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Edito : L'optique va révolutionner l'informatique

Il y a plus de 40 ans que les ingénieurs cherchent à marier l'électron et le photon puisque l'idée d'une puce photonique par les ingénieurs des Bell Labs date de 1969 et est donc antérieure de 2 ans au premier microprocesseur d'Intel, sorti en 1971. Pourquoi vouloir utiliser la lumière pour stocker, traiter et transmettre l'information numérique ? Pour plusieurs raisons essentielles : qu'il s'agisse de bande passante, de débit ou de rapidité, les technologies optiques et photoniques surclassent de plusieurs ordres de grandeur les technologies électroniques.

Mais jusqu'à présent ces technologies étaient beaucoup trop complexes et coûteuses à mettre en œuvre pour se substituer entièrement à l'électronique classique, d'autant plus que celle-ci n'a cessé de progresser. En quarante ans, le nombre de transistors intégrés à une puce a été multiplié par un million et se compte à présent en milliards !

Dans le même temps, le besoin en puissance de calcul et le volume de données produites chaque année dans le monde ont littéralement explosé : au niveau mondial, cette quantité d'informations numériques devrait être multipliée par 40 d'ici 2020 pour atteindre 35 ZettaOctects (35 milliards de TerraOctets), soit une croissance moyenne de plus de 45 % par an. En 2011, la masse totale de données numériques a dépassé les 1 800 milliards de gigaoctets, dix fois plus qu'en 2006. Depuis 2007, les capacités de stockage mondiales (environ 270 milliards de gigaoctets), sont devenues inférieures aux volumes produits et, sans ruptures technologiques majeures, la capacité de stockage ne devrait progresser que d'un facteur de 30 d'ici 2020.

Face à ce défi technologique mais aussi économique et social, les ingénieurs et chercheurs du monde entier redoublent d'efforts pour unir à tous les niveaux les qualités de l'électronique et de l'optique et à plus long terme pour remplacer entièrement l'électron par le photon.

Actuellement, tous les foyers qui bénéficient déjà de la fibre optique jusqu'au domicile (moins de 200 000 foyers début 2012 sur 21 millions d'abonnés au haut débit), utilisent quotidiennement l’optoélectronique sans le savoir car le signal optique qui arrive chez eux n'est pas utilisable tel quel et doit donc être reconverti en signal électrique avant d'être acheminé vers le téléphone, l'ordinateur ou la télévision.

Autre problème : en dépit des progrès de la transmission haut débit sur cuivre, la capacité de transmission d'un réseau "métallique" diminue très rapidement avec la distance. La transmission de grosses quantités d’informations est donc limitée par d'inévitables compromis entre la vitesse, la consommation d'énergie et l'intégrité du signal à transporter.

Avec l'explosion des besoins en bande passante et en puissance de calcul constatée depuis une dizaine d'années, la voie optique et photonique devient de plus en plus intéressante, non seulement à grande échelle, pour relier les serveurs et gros ordinateurs entre eux mais également aux niveaux les plus minuscules, c'est-à-dire ceux concernant les circuits, les composants et les puces qui sont au cœur de nos ordinateurs et de nos appareils numériques.

Au cours de ces dernières années les avancées technologiques dans ces domaines de l'optique et de la photonique se sont accélérées. Fin 2010, les chercheurs d'IBM ont ainsi mis au point une nouvelle technologie, baptisée " CMOS Integrated Silicon Nanophonics" qui permet d'utiliser des impulsions lumineuses pour accélérer le transfert des données entre des puces.

Cette nouvelle technologie qui intègre des modules électriques et optiques sur une seule pièce de silicium, devrait permettre à terme de multiplier par mille les performances des supercalculateurs actuels. Aujourd'hui, les plus rapides des super ordinateurs dépassent tout juste les 10 pétaflops (10 millions de milliards de calculs par seconde). La technologie photonique vise à atteindre d'ici 10 ans l'exaflop, c'est-à-dire un milliard de milliard d'opérations par seconde. La Commission Européenne est fortement engagée dans ce défi technologique et vient d'annoncer un doublement de son budget de recherche dans ce domaine (de 630 millions d’euros à 1,2 milliard d’euros).

Mais parvenir à réaliser un super- ordinateur "Exascale" 100 fois plus puissant qu'aujourd'hui constitue un véritable défi conceptuel et matériel. il faut en effet savoir que les plus gros super-ordinateurs actuels, reposant sur l'électronique, intègrent près de 100 000 processeurs et consomment plus de 10 MW d'électricité ! Il est impossible d'aller plus loin dans les performances car cela supposerait une consommation énergétique bien trop grande et une maintenance ingérable.

Pour relever ce défi, plusieurs firmes, dont Intel, IBM HP et Infinera travaillent sur des voies technologies nouvelles dans lesquelles l'optique joue un rôle majeur. L'objectif est d'atteindre d'ici 10 ans le térabit (mille milliards de bits) par seconde. Les chercheurs d’IBM viennent de présenter un prototype « d’optopuce à trous » (« Holey Optochip »), communiquant entre elles par faisceaux lasers. Chaque trou correspond à un canal photonique d’une bande passante de 20 gigabits par seconde. La puce compte 48 trous, soit 960 gigabits/s. Ce type de circuit intégré, dont la commercialisation est prévue en 2015, repose sur des techniques de gravure CMOS classiques et des lasers à cavités verticales émettant par la surface (VCSEL).

De son côté, HP travaille sur le projet « Corona ». Il s'agit d'un microprocesseur photonique qui vise une puissance de 10 téraflops en regroupant 256 cœurs interconnectés à la mémoire principale par des liaisons photoniques à une vitesse variant de 10 à 20 téra-octets par seconde. Tous les géants de l'électronique et de l'informatique tentent de produire des microprocesseurs massivement multicœurs mais se heurtent rapidement à un obstacle redoutable : plus le nombre de cœurs est important, plus ils doivent disposer d'une large bande passante pour communiquer avec leur mémoire, sous peine d'être sous-exploités et de perdre une grande partie de leurs puissance potentielle. Au-delà de 16 cœurs, la technologie actuelle n'est plus adaptée. D'où la nécessité d'un saut technologique.

Le projet Corona bénéficie des dernières avancées en matière d'optoélectronique et chaque cœur disposera d’un micro laser lui permettant de "dialoguer" avec les autres cœurs grâce à un réseau optique intégré à la puce. Autre innovation, ces puces seront en 3D et les 256 cœurs seront organisés en 4 groupes de 64 cœurs. La puce sera gravée en plusieurs couches qui communiqueront entre elles à l'aide d'interconnexions verticales baptisées « through silicon via » ou TSV. HP pense mettre au point cette puce révolutionnaire d'ici 2017 et se dit persuadé que la photonique intégrée sur silicium sera banale d’ici 10 ans.

Une autre firme américaine est à la pointe de ces recherches, Infinera, située à Sunnyvale en Californie. Cette société particulièrement innovante est parvenue en 10 ans à miniaturiser et à intégrer un système optique complet dans une puce photonique plus petite qu'un microprocesseur, dénommée PIC (photonic integrated circuted ou circuit intégré photonique). Infinera a réussi la prouesse d'intégrer sur une seule puce un micro-laser et une cinquantaine de composants optiques.

Ce type de puce consomme entre deux et trois fois moins d'énergie et son coût d'exploitation est deux fois moins important que celui des puces électroniques équivalentes. Il devrait permettre à terme de proposer à tous les foyers le très haut débit optique pour un coût inférieur à celui de l'ADSL.

Mais les technologies optiques progressent également à pas de géant dans le domaine des télécommunications. Il y a quelques semaines, Deutsche Telekom a établi un nouveau record pour la transmission de données sur un unique canal en fibre optique avec un débit de 512 Gbit/s (contre 100 Gbit/s par canal actuellement) ou l'équivalent d'une transmission simultanée de 77 CD en une seconde. A noter que ce record a été réalisé dans des conditions réelles sur une distance de 734 km séparant Berlin de Hanovre. Pour obtenir ce résultat, Deutsche Telekom a développé une technologie baptisée OSIRIS ( Optically Supported IP Router Interfaces ) qui est utilisable immédiatement sur le réseau optique existant.

Deutsche Telekom précise qu'il pense pouvoir atteindre les 24 Tbit/s (soit le transfert de 4 000 CD) en utilisant 48 canaux d'une fibre optique. La vitesse autorisée par cette technologie est équivalente à celle de la bande passante consommée par 100 000 utilisateurs sur un accès Internet haut débit de type 10 Mb/s. Avec un tel débit optique, il devient possible de transférer en une heure la totalité des archives numérisées sur le Net de la Bibliothèque du Congrès américain !

En Grande-Bretagne, des chercheurs des universités de Southampton ont mis au point il y a quelques semaines une jonction semi-conducteur à partir d'une fibre optique micro-structurée (MOFs, Microstructured Optical Fibers), ce qui ouvre la voie à des réseaux en fibre optique bien plus performants que ceux d'aujourd'hui.

Il faut bien comprendre que ces sauts technologiques en cours dans le domaine du traitement, du stockage et de la transmission optique vont avoir des effets non seulement dans le domaine informatique mais également sur l'ensemble de l'économie numérique et virtuelle. En effet, en disposant à moindre coût d'une puissance de calcul et d'un débit cent fois plus grand dans 10 ans, les entreprises, les administrations et les ménages vont pouvoir accéder à des outils et services reposant massivement sur l'intelligence artificielle, la 3D et les environnements virtuels.

Ces outils intelligents vont bouleverser l'ensemble de l'économie et de l'industrie mais vont également changer profondément nos vies personnelles et professionnelles. Avec une telle puissance informatique et une telle capacité de transmission, le Web des objets va rapidement devenir une réalité : l'ensemble de notre environnement et tout ce qui le compose va être numérisé, indexé, interconnecté et virtualisé et nous sera accessible en temps réel. Notre efficacité, notre productivité et notre capacité d'innovation vont s'en trouver décuplées. Cet accès permanent au "Monde2", numérisé sera également prédictif : à tout moment, nous pourrons imaginer des scenarii d'évolution en faisant varier une infinité de paramètres à notre disposition.

Ainsi que l'a magistralement théorisé le grand économiste autrichien Joseph Schumpeter, avec l'arrivée de ces systèmes photoniques intelligents, notre économie va connaître un nouveau et puissant cycle d'expansion aux conséquences incalculables car cette croissance reposera sur une augmentation prodigieuse et qualitative de l'intelligence collective. Il nous appartient cependant de veiller à ce que cette révolution qui s'annonce profite au plus grand nombre et soit porteuse d'un enrichissement spirituel et culturel qui lui donne toute sa finalité.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • somita

    7/05/2015

    qui ce que la relation entre technicien specialise en systéme et réseau et la formation d optique-optométrie?

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