupture numérique en terme d’efficacité énergétique de nos sociétés (industrie, bâtiment, déplacements, agriculture, travail).

On le voit, ce défi planétaire de la capture, de la transformation et de la neutralisation du carbone est intimement liée à la rupture énergétique en cours et à la mutation numérique conduisant à une extrême efficience dans la production, le stockage et la distribution de l’énergie. Loin d’être une simple variable d’ajustement dans nos économies, cet enjeu du recyclage et de la valorisation du carbone émis par l’homme va devenir jusqu’à la fin de ce siècle, et sans doute au-delà, l’un des principaux moteurs de la transformation de nos économies et de nos sociétés vers un nouveau mode de développement totalement circulaire et biocompatible.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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