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Edito : La quête vers l’ordinateur quantique progresse à grand pas...

Le 20 juin dernier, Microsoft annonçait sa « feuille de route » vers un ordinateur quantique opérationnel d'ici 10 ans. Microsoft et son équipe ont travaillé sur la création de qubits topologiques. Pour parvenir à cet objectif ambitieux, Microsoft, au lieu d'utiliser des qubits classiques qu’il est difficile d’isoler et de contrôler, mise sur l’approche topologique, qui permet de stabiliser le qubit afin qu’il comporte moins d’erreurs. Les systèmes quantiques qui les exploitent pourraient en effet bénéficier d’une durée de vie 10 milliards de fois plus longues que les autres technologies quantiques utilisant des qubits topologiques, ce qui ouvrirait la voie vers des machines capables d'effectuer un million d'opérations quantiques par seconde.

Quelques jours avant cette annonce de Microsoft, Intel présentait son premier processeur quantique public. Appelé Tunnel Falls, ce processeur de seulement 12 qubits de spin porte en lui la promesse d’une montée en puissance plus rapide que ses concurrents. Et pourtant  IBM, dont le processeur quantique Osprey lancé en fin d’année dernière affiche 433 qubits, s’apprête à sortir son “Condor”, qui en aura 1121...

La France s’est, elle aussi, lancée dans cette course technologique à l'ordinateur quantique : fin juin, la société française Quandela, leader du calcul quantique photonique, a franchi une étape décisive, en ouvrant à Massy, dans l'Essonne, sa première usine de production d'ordinateur quantique en Europe. Issue du CNRS, Quandela développe depuis 2017 un calculateur quantique basé sur la lumière pour produire des qubits photoniques. Depuis l’automne 2022, la société propose l’accès via le cloud à Ascella, son premier ordinateur quantique à 6 qubits pour lequel elle affirme avoir des utilisateurs dans le monde entier.

En mars dernier, elle a reçu sa première commande d’ordinateur quantique en propre de la part d’OVHcloud, démarrant ainsi la commercialisation de son ordinateur MosaiQ, dont la première version propose une puissance de calcul de 2 qubits, évolutive grâce à une conception modulaire. Il doit être livré en octobre. Cette nouvelle usine va permettre à la start-up tricolore de fournir à ses clients trois machines en six mois, au lieu d'une seule actuellement. Alors que les premiers ordinateurs quantiques, bien qu'encore cantonnés à des usages et types de calcul très particuliers arrivent sur le marché, la recherche fondamentale et appliquée progresse à pas de géants dans le domaine de l'informatique quantique.

En Juin, Google a annoncé que son ordinateur quantique, baptisé Sycamore, a effectué en quelques secondes des calculs qui auraient pris 47 ans à un ordinateur classique. Cette percée, si elle est confirmée, représenterait une avancée majeure dans le développement de l’informatique quantique. Elle ouvre la voie à des applications innovantes dans divers domaines, allant de la recherche scientifique à la sécurité informatique, tout en posant de nouveaux défis et questionnements (Voir Interesting Engineering).

Alors que Google faisait cette annonce retentissante, des chercheurs de l'université de Caroline du Nord révélaient avoir créé un nouveau matériau à partir de silicium baptisé Q-silicon qui pourrait être utilisé dans la spintronique. Alors que l'électronique classique exploite la charge des électrons, la spintronique utilise également le spin des électrons, c'est-à-dire son moment cinétique. Cette propriété quantique liée à la rotation de l'électron sur lui-même permet notamment de traiter et stocker l’information au niveau atomique. Ces chercheurs ont développé une technique de fabrication du Q-silicon qui consiste à chauffer du silicium amorphe avec un laser pendant quelques nanosecondes avant de le refroidir (Voir Taylor & Francis online).

Le nouveau matériau ainsi obtenu acquiert alors des propriétés remarquables, dont celle d’être ferromagnétique à température ambiante, ce qui lui permet de créer des qubits de spin pour l’informatique quantique. Cette découverte pourrait donc permettre de créer de nouveaux appareils plus petits et plus rapides, tout en réduisant leur consommation électrique.

Toujours aux États-Unis, des chercheurs du MIT viennent de montrer qu'il est possible de construire un ordinateur quantique en utilisant uniquement des photons “type qubit” et des optiques linéaires simples, à condition d'avoir des photons préparés de manière adéquate (Voir MIT News), de façon à ce que chaque photon corresponde exactement aux caractéristiques quantiques du précédent. Pour atteindre ce résultat, les chercheurs ont eu recours à une nouvelle source de photons constituée de nanoparticules de pérovskite à base de plomb-halite. Résultat : la moitié des photons produits sont indiscernables et utilisables en calcul quantique et comme ce type de photons peut être produit très facilement, ces scientifiques pensent qu'ils pourront rapidement les améliorer et les intégrer dans des ordinateurs quantiques photoniques.

D'autres chercheurs américains de l'Université de Rochester, dirigés par le Pr. Blok, développent des techniques pour améliorer les circuits supraconducteurs, ce qui pourrait permettre de créer des ordinateurs quantiques plus puissants. Contrairement aux conducteurs classiques, tels que le cuivre, où une partie de l’énergie est perdue à cause de la résistance intrinsèque de ce matériau, un supraconducteur ne présente aucune résistance, ce qui autorise une conductivité électrique sans aucune perte d’énergie. Contrairement aux ordinateurs traditionnels, qui fonctionnent selon une logique binaire (0 ou 1), les ordinateurs quantiques se basent sur des qubits. Ces derniers, régis par les lois de la mécanique quantique, peuvent être, grâce au principe de superposition, à la fois “0” et “1”. Les circuits supraconducteurs ont justement pour objet de créer ces qubits, de les placer en superposition d’états différents et de manipuler ces superpositions. « En contrôlant minutieusement les interactions entre ces qubits, nous pouvons exécuter des algorithmes quantiques, offrant ainsi une puissance de calcul bien supérieure à celle des ordinateurs classiques », affirme le Pr. Blok.

Cette équipe travaille sur une nouvelle approche pour stocker et transférer de l’information quantique de manière plus efficace en utilisant des qudits au lieu des qubits. Un processeur basé sur des qudits peut avoir trois ou plusieurs états logiques (“0”, “1”, “2”, etc.) pour encoder de l’information. Cette approche repose sur l’utilisation de photons pour créer et manipuler des qudits afin d’effectuer des calculs. Cette méthode a pour objet de mieux isoler l’information quantique du "bruit" ambiant qui ne doit surtout pas venir perturber les calculs quantiques, sous peine d’arrêt du calculateur. Comme le souligne le Pr. Blok, « Nous visons à concevoir des circuits supraconducteurs qui protègent contre le bruit dans les futurs ordinateurs quantiques et à développer une technologie pour rendre ces ordinateurs plus puissants et fiables » (Voir University of Rochester).

Une autre équipe de l’Université du Maryland a également réalisé une percée remarquable vers une meilleure stabilité du calcul quantique. Ces chercheurs ont développé un qubit fluxonium, qui a pu conserver l’information durant 1,43 milliseconde, soit dix fois plus longtemps que les technologies qubit précédentes. Cette avancée dégage la voie vers des ordinateurs quantiques plus stables et plus fiables (Voir APS). 

L’un des grands avantages de l’utilisation de systèmes supraconducteurs pour mesurer les propriétés quantiques des électrons est qu’ils sont déjà basés sur des circuits électroniques, ce qui laisse envisager une intégration plus facile. Il est important de souligner que cette avancée place ce concept de qbits fluxonium en concurrence directe avec le type de qubit supraconducteur utilisé par IBM ou Google pour développer leurs ordinateurs quantiques. Cela pourrait potentiellement conduire à une diversification des technologies utilisées dans l’informatique quantique.

Mais l’avancée la plus surprenante dans le domaine de l’informatique quantique est peut-être celle présentée récemment par des scientifiques du Caltech (California Institute of Technology) en Californie, qui viennent de présenter une nouvelle méthode permettant de traduire les états quantiques électriques en sons et vice versa. Cette découverte ouvre la voie vers une toute nouvelle solution permettant de stocker les données dans les futurs ordinateurs quantiques. Un ordinateur, qu’il soit classique ou quantique, a besoin d’un système de stockage pour conserver les nombreuses données sur lesquelles il travaille (Voir Nature Physics).

Avec cette nouvelle technique, qui permet de traduire efficacement les états quantiques électriques en sons et inversement, il devient envisageable de stocker des informations quantiques produites par les ordinateurs quantiques. Concrètement, cette approche repose sur les phonons, qui sont les équivalents sonores des photons, les particules élémentaires qui constituent la lumière. Le phonon représente un quantum d’énergie provenant d’atomes oscillant au sein d’un cristal, de la même façon que le photon est un quantum d’énergie électromagnétique ou lumineuse. Contrairement au photon, le phonon ne peut pas se propager dans le vide. Il se comporte comme une onde de type classique mais peut acquérir certaines propriétés propres aux particules. Ces chercheurs ont montré qu’il était possible d’utiliser ces phonons pour stocker de l’information quantique et construire des dispositifs suffisamment miniaturisés pour stocker des ondes mécaniques.

L’équipe de recherche du California Institute of Technology a mis au point un petit appareil équipé de lames flexibles. Ces dernières se mettent à vibrer à des fréquences très élevées quand on les expose à des ondes sonores. Lorsque ces lames sont chargées électriquement, elles peuvent interagir avec des signaux électriques porteurs d’information quantique. Il devient alors possible de stocker l’information dans l’appareil et de la récupérer plus tard. L'approche proposée par ces scientifiques du Caltech en Californie utilise un matériau à base de silicium qui fonctionne dans la bande de fréquence du gigahertz. De manière très intéressante, cette approche est indépendante des propriétés spécifiques du matériau qu’on utilise, ce qui permet d’utiliser cette technique avec des dispositifs quantiques existants basés sur les micro-ondes. Cette nouvelle technologie permet donc le stockage des informations quantiques à partir de circuits électriques pendant des durées beaucoup plus longues que des systèmes mécaniques compacts.

La Chine est évidemment dans cette course à l’ordinateur quantique et, il y a quelques semaines, des chercheurs de l’Université des sciences et technologies de Chine, dirigée par Xiao-bo Zhu, ont annoncé une avancée importante vers l'ordinateur quantique, en intriquant un nombre record de 51 qubits dans un ordinateur quantique de la série Zuchongzhi. La maîtrise de ce phénomène d'intrication est capitale pour le bon fonctionnement des algorithmes quantiques, comme l’algorithme de Shor pour la factorisation des nombres. L’intrication de plusieurs qubits reste un véritable défi scientifique et technique car, à chaque fois que les chercheurs essayent d’ajouter un qubit supplémentaire au système, cela augmente sa complexité de manière exponentielle. En outre, nous l’avons vu, ces qubits sont extrêmement sensibles à la moindre perturbation provenant de leur environnement et perdent facilement leur état d’intrication par un phénomène bien connu des physiciens, appelé décohérence.

C’est donc bien une véritable prouesse qu’ont accomplie ces scientifiques chinois, en parvenant à établir et contrôler l’intrication de 51 qubits supraconducteurs, établissant ainsi un nouveau record mondial. Ces qubits supraconducteurs sont particulièrement adaptés à l’informatique quantique en raison de leur faible décohérence, ce qui signifie qu’ils peuvent maintenir leur état quantique pendant une période relativement longue. Les chercheurs ont utilisé des micro-ondes pour contrôler l’état des qubits. En ajustant la fréquence et la phase des micro-ondes, ils ont pu manipuler les qubits pour qu’ils prennent les états quantiques désirés. De plus, ils ont ajusté l’interaction entre différents qubits en les frappant avec des impulsions de champs magnétiques, ce qui leur a permis de contrôler l’intrication entre les qubits.

En utilisant ce système de contrôle, les chercheurs ont pu appliquer des portes logiques quantiques à de nombreuses paires de qubits simultanément. Les portes logiques quantiques sont des opérations qui changent les états quantiques des qubits selon certaines conditions d’entrée. Finalement, ces chercheurs ont réussi à intriquer un nombre record de 51 qubits disposés en ligne et 30 qubits disposés dans un plan bidimensionnel.

En France, des scientifiques de l’Institut Charles Sadron (CNRS) ont réussi début juillet à synthétiser des systèmes moléculaires dont les états électroniques de spin peuvent être manipulés grâce à des impulsions de micro-ondes, ouvrant la voie à des applications en informatique quantique. En outre, le recours à des matériaux organiques pourrait rendre beaucoup plus facile le calcul quantique, car ce type de matériaux peut être facilement produit à grande échelle et contrôlé de manière très fine par la chimie.

Et justement, ces scientifiques de l‘Institut Charles Sadron (CNRS) travaillent sur des systèmes moléculaires photo-induits appelés "dyades chromophore–radical". Ces molécules présentent une caractéristique particulièrement intéressante : leur état de spin peut être contrôlé par la lumière et persister suffisamment longtemps pour permettre de réaliser des opérations quantiques. Dans le cadre d’une collaboration avec l’Université de Freiburg, ces chercheurs ont combiné deux stratégies : pour réduire les mouvements moléculaires qui réduisent la durée de vie des états quantiques, ils ont remplacé les atomes d’hydrogène par du deutérium et ils ont par ailleurs utilisé une matrice polymérique rigide. Ces innovations ont permis d’obtenir des temps de cohérence de mémoire de 0,7 µs à température ambiante, ce qui constitue un record pour ces systèmes.

Une autre avancée remarquable a été annoncée au début de l'été par l'EPFL, en collaboration avec des équipes de recherche de Caltech, de l’Université libre de Berlin et du Los Alamos National Lab. Ces chercheurs, en utilisant des réseaux neuronaux quantiques (QNN) ont trouvé un nouveau moyen d’apprendre à un ordinateur quantique à comprendre et à prédire le comportement de systèmes quantiques, même avec quelques exemples simples (Voir Nature Communications).

Comme le souligne Zoe Holmes qui dirige ces recherches, « Jusqu'à présent, si nous voulions apprendre quelque chose à un ordinateur, nous devions lui fournir énormément d’exemples, mais nous avons pu montrer qu’avec juste quelques exemples simples appelés « états de produit », l’ordinateur était capable de comprendre le fonctionnement d’un système quantique, même quand il est confronté à des états intriqués, plus compliqués. Cela signifie qu’il est possible d’étudier et de comprendre des systèmes quantiques en utilisant des ordinateurs plus petits et plus simples, utilisant des programmes plus résistants aux erreurs ».

Enfin, signalons qu’une équipe russe vient de montrer qu’un système d’IA générative hybride, associant un réseau neuronal profond et un ordinateur quantique commercial, le D-Wave quantum annealer, était déjà capable de proposer des structures chimiques uniques, réalisables en synthèse et possédant des propriétés thérapeutiques originales (voir Scientific Reports).

Ce rapide tour d’horizon scientifique des récentes avancées dans le domaine du calcul quantique montre à quel point l’effervescence est grande dans ce champ de recherche qui reste néanmoins très ouvert. En fait, il semble probable qu’en attendant la réalisation d’un hypothétique ordinateur quantique universel (dont certains scientifiques doutent qu’il soit réalisable), et qui serait capable de faire beaucoup plus vite tous les types de calcul d’un ordinateur classique, on s’oriente plutôt vers la conception et la production de simulateurs quantiques spécialisés qui utiliseront différentes technologies (qubit silicium, qubit à ions piégés qubit photonique ou qubit supraconducteur) en fonction du type de calculs et de problèmes à résoudre.

Ces machines quantiques spécialisées devraient se généraliser d’ici une dizaine d’années dans la recherche, la finance, l’industrie, la biologie, la logistique ou encore la météorologie. Elles permettront de véritables ruptures en matière de modélisation et de prédiction et vont, j’en suis convaincu, bouleverser nos sociétés dans au moins trois domaines essentiels. Le premier est celui de la médecine et de la biologie, confrontées à d’immenses défis avec le vieillissement de nos populations. Les machines quantiques vont pouvoir concevoir bien plus rapidement, et à un coût moindre, de nouvelles molécules thérapeutiques ciblées pouvant traiter de nombreuses pathologies aujourd’hui encore incurables. Je pense au cancer bien sûr mais aussi aux redoutables maladies neurodégénératives qui explosent avec l’allongement de la vie. Le deuxième domaine est celui, capital pour notre avenir, du climat et de l’énergie. Là encore, ces machines quantiques vont nous aider à concevoir de nouveaux matériaux et de nouveaux outils permettant de produire, convertir et stocker bien plus efficacement les immenses quantités d’énergies propres dont le monde aura besoin dans la seconde moitié de ce siècle. Le troisième domaine est celui de la prévention des catastrophes naturelles, tremblements de terre, éruptions volcaniques mais aussi événements météorologiques extrêmes, qui pourront enfin être prédits et anticipés de manière fiable et précise, ce qui sauvera des millions de vie chaque année dans le monde.

Face à de tels enjeux de société, on voit à quel point il est important que notre pays maintienne son effort de recherche publique et il faudra sans doute encore augmenter l’enveloppe d’un milliard sur 5 ans, décidée en 2021, dans le cadre du plan quantique national, si nous voulons rester dans cette course scientifique et technique vitale pour notre avenir. Comme le répète avec passion notre Prix Nobel de physique Alain Aspect, « Alors que nous allons bientôt fêter les 100 ans de la théorie quantique, notre pays n’a pas le droit de rater cette deuxième révolution quantique qui s’annonce et va bouleverser notre société à un point que nous ne pouvons pas encore imaginer ».

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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  • antoniayee

    26/09/2023

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