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Edito : Steve Jobs, le visionnaire qui a rendu la technologie désirable

Le décès de Steve Jobs, fondateur et patron charismatique d'Apple a donné lieu à de multiples hommages amplement mérités mais je souhaiterais en ajouter un qui tente de déborder les dimensions technologiques et économiques de cette aventure humaine hors du commun.

Parti de rien, il y a 35 ans, Steve Jobs fut la pure incarnation du rêve américain dans ce qu'il a de plus fascinant. Il a révolutionné l'informatique en inventant avec son compère Steve Worniak, l'Apple 1 et 2 puis en dévoilant en 1983 une interface graphique utilisant la souris, concept génial qui aura, avec le lecteur de disquettes, autre idée de génie, un immense succès avec le Macintosh sorti en 1984. Ces innovations décisives seront reprises par tous les fabricants informatiques, IBM en tête, et s'imposeront très vite sur tous les ordinateurs de la planète.

Obligé de quitter sa propre société en 1985, Steve Jobs sut rebondir, à la tête des Studios PIXAR, avec l'extraordinaire talent qui était le sien. Après 12 ans d'absence, il y eut le retour de l'enfant prodigue au bercail et Jobs retrouva en 1997 la présidence d'Apple, bien décidé à en faire le leader mondial de l'innovation numérique en imposant envers et contre tous sa vision de l'avenir.

Revenu à la tête d'Apple, il su comprendre avant tout le monde que la technologie ne devait pas seulement être efficace. Pour séduire un très large public, elle devait être belle, séduisante et surtout, intuitive. En lançant l'iPod en 2001, l'iPhone en 2007 et l'iPad en 2010, il renversa purement et simplement le paradigme qui prévalait dans la High Tech et l'industrie numérique en réalisant et en commercialisant, avec un succès planétaire sans équivalent, des produits si remarquables par leur facilité déconcertante d'utilisation et leur polyvalence qu'ils sont devenus presque immédiatement des symboles d'un nouveau mode de vie dans lequel la technologie devenait ludique, conviviale, esthétique et s'adaptait de manière totalement personnelle à son utilisateur.

Jobs a su introduire deux dimensions fondamentales dans l'accès du plus grand nombre aux technologies numériques, longtemps ésotériques et élitistes.

La première est celle de la corporalité et du plaisir sensuel à utiliser ces appareils qui se fondent et se plient aux désirs de leur propriétaire ; la seconde est celle de la sociabilité et de l'échange : posséder un iPhone ou un iPad, c'est appartenir à une communauté et adhérer à une certaine vision du monde et, par certains côtés, à une certaine éthique numérique.

Après avoir compris avant tout le monde que l'adoption des "smartphones" par le plus grand nombre passerait par l'écran tactile et la richesse des applications proposées, Apple s’apprête à nouveau à distancer tous ses concurrents en lançant, la veille du décès de Steve Jobs, sur son Iphone 4S, un outil de reconnaissance vocale intelligente qui s'imposera très rapidement, j'en suis convaincu, comme une nouvelle norme dans l'ensemble des terminaux numériques et des ordinateurs.

Baptisé "Siri", cet outil est non seulement capable de comprendre et d'interpréter en fonction du contexte ce que lui dit son interlocuteur humain mais de lui répondre en lui précisant ce qu'il fait pour satisfaire le mieux possible sa demande. Pour obéir à nos souhaits, Siri sera également capable de gérer et de combiner seul, comme le ferait un assistant humain, les données et applications de notre smartphone.

A l'égal de ses grands prédécesseurs qui furent à la fois découvreurs et entrepreneurs, Steve Jobs aura su concevoir et vendre tout au long de son fulgurant parcours une technologie qui s'efface derrière les usages et les services innombrables qu'elle apporte. Il aura su réintroduire le désir dans l'univers froid, austère et très peu "glamour" des produits informatiques et électroniques réservés à quelques initiés. Quant aux résultats financiers, ils sont à la hauteur du génie visionnaire de Jobs : la firme à la pomme valait 2 milliards de dollars en 1980 ; elle en pèse désormais 350 et est tout simplement devenue la première capitalisation mondiale !  

En décédant prématurément à 56 ans, le fondateur d'Apple vient d’entrer dans l'Histoire et rejoint le firmament des découvreurs et innovateurs de légende qui ont changé la face du monde en bouleversant notre vie quotidienne.

Il est toujours difficile et risqué d'établir un palmarès mais il me semble que Jobs mérite d'être associé et comparé à sept autres innovateurs et découvreurs géniaux : Graham Bell (1847-1922) qui inventa le téléphone en 1876, Thomas Edison (1847-1931) à qui l'on doit une multitude d'innovations (plus de 1000 brevets) et la généralisation de l'utilisation de l'électricité, Alan Turing (1912-1954), qui fut le père de l'informatique, John Logie Baird (1888-1946), un peu oublié aujourd'hui mais qui inventa la télévision (appelée alors "Televisor") en 1926 et enfin, Gordon Moore, co-fondateur d'Intel et inventeur en 1965 de la célèbre "Loi de Moore" qui régit la miniaturisation électronique depuis près d'un demi-siècle. 

Enfin, il est frappant de constater que Steve Jobs était né la même année que les deux autres génies visionnaires encore vivants de cette liste non exhaustive, Tim Berners-Lee, le père du Web et Bill Gates, fondateur de Microsoft. Au-delà de leurs différences, deux points communs unissent ces grands inventeurs et entrepreneurs : ils ont conçu leurs inventions pour le plus grand nombre et compris qu'une innovation, même géniale, n'est rien si elle n'est pas désirée par le public.

Demain, cette technologique numérique intuitive, conviviale et ludique se fondera dans nos vêtements et dans notre corps et peut-être même dans notre cerveau, grâce au fantastique essor des nanotechnologies et des neuro-sciences. Elle n'aura plus besoin de se matérialiser dans des terminaux et appareils tels que nous les connaissons aujourd'hui. Mais il y aura toujours de géniaux défricheurs de chemins qui sauront, comme Steve Jobs, imaginer, avant les autres, les nouveaux besoins et les nouveaux usages correspondant aux avancées technologiques.

Finalement, l'éclatante trajectoire de Jobs et d'Apple aura été la parfaite illustration de ce que Spinoza avait déjà magistralement compris il y a 350 ans : le désir est toujours premier ; il est le moteur essentiel et irrésistible de toutes les activités humaines. En fusionnant dans une symbiose conceptuelle géniale, efficacité, sensualité et convivialité, Jobs a su rendre la technologie numérique plus qu'indispensable, infiniment désirable et si Steve Jobs n'est plus, la vague qu'il a initiée a bel et bien changé le monde et n'est pas prête de retomber.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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