Les dernières prévisions concernant la croissance du transport aérien tablent sur une croissance forte et un doublement des flottes, soit 48 575 avions en 2040. L’IATA (L’association du transport aérien international) estime que le trafic mondial pourrait atteindre 7,2 milliards de passagers à l’horizon 2035, 8 milliards en 2040 et 10 milliards en 2050, contre 4,5 milliards en 2020. En réalité, le trafic aérien mondial pourrait être multiplié par deux en Europe et par trois en Asie-Pacifique. Le résultat de ce rebond du transport aérien (pratiquement revenu à son niveau d'avant la pandémie de Covid-19), est que, sans ruptures technologiques majeures, les émissions de CO2 de ce secteur représenteront au moins 3 % des émissions mondiales dès 2040 et contribueront pour 6 % au réchauffement climatique, si on y ajoute les effets néfastes des traînées de givre derrière les avions, longtemps sous-estimées. Pour éviter cette perspective intenable pour le climat, les 193 États membres de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) des Nations unies ont définitivement adopté, en octobre 2022, un objectif commun ambitieux, mais nécessaire : la neutralité carbone du transport aérien d'ici à 2050.
Selon une étude d’AeroDynamic Advisory, la forte montée en puissance des SAF (carburants d’aviation durables), dont la consommation devrait passer de 2,5 à 400 milliards de litres d'ici 2050, doit contribuer à accélérer cette décarbonation de l'aviation. Mais pour l'instant, les SAF ne représentent que 0,5 % de la production mondiale de carburants aériens. Ces carburants peuvent être produits de différentes façons, par exemple avec du CO2 capté à la sortie des cheminées industrielles, puis recombiné chimiquement avec de l’énergie renouvelable pour reformer du carburant. Bien que ces SAF émettent du CO2, comme celui-ci se serait de toute manière retrouvé dans l’atmosphère, son bilan carbone est pratiquement neutre. En Europe, la nouvelle réglementation adoptée en 2023 prévoit que la part des SAF dans les carburants aériens devra passer de 2 % en 2025 à 6 % en 2030, 20 % en 2035 et 70 % en 2050. Beaucoup d'experts considèrent toutefois que ces carburants durables, aujourd'hui trois fois plus chers que le kérosène, resteront plus onéreux que les carburants classiques dans 25 ans. Il est vrai que ces SAF sont produits en combinant de l'hydrogène décarboné et du CO2 capté dans l'air et que leur fabrication exige de grandes quantités d'électricité : pour la seule UE, l'AAE estime ce besoin à 650 TWh/an, par an, soit l'équivalent de la consommation électrique de l'Allemagne. Notons cependant qu'il y a quelques semaines, des chercheurs du Caltech ont présenté un nouveau procédé photothermocatalytique prometteur qui permet, uniquement à partir de l'énergie solaire, d'obtenir les réactions chimiques complexes d'oligomérisation nécessaires à la production de carburants aériens (Voir Device). Cette remarquable avancée laisse donc espérer la possibilité, à l'horizon 2035, d'une production de masse de carburants solaires propres.
Parallèlement à ce fort développement des SAF, il va falloir agir sur au moins 4 autres leviers pour réduire drastiquement les émissions de CO2 de l'aviation civile : passer à l'hydrogène pour les vols moyen-courrier, développer les avions électriques et hybrides pour les vols de moins de 2000 km, réduire fortement la consommation de tous les avions (en combinant nouveaux matériaux, moteurs plus performants et gestion numérique des vols) et enfin, et ce point me semble capital, proposer des alternatives terrestres attractives et compétitives de transports, comme le Train électromagnétique, capable de voyager à une vitesse moyenne de 700 km/h. S'agissant de l'hydrogène comme carburant, l’entreprise anglo-américaine ZeroAvia devrait commercialiser en 2027 un appareil de 70 places fonctionnant à l’hydrogène. AeroDynamic Advisory prévoit d'ailleurs qu'en 2050, la moitié des vols sur la planète pourraient se faire avec ce carburant. L’hydrogène deviendrait, dans ce scenario, le principal carburant pour les avions comptant jusqu’à 250 places et dotés d’une portée allant jusqu’à 3 700 km. En février dernier, après avoir repoussé à 2040 son objectif visant à mettre sur le marché un avion propulsé uniquement grâce à de l'hydrogène liquide, Airbus a révélé de nouvelles modifications sur son futur avion à hydrogène. Initialement prévu avec six moteurs, il n'y en aura finalement que quatre, mais chacun d'entre eux aura une puissance de deux mégawatts, contre 1,2 auparavant. Cet avion à hydrogène aura deux piles à combustible qui seront refroidies dans un réservoir unique d'hydrogène liquide maintenu à -253°C. Le premier test de cet avion est prévu en 2027 à Munich.
En novembre dernier, Safran Aero Boosters a dévoilé le prototype d’un compresseur inédit, développé avec GE Aerospace, dans le cadre du démonstrateur technologique Rise (Innovation Révolutionnaire pour des Moteurs Durables). A terme, il s'agit de proposer aux deux grands avionneurs, Airbus et Boeing, un moteur complètement repensé, qui consommera 20 % de carburant en moins, par rapport aux meilleurs moteurs actuels, grâce à plusieurs innovations, telles que l'emploi de pièces en matériaux composites à la place d’alliage de titane. Safran mise également sur son concept de moteur "open fan", c’est-à-dire sans carénage autour de l’hélice, ce qui permet de gagner ainsi en puissance, sans alourdir le moteur.
En mars dernier, à l'occasion du Sommet aéronautique de Toulouse, Airbus a présenté ses dernières innovations. L’un des projets les plus intéressants présentés au cours de cet événement a été un nouveau concept pour une nouvelle génération d’avions de ligne à fuselage étroit. Cet avion de ligne futuriste pourrait consommer jusqu'à 30 % de carburant en moins par rapport aux avions de ligne actuellement en service. Cet appareil, qui pourrait être mis en service en 2030, pourra en outre voler en utilisant du carburant SAF. Cet avion sera aussi équipé d'ailes repliables révolutionnaires, conçues pour se rapprocher des ailes d’un oiseau. Ce prototype d'aile pourrait à terme équiper toute la gamme de l'avionneur. Ces ailes seront capables d'adapter leur forme, leur envergure et leur surface de manière à être les plus efficientes possibles dans chaque phase de vol. Initialement, Airbus avait testé ce type d'aile en 2019, sur un modèle réduit d'A321, baptisé AlbatrosOne. On le sait, cet oiseau est capable d'effectuer d'incroyables vols planés sans effort, notamment en utilisant judicieusement ses tendons qui lui permettent de bloquer son ossature et laisser ses ailes déployées. Cet oiseau peut également reprendre à tout moment ses battements d'ailes, en fonction de ses contraintes de vol. A l'occasion des vols d'essais, les ingénieurs d'Airbus ont pu vérifier que les phases de flexion libre des extrémités des ailes permettaient de réduire sensiblement la charge sur l'ensemble de l'aile. Par ailleurs, ces longues ailes, avec leur structure, peuvent être plus légères, ce qui permet d'économiser de l'énergie et donc du carburant.
Il y a quelques semaines, la start-up américaine JetZero a annoncé un partenariat stratégique avec United Airlines, qui pourrait aboutir à la commande de plusieurs centaines d’avions. United Airlines a investi dans cette start-up californienne qui développe des "ailes volantes", un concept radicalement différent des avions traditionnels. JetZero prévoit un premier vol de démonstration en 2027 et United Airlines pourrait commander jusqu’à 200 appareils (100 fermes et 100 en option). Cette firme américaine s'est entourée de partenaires de premier choix, Pratt&Whitney pour le moteur PW2040 et Thales pour les commandes de vol. Le modèle Z4 développé par JetZero est un appareil à fuselage intégré ("blended wing body" – BWB), où le fuselage et les ailes forment un ensemble homogène. Ce concept d'aile volante a déjà fait ses preuves dans l’aviation militaire et a été utilisé pour concevoir le drone nEUROn de Dassault Aviation. Cet appareil, soutenu par la NASA et l’US Air Force devrait permettre une réduction de l’ordre de 50 % de la consommation, par passager et par mile nautique, comparé à un avion classique équivalent. Il devrait transporter 250 passagers dans sa version civile, D’autres versions sont prévues pour le transport de fret notamment. Airbus travaille également sur ce concept prometteur et futuriste d'aile volante qui promet des avions à la fois bien plus économes en carburant, mais également plus spacieux et plus confortables pour les passagers.
L'aviation civile, tout en faisant feu de tous bois pour trouver des solutions technologiques innovantes visant à accélérer sa décarbonatation et réduire drastiquement son empreinte climatique, pourrait également, 22 ans après l'arrêt du Concorde, renouer avec les vols supersoniques dans un avenir proche. Le 28 janvier dernier, l'entreprise américaine Boom a réalisé avec succès le premier vol supersonique de son avion démonstrateur XB-1 au Mojave Air & Space Port en Californie. Le XB-1 s'est hissé à 35.290 pieds d'altitude et a atteint Mach 1,122 (soit 1.385,4 Km/h), franchissant donc le mur du son pour la première fois. Le XB-1 est un démonstrateur dont l'étape suivante devrait être l'avion de ligne baptisé Overture. Basée à Denver, dans le Colorado, Boom développe depuis 10 ans cet appareil. Après une levée de fonds remarquée de 100 millions de dollars en 2019, cette firme a reçu 130 précommandes de la part de compagnies américaines et japonaises. Extérieurement, cet avion supersonique quadriréacteur s'inspire du Concorde, avec un fuselage étroit, des ailes delta et un nez pointu. Mais cet avion bénéficie de technologies bien plus avancées, notamment pour les matériaux composites et la gestion numérique de vol. Prévu pour embarquer 70 passagers, cet avion volera à 1.7 Mach (contre 2.2 pour le Concorde). L'Overture vise ainsi des trajets comme New York-Rome en moins de 5 heures (au lieu de 8), Tokyo-San Francisco en un peu plus de 8 heures (au lieu de plus de 12 heures) ou encore Londres-Philadelphie en moins de 5 heures (au lieu de 9 heures).
La Chine compte bien, elle aussi, être présente sur ce marché du vol supersonique et, comme l’américain Boom Supersonic, la société chinoise Lingkong Tianxing Technology travaille également sur la conception d'un avion supersonique. Récemment, elle a testé avec succès son statoréacteur à détonation JinDou400. Elle vient également de présenter un prototype de drone supersonique de 7 mètres de long, une tonne et demie, et équipé de deux réacteurs à détonation, portant le nom de Cuantianhou ; il est capable, selon ses concepteurs, de voler deux fois plus rapidement que le Concorde, soit à Mach 4,2 à une altitude de 20 kilomètres. Lingkong Tianxing Technology prévoit de faire voler cet avion sans pilote pour la première fois l’année prochaine (Voir SCMP). LTT ne compte pas s'arrêter en si bon chemin et veut développer d'ici 2030 un avion de ligne supersonique appelé Da Sheng. Celui-ci devrait prendre son envol d’ici à 2030. La société chinoise Space Transportation a effectué pour sa part, fin 2024, un vol d’essai d’un prototype d’avion de transport, le Yunxing, capable de voyager à Mach 4 – deux fois la vitesse d’un Concorde - de quoi rallier Pékin à New York en deux heures environ. Innovation majeure, le Yunxing devrait pouvoir décoller et atterrir verticalement et serait conçu pour voler à une altitude-record de 20 000 mètres. Lors des tests récents, le prototype a démontré la robustesse de sa structure tout composite.
En matière d'avion électrique et hybride, les avancées se succèdent également. La start-up suédoise Heart Aerospace devrait faire décoller en 2028 son appareil de 30 passagers propulsé par quatre moteurs électriques et doté d'une autonomie de 400 km grâce à son nouveau moteur hybride. Un premier vol expérimental de cet aéronef baptisé ES-30 est prévu dans quelques mois, à partir de l’aéroport international de Plattsburgh. Avec une envergure de 32 mètres, cet aéronef aura dans un premier temps une autonomie de 200 kilomètres, propulsé par quatre moteurs alimentés par des batteries rechargeables en 30 minutes. Cet avion qui sera d'abord électrique, puis décliné dans une version hybride, est conçu pour les vols régionaux court-courriers. Comme le souligne Anders Forslund, PDG de l’entreprise : « Les avions commerciaux électriques ont le potentiel de réduire les coûts d’exploitation des compagnies aériennes américaines, créant ainsi une formidable opportunité pour rétablir des lignes aériennes régionales qui stimulent les économies locales, le tourisme et améliorent l’accès aux centres urbains ».
Je vous invite à retenir qu'en février dernier, ENGINeUS 100, le nouveau moteur électrique de 175 chevaux de Safran, issu de 9 années de recherche, a été homologué par l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA). Pour que ce moteur soit le plus compact possible, les ingénieurs ont intégré l'électronique à la mécanique, tout en refroidissant ce moteur uniquement à l'air. Ce moteur va notamment permettre de lancer la production en série de l'Intégral-E d’Aura Aero, et devait également équiper l'ERA (Electrical Regional Aircraft), un avion régional électrique hybride de dix-neuf places.
Il faut enfin évoquer le beau et audacieux projet d’avion électrique amphibie, porté par la start-up stéphanoise Eenuee. Cet hydravion amphibie, entièrement électrique, utilisera la technologie des hydrofoils qui permet d’améliorer sa fiabilité et sa sécurité, grâce à la réduction des frottements, puisque cet avion peut décoller et d'amerrir même en cas de vagues, contrairement à un hydravion à flotteurs traditionnel. Cet appareil très innovant, qui peut se poser ou décoller sur seulement 600 mètres, pourra servir à l'acheminement de marchandises vers des régions difficiles d'accès. Cet hydravion amphibie pourra transporter sur 500 km 19 passagers ou embarquer deux tonnes de fret. Autre avantage décisif, il consommera, grâce à sa forme en aile volante, un dixième de l'énergie nécessaire aux avions existants de capacité comparable. « Notre avion émet moins de CO2 par passager qu'une voiture électrique », aime à souligner Benjamin Persiani, CEO d'Eenuee.
On le voit, en attendant que des technologies de rupture permettent de faire voler, sans aucune émission de CO2, des avions gros porteurs sur de très longues distances, le secteur du transport aérien peut exploiter jusqu'en 2040 de grandes marges de progression vers la neutralité carbone, en combinant de manière ingénieuse plusieurs avancées techniques. Reste qu'il n'est pas certain que tous ces progrès permettent de réduire suffisamment rapidement les émissions de CO2 de l'aviation civile et que l’objectif affiché de neutralité-carbone en 2050 sera difficile à atteindre, surtout dans un scenario de forte progression des déplacements aériens. Dans cette perspective, je crois que nous devons élargir notre réflexion et considérer qu’une partie significative de la demande de déplacement aériens pourrait être, à terme, déplacée vers de nouveaux systèmes révolutionnaires ultrarapides de transports terrestres à très faible empreinte carbone et climatique, comme le train électromagnétique (MAGLEV), que le Japon et la Chine expérimentent avec succès et que l'Europe doit absolument développer. En combinant de manière intelligente, souple et synergique les avions de nouvelle génération que j'ai évoqués et ces trains magnétiques capables de se déplacer à plus de 700 km/h, nous pourrions à la fois répondre aux demandes légitimes de transports sûrs et rapides de nos concitoyens et satisfaire aux exigences de lutte contre le changement climatique dont ne pouvons pas nous affranchir...
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com