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Un sixième sens au service de la réalité virtuelle

Assis face à un ordinateur, un aveugle en explore l'interface graphique et semble s'y retrouver aussi bien qu'une personne voyante grâce à une souris d'un nouveau genre. De la forme d'un stylo, le dispositif lui permet de sentir au bout de ses doigts les icônes, les barres de menu et autres fenêtres affichées à l'écran. Pénétrer dans l'un de ces objets lui donne l'impression de tomber dans une petite dépression. Un son retentit alors pour confirmer qu'il y est bien entré. À mesure qu'il se déplace le long de la gouttière tenant lieu de barre de menu, une succession de petites indentations, auxquelles sont associés des sons de hauteur différente, permettent de décliner les diverses fonctions offertes. Le coeur de ce système multimodal est un dispositif de pointage à retour de force, appelé dispositif «haptique». Les scientifiques définissent un «sixième» sens: le sens haptique - du grec haptein, qui signifie toucher. Le sens haptique permet de percevoir la géométrie tridimensionnelle des objets que l'on manipule, ainsi que leur surface, leur poids et leur texture. Le sens haptique résulte de l'activité simultanée des récepteurs tactiles et proprioceptifs. Présents dans la peau, les premiers sont entre autres responsables des sensations mécaniques (pression, vibration, toucher). Ils permettent notamment de percevoir la texture des surfaces que l'on touche. Les récepteurs proprioceptifs qui sont situés dans les articulations, les muscles, les tendons et la peau nous renseignent quant à eux sur la position des différentes parties du corps, leur mouvement ainsi que les forces déployées par les muscles pour maintenir cette position et effectuer un mouvement. Ils aident à déduire la forme des objets. «Le sens haptique est probablement celui qui traduit le mieux la réalité physique des choses. Les informations qu'il fournit sont à ce point riches qu'elles permettent de suppléer à l'absence ou à la déficience d'un autre sens», souligne Vincent Hayward, chercheur au Centre for Intelligent Machines de l'Université McGill de Montréal. L'aveugle qui, grâce à un dispositif haptique, parvient à naviguer sur une interface graphique de type Windows ou une page Web avec autant de facilité qu'une personne voyante, en est un exemple frappant. La personne qui conduit sa voiture sur une voie rapide tout en réfléchissant au trajet qu'elle doit emprunter est également handicapée puisqu'elle est visuellement et cognitivement occupée. Et c'est furtivement et en courant certains risques qu'elle parvient à actionner les essuie-glaces de sa voiture ou à changer la station du poste de radio par exemple. «Un dispositif haptique peut lui permettre de contrôler les essuie-glaces, la température intérieure, les systèmes audio, de messagerie et de navigation sans avoir à détourner son regard de la route», affirme Christophe Ramstein, vice-président de la R&D chez Immersion Canada, une entreprise de Montréal qui a justement développé un tel dispositif en collaboration avec le constructeur automobile BMW. Comment un système haptique (appelé PenCAT-Computer Assisted Touch) comme celui manipulé par le non-voyant fonctionne-t-il? Le système comprend une partie matérielle et une partie logicielle. La partie matérielle est essentiellementconstituée de capteurs et de moteurs reliés à un stylo par des tringles. La partie logicielle comprend un pilote (driver) et une interface logicielle qui permet de contrôler l'application de forces possédant différentes propriétés telles que la raideur, l'élasticité, la viscosité, la friction, la vibration et l'inertie. Les capteurs mesurent la position exacte de la pointe du stylo, que l'utilisateur peut déplacer sur une surface d'environ 125 centimètres carrés. Une fois informé de cette position, l'ordinateur calcule la force qui doit être appliquée en retour à la pointe du stylo pour produire sur la main de l'utilisateur la sensation correspondant à la manipulation qui est simulée. Les forces sont générées par de petits moteurs et leur valeur est réestimée 1000 fois par seconde afin d'obtenir une impression de continuité. L'interface logicielle contient quant à elle des modèles mathématiques qui décrivent divers types de force. La raideur est obtenue en simulant l'action d'un ressort dont la résistance peut varier. La viscosité dépend pour sa part de la vitesse de déplacement et des propriétés du matériau. Plus l'utilisateur bouge vite, plus la force de viscosité est grande. L'inertie, de son côté, répond à la loi fondamentale de la dynamique et est donc proportionnelle à l'accélération et à la masse. La vibration est produite en appliquant une force qui crée des déplacements dont l'amplitude oscille de quelques millimètres et à une fréquence que l'on peut aussi contrôler. À l'instar de la raideur et de la viscosité, la friction est une force qui s'oppose au mouvement. Elle dépend de la pression que l'on applique sur la surface et de l'adhérence de cette dernière. La véritable magie du dispositif haptique PenCAT est qu'il permet de percevoir les trois dimensions d'un objet virtuel alors que le stylo avec lequel on explore cet objet n'est mobile que dans un seul plan (horizontal), soit dans deux dimensions. «Le dispositif haptique met en pratique une illusion tactile», explique le chercheur. Normalement, pour percevoir la forme d'un objet par le toucher, il nous faut la parcourir des doigts. La position et le mouvement des doigts et de la main génèrent alors des informations proprioceptives qui constituent d'importants indices pour percevoir la forme de l'objet. Or le dispositif haptique permet la perception d'une forme uniquement en créant un gradient de force dans un seul plan. Pour simuler la présence d'une bosse, par exemple, le système haptique déploie une force dans la direction contraire au déplacement du doigt, afin d'opposer une résistance au mouvement du stylo. Cette force s'accroît au fur et à mesure de l'ascension pour devenir nulle au moment d'atteindre le sommet de la bosse. Lorsque s'amorce la descente sur l'autre versant de la bosse, une force nous entraîne cette fois dans la direction du déplacement. Cette force augmente tout au long de la descente jusqu'à la base de la bosse, où elle devient nulle. De même, lorsque le dispositif haptique traverse une dépression, l'évolution de la force est alors inversée. «Cette illusion est la démonstration que la représentation mentale qu'on se fait d'un stimulus - comme une force appliquée dans une seule dimension - peut être beaucoup plus élaborée - en trois dimensions», souligne Vincent Hayward.

Le Devoir :

http://www.ledevoir.com/public/client-css/news-webview.jsp?newsid=1714

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