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Edito : Pour la première fois dans l’Histoire de l’Humanité, la population mondiale va décroître

L’évolution du nombre d’êtres humains sur Terre repose, il faut toujours le rappeler, sur de multiples conjectures et estimations car, si la population mondiale est connue avec une relative précision depuis deux siècles, il n’en va pas de même pour les périodes plus reculées : Moyen Âge et plus encore Antiquité et Préhistoire.

Apparu il y a au moins 300 000 ans, il aura fallu à Homo sapiens un temps immense pour se répandre sur l’ensemble de la planète. On estime qu’à la naissance des premières grandes civilisations, il y a 7000 ans, il y avait sans doute moins de 10 millions d’êtres humains sur Terre. Au début de notre ère, il y a 2000 ans, la population mondiale devait être d’environ 250 millions d’êtres humains, ce qui ne représentait encore, en moyenne, qu’une densité d’à peine deux habitants par km2 sur notre planète…

Il fallut attendre 1830 pour que la population mondiale franchisse la barre symbolique du milliard d’habitants, puis encore un siècle, 1930, pour qu’elle atteigne les deux milliards d’habitants. C’est à partir de cette date qu’on assista à une véritable accélération de la croissance démographique mondiale : quatre milliards d’habitants en 1975, six milliards en 1999 et huit milliards prévus l’an prochain, en 2021…

Il y a un an, l’Organisation des Nations unies (ONU) publiait sa dernière grande étude prospective sur l’évolution de la population mondiale. Ce travail prévoit que la population mondiale va certes continuer à croître, mais, dans le même temps, on risque d’assister à un net déclin démographique dans plusieurs régions du Monde (Voir ONU). Ces dernières prévisions de l’ONU estiment, avec une très forte probabilité que nous serons entre 8,5 et 8,6 milliards en 2030. En 2050, toujours selon l’ONU, nous devrions être 9,7 milliards, pour atteindre finalement les 10, 9 milliards en 2100.

Cette étude de l’ONU révèle un apparent paradoxe qui s’explique par la grande inertie des évolutions démographiques : la population mondiale poursuit sa croissance, alors que chaque famille a de moins en moins d’enfants. En 1990, il y avait en moyenne 3,2 naissances par femme en âge de procréer ; aujourd’hui, ce taux est tombé à 2,5 et il devrait encore descendre pour atteindre 2,2 en 2050, selon l’ONU. N’oublions pas que 2,1 naissances sont nécessaires pour assurer le renouvellement des générations. Cette baisse tendancielle globale de la fécondité au niveau mondial cache cependant de grandes disparités entre les différentes régions du Monde : c’est ainsi que le nombre de naissances reste en moyenne de 4,6 par femme en Afrique subsaharienne, de 3,4 en Océanie (hors Australie et Nouvelle-Zélande), de 2,9 en Afrique du Nord et à l’ouest de l’Asie.

Selon ces dernières prévisions de l’ONU, « les deux tiers de la croissance prévue de la population mondiale d’ici à 2050 se produiront, même si la fécondité dans les pays à fécondité élevée tombait immédiatement à environ 2 naissances par femme sur toute une vie ». Cette prévision s’applique également pour les pays qui n’ont pas encore rejoint cette tendance mondiale allant vers une forte baisse du nombre de naissances, pays qui représentent ensemble encore plus de la moitié de la population mondiale.

L’étude de l’ONU souligne que les naissances sont devenues inférieures aux décès dans 55 pays – soit près d’un quart des 235 Etats ou territoires analysés. Pour la moitié de ces territoires, l’étude prévoit un déclin démographique d’au moins 10 % d’ici le milieu du siècle. Ce sera notamment le cas pour le Japon, la Bulgarie, la Grèce ou le Portugal. Ces prévisions nous indiquent que le nombre d’habitants d’Amérique du Nord et d’Europe devrait passer de 1,114 milliard en 2019 à 1,132 milliard en 2030, avant de tomber à 1,120 milliard à la fin du siècle. A contrario, neuf pays vont représenter plus de la moitié de l’augmentation attendue de la population mondiale d’ici 40 ans : Inde, Nigeria, Pakistan, République démocratique du Congo, Ethiopie, Tanzanie, Indonésie, Egypte et Etats-Unis.

A court terme – 5 ans – un premier basculement significatif va avoir lieu : la population de la Chine, avec ses 1,43 milliard d’habitants, va être rattrapée puis dépassée par celle de son grand voisin indien (1,37 milliard d’habitants), dont la natalité est sensiblement plus élevée (2,24 pour l’Inde, contre 1,68 seulement pour la Chine).L’Empire du Milieu, avec sa natalité très basse et sa population vieillissante devrait en outre perdre 34 millions d’habitants au cours des trente prochaines années…

Mais c’est incontestablement le continent africain qui va connaître la plus forte croissance démographique, avec une population totale qui devrait passer d’un milliard d’habitants aujourd’hui…à 2,4 milliards d’habitants en 2050. La population africaine, qui représente aujourd’hui 12 % de la population mondiale, en représentera 25 % dans trente ans. Dans un tel scénario démographique, les experts de l’ONU soulignent que les flux de migration constituent désormais un facteur-clé des évolutions de population. Pourtant, l’ONU prévoit une émigration nette deux fois moins importante durant cette décennie par rapport à la précédente.

Mais, il y a quelques semaines, une autre étude réalisée par l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME), un prestigieux centre de recherche situé à Seattle et dirigé par Christopher Murray, est venue remettre en cause de manière très solide ces prévisions de l’ONU. Cette nouvelle étude, aux conclusions pour le moins décapantes, prévoit en effet que la population mondiale va décliner dès la deuxième moitié du siècle pour atteindre 8,8 milliards de Terriens en 2100, soit 2 milliards d’habitants de moins que les projections de l’ONU, ce qui est tout à fait considérable. Cette étude prévoit un immense bouleversement des équilibres de la population mondiale. Selon ce travail, la population mondiale pourrait atteindre son pic en 2064, à 9,7 milliards d’individus, et entamer alors un inexorable déclin pour redescendre à 8,8 milliards de Terriens à la fin du siècle - Voir The Lancet

Selon cette étude de l’IHM, ce déclin démographique mondial, bien plus important qu’attendu, sera principalement provoqué par une amélioration plus rapide que prévue de la condition féminine, avec notamment un accès massif à l’éducation et à la contraception, qui pourrait faire passer le taux moyen de fécondité de 2,37 aujourd’hui à 1,66 enfant par femme en 2100. Dans la grande majorité des pays étudiés (183 sur 195), ce taux descendrait sous la barre des 2,1 enfants par femme - seuil nécessaire pour maintenir la population sans apport migratoire - d’ici la fin de ce siècle.

Ainsi, la Chine pourrait perdre près de la moitié de ses habitants au cours de ce siècle (1,4 milliard aujourd’hui, 730 millions en 2100), avec un déclin massif du nombre de ses actifs. Les États-Unis, qui devraient bientôt perdre leur place de première puissance économique du Monde, pourraient ainsi repasser devant la Chine d’ici la fin du siècle, à condition, toutefois, que l’immigration continue à compenser la fécondité américaine en baisse, selon l’étude. L’Inde, qui deviendrait la deuxième puissance économique mondiale au cours de la seconde partie de ce siècle, verrait, pour sa part, le nombre de ses actifs se réduire d’un quart, passant de 762 millions à 578 millions à la fin du siècle.

Dans ce nouveau scenario, L’Asie et l’Europe connaîtraient une perte massive de population. La population du Japon passerait de 128 à 60 millions, celle de la Corée du Sud, de 53 à 27, celle de l’Espagne, de 46 à 23, celle de l’Italie, de 61 à 31). Seuls quelques pays développés européens verraient leur population se maintenir, en raison d’une fécondité proche du seuil de remplacement et d’un solde migratoire positif : le Royaume-Uni, dont la population passerait de 67 millions à 71 millions en 2100…et la France qui attendrait les 67 millions d’habitants à la fin du siècle.

En revanche, l’Afrique sub-saharienne verrait sa population tripler (1 à 3 milliards), tirée notamment par le Nigeria (206 à 790 millions d’habitants), qui deviendrait en 2100 le deuxième pays le plus peuplé au monde derrière l’Inde mais devant la Chine. Seules trois régions du Monde verraient leur population augmenter par rapport à 2017 : l’Afrique subsaharienne (de 1 milliard d’habitants aujourd’hui à 3 milliards en 2100), l’Afrique du Nord (978 millions d’habitants en 2100) et le Moyen-Orient (600 millions).

La pyramide des âges mondiale serait bien entendu profondément bouleversée par ce déclin et ce vieillissement démographique d’une ampleur sans précédent : dans ce scenario, il y aurait 2 milliards d’habitants de plus de 60 ans en 2050, et 2,4 milliards de plus de 65 ans en 2100 (dont 866 millions de plus de 80 ans, soit six fois plus qu’aujourd’hui), pour seulement 1,7 milliard de moins de 20 ans. Ces transformations de grande ampleur provoqueraient des bouleversements socio-économiques considérables, marqués notamment par une population active mondiale en contraction rapide (à l’exception de l’Afrique) et de nouvelles dépenses sociales et médicales sans doute multipliées par dix, dues au vieillissement général de la population mondiale, dont l’espérance de vie pourrait dépasser les 100 ans, d’ici la fin de ce siècle…

Mais pourquoi ces prévisions de l’IHME, à partir des mêmes données démographiques, débouchent-elles sur un scenario démographique mondial si différent de celui de l’ONU d’ici 2100 ? Cela s’explique par le fait que les dernières prévisions de l’ONU reposent sur l’évolution passée des indicateurs de mortalité, de fécondité et de migration pour prédire des trajectoires à long terme. Les prévisions de l’IHME sont plus riches ; elles intègrent, pour leur part, différents scénarios de choix politiques, éducatifs et sanitaires, susceptibles d’influer fortement sur la fécondité. Par exemple, cette étude de l’IHME prévoit une chute des taux de fécondité à 1,8 à la fin du siècle, en Afrique subsaharienne, une chute plus importante que celle prévue par l’ONU.

Mais, comme le souligne le professeur Vollset, « Si le déclin de la population mondiale peut être une bonne nouvelle pour réduire les émissions de carbone et la pression sur les écosystèmes, le vieillissement va entraîner d’immenses problèmes économiques en raison d’un nombre d’actifs et de contribuables réduit ». Et l’on parvient à peine à imaginer ce Monde, pourtant pas si lointain, dans lequel le nombre de personnes âgées de 80 ans ou plus devrait tripler, passant de 143 millions en 2019 à 426 millions en 2050.

Quant au nombre de personnes dépendantes, ou en perte d’autonomie, il pourrait dépasser la barre des 200 millions à cette échéance, pour atteindre plus d’un demi-milliard de personnes à la fin du siècle. Selon l’OMS, les différentes formes de démence qui progressent rapidement, en raison du vieillissement de la population, pourraient, à elles seules, tripler d’ici 2050, pour atteindre, 152 millions de personnes. La France ne sera pas épargnée par les conséquences socio-économiques et médicales de cette évolution démographique et l’Insee prévoit, dans son rapport de juillet 2019, que notre pays pourrait compter, dès 2050, 4 millions de personnes de plus de 60 ans en perte d’autonomie, contre 2,5 millions aujourd’hui.

Problème : la population active mondiale va connaître un inexorable déclin au cours de ce siècle, sous le double effet du vieillissement de la population et de la substitution des robots et de l’intelligence artificielle aux travailleurs humains. La population active chinoise, dont la moyenne d'âge augmente rapidement, pourrait, par exemple, chuter de 23 % d'ici 2050. Certains experts prévoient même que la Chine et l’Inde réunies pourraient perdre 320 millions d’emplois d’ici 2030, ce qui représente presque 10 % du total des emplois dans le Monde en 2018. Ce nombre d’actifs, même tirés par l’Afrique (+ 1,2 milliard d’actifs d’ici 2050) va tendre, sous l’effet du vieillissement massif de la population mondiale, à se stabiliser, puis à diminuer au cours de la seconde partie de ce siècle, pour se rapprocher du ratio d’un actif, pour un inactif.

Si le scenario démographique mondial prévu par l’IHME, se réalise, l’Humanité va se retrouver face à un redoutable défi : comment prendre en charge, soigner et accompagner dans leur vie quotidienne ces centaines de millions de personnes très âgées et dépendantes, sachant qu’il n’y aura tout simplement, même en ayant recours à une immigration massive, pas assez d’actifs disponibles pour assurer à la fois les tâches de production et l’ensemble des services à la personne dont auront absolument besoin nos sociétés vieillissantes.

L’exemple le plus emblématique de ce monde en déclin démographique est sans doute le Japon. Ce pays, qui compte aujourd'hui 126 millions d'habitants, risque de perdre un tiers de sa population d’ici 2050 et ne parvient déjà plus à pourvoir les emplois nécessaires au fonctionnement de son économie, qu’il s’agisse du secteur de la production, du bâtiment, du commerce ou des services destinées aux seniors. Face à cette situation, l’Etat et la société japonaise ont misé sur le développement massif conjoint des trois technologies de rupture : la robotique personnelle, l’intelligence artificielle et la 5G. En articulant et en combinant ces trois outils technologiques, il sera possible demain, pour un travailleur œuvrant dans le secteur du bâtiment, de la production automobile ou encore de la santé, de démultiplier sa capacité de travail dans le temps et l’espace, en pilotant et en contrôlant à distance simultanément plusieurs robots dotés d’une forte autonomie d’action.

La chaîne japonaise de commerce FamilyMart a ainsi développé en 2019 un concept de supermarché qui repose sur l’automatisation du parcours client, du parking du magasin, jusqu'au règlement automatique des achats par Scan du chariot. Cette firme, après une expérimentation concluante, a décidé d’étendre cette solution dans 20 magasins situés dans la banlieue de Tokyo d’ici 2022.

Mais FamilyMart veut à présent aller plus loin dans la gestion automatique et intelligente de ses magasins et entrepôts. En collaboration avec la société Telexistence, FamilyMart est en train d’apprendre à des robots humanoïdes, grâce à des opérateurs humains, à faire face à une multitude de situation et à réaliser des gestes et mouvements complexes, de manière à pouvoir réapprovisionner en permanence, de façon autonome, les rayons de ses magasins.

Les robots, eux aussi de plus en plus polyvalents, autonomes et agiles, sont également de plus en plus présents dans les hôpitaux et maisons de retraite japonaises. Ils déchargent le personnel humain d’une multitude de tâches répétitives, fastidieuses ou pénibles, comme la distribution des médicaments, le transport et la surveillance des malades ou encore le nettoyage des bâtiments. Cette aide robotique permet de faire face à la pénurie de main d’œuvre et redonne aux soignants la capacité de se recentrer sur le travail à haute valeur ajoutée cognitive.

Cette révolution de l’assistance robotique intelligente, combinée au déploiement de la 5G et de l’Internet des objets, n’en est qu’à ses débuts et elle va s’amplifier bien plus rapidement que prévue, pour se diffuser dans tous les secteurs d’activité économique et sociaux, ainsi que dans les foyers, où elle permettra d’ici quelques années, de soigner à distance et de maintenir à domicile tous nos ainés, même ceux qui ont malheureusement perdu leur autonomie et sont atteints de pathologies graves.

J’ai la profonde conviction que, d’ici une génération, le nombre total de robots d’assistance à la personne, de toute nature, qu’il s’agisse de machines humanoïdes ou des micro et minirobots qui se fonderont dans notre environnement quotidien, sera bien supérieur à celui des êtres humains vivant sur notre planète. Il est d’ailleurs probable que nos enfants seront si habitués à côtoyer en permanence toutes sortes de machines intelligentes et autonomes qu’ils ne se rendront même plus compte de leur présence…Et pourtant, ces auxiliaires robotiques deviendront indispensables, surtout dans les perspectives démographiques que je viens d’évoquer, pour assurer non seulement le bon fonctionnement de notre industrie et de notre économie, mais également pour maintenir et enrichir la qualité de vie des humains, à commencer par les plus fragiles d’entre eux, malades ou personnes âgées.

Il est dommage, qu’à l’exception de quelques pays clairvoyants, comme le Japon, la Corée du sud ou Taïwan, nos sociétés tardent à anticiper les conséquences immenses de ce choc démographique annoncé et ne se préparent pas suffisamment à cette arrivée massive d’intelligences mobiles, autonomes et polyvalentes, avec lesquelles nous allons devoir apprendre à vivre…

Nous devons dès à présent réfléchir collectivement, sans craintes a priori, mais sans naïveté excessive, sur les questions sociales, politiques et éthiques très profondes que va poser cette coexistence inéluctable entre l’espèce humaine et ces nouvelles entités robotiques de plus en plus humanisées qui vont nous accompagner tout au long de notre vie.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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