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Vers l'homme bionique

Il y a tout juste un an, une machine a été branchée par le Dr Philip Kennedy sur le cerveau de John, un américain de 52 ans entièrement paralysé par une l'hémorragie cérébrale. "Tout ce que nous cherchons à faire est d'aider des malades qui ne peuvent plus communiquer avec le monde extérieur à le faire par l'intermédiaire d'un ordinateur", explique modestement ce neurologue natif d'Irlande et âgé de 51 ans, qui reçoit dans la banlieue d'Atlanta. Il est l'inventeur du système qui a assuré à John le don, jusque-là magique, de télépathie: la capacité d'agir sur les choses par le seul exercice de la pensée. Le principe est d'une grande simplicité: "Toute activité psychique a une base physique", explique patiemment le médecin. Elle se traduit dans le cerveau par des décharges électriques émises par les neurones. Toute action - un geste de la main, par exemple - commence par une décharge qui provoque une réaction en chaîne des neurones du cortex moteur et envoie un signal le long des réseaux nerveux, comme sur des lignes téléphoniques, jusqu'aux muscles qui doivent être mis en mouvement. Dans certains cas - suite à un accident de la moelle épinière ou à une dégénérescence du système nerveux, "les lignes sont coupées entre le cerveau et les muscles. Tout ce que nous faisons, c'est en quelque sorte de placer des écoutes à l'intérieur même du cerveau. Nous captons les signaux qu'il émet. Et nous les transmettons, en les interprétant, à l'ordinateur. Nous rétablissons la communication". Le Dr Kennedy a conçu un implant qui permettrait de "mettre le cerveau sur écoute". Cette "électrode neurotrophique" est un cône de la taille de la pointe d'un stylo-bille. Ce cône peut enregistrer la présence d'un courant électrique de faible impédance. Dans les trois mois suivant l'implantation de cette électrode dans le cerveau, les cellules nerveuses qui l'entourent se lient par des dendrites au tissu qui s'est reconstitué dans le cône de verre, y créant, explique Philip Kennedy, "une sorte de minicerveau". Du coup, l'implant est stable et "sent" automatiquement les décharges des neurones avoisinants. Les filaments d'or sont reliés à un amplificateur-réémetteur miniaturisé logé dans la boîte crânienne et alimenté par induction. Les signaux captés et amplifiés sont transmis à l'ordinateur (sur le principe d'une télécommande de télé), qui "traduit" les "ordres" donnés par le malade quand il pense à tel ou tel mouvement. Le neurochirurgien Roy Bakay, de l'université Emory d'Atlanta, a implanté deux de ces électrodes dans le cerveau de John en mars 1998, après qu'il se fut porté volontaire. Trois mois après l'implantation, John a pu apprendre à "contrôler sa pensée". C'est-à-dire à maîtriser l'intensité des décharges électriques dans la zone implantée. Puis il a pu se mettre à la tâche difficile de manipuler un curseur dont les mouvements obéissent aux impulsions qu'il donne en "pensant". "John pense à faire un geste, ses neurones envoient une décharge, nous la captons et l'envoyons à l'émetteur-récepteur, qui à son tour active l'ordinateur", dit Kennedy, qui avoue ne pas savoir exactement comment John parvient à contrôler les signaux de son cerveau. "Nous avons placé la souris de l'ordinateur dans le cerveau du malade", a résumé le Pr Bakay quand il a annoncé le succès de l'expérience. L'ordinateur est devenu une prothèse du cerveau. "La preuve a été faite qu'il est possible de communiquer et d'agir par la seule pensée", assure Philip Kennedy. "Je pense que, d'ici à trois à cinq ans, nous pouvons avoir un système assez performant pour permettre aux malades de vraiment utiliser un ordinateur et d'agir sur leur environnement" - par exemple en surfant sur l'Internet, en envoyant des messages électroniques, mais aussi en contrôlant les interrupteurs de lumière ou de télévision, leur chaise roulante, etc. "D'ici à dix ans, nous devrions pouvoir utiliser cette technologie pour donner à ces malades le contrôle de stimulateurs musculaires", ajoute-t-il. C'est-à-dire permettre à des paralysés de retrouver l'usage de leurs membres, dont les muscles seraient mis en mouvement par les signaux envoyés par leur cerveau et retransmis par l'ordinateur via des électrodes.

Libération/11/05/99

http://www.liberation.com/quotidien/semaine/990511marza.html

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