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Edito : L'Europe doit prendre toute sa part à la conquête lunaire qui s'annonce...
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En décembre dernier, la mission Artémis I, dont l’objectif final est d’installer une présence humaine permanente sur la Lune, s’est terminée sur un éclatant succès. Après une succession de reports, la mission Artémis I avait réussi à quitter la Terre le 16 novembre 2022 grâce au Space Launch System (SLS), le nouveau lanceur géant de la Nasa. Après une odyssée de 25 jours autour de la Lune, la capsule Orion a achevé son périple par un retour impeccable dans l’océan Pacifique, le 11 décembre dernier.
Cette première grande phase du programme Artémis est incontestablement une réussite pour les américains, mais aussi pour leur partenaire européen. Bien que la mission Artémis I soit essentiellement américaine, elle comporte un volet européen important : le module de service européen qui est un élément-clé d’Orion, chargé notamment de gérer le système de propulsion pour transporter l’équipage autour de la Lune. La Nasa prépare déjà Artémis II et Boeing s’apprête à livrer un nouveau lanceur non réutilisable, le Launch System. L’Europe, pour sa part, a déjà livré le deuxième module de service depuis 2021. Il est destiné à Artémis II. L’Agence spatiale européenne est par ailleurs en train de préparer les troisième et quatrième modules pour les futures missions lunaires.
La prochaine étape décisive de ce programme sera bien sûr Artémis II. Prévue pour la fin 2024, elle doit permettre de réitérer le vol d’Artémis I, en suivant la même trajectoire, mais avec un équipage à bord, ce qui change tout. Les quatre astronautes tourneront autour de la Lune, sans toutefois s’y poser, pendant une durée de trois semaines. On connaît, depuis le 3 avril dernier, le nom de ces heureux élus : parmi eux, on trouve pour la première fois une femme, Christina Koch, une ingénieure qui détient le record du plus long vol féminin spatial continu. Elle sera entourée de Victor Glover, premier astronaute afro-américain jamais désigné pour une mission lunaire. Les deux autres membres de l’équipage sont Jeremy Hansen, premier Canadien à avoir été choisi pour un vol vers la Lune, en tant que spécialiste de mission, et Reid Wiseman, vétéran de la Station spatiale internationale, nommé commandant de la mission Artemis II.
Si cette mission Artemis II se déroule bien, l’étape suivante sera Artémis III, qui devrait voir, en 2025, le grand retour de l’exploration humaine de notre satellite, 53 ans après la dernière mission habitée sur la Lune en 1972. La Nasa a sélectionné treize régions potentielles pour cet alunissage, toutes situées près du pôle Sud de la Lune. Une zone qui a été choisie en raison notamment de la présence d’eau sous forme glacée ou moléculaire susceptible d’être exploitée pour abreuver les astronautes et la production de carburant pour les fusées.
Dans cette perspective, une étude conduite par la Nasa et l’USRA (Universities Space Research Association) vient de dresser la toute première carte de la répartition de l’eau sur la Lune en fonction de la topographie. Elle a été réalisée en exploitant les données de l’Observatoire stratosphérique pour l’astronomie infrarouge Sofia (Stratospheric Observatory for Infrared Astronomy), un télescope installé à bord d’un Boeing 747SP qui a été utilisé de 2014 à 2022. Sofia a détecté la signature lumineuse de l’eau à une longueur d’onde de six microns, ce qui correspond à une échelle moléculaire. Ce télescope infrarouge d’une extrême sensibilité a confirmé la présence d’eau au pôle Sud de la Lune. Il a également permis d’établir qu’il y avait environ 340 grammes d’eau par mètre cube de sol lunaire.
Il y a quelques jours, une étude chinoise a fait sensation en confirmant la présence d’une grande quantité d’eau sur la Lune. Ces recherches ont analysé les premiers échantillons de sol lunaire renvoyés sur Terre depuis les années 1970 et elle lève une partie du mystère concernant les formes de stockage de l'eau sur la Lune, notamment dans les régions situées en dehors des pôles lunaires. Les scientifiques pensaient depuis longtemps que pour maintenir un cycle de l'eau à la surface de la Lune, il doit y avoir, sous une forme ou sous une autre, un réservoir en profondeur dans le sous-sol lunaire. Mais ils n’avaient jamais réussi à identifier ce réservoir jusqu’à présent. Dans cette étude, les chercheurs chinois ont travaillé sur les billes de verre formées lors de l'impact d'astéroïdes. Ils ont découvert que ces petits grains contiennent des quantités importantes d'eau. L’échantillon de sol lunaire analysé pour cette étude a été collecté par la mission chinoise Chang’e-5, qui a effectué un alunissage dans la région nord-ouest de la Lune en 2020 et a ramené des échantillons de régolithe.
À partir de ces échantillons, des chercheurs chinois ont sélectionné 150 grains à étudier, d'une taille allant d'environ 50 micromètres - ou la largeur d'un cheveu humain - à environ 1 millimètre. Selon leurs conclusions, ces perles de verre peuvent se remplir d'eau lorsqu'elles sont frappées par les vents solaires, qui transportent l'hydrogène et l'oxygène de l'atmosphère du Soleil à travers le système solaire. Ainsi, plus de 200 milliards de litres d'eau seraient stockés sur la Lune (Voir Nature geoscience).
Le futur rover Viper (Volatiles Investigating Polar Exploration Rover) de la Nasa, qui doit se poser au pôle Sud de la Lune fin 2024 pour une mission de 100 jours, devrait pouvoir permettre aux scientifiques d’en apprendre d’avantage sur ce cycle de l’eau lunaire, encore bien mal connu. Equipé de trois spectromètres et d’une foreuse de 1 mètre, il aura pour tâche de chercher de la glace et d’autres ressources potentiellement exploitables.
Mais le rover de la Nasa, c’est une première, devra affronter un concurrent privé. L’entreprise californienne Venturi Astrolab vient en effet d’annoncer il y a quelques jours un accord de coopération avec SpaceX pour transporter sur la Lune son rover Flexible Logistics and Exploration (Flex). Présenté comme « le rover le plus grand et le plus performant de l'histoire des véhicules lunaires », le Flex annonce une masse combinée de plus de deux tonnes. L’engin muni de quatre roues pourra transporter deux astronautes ou être piloté à distance. Venturi Astrolab met en avant sa conception modulaire qui repose sur un bras robotisé à six degrés de liberté qui pourra manipuler des charges utiles et des instruments (Voir business wire). L’idée est que ce rover soit le premier du genre évolutif et modulaire et s’adapte à différentes missions au fil du temps en recevant de nouveaux équipements. Venturi Astrolab compte proposer les services de Flex à des agences spatiales, mais aussi à des opérateurs privés pour des missions scientifiques ou commerciales.
Mais avant une hypothétique exploitation des ressources lunaires, notre satellite naturel va être utilisé à des fins scientifiques, en raison de ses caractéristiques incomparables pour l’observation de l’espace. Fin 2025, le radiotélescope Lunar Surface Electromagnetics Experiment-Night ou LuSEE-Night, sera mis en place sur la face cachée de la Lune. La mission de cet engin de haute technologie sera de capter le signal radio des « âges sombres », une période-clé des débuts de l’univers, située entre 400 000 et 400 millions d’années environ après le Big Bang. Jusqu'à présent, les astrophysiciens, pour comprendre les premières phases de l’Univers, n’avaient comme référence que le fameux fond diffus cosmologique. Mais la détection de signaux provenant de l’Age Sombre pourrait leur permettre d’avancer dans la connaissance des débuts du Cosmos, et si les prédictions basées sur les deux références ne se révélaient pas en accord, cela signifierait que l’actuel modèle cosmologique est à revoir… (Voir Space).
Si la face cachée de la Lune a été choisie pour accueillir cet équipement très attendu des scientifiques, c’est parce qu'elle offre un silence radio exceptionnel, et suffisant pour ne pas perturber l'extrême sensibilité des instruments de LuSEE-Night, comme ce serait le cas sur la Terre, qui baigne en permanence dans une multitude de champs électromagnétiques provoquées par nos télécommunications.
Le moins qu’on puisse dire est que ce radiotélescope devra affronter de rudes conditions sur la Lune, avec des températures qui fluctuent entre 121 et moins 173 degrés Celsius, du fait du cycle jour/nuit qui alterne 14 jours d’obscurité et 14 jours de lumière solaire intense. Il va donc falloir que le radiotélescope soit capable de se refroidir dans l’environnement de vide lunaire durant la période diurne, puis d’affronter l’obscurité, grâce à des batteries très performantes. Cet équipement de pointe sera muni de quatre antennes de trois mètres de long et d’un spectromètre. Ce dernier se chargera de séparer les fréquences radio et de transformer les signaux en spectres, un peu à la manière d’un récepteur FM, en captant les signaux radio dans une bande de fréquence similaire.
Pour préparer la mission spatiale habitée Artemis 3 en 2025, puis l’installation d’ici 2030, d’une première base lunaire permanente, les américains doivent relever simultanément de multiples défis. Le premier concerne l’installation d’un système de communication lunaire fiable et à haut débit. Cette tâche essentielle a été confiée à Nokia, qui entend démontrer que les réseaux de communication LTE (l'équivalent de la 4G) peuvent fonctionner aussi bien sur la Lune que sur la Terre. Les équipements nécessaires seront durcis pour résister aux radiations et seront acheminés via un lanceur de SpaceX. La station de base alunira ensuite à l'aide d'un atterrisseur dédié. Elle sera par ailleurs accompagnée d'un rover, un petit véhicule d'exploration lunaire. Une fois sur place, le réseau se configurera automatiquement. Ce système de communication sophistiqué devra être opérationnel avant que les trois astronautes de la mission Artemis 3 ne débarquent sur la Lune. Il jouera également un rôle-clé plus tard, lors de la construction de la future base lunaire.
Pour pouvoir résister dans le temps au niveau élevé de radiations, aux températures extrêmes et à d’éventuels impacts de météorites, cette base lunaire devra être d’une conception parfaite et d'une solidité à toute épreuve. Mais, dans un premier temps, la NASA compte utiliser le vaisseau comme base spatiale pour les premières missions, sans oublier un rover comme moyen de déplacement, pour explorer les différentes régions lunaires.
S’agissant du défi majeur que représente la construction de la base lunaire elle-même, rien n’est encore tranché à ce stade et la NASA explore plusieurs options techniques, qui pourront d’ailleurs se combiner. On peut, par exemple, imaginer que certains modules soient préfabriqués sur Terre, puis acheminés sur la Lune. Ils constitueraient le "noyau dur" de la base, autour duquel viendraient se greffer progressivement d’autres extensions, fabriquées sur place, en utilisant les roches et la poussière lunaires. Dans cette perspective, l’ESA travaille sur une technique qui repose sur un miroir et une série de lentilles afin de d’utiliser la lumière du soleil sur la poussière pour la faire fondre. Le matériau ainsi obtenu pourrait alors être utilisé par une imprimante 3D géante qui créerait les épaisses structures de protection de cette base.
Reste que, pour pouvoir tourner à plein régime et réaliser ses multiples missions, cette base lunaire devra également disposer d’une source fiable, autonome et puissante d’énergie, en plus des panneaux solaires habituels. L’agence spatiale du Royaume-Uni s'est associée avec Rolls-Royce, afin de mettre au point un microréacteur nucléaire capable de subvenir aux besoins énergétiques d’une telle base lunaire.
Si les Etats-Unis déploient de tels moyens pour retourner sur la Lune et y installer le plus rapidement possible une base permanente, ce n’est pas seulement parce que la Lune constitue un laboratoire incomparable pour faire avancer les recherches dans de multiples domaines, astrophysique, nous l’avons vu, mais aussi énergie, matériaux, et biologie. Derrière la puissance américaine se profile en effet l’ombre du géant chinois, qui, en 15 ans, a rattrapé son retard spatial et a enchaîné d’impressionnants succès, notamment avec les missions Change’4 (2019) -premier alunissage sur la face cachée de la Lune, et Change’5 (2020) qui a permis à la mission automatique chinoise de ramener sur Terre, en seulement trois semaines, des roches lunaires.
Fort de ses succès et conscient du coup d'accélérateur américain pour conquérir la Lune, Pékin vient de bousculer son propre calendrier et d’annoncer, il y a quelques jours, que des Chinois poseraient le pied sur la Lune en 2029, une date hautement symbolique, qui correspond au 80ème anniversaire de la fondation de la République. L’Agence spatiale chinoise a précisé qu’elle comptait envoyer trois taïkonautes autour de la Lune et que deux d’entre eux devraient y débarquer. La Chine poursuit également activement le développement de sa station internationale de recherche lunaire (ILRS), une station automatique, dont le premier module doit être mis en service en 2028 (Chang'e 8), et qui devrait être achevée à l'horizon 2035. Cette station lunaire ILRS sera la dernière étape avant la construction par la Chine d’une base lunaire habitée.
Face à cette compétition acharnée entre les USA et la Chine pour la conquête lunaire, les ambitions européennes, disons le franchement, paraissent bien modestes. L’ESA se contente pour l’instant d’une collaboration avec la NASA, notamment pour la fourniture de certains équipements scientifiques et dans le cadre du programme d’utilisation de ressources in situ ISRU, qui a pour objectif d’apprendre à extraire et utiliser les ressources naturelles disponibles à la surface de la Lune, roches, eau, oxygène et hydrogène.
Le 23 mars, un groupe d’experts mandaté par l’Agence Spatiale Européenne a publié son rapport sur l’état de l’exploration spatiale européenne. Le HLAG (groupe consultatif de haut niveau) a cependant publié un rapport fort instructif, appelant à un véritable sursaut européen en matière de conquête lunaire (Voir ESA).
Dans ce rapport intitulé “La révolution de l’espace : la mission de l’Europe en matière d’exploration spatiale”, le HLAG souligne que l’exploration humaine de l’espace est entrée dans une nouvelle phase décisive et que l’Europe ne peut absolument pas se permettre de rater cette révolution scientifique et industrielle qui sera, dans la seconde moitié de ce siècle, déterminante dans l’affirmation de la puissance économique et géopolitique des états.
Il serait en effet dramatique pour l’avenir de notre continent, qui maîtrise pourtant les technologies spatiales, de se laisser distancer dans cette course majeure et de ne pas lancer rapidement son propre programme spatial autonome, visant à envoyer des hommes sur la Lune et à y installer une base permanente. Il faut en effet bien comprendre qu'au-delà des enjeux scientifiques, technologiques et économiques considérables de cette conquête de la Lune, se dessine, à plus long terme, la perspective de l’exploration et de la conquête de Mars, seule planète potentiellement habitable de notre système solaire… L’Europe doit donc sans tarder concevoir et lancer un programme ambitieux et global, pensé pour se dérouler sur l’ensemble de ce siècle et visant à devenir un acteur majeur et autonome de la conquête spatiale, qui s’inscrit de manière inéluctable dans le destin de l’humanité.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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