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Edito : Le principal congrès mondial sur le cancer nous apporte l'espoir

Comme chaque année, le congrès de l’ASCO (Association Américaine d’Oncologie Clinique), de loin le plus important congrès de cancérologie au monde, s’est tenu à Chicago, du 2 au 6 juin. Pendant 5 jours, plus de 30 000 spécialistes venus du monde entier ont présenté les dernières découvertes en matière de lutte contre le cancer.

De l’avis général, cette rencontre 2017 a été particulièrement riche en progrès et a permis de faire le point sur de remarquables avancées scientifiques et médicales. Parmi les nombreuses communications de cette année, l’une des plus importantes concerne une avancée majeure dans le traitement du myélome multiple, un grave cancer du sang. Le Professeur Wanhong Zhao, hématologue et professeur à l'Université de Xi'an, en Chine, a en effet présenté une nouvelle thérapie génique à base de CAR-T, des lymphocytes T modifiés par l'ingénierie du génome (suppression de gènes et ajout de nouveaux gènes), et réinjectés dans le corps du patient. Ces cellules ainsi transformées et « dopées » vont s’attaquer sélectivement à la tumeur avec une redoutable efficacité thérapeutique. Ce nouveau traitement a permis une rémission complète, toujours observée après six mois de traitement, chez 33 des 35 patients inclus dans l’essai.

Une autre étude qualifiée de « progrès révolutionnaire » par plusieurs spécialistes, concerne le traitement du cancer agressif de la prostate. Dans cet essai baptisé Latitude et réalisé de 2013 à 2014 dans 34 pays, sur 1200 personnes, le Professeur Karim Fizazi, chef du département d'oncologie médicale de l'Institut Gustave-Roussy de Villejuif démontre que l'ajout au traitement classique d'une molécule antihormonale, l'abiratérone (dont le nom commercial est Zytiga), diminue de près de 40 % le risque de décès et de plus de 50 % le risque de rechute du cancer après 2 ans et demi de suivi. « C’est sans doute le plus important progrès dans le traitement du cancer métastatique de la prostate depuis plus d’un demi-siècle » a souligné le Professeur Fizazi.

Cette percée thérapeutique majeure a en outre été confirmée par une étude anglaise dirigée par le Docteur Nicholas James à l'Hôpital Queen Elizabeth (Birmingham, Royaume-Uni), qui a porté sur 2000 hommes suivis pendant trois ans et demi. Rappelons que le cancer de la prostate est la première cause de mortalité par cancer chez les hommes aux États-Unis (161 000 nouveaux cas par an pour 26 500 décès). C’est également le cancer le plus fréquent en France, avec 55 000 nouveaux cas par an et 8 500  décès annuels.

Une autre avancée remarquée concerne un nouveau traitement du cancer de l’ovaire (3000 décès par an en France), pour les patientes porteuses d’une mutation génétique BRCA. On sait à présent qu’environ 2 femmes sur 1.000 sont porteuses d'une mutation du gène BRCA1 ou du BRCA2. Or ces gènes jouent un rôle-clé dans le processus de réparation des lésions que l’ADN subit en permanence. Mais lorsque l’une de ces deux mutations est présente sur l’un de ces gènes, ce mécanisme de réparation ne fonctionne plus correctement, ce qui augmente considérablement le risque de cancer du sein et de l’ovaire.

Les chercheurs ont eu l’idée de s’attaquer à un autre mécanisme de réparation des cellules tumorales, baptisé PARP (poly-ADP-ribose-polymérases). Privées de cette protection sous l’effet d’un nouveau médicament nommé olaparib, les cellules malades meurent sous l’effet d’une accumulation de mutations génétiques. « Les résultats sont spectaculaires puisque les patientes qui n'ont bénéficié que de la chimiothérapie rechutent en moyenne au bout de six mois, alors que celles qui ont bénéficié en plus d’un traitement à l’olaparib doublent leur période de rémission complète » souligne le Professeur Eric Pujade-Lauraine, oncologue, professeur à l’Université Paris-Descartes.

Sur le front du cancer du poumon, Roche a présenté une étude réalisée sur 303 patients qui montre que son nouveau médicament Alecensa (alectinib), permet de bloquer pendant 15 mois de plus qu'avec le Xalkori (crizotinib) de son concurrent Pfizer, la prolifération de ce cancer pulmonaire non à petites cellules (CPNPC) avec la mutation génétique ALK. « Le fait que cette thérapie ciblée de deuxième génération arrête la progression d'un cancer avancé du poumon pendant plus de deux ans tout en empêchant des métastases dans le cerveau, est un résultat remarquable contre cette maladie difficile », souligne le Docteur John Heymach, spécialiste mondialement renommé au Centre Anderson.

Des chercheurs français de l'Institut Gustave-Roussy, Villejuif (Val-de-Marne) ont également présenté « CheckMate 358 », une étude internationale destinée à évaluer l'efficacité du nivolumab (Opdivo, laboratoires BMS) contre cinq cancers trouvant tous potentiellement leur origine dans une infection virale.

Dans cet essai, 24 patientes diagnostiquées pour un cancer gynécologique lié au papillomavirus humain (HPV) ont reçu des injections de nivolumab. Après 31 semaines de traitement, un contrôle de la tumeur a été rendu possible dans 70 % des cas et dans 20 % des cas, le cancer a même régressé.

Dans le traitement du redoutable mélanome métastasé avec mutation BRAF V600, Novartis a présenté de nouvelles données concernant l’association de deux molécules, Tafinlar et Mekinist. Cette étude d’une durée sans précédent a montré l’efficacité à cinq ans d’une combinaison d'inhibiteur BRAF et MEK pour traiter des patients avec un cancer de la peau métastasé avec mutation BRAF V600.

Mais en cancérologie, les progrès peuvent parfois survenir dans des domaines inattendus et grâce à des outils déjà existants mais sous-employés. C’est le cas de l’étude présentée par le Professeur Ethan Basch, oncologue du Centre de lutte intégrée du cancer Lineberger de l'Université de Caroline du Nord (Chapel Hill). Ce travail très original, réalisé sur 766 patients, montre que le simple fait de proposer aux malades d’utiliser systématiquement des outils numériques pour exprimer leur vécu concernant l’évolution de leur maladie permettait, grâce à une meilleure prise en charge personnalisée, d’allonger sensiblement leur survie et leur confort de vie.

Autre confirmation d’une révolution en cours dans l’établissement du diagnostic et du traitement le plus adapté, la reconnaissance, lors de ce congrès 2017, de l’efficacité croissante des systèmes d’aide au diagnostic utilisant l’intelligence artificielle. Dans ce domaine en plein essor, l’outil Watson d’IBM confirme son avance puisqu’il s’avère capable de faire les mêmes recommandations de traitement que les experts dans 96 % des cas !

En outre, Watson permet de gagner un temps précieux dans l’analyse pertinente d’une immense masse de données médicales. Il permet notamment de réduire de 78 % le temps de recherche d’essais cliniques. Dans le traitement des données provenant de 2 620 patients atteints de cancers du poumon et du sein, l’outil Watson for Clinical Trials Matching a permis, grâce à une analyse très fine des myriades de données d'essais cliniques fournis par Novartis, de réduire à seulement 24 minutes le temps de recherche de patients pour ces essais cliniques, contre près de deux heures auparavant.

Une autre étude de l’Université du Michigan confirme le rôle désormais irremplaçable des outils informatiques de séquençage génétique. Selon ces recherches, ces outils pourraient permettre de mieux préciser le traitement pour 70 % des patients atteints d'un cancer avancé. L’étude menée auprès de 500 patients atteints de tumeurs solides avancées, ayant pu bénéficier du programme de séquençage complet du Centre de cancérologie de l'Université du Michigan, révèle que 72 % sont admissibles à un essai clinique basé sur un marqueur génétique dans leur tumeur.

En matière d’épidémiologie, il faut également évoquer une étude passionnante qui montre qu’un simple changement dans l’hygiène de vie augmente fortement les chances de survie des patients. Ce travail mené sur 992 patients pendant 7 ans montre qu’en évitant le surpoids, en pratiquant régulièrement une activité physique et en adoptant un régime alimentaire riche en céréales complètes, en légumes et en fruits et pauvre en viande rouge, il est possible de réduire jusqu’à 42 % le risque de décès pour les patients déjà atteints d’un cancer du côlon avancé. Comme le souligne le docteur Daniel Hayes, président de l’ASCO, « Les patients atteints de cancer du côlon peuvent être encouragés à manger sainement et à pratiquer de l’exercice régulièrement, ce qui non seulement les maintient en bonne santé, mais en plus diminue les risques de récidive du cancer ».

Une autre étude présentée par Pedram Razavi, oncologue au prestigieux Memorial Sloan Kettering Cancer Center à New York, a porté sur l’analyse de sang de 124 patients atteints de cancers métastatiques (du poumon, du sein, et de la prostate, notamment). Les chercheurs ont recherché, à partir de prélèvements sanguins, des mutations génétiques de l'ADN des tumeurs. Résultats : Chez 89 % des patients de l'essai clinique, au moins un changement génétique était détecté. En outre, 73 % des changements génétiques découverts dans les tumeurs étaient visibles dans les prises de sang.

L'équipe du Docteur Escudier, oncologue médical spécialisé dans le cancer du rein à Gustave Roussy (Villejuif), en collaboration avec celle du Docteur Rini à la Cleveland Clinic (Ohio, Etats-Unis), a présenté pour sa part "16gene Recurrence Score", le premier test au monde permettant de prévoir le risque de rechute du cancer du rein, un cancer qui touche environ 11 000 personnes par an en France. Ce test génétique, validé par des essais cliniques en double aveugle, va permettre de prédire les patients susceptibles de rechute dans les cinq ans et d’identifier ceux qui pourraient tirer un bénéfice d’un traitement adjuvant.

Ces avancées confirment le potentiel des diagnostics par simple prise de sang pour de nombreux types de cancers, ce qui devrait permettre d’avoir de moins en moins recours aux biopsies, actes lourds et peu agréables pour le patient. Mais surtout, à terme, ces tests sanguins vont permettre de diagnostiquer de manière fiable et très précoce la plupart des cancers, ce qui augmentera considérablement l’efficacité des traitements mis en œuvre et les chances de guérison.

Enfin, dernière annonce marquante de cette ASCO 2017, mais non la moindre, celle faite la société française de nanomédecine Nanobiotix qui est en pointe mondiale dans la mise au point d’une technique permettant d’amplifier considérablement, grâce à ses nanoparticules, les effets des rayons X sur certaines tumeurs, sans augmenter les doses d’exposition. Cette jeune entreprise vient de présenter, à l'occasion de ce congrès de cancérologie, les résultats très prometteurs d'une étude clinique menée à l'Institut Curie avec son produit NBTXR3. Sur les 11 patients traités, 10 ont favorablement répondu au traitement et 8 ont même vu leur tumeur disparaître, un résultat thérapeutique nettement supérieur à celui obtenu avec une radiothérapie classique.

Fait remarquable, les patients traités avec la plus forte dose ne montrent toujours aucun signe de rechute à 12 mois. « Nous soupçonnons que notre produit n'agit pas seulement par destruction physique de la tumeur mais qu'il déclenche une réponse immunitaire globale qui expliquerait l'absence de rechute un an après le traitement » explique Laurent Levy, le patron de Nanobiotix. En outre, cette nouvelle méthode d’amplification de l’intensité radiothérapique par nanoparticules n’a montré aucun effet secondaire indésirable.

Ce que confirme de manière remarquable cet ASCO 2017, c’est que la palette de moyens préventifs et thérapeutiques contre le cancer ne cesse de s’élargir et de s’enrichir et intègre à présent, outre une vaste panoplie d’agents biochimiques et immunothérapiques, de nouveaux outils très prometteurs issus de l’informatique, de l’intelligence artificielle et de la physique de pointe, qu’il s’agisse de la radiothérapie augmentée, de la protonthérapie ou des faisceaux d’ultrasons.

Le résultat de ces avancées de plus en plus nombreuses et complémentaires est que, partout dans les pays développés, la mortalité globale réelle par cancer (celle qui tient compte à la fois de l’augmentation et du vieillissement de la population) recule. Selon une étude américaine publiée en janvier dernier, la mortalité liée au cancer a baissé de 25 %, aux Etats-Unis depuis 1991. Selon cette étude, cette baisse représente 2,1 millions de morts en moins. Cette baisse tendancielle de la mortalité par cancer vient d’ailleurs d’être confirmée il y a quelques jours par une autre étude américaine qui montre que les décès liés à un cancer ont diminué de 1,8 % par an chez les hommes et de 1,4 % par an chez les femmes depuis 2010. 

Cette diminution de la mortalité par cancer se retrouve également en France, avec un taux de mortalité qui est en baisse de 1,5 % par an, en moyenne, chez les hommes et de 1 % par an chez les femmes, depuis 1980. Enfin, on constate, sans surprise, la même tendance au niveau européen, avec une diminution globale de la mortalité de 26 % chez les hommes et de 21 % chez les femmes entre 2009 et 2015.

Même si la difficile bataille contre le cancer est loin d’être gagnée, la communauté scientifique ne doute plus aujourd’hui, à la lumière des dernières avancées de la recherche, qu’elle parviendra à venir à bout de ce fléau vieux comme l’Humanité et que ce siècle sera celui où le cancer, à défaut de pouvoir être éradiqué, deviendra une maladie chronique, curable et contrôlable.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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