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Edito : Nous n’avons pas encore découvert toutes les grandes civilisations du passé…

Pendant très longtemps, il a été communément admis, dans l’histoire universelle, que les premières grandes civilisations évoluées et complexes sont apparues, avec l’écriture, environ 3000 ans avant JC, dans plusieurs régions du monde, Proche et Moyen Orient, Inde et Chine. Mais de récentes recherches et découvertes sont venues bouleverser ce schéma un peu figé et semblent indiquer que de brillantes civilisations se seraient développées dans plusieurs régions du monde, dès la première phase du Néolithique (qui s’étend du IXe au VIIe millénaire avant notre ère), c’est-à-dire bien avant l’apparition des premières écritures connues.

Parmi ces civilisations, encore bien mystérieuses à de nombreux égards, certaines étaient même considérées comme relevant de la pure légende, telle l’Atlantide ou le fameux "Pays de Pount", décrit par les Egyptiens et sans doute situé aux confins du soudan, de l’Erythrée et de l’Ethiopie. Il y a une vingtaine d’années, le physicien allemand Rainer Kuhne a repéré d’étranges structures sur des photos satellites de l’embouchure du fleuve Guadalquivir en Espagne, au nord-ouest de Cadix. Ce chercheur a identifié des figures géométriques pouvant évoquer les vestiges d’une grande cité. En utilisant des technologies avancées, telles que le géoradar, la tomographie de résistivité électrique et la spectrométrie, d’autres scientifiques, dirigés par Richard Freund, un archéologue de l’Université de Hartford dans le Connecticut, ont montré qu’il existait dans un lointain passé un vaste système de canalisations enterrées dans le parc national de Doñana,  en Espagne (Voir Live Science).

En 2018, la société anglaise Merlin Burow, en analysant les données issues de plusieurs satellites, notamment de Landsat 5 et Landsat 8, a identifié à son tour des ruines inconnues très intéressantes dans ce parc national de Doñana, situé dans la province de Huelva. Ces chercheurs se sont appuyés sur les deux dialogues de Platon pour définir une région susceptible de correspondre au mythe. Dans l’un de ses textes, Platon donne en effet des précisions sur la localisation de l’Atlantide, avec le style qui lui est propre : « sous la bouche que vous, les Grecs, appelez, comme vous le dites, ‘les piliers d’Héraclès’, se trouvait une île plus grande que la Libye et l’Asie ».

S’appuyant sur cette description de Platon, l’entreprise britannique a essayé de remonter la piste de l’Atlantide le long de la côte espagnole, jusqu’au détroit de Gibraltar. Ensuite, en exploitant de nombreuses images-satellites, les chercheurs ont repéré de nombreuses traces correspondant à des installations portuaires, temples et bâtiments militaires. Selon eux, on distinguerait nettement les restes d’une grande digue, comportant des dommages caractéristiques d’un puissant tsunami. Et le plus troublant est que les analyses de ces vestiges montrent que les matériaux qui constituaient ces ruines ont entre 10 000 et 12 000 ans, ce qui conforte la thèse d’une ancienne civilisation disparue, qui pourrait être la mythique Atlantide décrite par Platon…

En 2005, le chercheur Marc-André Gutscher, chercheur à l'Université de Bretagne occidentale à Plouzané en France, a fait une autre découverte très intéressante concernant l'ancienne île du cap Spartel, qui repose à 60 mètres de profondeur dans le golfe de Cadiz, située à l'ouest du détroit de Gibraltar, un lieu qui correspond aux fameuses colonnes d'Hercule, qui marquaient pour les Anciens l'entrée du détroit de Gibraltar. Ce chercheur a découvert que l'île était recouverte d'une couche de sédiments d’un mètre d’épaisseur qui s’est probablement déposée à la suite d'un tsunami, lui-même provoqué par un terrible tremblement de terre. Selon ce scientifique, ces sédiments se seraient déposés il y a 12 000 ans, ce qui correspond au moment du cataclysme de l'Atlantide selon Platon. Marc-André Gutscher souligne qu'il y a 12 000 ans, le niveau de la mer était 100 mètres plus bas qu'aujourd'hui et le cap Spartel était alors une île dans ce lointain passé. De là à imaginer que cette île pourrait être une partie de la légendaire Atlantide…

Autre civilisation, non pas inconnue, mais redécouverte et réévaluée récemment, grâce à de superbes découvertes, le pays d’Elam, voisin de la Babylonie situé le long de la rive droite du golfe Persique. Fin 2020, le chercheur François Desset a pour la première fois déchiffré des inscriptions en élamite linéaire, un système d'écriture utilisée par les Elamites, une brillante culture, dont on sait encore peu de choses, sinon qu’elle s’est développée dans le sud-ouest de l’Iran dès le début du 3ème millénaire avant notre ère et aurait édifié, si l’on en croit les récits des voyageurs, de magnifiques monuments et de vastes ensembles architecturaux, notamment à Suze, longtemps capitale de ce royaume. Grâce à ce déchiffrement de l'élamite linéaire, l'archéologue a ainsi confirmé qu'un système d'écriture parallèle aux hiéroglyphes égyptiens a bien été créé dans ce royaume. « Il est maintenant établi que les deux écritures ne sont pas mère et fille, ce sont des sœurs », a expliqué François Desset, lors d'une présentation retentissante de ses travaux auprès de l'Université de Padoue.

Dans cette collection des grandes civilisations perdues, on doit également citer la brillante et étrange civilisation qui s’est développée dans la vallée de l'Indus, appelée civilisation harappéenne, du nom de la ville antique de Harappa, dont le territoire s'étendait autour de la vallée du fleuve Indus, dans une région de l'ouest du sous-continent indien correspondant au Pakistan moderne. Il y a quelques semaines, des scientifiques de l’Institut indien de technologie de Kharagpur et du Service archéologique d’Inde ont publié une étude remarquée qui repousse de 2500 ans dans le passé l’émergence de cette civilisation. Celle-ci serait apparue 8000 ans avant J.-C. et non 5500 ans, comme on le croyait jusqu’à présent. Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs s’appuient sur de nouvelles analyses réalisées à l’aide de nouveaux outils de luminescence stimulée optiquement (OSL). Quant aux raisons du rapide déclin de cette civilisation, il y a 300 ans, elles restent l’objet de vifs débats entre spécialistes, et auraient probablement plusieurs causes intriquées, changement climatique, crise sociale, troubles politiques… Reste le fait à présent solidement établi que cette civilisation, longtemps sous-estimée, est encore plus ancienne que les civilisations mésopotamienne et égyptienne (Voir Nature). Récemment, d’autres chercheurs ont trouvé le site de Bhirrana (en Inde), de nouveaux vestiges d’une culture dite pré-harappéenne (de 9000 à 8000 av. J.-C.). Ces ruines montrent que, dès cette époque lointaine, cette civilisation remarquable savait construire de véritables villes à l’organisation complexe.

Mais il existe une autre civilisation, encore moins connue et plus mystérieuse que les Harappéens, il s’agit d'éléments de culture retrouvés dans un extraordinaire complexe de pierre appelé Göbekli Tepe –"Colline ventrue", en turc, vieux de 11 500 ans, dans le sud-est de l'Anatolie. Découvert par l'archéologue allemand Klaus Schmidt en 1994, Göbekli Tepe remet complètement en cause les théories dominantes sur les capacités d’abstraction dans la conception d’ensembles monumentaux au Néolithique. Ce site, absolument unique, représente une étape-clé dans l’évolution de l’Humanité, celle qui a vu les sociétés archaïques de chasseur-cueilleur se transformer assez rapidement en communautés agricoles développant des croyances et rites religieux complexes, sans doute organisés autour d’un "clergé" et pratiqués dans des bâtiments sacrés.

Cet ensemble architectural stupéfiant est à ce jour le plus ancien temple connu de l'histoire humaine. On y trouve notamment de surprenantes structures mégalithiques en forme de T, dont certaines culminent à 5,50 mètres de haut, et sont recouvertes de représentations abstraites de la forme humaine, et des bas-reliefs représentant des animaux sauvages. En 2020, des chercheurs de l'Université de Tel Aviv et de l'Autorité des antiquités d'Israël ont pu montrer que la disposition de ces structures rondes en pierre de Göbekli Tepe obéissait à une conception géométrique complexe, s’intégrant probablement dans un vaste et unique projet, qui n’est pas sans rappeler le site de Stonehenge, dans le sud de l’Angleterre (Voir BBC).

Parmi les découvertes incroyables faites sur ce site, qui recèle encore bien des secrets, les archéologues ont identifié une immense citerne et un réseau de canaux destinés à recueillir l'eau de pluie, une réalisation vitale pour une population vivant au sommet d’une colline, dans une région chaude et aride. Les chercheurs ont également découvert de très nombreux outils de broyage pour le traitement du grain et le brassage de la bière. Les archéologues pensent que ce site devait faire partie d’un ensemble bien plus vaste, comportant de nombreux temples. D’abord considéré comme uniquement rituel, ce site a révélé, au fil des années, des preuves d’une véritable vie urbaine, sédentaire et organisée. Il suffit pour s’en convaincre de visiter le musée archéologique de Sanliurfa, la ville la plus proche, où serait né Abraham et où l’on peut admirer une collection unique au monde d'objets du néolithique.

En Amérique du sud, la très dense forêt amazonienne recèle également bien des secrets qui commencent lentement à émerger. Considéré comme hostile et peu propice au développement de cultures complexes, ce milieu végétal a pourtant abrité plusieurs civilisations très élaborées que l'on découvre seulement aujourd'hui. Ainsi, grâce à des images aériennes, 26 sites tout à fait remarquables ont été découverts, dans une zone de 4500 km² dans l'actuelle Bolivie, enfouis sous la végétation (Voir Nature). Ces sites sont une preuve éclatante de l’existence de sociétés très organisées, ayant évolué pendant des siècles, voire des millénaires, avant l'arrivée des Espagnols, au début du XVe siècle. Comme le souligne le Professeur Heiko Prümers de l'Institut archéologique allemand, « Nos résultats mettent fin aux arguments selon lesquels l'Amazonie occidentale était peu peuplée à l'époque préhispanique et enrichissent les preuves existantes que la culture Casarabe avait un système de peuplement hautement intégré, continu et dense ».

L'étude rappelle que la civilisation Casarabe, qui a peuplé la forêt amazonienne pendant des milliers d'années, avait atteint un niveau de développement social, technique et architectural qui n’avait probablement rien à envier à celui des Mayas ou des Incas. Selon le Professeur Prümers, deux des grandes colonies découvertes, Cotoca et Landivar, étaient au centre d'un vaste réseau régional de sites plus modestes, reliés par routes, dont les traces sont encore bien encore visibles dans le paysage.

« Ces deux grands sites de peuplement étaient déjà connus, mais leur taille massive et leur élaboration architecturale ne sont devenues apparentes que grâce à l'enquête LIDAR (une technique de mesure de distance qui utilise les propriétés de la lumière) », écrit l'équipe de chercheurs. Cette découverte met en évidence le déplacement de plusieurs milliers de mètres cube de terre pour construire Cotoca, ce qui correspond à des travaux monumentaux équivalents à ceux réalisés bien plus tard par les Incas. Encore plus étonnant, ce peuple Casarabe savait également construire de puissants remparts défensifs, des bâtiments d’habitations hauts de plusieurs étages, et des systèmes sophistiqués d’irrigation, parfaitement adaptés à leurs productions agricoles. L’étude conclut en indiquant que « Ces découvertes conduisent à redéfinir complètement notre évaluation du niveau de complexité sociale, politique et technique des sociétés amazoniennes passées et présentes ».

Ce rapide tour d’horizon des civilisations disparues ou redécouvertes n’est bien sûr pas exhaustif et beaucoup d’autres civilisations anciennes, mystérieuses et très évoluées auraient mérité d’être évoquées plus longuement, en Chine, en Amérique du Nord, et en Afrique bien sûr. Je pense par exemple à la brillante civilisation Nok, qui s’est épanoui au Nord-Est du Nigéria pendant plus de 2000 ans, ou encore à la civilisation d’Ifé, en région Yoruba, qui s’est développée pendant plus de 1000 ans, le long du Niger, mais également au Bénin, au Ghana, au Togo, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Il faut enfin évoquer le site extraordinaire du Grand Zimbabwe, découvert seulement en 1871. Ce site est constitué d’un ensemble impressionnant de ruines d'une cité médiévale, construite au XIIIe siècle et située dans le sud de l’actuel Zimbabwe. Cette cité, où l’on peut encore admirer des vestiges de murailles et de tours en granit qui n’ont rien à envier à nos châteaux forts, aurait été la capitale du puissant royaume du Zimbabwe, qui s’étendait sur les territoires du Zimbabwe et du Mozambique actuels.

Toutes ces découvertes magnifiques doivent nous conduire à changer notre vision de l’Histoire et à élargir notre conception et nos approches scientifiques de l’évolution des sociétés humaines. Comme cela est le cas pour la longue histoire de notre espèce, depuis Homo Habilis, il y a 2,7 millions d’années, nous voyons à présent s'esquisser une histoire des grandes civilisations bien plus ancienne, riche, foisonnante et complexe que celle à laquelle nous nous sommes longtemps référés. Nous savons à présent que, dès le début du Néolithique, 5000 ans avant les civilisations sumériennes et égyptiennes, des sociétés complexes, tant sur le plan technique que social et religieux, se sont développées dans plusieurs régions du monde. Nous savons également qu’en Amérique et en Afrique, des civilisations sophistiquées se sont également épanouies pendant des millénaires, bien avant l’arrivée des Européens. Je fais le pari que l’utilisation des nouveaux et puissants outils d’exploration et d’analyses physiques et numériques, dont disposent à présent les archéologues, permettra de découvrir dans les années à venir d’autres civilisations encore inconnues et peut être encore plus anciennes…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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