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Edito : Maladie d’Alzheimer : faisons le point sur les avancées les plus récentes

Cette semaine, je reviens sur les dernières découvertes concernant la maladie d’Alzheimer. Ce fléau sanitaire et social représente à lui seul les trois quarts des démences et touche à présent 40 millions de personnes dans le monde (900 000 en France) ; si rien ne permettait efficacement d'éviter cette maladie, l'Alzheimer devrait concerner, en raison du vieillissement inexorable de la population, au moins 139 millions de personnes en 2050, dont 2,2 millions de personnes dans notre pays.

Bien que la maladie d’Alzheimer soit très complexe, et provoquée par de multiples causes encore mal connues, les chercheurs ont pu identifier deux phénomènes pathologiques cérébraux : l’accumulation de peptides béta-amyloïdes et la modification de Tau, une protéine, qui se retrouve sous la forme d’agrégats dans les neurones. Les formes héréditaires de cette maladie ne représenteraient qu’environ 1 % des cas, mais plusieurs études de très grande ampleur, réalisées depuis 10 ans, ont pu mettre en lumière le vaste et foisonnant soubassement génétique de cette pathologie. En 2013, une étude internationale, dirigée par Philippe Amouyel, avait notamment permis d’identifier onze nouvelles régions du génome impliquées dans la survenue de cette maladie neurodégénérative. Les 11 nouveaux gènes découverts par ces recherches ont permis de confirmer non seulement l’implication du système immunitaire dans cette maladie, mais également le rôle de la voie amyloïde et de la protéine Tau (Voir Nature genetics).

Il y a quelques jours, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’Institut Pasteur de Lille, du CHU de Lille et de l’Université de Lille, en collaboration avec des équipes européennes, américaines et australiennes, ont réussi, sous la coordination du Professeur Jean-Charles Lambert, à identifier 75 régions du génome associées à cette pathologie, dont 42 étaient inconnues jusqu’alors (Voir Nature genetics). Ces nouveaux travaux confirment ceux de 2013 et montrent que les différentes régions du génome identifié sont bien impliquées dans la production des peptides amyloïdes et dans le fonctionnement de la protéine Tau mais aussi dans le dysfonctionnement de l’immunité innée et de l’action de la microglie (cellules immunitaires du système nerveux central qui éliminent les substances toxiques). En outre, de manière très intéressante, cette vaste étude montre pour la première fois l’implication dans la maladie de la voie de signalisation dépendante du facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-alpha), une cytokine-clé dans la régulation de la cascade inflammatoire au sein du système immunitaire.

Ces résultats ouvrent de nouvelles voies dans la recherche urgente de solutions thérapeutiques et confirment l’intérêt de mener des essais cliniques sur des traitements ciblant la protéine précurseur de l’amyloïde, de poursuivre les recherches sur les cellules microgliales, et de cibler la voie de signalisation du TNF-alpha, qui semble jouer un rôle-clé dans le déclenchement de cette maladie. Grâce à cette moisson d’informations génétiques nouvelles, ces chercheurs ont pu également bâtir un score de risque génétique qui va permettre d’identifier de manière bien plus précise les personnes souffrant de troubles cognitifs qui risquent le plus d’évoluer vers une maladie d’Alzheimer. « Dans un premier temps, cet outil va nous permettre de mieux cibler les essais thérapeutiques par catégorie de malades, et de mieux évaluer l’intérêt des médicaments testés », explique Jean-Charles Lambert.

Il y a quelques jours, une autre équipe française, dirigée par le professeur Marie Sarazin, le docteur Julien Lagarde, et le Docteur Michel Bottlaender, a annoncé avoir mis au point une nouvelle méthode de recherche indirecte par l'imagerie Pet Scan. Elle permet de repérer les protéines amyloïde et tau. Ces recherches ont montré que la fixation du traceur tau était associée à l'évolution à la fois des troubles cognitifs chez ces patients et également l'évolution de l'atrophie cérébrale qui est mesurée par l'IRM. Plus concrètement, cela signifie que l’intensité des dépôts de protéine Tau, observables grâce à l’imagerie TEP, est prédictive de l’évolution de la maladie. Ce nouvel outil va s’avérer précieux pour mieux prendre en charge les patients et anticiper leurs besoins. Cette avancée devrait également permettre de mieux évaluer, pour chaque patient, les bénéfices thérapeutiques des nouveaux traitements curatifs.

Sur le front des traitements, une avancée majeure a également été annoncée il y a quelques jours par la jeune société britannique Neuro bio (fondée en 2013) et issue de la prestigieuse Université d’Oxford (Voir Wiley). Les chercheurs de Neuro-Bio, en collaboration avec la société de découverte de médicaments Evotec SE, UCLA et King's College London, ont étudié la capacité de leur médicament breveté, NBP14, pour combattre la neurodégénérescence dans un modèle murin établi de la maladie d'Alzheimer. Un traitement intranasal a permis une diminution marquée de l'amyloïde cérébrale et, après 14 semaines, les chercheurs ont observé une amélioration des performances cognitives comparables à celles des souris normales. Ces résultats représentent une avancée tout à fait remarquable vers un véritable traitement de la maladie d'Alzheimer chez l'homme.

Le professeur Paul L Herrling, directeur de Neuro-Bio, déclare : « Les résultats indiquent de manière cohérente que le NBP14 interfère avec le processus neurotoxique qui conduit à la dégénérescence neuronale dans la maladie d'Alzheimer ». L'organisme de réglementation britannique, la Medicines & Healthcare Products Regulatory Agency, a accrédité NBP14 avec l'un de ses premiers « passeports d'innovation » dans le cadre d'une nouvelle procédure de mise sur le marché accélérée de médicaments innovants. Neuro-Bio précise que la détection du peptide de signalisation T14, sur laquelle agit le NBP14 pourrait être détectée à l’aide d’un test sanguin ou d'une biopsie cutanée pour identifier l'apparition du processus dégénératif au cours des vingt ans qui précèdent généralement l’apparition des premiers des symptômes de la maladie. Si le NBP14 s'avère efficace dans les essais cliniques sur l'homme, il pourrait être utilisé sous la forme d’un spray nasal administré à domicile pour arrêter la neurodégénérescence avant l'apparition des premiers signes de la maladie.

Depuis novembre 2021, un autre essai clinique très attendu a débuté aux Etats-Unis. Il concerne seize patients, âgés de 65 à 80 ans, qui vont bénéficier d’un vaccin expérimental sur lequel travaillent depuis 20 ans les chercheurs du Brigham and Women's Hospital aux Etats-Unis (Voir Brigham and Women's Hospital). Ce vaccin, qui a pour objectif de ralentir la progression de la maladie, repose sur une technique qui cible les fameuses plaques amyloïdes composées de protéine bêta-amyloïdes qui se forment autour des neurones en bloquant les neurotransmetteurs. Ce traitement consiste à administrer par voie nasale un médicament stimulant le système immunitaire, la propolis, qui va aller détruire les plaques amyloïdes.

Evoquons enfin plusieurs études récentes, publiées au cours de ces derniers mois, qui éclairent mieux le rôle majeur des facteurs environnementaux et du mode de vie sur le déclenchement de cette pathologie si redoutée. En mars dernier, une étude française a ainsi confirmé que quatre cas de démence sur dix pourraient être évités ou retardés en agissant sur des facteurs modifiables, parmi lesquels, la pollution de l’air (voir The Lancet).

Dans ce travail, exploitant les données concernant plus de 61 000 participants, des chercheurs de l’Inserm, de l’Université de Rennes et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) se sont intéressés à l’impact de certains polluants sur les capacités cognitives. Les chercheurs se sont principalement concentrés sur les substances chimiques liées au trafic routier : les particules fines de diamètre inférieur à 2,5 microns (PM2,5), le dioxyde d’azote (NO2) et le carbone suie.

Ces scientifiques ont constaté, pour les personnes les plus exposées à la pollution routière, une différence pouvant atteindre 5 % du score des performances cognitives par rapport aux participants moins exposés. Ces chercheurs vont à présent étudier l’évolution dans le temps des fonctions cognitives de ces adultes, afin de voir si une exposition chronique à la pollution pourrait aller jusqu’à entraîner les premiers signes de démences, et notamment d’Alzheimer.

Une autre piste récente mérite également d’être soulignée, celle explorée par le Professeur Martin L. Pall, de l’Université de Washington, qui forme l’hypothèse d'un possible lien entre les certains types champs électromagnétiques, dits pulsés, et l’apparition précoce de la maladie (Voir Bentham Science). Selon cette théorie, le lien entre les champs électromagnétiques et la maladie d’Alzheimer viendrait du calcium. De précédents travaux ont montré qu’un excès de calcium dans les cellules pouvait être la cause de la maladie d’Alzheimer, en favorisant l’accumulation de protéines précurseures des plaques amyloïdes, qui semblent jouer un rôle-clé dans l’apparition et la propagation de la maladie. Selon cette étude, les expositions aux champs électromagnétiques pourraient produire des changements entraînant un excès de calcium intracellulaire, ce qui pourrait augmenter les risques d’Alzheimer. S’appuyant également sur d’autres recherches sur des rats, qui ont montré que l’exposition aux impulsions électromagnétiques générait une neurodégénérescence, le Professeur Pall pense que « Les très jeunes personnes exposées aux radiations des téléphones portables ou du Wi-Fi plusieurs heures par jour peuvent développer une démence numérique ».

Reste que, dans la maladie d’Alzheimer, l’importance de la prévention et du mode de vie a été largement sous-estimée, comme vient encore de le démontrer cette récente et édifiante étude américaine, réalisée par des chercheurs de l’université Médicale Rush de Chicago (Voir The BMJ). Ce vaste travail a examiné, sur plus de 10 000 personnes de plus de 65 ans, les effets préventifs de cinq facteurs liés au mode de vie des seniors : un régime favorable à la bonne santé du cerveau, des activités cognitives soutenues, une activité physique suffisante (≥ 150 min/semaine), l’abstinence tabagique et enfin une consommation légère à modérée d'alcool (moins de 15 gr par jour pour les femmes et moins de 30 gr par jour pour les hommes).

Le moins qu’on puisse dire est que les conclusions de ces recherches sont sans appel : les femmes âgées de 65 ans, cochant quatre ou cinq des facteurs de santé retenus ont une espérance de vie de 24,2 ans et vivent 3,1 ans de plus que les femmes de 65 ans avec zéro ou un facteur de santé. Les hommes de 65 ans ayant quatre ou cinq facteurs de santé avaient une espérance de vie totale de 23,1 ans, soit 7 ans de plus que les hommes de 65 ans avec zéro ou un facteur santé…

Une autre étude récente, publiée début avril (Voir Eurekalert) a montré par ailleurs sur l’animal qu’une supplémentation de vitamine K2 (sous forme de ménaquinone-7), pendant 17 mois, a sensiblement amélioré les performances cognitives des rongeurs étudiés et pourrait permettre de diminuer les risques de démence chez l’homme. Moins connue que ses cousines A, B, C, D et E, la vitamine K2 joue un rôle important sur la santé osseuse et cardiovasculaire ; elle est produite par les bactéries intestinales et est également présente dans les légumes verts, comme le brocoli, les épinards ou le persil, les huiles végétales et les produits laitiers fermentés.

Une autre étude très intéressante, publiée également il y a quelques jours dans la revue de référence « Alzheimer et Démences » confirme l’existence d’un lien de causalité entre le taux de cholestérol et le risque de maladie d’Alzheimer. En effet, on sait que le cerveau est extrêmement riche en cholestérol et en a besoin pour bien fonctionner. Une nouvelle étude confirme cette relation : la présence de particules de “bon” cholestérol dans le liquide céphalo-rachidien protégerait du risque de démence (Voir Wiley). Pour en arriver à cette conclusion, des chercheurs de l’Université de Californie (États-Unis) ont réalisé des prélèvements de liquide céphalorachidien chez 141 personnes âgées en moyenne de 77 ans, pour mesurer la quantité de ces fameuses petites particules HDL. Or, ceux chez qui elle était la plus grande avaient à la fois de meilleurs résultats aux tests cognitifs réalisés par les scientifiques et un taux circulant d’une protéine (appelée amyloïde bêta 42) plus élevé, dont on sait qu’il contribue à prévenir la maladie d’Alzheimer.

Ces recherches ouvrent de nouvelles pistes de prévention active selon le Professeur Hussein Yassine, principal auteur de l’essai, qui précise, « Nos travaux montrent clairement qu'avant l'apparition des troubles cognitifs, ces petites particules HDL lubrifient le système et le maintiennent en bonne santé. Nous pensons que ces petites particules HDL pourraient avoir un rôle important dans la prévention de la maladie ». Pour ces chercheurs, un taux élevé de « bon cholestérol » aurait un double effet protecteur : il améliorerait la communication entre les neurones, en favorisant leur croissance et leur réparation, et il préviendrait l'inflammation, susceptible d'entraîner un déclin cognitif. Cette étude confirme donc l’importance, pour les seniors, de contrôler régulièrement leur pression artérielle et leur taux de cholestérol sanguin, en tenant compte du rapport entre HDL (bon cholestérol) et LDL (mauvais cholestérol).

On peut également citer une étude publiée en février dernier et conduite par le Professeur Kazumasa Yamagishi, de l'Université de Tsukuba, au Japon (Voir Taylor & Francis Online et University of Tsukuba). Dans ce travail, les chercheurs ont suivi, pendant 30 ans, 3 789 adultes japonais. Ils ont constaté que les personnes qui mangeaient le plus de fibres avaient un risque intrinsèque sensiblement réduit d’Alzheimer. Bien que l’étude précise que les mécanismes de protection impliquant ces fibres restent à élucider, le Professeur Yamagishi émet l’hypothèse que l’ingestion de ces fibres solubles préserve un bon équilibre des bactéries intestinales, ce qui réduirait le niveau de neuroinflammation et le risque de démence. Ces fibres alimentaires agiraient également de manière protectrice sur le cerveau en réduisant d'autres facteurs de risque de démence, tels que la pression sanguine et le taux de cholestérol.

Enfin, évoquons une dernière étude réalisée par des chercheurs de l’Université de Finlande orientale, qui a montré de manière convaincante, en 2020, l’existence d’une association entre le diabète de type 2 et la maladie d’Alzheimer. Ces recherches ont identifié un lien entre certains marqueurs sanguins du diabète et l’accumulation d'amyloïde cérébrale. Ces travaux confortent l’hypothèse selon laquelle les personnes atteintes de diabète auraient un risque accru d’Alzheimer, à partir d’un seuil moins élevé d’amyloïde dans le cerveau. Prolongeant ces travaux, des chercheurs du Beth Israel Deaconess Medical Center à Boston ont étudié les effets à long terme de l’insuline intranasale sur la cognition et la marche chez des personnes atteintes ou non de diabète de type 2 (Voir BIDMC).

Dans un essai clinique en double aveugle, ces scientifiques ont administré un traitement journalier d’insuline pendant 24 semaines, ou un placebo, à 233 participants, âgés de 50 à 85 ans (dont environ la moitié étaient atteints de diabète de type 2), qui ont été répartis en quatre groupes : un groupe diabétique recevant de l’insuline intranasale, un groupe diabétique recevant un placebo, un groupe sain recevant de l’insuline intranasale et un groupe sain recevant un placebo. Les résultats de cet essai montrent que les diabétiques prenant de l’insuline intranasale ont amélioré leur vitesse de marche et ont obtenu de meilleurs résultats aux tests cognitifs que les diabétiques du groupe placebo. Mais l’essai montre également, de manière très intéressante, que l’administration de l’insuline intranasale chez les non-diabétiques a également permis d’améliorer les performances cognitives, par rapport aux non-diabétiques du groupe placebo. Ces recherches montrent donc que l’insuline pourrait devenir une nouvelle arme efficace pour prévenir ou retarder la maladie d’Alzheimer chez certains patients.

Toutes ces avancées et recherches récentes sont très encourageantes, non seulement parce qu’elles ouvrent enfin les premières perspectives de traitement véritablement efficace contre cette terrible maladie, mais également parce qu’elles confirment, bien au-delà de ce qui était admis jusqu’à présent, qu’il est possible dès à présent de prévenir largement et efficacement les risques d’Alzheimer, en agissant à la fois sur les facteurs liés à notre environnement (pollution, exposition à certains champs électromagnétiques) et sur ceux liés à nos habitudes de vie, à commencer par l’alimentation, l’exercice physique et la stimulation cognitive et sociale. Une fois encore, la science nous apprend que, comme cela a été solidement démontré pour le cancer, et les maladies cardiovasculaires, les deux principales causes de décès dans nos pays développés, nos choix de vie, loin d’être de simples variables subsidiaires, jouent un rôle absolument déterminant dans la prévention et la protection contre cette maladie si redoutée et ravageuse.

Face au vieillissement inéluctable de notre population, notre pays doit absolument prendre conscience de cette réalité scientifique et mettre en œuvre une politique d’information et de prévention personnalisée digne de ce nom, et dotée de moyens humains et financiers suffisants. Cette politique au long terme aura certes un coût pour la collectivité, mais celui-ci sera vraiment insignifiant, au regard des immenses bénéfices sanitaires, sociaux et économiques que notre pays recueillera en prévenant efficacement, tout au long de la vie, ce fléau qui n’a rien d’une fatalité…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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