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Edito : La réalité virtuelle va faire entrer l'Humanité dans une nouvelle ère

On pense souvent que la réalité virtuelle est une rupture technologique récente mais il s’agit pourtant d’un concept qui a plus d’un demi-siècle. Dès 1955, Morton Heilig imaginait un cinéma total, dans lequel tous les sens du spectateur seraient simultanément sollicités et en 1962, Heilig inventa le premier cinéma immersif : le SENSORAMA, qui était équipé de ventilateurs et de siège vibrant, sensés pouvoir faire ressentir physiquement toutes les scènes du film de manière très réaliste.

Quelques années plus tard, en 1968, le premier casque de réalité virtuelle, connu sous le nom de l’Epée de Damoclès, était inventé par Ivan Sutherland et Daniel Vickers. En 1977, on vit apparaître les premiers gants virtuels, les « Datagloves ». Mais il faut attendre 1985 pour que le terme de « réalité virtuelle » soit employé pour la première fois par Jaron Lanier, le fondateur de VPL Research, pour désigner un espace de représentation « réaliste », tri-dimensionnel, calculé en temps réel, immersif.

Depuis cette date, la réalité virtuelle, puis la réalité « augmentée » se sont peu à peu imposées dans tous les domaines d’activités, qu’il s’agisse de l’industrie, de la santé, de la défense ou encore des loisirs ou des transports.

Il y a quelques semaines, dans le cadre d’un salon dédié à l’industrie du futur, le fabricant pharmaceutique Sanofi a présenté un module de formation en réalité virtuelle destiné à ses opérateurs. Dans cette formation, les agents, équipés d’un casque HTC VivPro, peuvent se familiariser avec leur futur outil de production sur une usine avant que cette dernière soit construite.

Le géant de l’informatique Microsoft entend lui aussi devenir l’un des leaders mondiaux sur ce marché en pleine explosion de la réalité virtuelle. Il a lancé il y a quelques semaines un nouvel outil de création 3D et de prototypage en réalité virtuelle. Le logiciel, baptisé Maquette, est particulièrement puissant et polyvalent et peut aussi bien recréer le trajet d’un automobiliste dans une grande ville que le parcours d’un client dans un supermarché, ou encore celui d’un touriste dans un musée. Ce logiciel Maquette connaît un tel succès que l'entreprise a décidé de continuer à le développer et de l'ouvrir au public. Microsoft entend rapidement le faire évoluer en fonction des retours que lui feront les utilisateurs.

La réalité augmentée, qui peut être considérée comme une déclinaison spécifique de la réalité virtuelle, est également en train de s’imposer dans l’ensemble du secteur médical, notamment en chirurgie. À l'Université de Pise (Italie), des chercheurs développent par exemple un nouvel outil de navigation virtuelle destiné à pouvoir guider les mains du chirurgien lors d'une opération en lui apportant en temps réel toutes les informations dont il peut avoir besoin. Expérimenté en chirurgie maxillo-faciale à l’hôpital universitaire de Bologne, cet outil révolutionnaire permet d’afficher à la demande de superposer dans le champ visuel du chirurgien, données et informations particulièrement utiles. Comme le souligne Giovanni Badiali, chirurgien maxillo-facial qui participe à cette expérimentation, "Le fait de pouvoir visualiser directement, en regardant le patient, les indications utiles pour mettre cet élément dans une nouvelle position, le tout en garantissant la symétrie, c'est une aide inestimable".

Ce système de « chirurgie augmentée » permet non seulement d’améliorer considérablement la précision des gestes chirurgicaux mais également de réaliser beaucoup plus vite des opérations complexes, ce qui réduit les risques post-opératoires, tout en améliorant sensiblement le confort de travail du chirurgien.

À l’hôpital Simone Veil d’Eaubonne-Montmorency, certains patients soumis à des soins douloureux peuvent bénéficier d’un masque de réalité virtuelle destiné à réduire la consommation d’antalgiques ou anesthésiants. Ces masques, mis au point après huit ans de recherche par les laboratoires Bliss, peuvent proposer au patient trois environnements virtuels au choix : des images de prairies, avec des animaux, des images de l’univers, avec l’espace, les planètes, ou encore des fonds sous-marins. Cette immersion très réaliste dans ces mondes virtuels permet d’abaisser considérablement le stress et le ressenti des douleurs des malades et d’améliorer ainsi leur confort de vie.

Dans les services de réadaptation de l'hôpital Rangueil (CHU de Toulouse), certains patients victimes d’AVC bénéficient de séances de rééducation des fonctions exécutives de leur cerveau qui reposent sur des immersions dans des environnements virtuels à l’aide d’un casque spécifique. Pendant 20 minutes, ces patients, dont le fonctionnement cérébral a été gravement perturbé par AVC, vont évoluer dans des appartements, des magasins, des rues virtuelles. Ils vont alors devoir effectuer et répéter dans le bon ordre un certain nombre de gestes de la vie quotidienne, ce qui va contribuer à une meilleure récupération fonctionnelle et à un « recâblage » de leur cerveau, certaines aires intactes se substituant progressivement aux régions lésées. Bien entendu, cet outil, souple et programmable, peut être adapté à chaque patient, de manière à optimiser son processus de rééducation et de récupération.

Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA), l’autorité administrative chargée d’autoriser la mise sur le marché des nouveaux médicaments et outils médicaux, a donné son feu vert en septembre dernier à l'utilisation de l’outil OpenSight, pour la formation des chirurgiens.

OpenSight utilise le casque Hololens de Microsoft et permet de superposer de façon interactive des images 2D ou 3D sur l'anatomie du patient afin d'aider les chirurgiens à préparer une opération. Grâce à cet outil extrêmement puissant, le chirurgien peut répéter sans risque des interventions très complexes et simuler des problèmes imprévus, ce qui permet de diminuer très sensiblement les risques de complications pendant intervention réelle.

Autre exemple d’application de réalité virtuelle qui pourrait prochainement radicalement changer la vie des personnes non voyantes, l’assistant en réalité augmentée cognitive (CARA) qui s’utilise avec les casques HoloLens de Microsoft, pour aider les aveugles à communiquer avec des objets (Voir Caltech).

CARA utilise la vision par ordinateur afin d’identifier les objets présents dans l’environnement de la personne non-voyantes. En prononçant leurs noms, les utilisateurs peuvent savoir où ils se trouvent dans une pièce. Par exemple, plus ils seront proches d’une porte ou d’une chaise, plus la voix émise par l’objet sera aiguë.

Cet outil peut être utilisé selon plusieurs modes. Il peut permettre aux casques de citer les objets qu’ils ont utilisés, ou faire une énumération complète des objets présents dans une pièce grâce à HoloLens. L’outil peut même guider une personne vers l’objet qu’elle souhaite utiliser.

La recherche médicale et biologique s’est également emparée de la réalité virtuelle pour concevoir et développer de manière rapide des molécules thérapeutiques. Aux États-Unis, la société Nanome propose un outil de réalité virtuelle qui permet de visualiser, concevoir et manipuler des structures moléculaires très diverses et complexes.

Il y a quelques mois, une équipe britannique de l’Université de Bristol dirigée par David Glowacki a, pour sa part, créé un environnement virtuel pour simuler des structures moléculaires 3D. Les utilisateurs, qui portent des casques de réalité virtuelle, utilisent des contrôleurs de mouvement portatifs pour manipuler les molécules (Voir Nature). Cette modélisation s’appuie sur un calcul distribué sur le cloud et cet outil permet aux chercheurs de comparer des modélisations informatiques avec les données de recherche.

La réalité virtuelle est également en train de s’imposer dans le domaine de la sécurité et de défense. L’US Army a par exemple lancé le projet Tactical Augmented Reality (TAR) au début de l’été 2017. Ce système est capable de pointer le positionnement des ennemis et celui des alliés ; il permet à son utilisateur de connaître en permanence sa propre position dans le dispositif opérationnel, et avoir constamment une vision détaillée de son environnement.

Un autre projet développé par l’US Navy et baptisé GunnAR (Unified Gunnery System Augmented Reality), permet aux soldats, toujours à l’aide d’un casque de réalité virtuelle, d’améliorer leur vitesse de tir ainsi que leur précision. GunnAR fournit également une analyse complète de la zone de combat et identifie les cibles potentielles.

Au Japon, Fujitsu et l'Université de Kagawa ont débuté une étude sur l'utilisation de la réalité virtuelle et de la téléprésence pour l'éducation spécialisée au Japon. L’objectif est de sensibiliser les enseignants aux difficultés induites par les handicaps et les former à leur prise en charge.

Cette expérimentation implique une cinquantaine d'enseignants dans 5 écoles allant de l'école élémentaire au lycée, mais aussi dans un centre de formation pour le corps enseignant. L’outil de réalité virtuelle retenu va notamment permettre de simuler une situation de handicap pour aider les enseignants à comprendre les difficultés des élèves. Une autre application concernant les téléconsultations et les télédiagnostics sera également testée et généralisée en cas de succès.

Mais la réalité virtuelle peut parfois être utilisée dans des domaines bien éloignés de la recherche ou de la high tech. La société BS, leader de la découpe de viande, avec 1.300 employés en France, connaît depuis quelques années une remarquable croissance qui l’a amenée à tripler le nombre de ses collaborateurs. Mais aujourd’hui, cette société familiale rencontre les plus grandes difficultés à recruter de nouveaux désosseurs et pareurs, car ce métier, mal connu, n’a pas une bonne image, alors qu’il offre de réelles perspectives de travail pérenne pour certains jeunes sans qualification particulière.

Pour essayer de gommer cette mauvaise image, BS a développé, en coopération avec l’entreprise Artefacto, un nouvel outil de réalité virtuelle pour former ses futurs bouchers. Ces apprentis, munis d’un casque de réalité virtuelle, peuvent éprouver la réalité du métier de manière très réaliste, et sans risque de blessure. Ce choix futuriste a été payant puisque, depuis le début de l’année, BS a recruté 320 nouveaux salariés, dont la moitié n’avait aucune expérience du métier. Elle espère, en perfectionnant encore cet outil de recrutement, en attirer 700 de plus dans les trois années à venir.

Mais, parmi la multitude d’expérimentations et de recherches en cours, le projet le plus fascinant impliquant la réalité virtuelle est peut-être celui sur lequel travaille Siemens Healthineers. Cette firme, l‘un des leaders mondiaux dans le domaine de l'imagerie médicale diagnostique et interventionnelle, a mis au point récemment un outil de resynchronisation cardiaque. Cette intelligence artificielle a été testée par des cardiologues de l’Université de Heidelberg et du CHU de Bordeaux, pour savoir comment un patient répondrait à une telle opération (Voir Daily Mail).

Un pacemaker doit resynchroniser les battements du cœur grâce à deux électrodes, l’une placée sur le ventricule droit et l’autre sur le ventricule gauche, ce qui génère un courant électrique virtuel. Ce système qui allie intelligence artificielle, données massives et réalité virtuelle, permet de simuler informatiquement de manière très réaliste le déroulement et les effets d’une intervention ou d’un traitement médical.

Mais Siemens Healthineers voit déjà plus loin et se dit persuadé que, dans quelques années, sans doute avant la fin de la prochaine décennie, chacun d’entre nous aura un double numérique constitué sur la base de la gigantesque quantité de données biologiques et génétiques qui nous composent, et sur lequel il est possible de tester des traitements, médicaments ou prothèses de manière totalement personnalisée et prédictive. La santé entrera alors dans une ère nouvelle qui sera caractérisée par une relation permanente et puissante entre les individus réels et leur double virtuel…

Il ne fait aucun doute que cette fulgurante progression des outils de réalité virtuelle dans l’ensemble des activités humaines va offrir à l’homme de nouveaux horizons et permettre de fantastiques avancées dans tous les domaines de la connaissance, à commencer par la santé et la médecine. Nous devons cependant être très vigilants et veiller à ce que cette rupture scientifique, technologique et sociale ne soit pas détournée à des fins d’asservissement et de soumission des individus.

Au rythme où va la technologie, le réalisme, la puissance et l’attractivité de la réalité virtuelle vont devenir bien plus rapidement qu’on ne l'imaginait absolument irrésistibles. Si nous n’y prenons garde, il y aura alors un risque immense, comme je l’écrivais déjà il y a presque 20 ans, dans mon éditorial « Les mondes virtuels : la drogue du XXIe siècle » que les univers virtuels auxquels nous  aurons tous accès deviennent des drogues bien plus puissantes que toutes celles existant actuellement et fassent perdre complètement le sens de la réalité à de très nombreuses personnes, qui pourraient bien s’égarer définitivement dans ces nouveaux paradis artificiels numériques.

Face à cette menace bien réelle, je crois qu’il est très important de mettre en place dès à présent de puissants garde-fous législatifs, éducatifs, éthiques et sociaux, de manière à prévenir ces dérives qui pourraient s’avérer dévastatrices et déstabiliser en profondeur nos sociétés.

Je reste toutefois persuadé, que si nous parvenons à faire un usage éclairé et raisonné de ces extraordinaires outils de réalité virtuelle, notre espèce pourra explorer de nouvelles dimensions insoupçonnées de création et de connaissances et accomplira un saut majeur dans son évolution et sa quête de savoir.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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