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Edito : Vivre plus de 100 ans en bonne santé n'est plus une utopie...

Au milieu du XVIIIe siècle, en France, la moitié des enfants mouraient encore avant l’âge de 10 ans et l’espérance de vie n'avait guère progressé depuis l'Antiquité et ne dépassait pas 30 ans. Elle a atteint 37 ans sous Napoléon, puis 48 ans vers 1920. Au cours du XXe siècle, la mortalité infantile a régressé de manière spectaculaire : 15 % des enfants nés en 1900 mourraient avant un an, 5 % de ceux nés en 1950 et 0,4 % de ceux nés en 2015. En 2023, l’espérance de vie dans le monde a dépassé les 72 ans et en France elle a atteint 79,4 ans pour les hommes et 85,3 ans pour les femmes. La pandémie de Covid 19 a certes fait reculer l'espérance de vie mondiale de 1,8 an entre 2019 et 2021, mais même pendant cette période sombre, la mortalité infantile a, elle, continué à décroître. En à peine un siècle, l'espérance de vie à la naissance aura donc connu une progression sans précédent de 35 ans, plus importante que celle observée entre l’Antiquité et la Belle Epoque...

S'agissant de l'espérance de vie en bonne santé, une récente étude de la DRESS montre qu'en 2022, l'espérance de vie sans incapacité à la naissance était de 65,3 ans pour les femmes et de 63,8 ans pour les hommes. Allant contre les idées reçues, cette étude montre également que l'espérance de vie en bonne santé a augmenté régulièrement depuis 2008, progressant de 9 mois pour les femmes et de 1 an et 1 mois pour les hommes. Cette progression est comparable à celle de l’espérance de vie globale (Voir DREES).

Pourtant, en dépit de ces indicateurs positifs, le vieillissement inexorable de notre population (il y aura 11 millions de personnes de plus de 75 ans en 2050, contre 6 millions en 2022) fait qu'en 2050, la France comptera près de 4 millions de personnes de plus de 60 ans, contre 2,5 millions aujourd'hui, qui ne seront plus autonomes, c'est-à-dire ne pourront plus effectuer seuls les gestes de la vie quotidienne. Dans ce contexte de vieillissement massif de notre population, l'enjeu social, sanitaire et médical n'est plus tant de continuer à augmenter à tout prix l'espérance de vie globale mais d’accroître autant que possible la durée de vie en pleine autonomie et pleine possession des capacités physiques et intellectuelles, ce qui suppose d'être capable d’agir directement sur les nombreux et complexes mécanismes biologiques qui régissent les processus de vieillissement.

Au début de cette année, des chercheurs de l’Université d’Osaka ont identifié une protéine, HKDC1, qui joue un rôle clé pour prévenir le vieillissement cellulaire. L’équipe a été la première à montrer que le gène codant pour HKDC1 agit directement sur le stress mitochondrial ou lysosomal et permet la réparation lysosomale.

En février dernier, une étude de l’Inserm, menée par le chercheur Mario Pende et son équipe, a mis en évidence une accumulation de plusieurs molécules dans les cellules vieillissantes. Parmi elles, le lactate, l’alpha ketoglutarate, le glycérol-3-phosphate (G3P) et la phosphoéthanolamine (Petn). Ces éléments d’ordinaire utiles et appelés "métabolites" deviennent alors des déchets pour l’organisme. Cette étude de l’Inserm montre qu’il est possible de mieux éliminer ces déchets et de réduire l'inflammation liée au processus de sénescence.

Une récente étude menée à l'Université de Stanford est venue confirmer, pour sa part, les effets anti-âge de la Metformine, un médicament antidiabétique oral couramment prescrit, en montrant son impact contre le vieillissement via un processus de méthylation de l'ADN. Cette étude a comparé les taux de méthylation de l'ADN à l'échelle du génome chez des utilisateurs de metformine et des non-utilisateurs. Cette analyse des données sur la méthylation de l'ADN à l'échelle du génome (ADNm) obtenues à partir de prélèvements de sang de 171 patients hospitalisés avec et sans antécédents d'utilisation de la metformine puis de 63 patients diabétiques, confirme que la metformine agit bien sur la longévité et l’inflammation.

Une autre substance anti-âge retient l'attention des chercheurs, la taurine, naturellement présente dans le corps des animaux. De récentes recherches ont montré que sa concentration dans le sang diminue avec l’âge chez plusieurs espèces, dont l’humain. Ces travaux ont également montré que la prise de suppléments de taurine prolonge la durée de vie en santé de la souris et du singe (Voir Columbia). Ces travaux montrent pour la première fois que la concentration de taurine dans le sang diminue en fonction de l’âge chez la souris, le singe et l’humain. Ces recherches, sur des souris ayant reçu des doses quotidiennes dès l’âge de 14 mois, ont montré qu'en moyenne, les femelles sous traitement ont vécu 12 % plus longtemps par rapport à un groupe témoin, et les mâles 10 %. La taurine a non seulement accru la longévité des souris, mais leur a aussi permis de vivre en meilleure santé. Les animaux traités conservaient une plus grande force musculaire, une plus grande densité osseuse, une meilleure tolérance au glucose et une meilleure mémoire. Il semblerait que la taurine soit en mesure de diminuer la sénescence cellulaire et atténue l’inflammation. Son action à large spectre conforte l'hypothèse selon laquelle la taurine agit directement et simultanément sur plusieurs mécanismes-clés du vieillissement.

D'autres recherches essayent de comprendre le mécanisme de l’autophagie stimulé par le jeûne intermittent. Ce processus élimine les déchets cellulaires et permet de nettoyer les débris de protéines pathogènes dans des maladies neurodégénératives. Mais ce mécanisme perd en efficacité avec l'âge, ce qui contribue à l’apparition, dans la population âgée, de maladies, notamment le cancer, les maladies neurodégénératives, les maladies métaboliques et immunitaires. En juin dernier, les chercheurs du laboratoire "Biochimie des membranes et transport" de l’Institut Pasteur ont réussi à reproduire ce mécanisme de l’autophagie stimulé par le jeûne intermittent (Voir Nature structural & molecular biology). Ces chercheurs ont découvert que les cellules soumises au jeûne produisent un conteneur composé de protéines, qui forme une sorte d'enveloppe qui stabilise la membrane cellulaire.

De nombreuses maladies neurodégénératives semblent liées à une autophagie dégradée qui provoque une accumulation d’agrégats de protéines, dont, par exemple, l’alpha-synucléine et Tau dans les maladies de Parkinson et d’Alzheimer Les chercheurs de l’Institut Pasteur ont montré que cette autophagie altérée pouvait être inversée. Ils ont identifié une voie de l’autophagie spécialisée, l’aggréphagie, qui, en dégradant les agrégats de protéines dans les cellules neurales, s'oppose au processus de neurodégénérescence en protégeant les cellules neurales de mort cellulaire. Ces travaux montrent que les autophagosomes qui transportent les agrégats de protéines vers les lysosomes possèdent une petite protéine semblable à l’ubiquitine, la LC3C qui permet l'identification de ces autophagosomes par le TECPR1 lysosomal.

Selon ces chercheurs, en restaurant les niveaux de protéines TECPR1 dans les cellules neurales, il est possible d'augmenter l’activité autophagique dans ces cellules, ce qui entraîne une meilleure élimination des agrégats de protéines. « Notre découverte ouvre la voie à l’identification de médicaments qui activent l’autophagie en induisant la formation de sacs poubelles », soulignent ces chercheurs qui comptent bien ouvrir une nouvelle voie thérapeutique pour traiter des patients souffrant des maladies d’Alzheimer ou de Parkinson.

Des chercheurs du laboratoire des sciences médicales de Londres, de l'Imperial College de Londres et de la faculté de médecine de Singapour, ont mis au point un médicament “anti-âge” qui a permis d’allonger la durée de vie de ces souris. Ces surprenants résultats ont été publiés dans la revue Nature. Les chercheurs ont identifié une cible spécifique, l'interleukine-11 (IL-11), en tant que molécule clé pour contrer le processus de vieillissement. Cette cytokine pro-inflammatoire, s'exprime davantage avec l'âge chez les souris et joue un rôle essentiel dans les pathologies liées au vieillissement. En bloquant sa production grâce à un anticorps, ils ont constaté une amélioration significative du métabolisme, de la fonction musculaire et une réduction des signes de vieillissement et de fragilité chez les souris âgées, prolongeant ainsi leur durée de vie (Voir Nature).

L’essai scientifique a montré que les souris vivaient jusqu’à 155 semaines, contre 120 habituellement, quand on leur administrait régulièrement ce médicament à partir de 75 semaines (l’équivalent de 55 ans pour un être humain). Cela correspond à une hausse d’environ 20 % à 25 % de l’espérance de vie selon le sexe des souris, avec un effet plus marqué chez les femelles. La professeure Anissa Widjaja, de la faculté de médecine de Duke-NUS, a déclaré : « Bien que notre travail ait été réalisé sur des souris, nous espérons que ces résultats seront très pertinents pour la santé humaine, étant donné que nous avons observé des effets similaires dans des études sur des cellules et des tissus humains ». Cet anticorps synthétique qui attaque l'interleukine-11 est actuellement testé chez des patients atteints de fibrose pulmonaire, une maladie provoquant des lésions pulmonaires et rendant la respiration plus difficile.

Des chercheurs américains et chinois ont voulu aller plus loin pour identifier les habitudes exactes qui favorisent la longévité en bonne santé. Dans une étude publiée par le JAMA (Journal of the American Medical Association), ils ont analysé les données de 5 222 participants dont l’âge moyen était de 94 ans. Sur l’ensemble des participants, 1 454 ont été classés comme centenaires et 3 768 sont décédés avant l’âge de 100 ans. Les centenaires ont ensuite été comparés à des personnes du même âge au début de l’étude mais qui vivaient moins longtemps. Cette vaste étude comparative a permis de déterminer un score de mode de vie sain basé sur cinq éléments : le tabagisme, la consommation d'alcool, l'exercice, la diversité alimentaire et l'indice de masse corporelle (IMC). Selon ces travaux, les principaux facteurs qui permettent de devenir centenaire étaient, par ordre décroissant : faire de l'exercice, ne jamais fumer et avoir une grande diversité alimentaire. Cette étude semble donc confirmer que l’exercice, même modéré, l’absence de tabagisme et une alimentation basée sur la consommation régulière de cinq groupes alimentaires (les fruits, les légumes, le poisson, les haricots et le thé) seraient la clé pour une vie longue et en bonne santé (Voir JAMA).

Récemment des scientifiques des universités de Liverpool, Birmingham, Harvard Medical School et ETH Zurich, ont étudié la rilmenidine, un antihypertenseur, pour ses effets sur le vieillissement. La rilmenidine pourrait imiter les effets de la restriction calorique, prolongeant la vie des vers Caenorhabditis elegans de 20 %, sans les contraintes alimentaires. Cette découverte ouvre des perspectives prometteuses pour la médecine gériatrique (Voir Wiley). La restriction calorique (RC) est reconnue pour sa capacité à prolonger la durée de vie des mammifères mais cette pratique induit des contraintes qui rendent difficiles son adoption sur le long terme. La rilmenidine agit en ciblant des récepteurs spécifiques, nommés nish-1. Et il a été démontré que ce médicament peut prolonger la durée de vie des vers Caenorhabditis elegans d'environ 20 %. « Pour la première fois, nous avons pu démontrer chez l'animal que la rilménidine peut augmenter la durée de vie », déclare João Pedro Magalhães, co-auteur de l'étude. Il semblerait que la rilmenidine provoque une expression génique comparable à celle observée lors d'interventions prolongées de restriction calorique. En outre, la rilmenidine a amélioré plusieurs paramètres liés à la santé et au vieillissement chez les animaux traités, notamment une réduction du déclin de la capacité locomotrice de 33 % par rapport aux témoins non traités. Ces résultats confirment l'hypothèse selon laquelle la rilmenidine pourrait permettre de ralentir les effets du vieillissement chez l'humain, tout en évitant les inconvénients liés à des régimes alimentaires stricts.

Au même moment, une autre équipe de l'université de Sydney publiait également une étude pointant les facteurs qui contribuent à atteindre l'âge de cent ans. Ces scientifiques dirigés par Zhaoli Dai-Keller et Perminder Sachdev, ont analysé le mode de vie et les habitudes de santé de centenaires et de quasi-centenaires (âgés de 95 à 99 ans) du monde entier. Les auteurs présentent les quatre facteurs clés qui, selon eux, contribuent à l'extrême longévité (Voir Springer Link).

Premier facteur, un régime alimentaire varié avec un apport en sel contrôlé. Les centenaires et quasi-centenaires avaient un régime alimentaire équilibré et varié. Ils ont constaté qu'en moyenne, ils consommaient 57 % à 65 % de leur apport énergétique sous forme de glucides, 12 % à 32 % sous forme de protéines et 27 % à 31 % sous forme de lipides. Leur régime alimentaire comprenait des aliments de base (tels que le riz et le blé), des fruits, des légumes et des aliments riches en protéines tels que la volaille, le poisson et les légumineuses, avec une consommation modérée de viande rouge. L’alimentation traditionnelle des habitants de l’île japonaise d’Okinawa est un exemple remarquable de facteur de longévité : cette alimentation, principalement basée sur la consommation de végétaux et de poissons, contient 40 % de calories en moins que l’alimentation d'un Américain moyen. Résultat : un taux de mortalité prématurée deux fois moins élevé que la population japonaise globale et un taux de centenaires 5 fois plus élevé que celui des pays développés.

Le deuxième facteur concerne la réduction de la consommation de médicaments. Les centenaires ne sont pas exempts de maladies chroniques, mais ils ont tendance à les développer beaucoup plus tard que l'adulte moyen. Le troisième facteur concerne la qualité du sommeil. Cette étude montre que le fait de bien dormir est associé à une vie plus longue et à un risque réduit de maladies chroniques. Fait révélateur, 68 % des centenaires étaient satisfaits de la qualité de leur sommeil. La durée idéale de sommeil se situe entre sept et huit heures par nuit. Enfin, le dernier facteur a trait au cadre de vie. Plus de 75 % des centenaires et quasi-centenaires qui ont participé à l'étude vivaient dans des zones rurales, végétales et apaisantes du Japon, de la Grèce ou du Costa-Rica.

On le voit, face au défi considérable économique, politique et social que représente le fort vieillissement de notre population d'ici 2050, nous devons agir en actionnant simultanément, et de façon coordonnée, quatre leviers majeurs. Le premier levier concerne l’encouragement, dès l'enfance, par les pouvoirs publiques, à l’adoption d'une vie saine, basée une alimentation plus équilibrée (privilégiant les protéines marines et végétales, les fruits, légumes et céréales), moins grasse et moins salée. Le deuxième levier concerne la lutte à tous les niveaux (école, famille, entreprise) contre la sédentarité, dont es effets dévastateurs sur la santé et la longévité ont été trop longtemps minimisés. Le troisième niveau concerne la mise en place, dès le milieu de la vie, d'un plan personnalisé d'accompagnement médical pour une vieillesse en pleine santé, axé sur l'utilisation combinée des nouveaux traitements anti-âge que j'ai évoqués, en fonction bien entendu du profil biologique de chacun et après s'être assuré, par des études scientifiques rigoureuses, de l'efficacité thérapeutique de ces médicaments sur les mécanismes du vieillissement et de leur innocuité. Enfin, le dernier niveau, tout aussi important, concerne l'intensification de la lutte contre les différentes formes de pollution et d'exposition à des substances chimiques nocives, qui doit naturellement s'inscrire dans le cadre plus général de la transition énergétique, de la décarbonation de notre économie et de la préservation et restauration des espaces naturels. En agissant de manière résolue et intelligente sur ces quatre leviers, nous pouvons, j'en suis convaincu, aller vers une société dans laquelle chacun pourra raisonnablement espérer vivre un siècle en pleine santé et en pleine autonomie et pourra s'épanouir physiquement et intellectuellement jusqu'au terme de sa vie...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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