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Edito : L’héritage épigénétique éclaire d’une lumière nouvelle la théorie de l’évolution de Darwin

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René Trégouët

Sénateur Honoraire

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Rédacteur en Chef de RT Flash

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EDITORIAL :

L’héritage épigénétique éclaire d’une lumière nouvelle la théorie de l’évolution de Darwin

Souvent caricaturée et présentée à tort comme un dogme, figé et sacralisé, la théorie de l’évolution des espèces, présentée par Charles Darwin en 1859, pose l’hypothèse que l’ensemble des espèces vivantes, des bactéries aux baleines, en passant par l’homme, ne cessent, à partir d’un ancêtre commun, de se transformer et d’évoluer dans le temps, ce qui se traduit, sur de longues périodes -des centaines ou milliers de générations- par des modifications morphologiques et génétiques, puis, in fine, par l’apparition de nouvelles espèces. Pour Darwin, les moteurs essentiels de cette évolution sont la compétition permanente entre individus d’une même espèce (Struggle for life) et le phénomène de sélection naturelle, un mécanisme biologique fondamental par lequel les individus les mieux adaptés d’une espèce donnée vont pouvoir se reproduire davantage que les autres.

La théorie de l’évolution de Darwin, loin d’être le dogme immuable parfois présenté de manière simpliste ou incomplète, n’a cessé de s’enrichir et de se complexifier au fil du temps, grâce notamment aux avancées majeures que furent des lois de l’hérédité, formulées par Gregor Mendel entre 1854 et 1870, puis de l’américain Thomas Morgan (prix Nobel de médecine 1933) dont les travaux permirent d’établir la théorie chromosomique de l’hérédité. En 1953, la découverte de la structure de l’ADN, support moléculaire de l’information génétique, fut également intégrée dans la théorie de l’évolution.

Même si Darwin considérait que l’évolution est fondamentalement lente et graduelle, il n’a jamais exclu la possibilité que d'autres transformations puissent se faire selon un autre mode que celui de d’une évolution progressive dans le temps. C’est précisément ce mécanisme permettant une évolution dite "ponctuelle", beaucoup plus rapide que celle proposée par Darwin, qui fut mis en lumière de manière remarquable, entre 1972 et 2002 par le grand paléontologue américain Stephen Jay Gould (disparu en 2002) et son collègue Nils Eldredge. Pour ces scientifiques, l'évolution des espèces s’effectuerait essentiellement de manière ponctuelle ; elle serait caractérisée par de longues périodes de stagnation entrecoupées par de brusques et courtes périodes de transformation rapide menant à la formation de nouvelles espèces.

Bien qu’elle fasse toujours l’objet de débats passionnés entre scientifiques, cette théorie des "équilibres ponctués" permet d’expliquer de nombreuses observations paléontologiques qui montrent que certaines espèces fossiles ont connu très peu de variations morphologiques au cours de leur longue existence et se sont brusquement trouvées supplantées par une nouvelle espèce. Notons qu’après avoir rejeté un temps l’ensemble de la théorie de Darwin, Gould changea de position vers la fin de sa vie et admit que sa théorie est plutôt venue enrichir et élargir celle de son illustre prédécesseur.

En 2012, une étude retentissante est venue encore complexifier la théorie de l’évolution, en mettant en lumière une forme surprenante, mais bien réelle d’évolution, la despéciation. Ce processus de spéciation à l'envers fut révélé par des chercheurs suisses, dirigés par Ole Seehausen. Ces scientifiques ont étudié des espèces du genre Coregonus, cousines des saumons, qui peuplent les nombreux lacs alpins. Ils ont découvert que les activités humaines, et notamment les résidus d'engrais azotés, ont entraîné la prolifération d'algues au fond de ces lacs, ce qui a eu pour effet d’appauvrir les eaux profondes en oxygène. Ce phénomène, l'eutrophisation, a contraint les Coregonus des eaux profondes à remonter vers la surface, à cohabiter avec d'autres espèces et à partager leurs sites de ponte, favorisant la formation d’une nouvelle espèce hybride à partir des espèces existantes. Il y a donc eu, dans ce cas précis, une véritable "évolution à l’envers", liée à une modification puissante et rapide de l’environnement (Voir Nature).

L’évolution, quand il le faut, sait également simplifier et réduire la complexité fonctionnelle, si nécessaire. C’est ce qui s’est passé entre l’ardiphitèque (un hominien qui a vécu entre environ 5,8 et 4,5 millions d'années) et l’australopithèque. Alors que les membres inférieurs de l'ardipithèque et de ses ancêtres étaient adaptés à la fois à une marche bipède hésitante et au déplacement dans les arbres, ceux des humains se sont spécialisés pour la marche bipède et sont devenus inadaptés à l'escalade des arbres.

Mais comment expliquer les bases génétiques de cette évolution élargie, dans laquelle de nouvelles espèces peuvent apparaître très lentement, mais aussi très rapidement et qui peut même régresser à l’occasion ? C’est là qu’interviennent de récentes et passionnantes découvertes qui montrent que des "transferts horizontaux" de séquences génétiques et d'ADN entre individus appartenant à des espèces différentes est possible, même si ce fascinant phénomène, qui aurait dans doute enthousiasmé Darwin, reste encore assez mystérieux chez les mammifères....

Et ce transfert horizontal ne concerne pas seulement les micro-organismes. En 2021, des chercheurs de l'Université Queen's, au Canada, ont découvert que le hareng de l'Atlantique partage une même protéine antigel avec deux espèces d'éperlan ! Pourtant, il n’y a pratiquement aucune chance qu'ils aient hérité cette protéine d'un ancêtre commun. Il semblerait donc que le hareng ait donné son gène aux éperlans par transfert horizontal.

Selon certains biologistes, certains virus auraient la capacité de transporter et d'intégrer certaines séquences génétiques, provenant d'une espèce donnée, aux cellules d'individus appartenant à une autre espèce. Alors, à quoi peut bien servir un mécanisme aussi étrange dans la nature ? Et bien probablement, dans le cadre d'une évolution darwinienne complexifiée et non linéaire, à multiplier les probabilités d'avantages compétitifs des individus, lorsqu'ils doivent par exemple s'adapter, pour survivre à de brusques modifications de leur environnement.

Un autre mécanisme, tend à redonner un crédit à l’hypothèse transformiste de Lamarck, qui défendait la possibilité d’une héritabilité des caractères acquis. Ce mécanisme concerne les modifications épigénétiques qui, sans altérer le code génétique et l'ADN, peuvent changer la façon dont les gènes sont exprimés, ce qui a évidemment des conséquences majeures pour la santé et le développement d'un organisme. Une étude menée par des chercheurs de l'UC Santa Cruz a ainsi montré qu’un type courant de modification épigénétique peut être transmis par le sperme non seulement des parents à la progéniture, mais également à la génération suivante. Ce phénomène surprenant a été baptisé "héritage épigénétique transgénérationnel" ; il explique comment la santé et le développement d'une personne pourraient être influencés par les modes de vie et comportements de ses parents et grands-parents (Voir PNAS).

L'étude s'est focalisée sur la modification spécifique d'une protéine appelée histone qui commande la façon dont l'ADN est conditionné dans les chromosomes. Cette marque épigénétique est connue pour désactiver les gènes affectés et elle est à l’œuvre chez tous les animaux multicellulaires, qu’il s’agisse de l’homme ou du ver nématode C. elegans utilisé dans cette étude. « Nos travaux montrent clairement qu’il existe une relation de cause à effet entre les marques d'histones transmises par les spermatozoïdes et l'expression des gènes chez la progéniture et la petite-progéniture », souligne Susan Strome, professeure de biologie moléculaire, cellulaire et du développement à l'UC Santa Cruz.

Il y a quelques semaines, une étude de l’Institut Max Planck de biologie de Tübingen (Allemagne) et de l’Université de Californie à Davis (États-Unis) est venue elle aussi remettre en question la vision traditionnelle de l’évolution, vue comme un processus guidé par des mutations aléatoires au sein des génomes des espèces. Les chercheurs ont travaillé sur la plante Arabidopsis thaliana ("Arabette des dames"), dont la carte génétique bien établie permet d’étudier des mutations inédites, qu’aucun des parents ne possède dans son patrimoine génétique. Ces recherches ont débouché sur une découverte majeure : les gènes les plus importants pour cette plante possèdent des caractéristiques épigénétiques associées fortes et induisent un faible taux de mutation. Il semblerait donc que la plante protège ces gènes les plus vitaux des mutations, par un mécanisme remarquable, appelé « biais de mutations ». Comme le souligne Gray Monroe, qui a dirigé ces travaux, « Le schéma classique de l’évolution repose sur des mutations apparaissant uniquement par hasard à travers le génome. Mais il semble bien que le modèle de mutation à l’œuvre soit en réalité plus subtil et soit en partie déterminé par un autre mécanisme non aléatoire qui profite à la plante ».

Ces fascinants mécanismes, transfert horizontal de gènes, héritage épigénétique transgénérationnel et biais de mutations montrent, qu'au-delà de la prodigieuse diversité du vivant, il existe bien une unité structurelle fondamentale de la vie qui recherche toujours à optimiser la circulation des informations génétiques entre individus et espèces pour se développer et perdurer...

Il faut enfin évoquer les remarquables travaux de la biologiste évolutionniste américaine Martha Muñoz (Harvard). Ses études approfondies sur des lézards des Caraïbes appelés anoles, ont montré de manière convaincante que des organismes peuvent façonner leur trajectoire évolutive par leur comportement, accélérant ou ralentissant l'évolution des traits physiologiques et morphologiques. Ces lézards tropicaux peuvent prospérer à 3000 mètres d'altitude, où il peut faire un froid glacial. La plupart des chercheurs faisaient l’hypothèse que le corps de ces lézards d’altitude changerait au fil des générations pour mieux supporter le froid. Mais après avoir comparé les différentes espèces de lézards vivant dans cette région, Martha Muñoz n’a pas trouvé de preuves de différences physiologiques qui conféreraient une plus grande tolérance au froid. En revanche, Cette chercheuse a observé que ces lézards de haute altitude modifient leur comportement de manière très ingénieuse, de manière à exploiter en permanence le moindre espace d’exposition à la chaleur du soleil.

De manière étonnante, ce changement de comportement des lézards des montagnes a accéléré leur changement morphologique et ils ont rapidement développé des pattes postérieures plus courtes et des crânes plus plats qui leur permettaient de se cacher des prédateurs dans des crevasses étroites. Ces travaux ont montré qu'un changement individuel de comportement pouvait ralentir un aspect de l'évolution, comme les changements physiologiques de la tolérance à la chaleur, et en accélérer un autre, comme les changements d'anatomie observés. Comme le souligne Martha Muñoz , « loin d'être des agents passifs à la merci de leur situation, les organismes vivants sont capables, en développant des comportements imprévus, improbables et ingénieux, d’influencer directement l'évolution » (Voir Science).

Il a plus de 60 ans, le grand épistémologiste suisse jean Piaget, dans un essai prémonitoire intitulé "Le comportement moteur de l’évolution", avait déjà exprimé sa profonde conviction que le comportement individuel des êtres vivants jouait sans doute un rôle important dans l’évolution des espèces, à côté du mécanisme darwinien des mutations, se produisant au hasard, et de la sélection des individus les plus adaptées.

Toutes ces récentes découvertes montrent de manière passionnante que l’évolution biologique doit être à présent envisagée et conceptualisée dans un cadre théorique rénové et bien plus large qui, sans remettre en cause les principes fondamentaux de la théorie darwinienne, intègre l’ensemble de ces nouveaux mécanismes génétiques et épigénétiques, reconnaisse la non-linéarité et la réversibilité de l’évolution, admette que cette évolution puisse s’effectuer tantôt de manière graduelle, tantôt de manière ponctuelle et, enfin, accorde toute sa place aux comportements individuels, en tant que moteur essentiel de l’évolution.

On peut penser que le grand Darwin, qui était un esprit ouvert, d’une curiosité insatiable, n’aurait sans doute pas renié cette nouvelle théorie de l’évolution, élargie et enrichie, qui nous permet de mieux penser le vivant dans toute son ambiguïté et sa complexité et nous révèle encore un peu plus la prodigieuse capacité d’adaptation de la vie…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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