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Des chercheurs réussissent à modifier les gènes des arbres pour rendre le papier moins polluant

Les émissions mondiales de CO2 provenant de la production de pâte à papier ont atteint 168 millions de tonnes en 2020, selon International Energy Agency. Des chiffres inquiétants, qui poussent les scientifiques à chercher des modes de production moins polluants, tout en restant attractifs pour les industriels.

Une équipe de l’université de Caroline du Nord (Etats-Unis) travaille depuis 2018 sur une technique qui pourrait porter ses fruits. En modifiant génétiquement les arbres grâce à la technique Crispr, les chercheurs obtiennent une augmentation des capacités de production allant jusqu’à 40 %, tout en réduisant de 10 à 20 % le potentiel de réchauffement global de l’industrie (facteur qui permet de rendre compte de l’impact de la production sur le réchauffement climatique). Ces résultats prometteurs ont été publiés dans la revue Science. Rodolphe Barrangou, professeur à l’université de Caroline du Nord et co-auteur de l’étude, y retrace le parcours de la fibre de bois, vers un papier plus écoresponsable.

La méthode Crispr-Cas 9 est une stratégie d’édition génomique qui vise à supprimer ou corriger un gène. Aussi appelée "ciseaux moléculaires", cette méthode consiste à couper une portion d’ADN grâce à des enzymes spécifiques, puis faire muter l’ADN, pour mettre en avant certains caractères, ou en supprimer, sans ajout extérieur. La française Emmanuelle Charpentier et l'Américaine Jennifer Doudna ont reçu le prix Nobel de chimie 2020 pour avoir inventé cette méthode, aujourd’hui bénéfique à l’agriculture, la médecine et l’industrie.

« Aujourd’hui, il faut deux tonnes de bois pour produire une tonne de papier », explique l’auteur. La raison de ce déséquilibre ? « L’ingrédient qui donne au bois sa longévité à travers les siècles est aussi ce qui rend problématique sa transformation », poursuit-il. Cet ingrédient n’est autre que la lignine, une fibre particulière qui se lie à la cellulose et autres composantes du bois pour le rendre résistant aux éléments… et donc à toute transformation chimique ! Pour créer de la pâte à papier à partir de bois, il faut d’abord ramollir la fibre avec de nombreux produits chimiques polluants. La production d’une tonne de pâtes à papier génère près de sept tonnes de liqueur noire, une substance composée d’eau, de résidus de lignine et d’hémicelluloses, mais surtout de composés inorganiques utilisés lors de la dissolution, ce qui la rend particulièrement nuisible une fois rejetée dans l’environnement. En plus d’être extrêmement polluant, ce processus nécessite beaucoup d’énergie, et devient vite très coûteux pour les industriels.

« Ce qui est intéressant avec l’édition génomique, c’est qu’on peut vite passer du travail de recherche à une réalité plus tangible », se réjouit Rodolphe Barrangou, « l’appliquer aux forêts, c’est toucher tout le monde ». Grâce à une intelligence artificielle, les chercheurs ont pu déduire sept stratégies différentes de modification du génome de peuplier, parmi près de 70.000 stratégies possibles. Leur objectif est alors de modifier le génome de la lignine, et augmenter le taux de glucide, pour rendre la fibre de bois moins rigide. « Nous avons réussi à moduler la teneur en lignine tout en restant dans des valeurs naturelles », précise le chercheur, qui ne souhaite pas dénaturer les espèces. Ce travail d’édition génomique a permis de réduire jusqu’à 49,1% la teneur en lignine et augmenter le rapport glucides-lignine du bois jusqu'à 228 % par rapport au type sauvage.

« Avec une fibre plus malléable, il faut moins de bois pour produire la même quantité de pâte, moins d’énergie, moins de produits chimiques, et on libère moins de produits secondaires indésirables comme la liqueur noire, tout en augmentant le potentiel de production des usines », conclut l’auteur. Une technique prometteuse pour l’environnement et les industries, mais qui doit encore subir des tests en environnement non-contrôlé, pour une mise sur le marché d’ici… 2038. « On a l’étincelle, mais on ne peut pas faire ça tout seul, il faut l’aide d’un collectif scientifique, et surtout des institutions », insiste l’auteur face aux réticences de certains pays envers l’édition génomique. En proposant un assouplissement des règles sur les organismes génétiquement modifiés, la Commission européenne ouvre la voie aux techniques d’édition génomique sans transgenèse (transfert de génome entre espèces), comme la méthode Crispr.

Article rédigé par Georges Simmonds pour RT Flash

Science

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