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Edito : UMTS : Ayons le courage de tout arrêter pour voir si cela marche et s'il y a un réel marché solvable

Dans quelques jours, combien d'opérateurs de télécommunications déposeront leur candidature auprès de l'Autorité de Régulation pour pouvoir disposer dans quelques mois des quatre licences UMTS que les pouvoirs publics français ont décidé d'attribuer pour une somme de 32,5 milliards de francs (4,95 Milliards d'euros) par licence ? Quelques jours avant de faire cet acte de candidature qui décidera du destin de leur compagnie, les managers de ces grands groupes doivent être saisis par un doute angoissant. En effet, cette candidature les engagera à faire une dépense qui à terme dépassera les 75 milliards de francs (11,5 milliards d'euros) si nous prenons en compte les investissements nécessaires alors qu'ils n'ont aucune certitude sur la fiabilité et les réelles capacités de ces technologies UMTS et surtout sans savoir si un réel marché existe. Le risque est d'une telle ampleur que tout laisse à penser, au moment où je rédige ces quelques lignes, qu'il y aura seulement deux candidats et peut-être même un seul qui serait notre opérateur national, France Télécom, qui s'est mis dans l'obligation d'obtenir cette licence s'il ne veut pas voir mettre à bas toute la stratégie qu'il a initiée avec l'acquisition d'Orange. Depuis le début de l'ère industrielle, c'est la première fois, sur notre continent européen (car ce que je dis là est aussi vrai dans tous les autres pays d'Europe et surtout pour ceux qui ont attribué ces licences avec des enchères) qu'un tel risque industriel serait pris par des sociétés privées. Certes, et cela est particulièrement vrai en France, la puissance publique, au travers de ses sociétés nationalisées, a déjà pris des risques comparables aussi bien dans le domaine bancaire avec le Crédit Lyonnais et même dans le domaine industriel avec la longue et douloureuse histoire de Bull ou les « rêves » technologiques des satellites TDF ou des normes D2 Mac. Cette fois-ci, ce ne sont plus, seulement, les contribuables qui se retrouvent en première ligne mais bien les actionnaires. Certes, notre opérateur national France Télécom peut à certains moments, quand l'angoisse est trop forte, penser que son actionnaire principal est l'Etat et que celui-ci pourrait lui éviter, dans l'ouragan, le naufrage. On ne peut se trouver en haute mer, affronter la terrible tempête du marché mondial et penser qu'une amarre nous relie encore à la terre... Les opérateurs (ou l'opérateur) qui, dans quelques jours, vont (va) accomplir cet acte déterminant en posant leur (sa) candidature pour une licence UMTS ne pourront (pourra) s'empêcher de penser au destin du Réseau Iridium. Reprenons ce qui était annoncé il y a quelques courtes années par les « experts » les plus écoutés des télécommunications. Pour eux, les constellations satellitaires de basse altitude avaient un destin radieux. Malheureusement, les clients attendus ne se sont pas présentés... Un jour, ces constellations satellitaires trouveront leur véritable place, qui fera envie, j'en suis convaincu, mais seulement lorsque la technique, l'acquisition des usages par les utilisateurs et surtout l'acceptation des coûts par les clients seront en phase. Pour l'UMTS, nous sommes devant une problématique fort comparable. Il est certain que les utilisateurs auront un jour besoin de large bande associée à la mobilité. La vraie question : quand auront-ils ce besoin et combien seront-ils prêts à débourser pour assouvir ce besoin ? J'ai déjà à plusieurs reprises dans ces colonnes précisé que la « killer-application » du mobile de demain émergera de la fusion entre le monde de l'automobile et le monde des télécommunications. Dans un prochain éditorial, j'essaierai de mieux préciser les traits essentiels de cette killer-application. Elle deviendra évidente à partir de l'instant où nous aurons intégré que le mobile de 3e génération n'est pas une simple évolution du GSM et même du GPRS mais que la mission des larges bandes « mobiles » est de favoriser l'émergence d'une ère nouvelle dans les relations sociales et culturelles. Vous noterez que j'emploie les mots génériques « large bande mobile » pour définir cette technologie du futur qui ouvrira une ère nouvelle et non pas UMTS. En effet, comme tout observateur qui analyse avec attention toutes les informations accessibles, je n'ai aucune certitude que l'UMTS sera bien cette technologie qui permettra de relever le défi du futur. Devant un tel amoncellement d'incertitudes, que ce soit au niveau des réelles capacités de ces nouvelles technologies UMTS ou au niveau de l'acquisition des usages par des clients potentiels qui, seuls, ont la capacité de créer un marché solvable, j'ai l'intime conviction que les gouvernements européens qui ont réclamé « a priori » de fortes sommes soit au travers d'enchères, soit au travers de « concours de beauté », s'honoreraient à stopper la procédure et à mettre en oeuvre un moratoire tant qu'ils n'auront pas la certitude que la technologie UMTS pour laquelle ils s'apprêtent à accorder des licences est viable et peut créer un marché réellement solvable. Le Gouvernement français a une raison supplémentaire d'arrêter immédiatement cette procédure : son « concours de beauté » est un échec. Comment pourrait-il persévérer alors qu'il n'y aurait que deux ou même un seul candidat là où les pouvoirs publics proposaient d'attribuer quatre licences. S'il le voulait, le pourrait-il d'ailleurs alors qu'il s'est engagé envers le Parlement à percevoir 130 milliards de francs (19,8 Milliards d'Euros) pour le déploiement de l'UMTS en France ? En toute conscience, l'Autorité de Régulation pourrait- elle accepter d'attribuer ces licences à deux (ou même un seul) candidat(s) alors qu'elle sait pertinemment qu'en raison du manque de concurrence, elle manquerait totalement d'« autorité » pour imposer à ces (cet) opérateur(s) des règles strictes surtout au niveau de la couverture du territoire ? Si les Gouvernements européens et les autorités françaises ne prenaient pas cette mesure de bon sens en arrêtant immédiatement tout le processus d'attribution et de déploiement de l'UMTS, la crise que devraient affronter les opérateurs européens qui sont sur le point d'engager leur destin mais aussi les gouvernements qui, avec trop de légèreté, auraient attribué ces licences, serait d'une telle ampleur que c'est toute la nouvelle économie, si porteuse d'avenir, qui pourrait être gravement ébranlée, pour de longues années sur l'ensemble du continent européen.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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