RTFlash

Vivant

Edito : La stimulation cérébrale par ondes ouvre-elle la voie au « cerveau augmenté » ?

Depuis quelques mois les avancées et découvertes concernant les immenses potentialités de la stimulation cérébrale se succèdent et ouvrent de nouveaux espoirs thérapeutiques pour de multiples maladies neurologiques et troubles du cerveau. Mais au-delà de ces nouveaux traitements prometteurs qui commencent à bénéficier aux malades, ces outils de stimulation cérébrale profonde semblent également en mesure de modifier et d'améliorer de manière ciblée certaines fonctions cognitives altérées par l'âge ou la maladie.

Une étude américaine publiée en février dernier a montré qu’un nouvel outil utilisant des faisceaux d’ultrasons, baptisé Exablate Neuro, permettait d’améliorer les symptômes de la maladie de Parkinson de manière non invasive et sans anesthésie ni hospitalisation (Voir University of Maryland). Cette pathologie du cerveau affecte les cellules cérébrales ou les neurones d'une zone spécifique du cerveau qui produisent la dopamine. Les symptômes se traduisent notamment par des tremblements, de la raideur et des difficultés d'équilibre et de coordination. Jusqu'à présent, les techniques de stimulation cérébrale profonde utilisées pour traiter cette maladie passaient par une neurochirurgie visant à insérer des électrodes à travers deux petites ouvertures dans le crâne. Mais cet acte n'est pas dénué de risques d'effets secondaires graves, notamment une hémorragie cérébrale et une infection. Mais dans le cadre de cet essai, les chercheurs ont testé une technique moins invasive basée sur des ultrasons.

L'échographie focalisée présente l'avantage majeur d'être une procédure non-invasive, réalisée sans anesthésie ni hospitalisation. Les patients restent toujours conscients et sont allongés dans un scanner d'imagerie par résonance magnétique (IRM), équipé d'un casque transducteur. Le faisceau d'ultrasons est ciblé à travers le crâne vers le globus pallidus, une structure profonde dans le cerveau qui aide à contrôler les mouvements volontaires réguliers. Grâce aux images IRM, les médecins peuvent disposer d'une carte de température en temps réel de la zone traitée, pour localiser précisément la cible et appliquer la température adéquate pour la détruire. Pendant toute l'intervention, le patient reste éveillé et peut faire part aux médecins de ses sensations, ce qui leur permet de réaliser les ajustements nécessaires.

Dans leur étude, les chercheurs de l'Université du Maryland (UMSOM) ont réparti au hasard 94 patients atteints de la maladie de Parkinson dans deux groupes. Le premier groupe, comportant 69 patients, a réellement bénéficié de cette thérapie par ultrasons capable de cibler une zone très ciblée d’un côté du cerveau contrôlant le côté de leur corps où les symptômes étaient les plus graves. L’autre groupe, regroupant 25 patients, a eu droit à une procédure fictive. Résultat : les patients du premier groupe ont pu constater une régression immédiate de leurs symptômes, contrairement au groupe-témoin.

Toujours en février dernier, des chercheurs américains de l’Université Washington à Saint-Louis ont réussi à provoquer une hibernation chez une souris, en ciblant un faisceau d’impulsions ultrasoniques en direction du cerveau de rongeurs, plus précisément vers l’aire préoptique, une petite zone qui évalue l’état fonctionnel de l’organisme afin de déclencher le sommeil avant que la fatigue ne soit trop intense. Les effets de ce traitement ont été quasi instantanés. « Après seulement dix secondes, le rythme cardiaque des souris a ralenti, la consommation d’oxygène a diminué, le métabolisme a commencé à consommer des graisses à la place du sucre, et la température corporelle a changé, suggérant une déperdition active de la chaleur », souligne l’étude (Voir Nature Metabolism). Après ajustement du faisceau d'ultrasons, ces scientifiques sont parvenus à prolonger cet état d’hibernation jusqu’à vingt-quatre heures, sans aucun effet secondaire. Il est encore trop tôt pour savoir si ces étonnants résultats sont transposables à l'homme, mais ces chercheurs sont optimistes et pensent qu'il est envisageable d'appliquer cette approche pour mettre un être humain en état d'hibernation contrôlée, dans la perspective, par exemple, d'une mission spatiale de longue durée.

En avril dernier, une équipe internationale dirigée par Mickael Tanter et Serge Picaud (Inserm), associant le laboratoire Physique pour la médecine (ESPCI Paris/PSL Université/Inserm/CNRS) et l’Institut de la vision (Sorbonne Université/Inserm/CNRS) à Paris en partenariat avec l’Institut d’ophtalmologie moléculaire et clinique de Bâle, ont montré qu'il était possible, chez l'animal, de modifier génétiquement certains neurones afin de pouvoir les activer à distance par des ultrasons. Cette approche, dite « sonogénétique » permet de provoquer une réponse comportementale associée à une perception lumineuse (Voir Nature Nanotechnology). Cette modification génétique consiste à introduire le code génétique d’un canal ionique dans les cellules. Les neurones qui expriment ce canal peuvent alors être activés à distance par des ultrasons de faible intensité appliqués à la surface du cerveau.

Au cours de ces travaux, les chercheurs ont montré que la stimulation sonogénétique du cortex visuel permet d’induire une réponse comportementale associée à une perception lumineuse. L’étude a également permis de prouver que cet outil sonogénétique fonctionnait sur différents types de neurones, ce qui ouvre de vastes perspectives thérapeutiques pour le traitement de nombreuses pathologies visuelles ou maladies du cerveau. En outre, cette approche de stimulation sonogénétique constitue un nouvel outil de premier ordre pour mieux comprendre l'organisation et le fonctionnement du cerveau car, contrairement aux prothèses et dispositifs actuels, il ne requiert pas de contacts physiques avec la matière cérébrale et peut cibler des catégories précises de neurones.

En août 2022, des scientifiques de l’Université de Boston ont réalisé une étude en double aveugle qui a montré sur 150 patients l’efficacité de plusieurs protocoles de stimulation transcrânienne à courant alternatif (tACS) répétitifs, sur une semaine, pour l’amélioration sélective et durable de la mémoire de travail, mais aussi de la mémoire à long terme chez les personnes âgées de 65 à 88 ans. Ces recherches ont notamment montré que la modulation de l’activité synchrone à haute fréquence, dans le cortex préfrontal, permet d’améliorer préférentiellement la mémoire à long terme (Voir Nature Neuroscience). Cette étude montre par ailleurs que les participants qui avaient une fonction cognitive moins performante ont connu des améliorations de la mémoire plus importantes et plus durables que les autres. De manière très intéressante, ces recherches ont confirmé que des stimulations électriques de faible intensité et de courte durée, présentant très peu de risques d’effets secondaires indésirables, peuvent provoquer des améliorations significatives et durables des capacités de mémorisation.

En décembre dernier, une autre étude chinoise a montré qu’une thérapie par la lumière laser -- appelée photobiomodulation transcrânienne (tPBM) -- a permis d'améliorer jusqu'à 25 % la mémoire à court terme des participants (Voir Science Advances). Les chercheurs ont utilisé cette technique de stimulation pour cibler le cortex préfrontal droit du cerveau, une zone impliquée dans la mémoire de travail. De précédentes recherches avaient déjà montré que la tPBM améliorait la mémoire de travail chez la souris et certaines facultés cognitives chez l'être humain, comme la concentration. Mais cette étude est la première à confirmer un lien entre le tPBM et la mémoire de travail chez l'Homme. Ces scientifiques chinois ont réalisé leurs expériences sur 90 participants. Après une courte séance de stimulation par tPBM, les participants devaient se souvenir de l'orientation ou de la couleur d'un ensemble d'éléments affichés sur un écran. Résultat : ceux traités par lumière laser sur le cortex préfrontal droit ont montré une nette amélioration de leur mémoire de travail visuelle, par rapport à ceux qui avaient reçu les autres traitements. L'étude souligne que « Les personnes souffrant de troubles tels que le TDAH (trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité) pourraient bénéficier de ce type de traitement, qui est sûr, simple et non invasif, sans effets secondaires ». Pour expliquer cet effet surprenant de la stimulation par laser sur le cerveau, les chercheurs forment l’hypothèse que la lumière pourrait stimuler les astrocytes du système nerveux central dans le cortex préfrontal.

En juin dernier, des scientifiques de l'UCLA Health et de l'Université de Tel Aviv ont montré, sur 18 patients, qu’il était possible de consolider la mémoire pendant le sommeil en utilisant judicieusement la stimulation cérébrale profonde ciblée pendant une période critique du cycle du sommeil (Voir Nature Neuroscience). L'étude sur la mémoire a été menée sur deux nuits et deux matinées : juste avant l'heure du coucher, les participants à l'étude ont été invités à visualiser des couples de photos d'animaux et de 25 personnages célèbres. Ils ont ensuite été testés sur leur aptitude à se rappeler quelle célébrité était associée à quel animal, et ils ont été testés à nouveau le matin après une nuit de sommeil non perturbé. La nuit suivante, ils ont visualisé 25 nouveaux couples d'animaux et de célébrités avant l'heure du coucher, puis ont bénéficié d'une stimulation électrique ciblée pendant la nuit.

Le résultat est sans appel : tous les participants ayant bénéficié de la stimulation électrique nocturne avaient de meilleurs résultats aux tests de mémoire après une nuit de sommeil, par rapport à ceux qui avaient dormi sans être exposés à ce traitement. « Notre étude fournit la première preuve majeure jusqu'au niveau des neurones uniques qu'il existe bien un mécanisme d'interaction entre le centre de la mémoire, en l’occurrence l'hippocampe, et l'ensemble du cortex », a déclaré Itzhak Fried, directeur de la chirurgie de l'épilepsie à UCLA Health. « Ces travaux pourraient offrir de nouveaux indices sur la façon dont la stimulation cérébrale profonde pendant le sommeil pourrait un jour aider les patients souffrant de troubles de la mémoire comme ceux provoqués par la maladie d'Alzheimer », précise cette étude (Voir Science Translational Medicine).

Les potentialités de la stimulation cérébrale profonde en matière d’amélioration des fonctions cognitives ont par ailleurs été confirmées par une méta-analyse sur le sujet, publiée en mai dernier par des chercheurs de l’Université de Boston (États-Unis). Cette analyse a passé au crible une centaine d’études regroupant 2893 participants. Selon les résultats de cette méta-analyse, la stimulation transcrânienne avait un effet positif statistiquement significatif sur la mémoire à court terme et à long terme, ainsi que sur l’attention et le raisonnement. Mais l'enseignement le plus important de cette analyse est que la stimulation cérébrale ne se contente pas d’améliorer les capacités cognitives de personnes en bonne santé. Elle semble également, de manière étonnante, être en en mesure d'améliorer, dans une certaine mesure, les capacités cognitives défaillantes des personnes âgées ou atteintes de maladies neurologiques.

L’échographie focalisée déjà testée, nous l'avons vu, dans le traitement des tremblements liés à la maladie de Parkinson, pourrait en outre modifier les fonctions cérébrales, comme vient de le montrer une équipe de l’Université de Plymouth qui a utilisé la stimulation transcrânienne par ultrasons pour modifier des types spécifiques d’activité dans le cerveau (Voir Nature Communications). Ces chercheurs anglais ont confirmé le potentiel de la stimulation transcrânienne par ultrasons (TUS) pour le traitement de maladies résistantes aux médicaments, telles que la dépression, la dépendance ou l’anxiété. Dans le cas présent, la technique utilisée a consisté à cibler les faisceaux sur une région cible, afin de modifier de manière contrôlée la façon dont les neurones communiquent entre eux par l’intermédiaire des neurotransmeteurs.

Cette étude regroupant 24 participants en bonne santé a confirmé que la stimulation transcrânienne par ultrasons est en mesure de provoquer des modifications sensibles, mais néanmoins réversibles, dans la concentration de GABA (acide gamma-aminobutyrique) dans le cortex cingulaire postérieur du cerveau dans l’heure qui suit le traitement par ultrasons. Ces travaux ont montré que ces changements étaient d'ampleur différente selon les zones ciblées : par exemple, les niveaux de GABA ne sont pas affectés par ce traitement dans le cortex cingulaire antérieur, une zone corticale liée aux troubles psychiatriques mais également à différentes fonctions cognitives, comme la prise de décision ou l’apprentissage.

La Docteure Elsa Fouragnan, professeur à l’Université de Plymouth, souligne que « Ces recherches ouvrent la voie à la possibilité fascinante de modifier l’activité dans certaines parties seulement du système cérébral et sans toucher au reste du cerveau. La prise de médicaments contre la dépression, par exemple, a un impact sur l’ensemble du cerveau. Or, nous savons déjà que seules certaines des régions du cerveau dysfonctionnent dans la dépression. Ces travaux nous permettent d’envisager à l’avenir l’utilisation des ultrasons pour des interventions plus ciblées chez les personnes souffrant de divers problèmes de santé mentale ».

Je termine cette rapide revue des récentes avancées en matière de stimulation cérébrale en évoquant une étude publiée par des chercheurs de l'Institut de technologie de Californie. Ces chercheurs ont pu mesurer le flux sanguin cérébral avec une technique d'ultrasons fonctionnels. Ils ont utilisé l'effet Doppler, qui rend détectable les modifications au niveau de la circulation sanguine cérébrale, avec une précision inférieure à 100 micromètres. Les chercheurs ont testé leur méthode sur des primates préalablement entraînés pour bouger leurs membres ou leurs yeux d'une certaine manière. Grâce à l’apprentissage automatique, les chercheurs ont pu prévoir à l'avance les réactions de ces animaux, notamment le type de mouvement et la direction. A terme, ces scientifiques pensent qu'il est envisageable d'imaginer, pour améliorer la qualité de vie des personnes paralysées, un nouveau type d'interface cerveau-machine, basé sur cette approche par ultrasons.

Ces avancées et études récentes montrent que ces nouvelles techniques d’intervention et de stimulation cérébrale à l’aide de différents types d’ondes électromagnétiques ont cessé d’être des curiosités de laboratoires et sont en train de devenir des outils incontournables de traitement, à la fois des maladies neurologiques et des troubles psychiatriques, mais aussi des méthodes d’investigation permettant de progresser bien plus vite dans la compréhension du fonctionnement de notre cerveau. Mais il y a plus : ces outils de stimulation cérébrale semblent également en mesure, utilisés différemment, d’améliorer sensiblement et durablement nos perceptions sensorielles et nos facultés cognitives, y compris supérieures, la concentration, le raisonnement, la planification… Et là, nous entrons en pays inconnu car soigner des pathologies du cerveau ou restaurer des fonctions altérées est une chose, mais améliorer les capacités de notre cerveau en bonne santé et vouloir "augmenter" ses performances, en est une autre…

Nous savons à présent que dans le cerveau humain, les dimensions sensorielles, affectives, imaginaires, psychologiques et cognitives sont étroitement intriquées et qu’elles se nourrissent, se coproduisent dans un processus dynamique d’une inépuisable complexité. Nous devons donc veiller à utiliser ces nouveaux outils extraordinaires, mais très puissants, en respectant une éthique claire et bien définie. Rien ne nous garantit, dans l’état actuel, encore bien parcellaire, de nos connaissances sur le cerveau, qu’en voulant améliorer, avec les meilleures intentions du monde, nos capacités cognitives à l’aide de ces nouveaux outils, nous ne risquons pas, dans certains cas, de modifier et d’altérer notre personnalité, voire notre mémoire et nos souvenirs… C’est pourquoi il est capital d’utiliser avec sagesse et circonspection ces technologies prometteuses et d’accompagner leur inévitable développement d’un cadre déontologique, juridique et éthique qui rappelle la primauté de la dignité humaine et de l’intégrité psychique des individus…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

Noter cet article :

 

Vous serez certainement intéressé par ces articles :

Recommander cet article :

back-to-top