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Edito : L’impression 3D s’impose là où on ne l’attendait pas…

En moins d’une décennie, la fabrication additive, plus connue sous le nom d’impression 3D, s’est imposée comme nouveau procédé de production, non seulement dans l’industrie, mais, de manière plus inattendue dans beaucoup d’autres secteurs d’activités où cet outil, à la jonction de la robotique, du numérique et des nouveaux matériaux, ouvre des possibilités presque illimitées, qu’il s’agisse de la fabrication à domicile d’objets domestiques, de la construction de bâtiments entiers, ou de la réalisation de prothèses et d’organes. Le marché mondial de l’impression 3D, qui représentait à peine deux milliards d’euros en 2010, a atteint les 4 milliards en 2015, les 15 milliards en 2020 et devrait dépasser, selon les derniers chiffres d’Allied Market Research, les 100 milliards d’euros en 2031…

Il est impossible, dans le modeste format de cet éditorial, de rendre compte des extraordinaires progrès accomplis récemment par cette technologie d’avenir, mais je voudrais néanmoins évoquer quelques-unes des plus belles avancées réalisées dans deux domaines, la biologie et la construction, ou l’impression 3D est en train de s’imposer de manière aussi rapide que surprenante. Une équipe de chercheurs allemands et australiens, dirigée par Petra Mela, professeur de matériaux et d’implants médicaux à l’Université technique de Munich (TUM), et le professeur Elena De-Juan Pardo de l’Université d’Australie occidentale, a récemment annoncé qu’elle avait mis au point un nouveau type de valves cardiaques imprimées en 3D. Ces pièces sont conçues, dès leur fabrication, pour permettre aux propres cellules du patient de se développer normalement dans son organisme (Voir TUM).

Le problème, avec les implants de valves cardiaques, est que leur utilisation n’est pas sans risques, ni complications. C’est ainsi que les valves mécaniques ont tendance à former des caillots de sang sur les surfaces métalliques, ce qui peut évidemment être dommageable pour le patient. En outre, les patients porteurs de ces implants sont astreints à la prise d’anticoagulants à vie, ce qui impacte directement leur qualité de vie. Enfin, ces valves ne sont pas évolutives et doivent toujours, à un moment ou à un autre, être remplacées. Mais, comme le souligne Petra Mela : « Nos valves cardiaques bio-inspirées présentent le grand avantage de favoriser la formation de nouveaux tissus fonctionnels chez les patients. Elles peuvent grandir avec le patient et sont conçues pour permettre aux cellules du patient de s’infiltrer dans l’échafaudage ».

Aux Etats-Unis, des étudiants en médecine de la WesternU à Pomona (États-Unis) ont eu l’idée d’utiliser l’impression 3D afin de fabriquer des masques respiratoires ajustés sur mesure pour les bébés prématurés (Voir 3DPrint). Selon l’OMS, 15 millions de bébés naissent prématurément chaque année et les complications chez ces nouveau-nés causent environ un million de décès chaque année. Mais les trois quarts de ces décès pourraient être évités grâce à des interventions courantes, plus efficaces et moins douloureuses que les méthodes actuelles.

Ces étudiants ont commencé par générer des modèles 3D de bébés qu’ils ont pu utiliser afin de concevoir les prototypes de masques. L’impression de ces prototypes a alors été réalisée à l’aide d’une résine flexible durcie aux UV, permettant d’obtenir une grande robustesse et de limiter au maximum les fuites d’air. Ces masques sur mesure s’adaptent parfaitement au nez des prématurés et sont mieux adaptés et moins dangereux pour ces bébés fragiles, souvent touchés par une détresse respiratoire.

Toujours au Etats-Unis, l’entreprise 3DBio Therapeutics, spécialisée dans l’impression médicale 3D, a annoncé il y a quelques semaines qu’une patiente âgée de 20 ans, atteinte d’une malformation de l’oreille, avait reçu un implant auriculaire imprimé en 3D. Baptisé AuriNovo, l'implant a été fabriqué à partir de tissus vivants, issus des cellules de cartilage de la patiente puis imprimé grâce à un processus de bio-impression. Ce dernier est ensuite renvoyé la clinique pour être implanté sur la patiente (Voir 3DBio). Cette prouesse médicale, nourrit de grands espoirs pour les demandeurs de greffes, car c’est la première fois qu’une imprimante 3D parvient à produire du tissu vivant, en combinant des cellules prélevées sur la patiente à une bio-encre faite de collagène. Cette avancée majeure est d’autant plus prometteuse qu’à ce jour, ce type de greffe a été réalisé avec succès sur 11 patients.

En France, la start-up bordelaise Poietis, créée en 2014, est parvenue à fabriquer, couche par couche, un tissu cellulaire à partir d’une « bio-encre », constituée à la fois de cellules vivantes et de biomatériaux. Des essais cliniques portant sur l’impression et l’implantation de peau humaine vont bientôt démarrer sur douze patients, dans le cadre d’un partenariat avec le laboratoire de culture et thérapie cellulaire de l’AP-HM de Marseille. Ces essais concerneront une dizaine de patients présentant des plaies traumatiques ou des petites brûlures. Pour chaque patient, un prélèvement de peau sera réalisé, afin de récolter les différents types cellulaires nécessaires. Les cellules ainsi obtenues serviront de composantes principales pour bio-imprimer de la peau et la greffer. Les imprimantes de la start-up Poietis sont aujourd’hui capables de créer des tissus cellulaires d’une surface de 40 cm2. Si les résultats de l’essai clinique confirment l’efficacité thérapeutique de cette méthode, une autorisation de mise sur le marché devrait être délivrée d’ici 2025.

Il y a quelques jours, le CHU de Toulouse et l'Institut Claudius Regaud ont annoncé une première mondiale qui mérite également d’être saluée. Ces médecins et chirurgiens sont parvenus à réaliser une reconstruction nasale complète, grâce à des biomatériaux imprimés en 3D, chez une patiente qui avait été traitée pour un cancer des fosses nasales par radiothérapie et chimiothérapie. A la suite à ce traitement agressif, qui a permis d’éradiquer sa tumeur, cette patiente a malheureusement perdu une large partie de son nez ainsi que la partie antérieure de son palais. La reconstruction nasale classique, par greffe, étant impossible dans ce cas particulier, les chirurgiens ont décidé de réaliser cette reconstruction en utilisant des biomatériaux imprimés sur mesure.

Concrètement, cette reconstitution du nez a été réalisée à partir d'un greffon synthétique imprimé en 3D. Le biomatériau utilisé a été imprimé à partir d’images 3D réalisées avant le traitement anti-cancéreux. Il a ensuite été greffé pendant deux mois sur l'avant-bras de la patiente, c'est-à-dire implanté à cet endroit, pour être pré-vascularisé. Ensuite, le greffon a pu être transplanté avec succès au niveau de la région nasale et revascularisé à l’aide de la microchirurgie des vaisseaux de la peau du bras sur des vaisseaux de la tempe de la patiente.

A Lyon, le projet MyTissue - rebaptisé Genesis -, a pour ambition de biofabriquer des organes complexes grâce à l'impression 3D. Ce projet, en pointe mondiale, vise à atteindre cet objectif à partir des propres cellules des patients. Sa fondatrice, Chloé Devillard, vient d’obtenir le prix i-PhD. Elle veut développer trois modèles d'organes bioimprimés, en commençant par le coeur, à destination des infarctus du myocarde. Genesis s'appuie sur des travaux de recherche menés au sein de la plate-forme 3d.FAB à l'Institut de chimie et de biochimie moléculaires et supramoléculaires (ICBMS : Université Claude Bernard Lyon 1, INSA Lyon, CPE Lyon et CNRS). « Nous reconstruisons des organes à partir des cellules de patients, afin d'éviter les problèmes de rejets de greffe », explique Chloé Devillard. A terme, il devrait être possible de bioimprimer des organes entiers fonctionnels, ce qui représente un enjeu majeur de santé publique, quand on sait que, dans le monde, environ 500.000 personnes sont en attente d'une greffe et qu’en France, 24 000 personnes attendent une transplantation et 500 patients meurent chaque année, faute d’organes disponibles.

Il est un autre domaine plus inattendu que l’impression 3D est en train de bouleverser, celui de la construction et du bâtiment. C’est peu de dire que les besoins de logements dans le monde sont considérables. Pour accueillir les deux milliards d’Humains supplémentaires qui vivront sur Terre d’ici 2050, il va falloir construire plus de 13 millions de nouveaux logements chaque année. En France, l’augmentation du nombre de ménages, conjuguée à la réduction constante de leur composition (qui est passée de 3,1 à 2,2 personnes en 40 ans), a entraîné une augmentation considérable du nombre de résidences principales, dont le nombre a dépassé les 29 millions en 2020, soit une progression de plus de 50 % en seulement 40 ans. Et selon l’Insee, le nombre de ménages devrait continuer à progresser de 235 000 chaque année jusqu’en 2030. La taille de ces ménages va parallèlement poursuivre sa réduction, pour atteindre deux personnes en moyenne dans dix ans. Il va donc falloir construire au moins 400 000 logements chaque année pour satisfaire la demande, alors que la France en a construit moins de 340 000, en moyenne, depuis dix ans. Compte tenu de la raréfaction du foncier et de la multiplication des normes s’appliquant aux habitations, les constructeurs, grands ou petits, ont compris qu’ils devaient absolument trouver de nouvelles solutions novatrices pour pouvoir produire plus vite une plus grande quantité de logements de qualité, à moindre coût. Et l’impression 3D arrive à point nommé pour leur permettre de relever ce défi technique et économique.

Aux États-Unis, l’entreprise Alquist a lancé en juin dernier l’ambitieux « Project Virginia » : construire 200 maisons en impression 3D en cinq ans dans la ville de Pulaski, une citée en plein essor industriel de cet État au sud-est du pays. Zachary Mannheimer, le fondateur et patron d’Alquist est persuadé que l’impression 3D va devenir la première méthode de constructions des habitations d’ici 2027 (Voir Singularity Hub). Les maisons qui seront proposées à la vente par Alquist comportent trois chambres et deux salles de bains. Elles sont principalement destinées à la classe moyenne américaine, qui peine de plus en plus à trouver des logements abordables, mais néanmoins spacieux et confortables. Concrètement, ces maisons seront construites par des imprimantes 3D géantes, qui vont empiler des couches régulières de béton. Pour le moment, seuls les murs extérieurs de la maison peuvent être ainsi imprimés en 3D, le reste doit toujours être construit de façon traditionnelle. Alquist a choisi des machines NEXCON de Black Buffalo 3D. Ces imprimantes géantes, de type portique, peuvent créer des structures jusqu'à trois étages. Leur vitesse maximale est limitée, pour l’instant, à 25 cm d’impression par seconde et 12 heures de fonctionnement continu. Zack Mannheimer, le PDG d’Alquist, affirme cependant que cela économise déjà beaucoup de temps : avec la technique d’impression 3D, les murs extérieurs d’une maison de 120m2 peuvent être construits en seulement une journée. Cette économie de temps permettrait une économie financière d’environ 15 %.

Les Etats-Unis sont confrontés à une grave crise du logement. En 2020, le prêteur hypothécaire Freddie Mac a estimé la pénurie à 3,8 millions de logements. Cette situation de tension immobilière résulte à la fois du manque de main-d'œuvre, de problèmes de la chaîne d'approvisionnement et des coûts des matières premières qui flambent. En septembre dernier, la production de la première maison imprimée en 3D, comportant plusieurs étages et associant bois et béton, a commencé à Houston (Texas). Cette maison qui intègre également une ossature bois dans une nouvelle conception a été imaginée par Leslie Lok et Sasa Zivkovic, professeur d’architecture au College of Architecture, Art and Planning (AAP) et co-directeur du bureau d’études HANNAH (Voir Wevolver).

Les concepteurs de ce nouveau procédé bois et béton entendent démontrer, en employant cette technique innovante, que les processus de construction innovants peuvent être étendus à de multiples usages pour remédier à la pénurie de logements qui devient de plus en plus grave outre-Atlantique. Ces habitations reposent sur une conception hybride, articulant des éléments structurels composés de béton imprimé en 3D à une charpente en bois classique. Cette première maison de Houston, qui espère faire école, disposera de trois chambres, de trois salles de bains, d’un garage pour deux voitures, et d’une cheminée. Le tout sur une surface totale de 370 m2. L’imprimante utilisée pour fabriquer ces maisons hors normes est à la démesure de ce projet ; elle mesure 18 mètres de long sur 10 mètres de large et 10 mètres de hauteur. Selon ses concepteurs, ce type de construction cumule tous les avantages. Elle est moins chère, dix fois plus rapide à réaliser et ne nécessite que quatre ouvriers.

Toujours aux Etats-Unis, il a quelques semaines, des chercheurs de l’Université du Maine et du Oak Ridge National Laboratory aux États-Unis ont présenté la BioHome3D. La première maison imprimée en 3D, entièrement recyclable, fabriquée à partir de produits forestiers tels que des bio résines locales ou de la fibre de bois (Voir The University of Maine). Pour la construction de la BioHome3D, les chercheurs ont remplacé les matériaux classiques (ciment, béton, mortier) par une matière composite constituée de fibres de bois et de résines naturelles provenant des industries et exploitations forestières locales. Le Dr Habib Dagher, directeur général de l’Advanced Structures and Composites Center de l’Université du Maine, souligne que : « La BioHome3D a été imprimée, y compris les sols, les murs et le toit. Les biomatériaux utilisés sont 100 % recyclables, de sorte que nos arrière-petits-enfants pourront recycler entièrement le BioHome3D ». Pour fabriquer cette maison entièrement recyclable de 57 m2, les chercheurs de l’Université du Maine ont utilisé l’imprimante 3D « Record », qui a déjà fait ses preuves en assurant la construction du plus grand bateau imprimé en 3D au monde. Les chercheurs à l’origine de cette maison BioHome3D ont créé quatre modules différents qui peuvent être assemblés et mis en place en moins d’une journée, installation de l’électricité comprise. 

En France, Purial Novilia, une société du groupe Action Logement, implantée dans le Grand Est et en Ile-de-France, vient d'inaugurer à Reims, dans un nouvel écoquartier (Réma'Vert), les cinq premières maisons entièrement réalisées en combinant l'impression 3D béton et des éléments préfabriqués. Ce projet, baptisé "Viliaprint", associe XtreeE, jeune entreprise francilienne en pointe dans l'impression 3D, le cabinet Coste Architectures, le cimentier Vicat, et l'entreprise de construction Demathieu Bard. Là encore, l’impression 3D a montré qu’elle pouvait apporter quatre avantages décisifs dans ce domaine de la construction d’habitations : la réduction du temps de construction, la diminution sensible de la consommation de matière et de l’empreinte carbone (de l’ordre de 50 %), la réduction des coûts et enfin, la possibilité d'aller plus loin en matière de créativité architecturale.

En 2021, Saint-Gobain a présenté à Eindhoven, aux Pays-Bas, sa première maison entièrement réalisée en béton imprimé 3D. Cette construction du futur a été réalisée par sa filiale néerlandaise Weber Beamix, qui a développé des mortiers spéciaux utilisables en impression 3D. Cette habitation de 94 m2, en forme de rocher, allie l’esthétique des formes et la fonctionnalité.

Il y a quelques jours, plusieurs entreprises françaises ont uni leurs forces pour accélérer la généralisation de l’impression 3D en béton, dans le secteur de la construction. Il s’agit de OB Groupe, spécialiste de l’aménagement urbain, ainsi que Chapsol et Sotubema, deux acteurs historiques des travaux publics. Ensemble, ils ont créé Carsey 3D pour tenter d’industrialiser l’impression 3D dans le domaine du bâtiment. L’idée est d’apporter des solutions techniques à la réalisation d’ouvrages complexes, en particulier dans les travaux publics. Le groupe utilise une imprimante à portique fabriquée par le groupe LCA. L’encre est fournie par le géant de la chimie du bâtiment Sika. Elle est composée d’un micro-béton fibré suffisamment fluide pour être acheminé jusqu’à la tête d’impression. Grâce au recours à un activateur chimique, il devient possible de maîtriser le temps de prise, ce qui permet notamment de réaliser sur mesure des pièces aux courbes complexes, à une vitesse-record de 1 m/s.

En septembre 2021, la ville néerlandaise de Nimègue a inauguré l’un des ponts imprimés en 3D les plus longs pour les cyclistes. Cet ouvrage mesure 29 mètres et a été fabriqué dans le centre d’impression 3D de Saint-Gobain, Weber Beamix, qui intègre plusieurs bras robotisés BAM. Cette structure d’une taille impressionnante a pu être réalisée grâce à l’utilisation d’un nouveau logiciel de conception paramétrique qui permet d’optimiser l’emploi des matériaux et les temps d’impression, en fonction des contraintes et charges spécifiques de cet ouvrage. A l'occasion des JO de 2024, une passerelle en béton imprimée en 3D, unique en France verra le jour à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Destinée aux piétons, elle mesurera 40 m de long et permettra de franchir le canal Saint-Denis. Ce projet a été choisi dans le cadre d'un partenariat d'innovation qui associe Freyssinet, XtreeE, Lavigne & Chéron Architectes, Quadric, et LafargeHolcim.

Combinant de manière ingénieuse nouveaux matériaux, robotique, outils numériques et IA, l’impression additive pourrait bien s’imposer dans la construction de maisons individuelles d’ici dix ans, en proposant des habitations à la fois sur mesure, durables, confortables, moins chères et à faible empreinte environnementale et climatique. A plus long terme, cette technique novatrice prendra également une place de plus en plus en plus grande dans la réalisation d’immeubles entiers et d’ouvrages d’arts, tels que les ponts et passerelles. Ce remarquable exemple de diffusion technologique non prévu montre à quel point il est important de favoriser et de décloisonner la créativité scientifique et industrielle, si nous voulons continuer à améliorer notre qualité de vie, dans le cadre d’une nouvelle économie circulaire, durable et respectueuse du climat…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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