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Edito : Face au réchauffement climatique et à la pollution mondiale, le nucléaire est-il l’ennemi absolu ?

Au niveau mondial, on estime que la part du nucléaire représente un peu plus de 5 % de la consommation globale d’énergie et  environ 11 % de la consommation mondiale d'électricité en 2012 (soit 2 350 TWh).

Même s’il est vrai que cette part, après être montée à 16 %, est retombée à son niveau de 1999, en raison du gel ou du ralentissement des projets consécutif à la catastrophe de Fukushima, en mars 2011, il n’en demeure pas moins que la production électronucléaire mondiale représente encore, en valeur absolue, une quantité considérable d’énergie : à titre de comparaison, les 2 350 TWH par an produit par le nucléaire mondial représentent cinq fois la consommation électrique annuelle totale de la France !

En matière d’énergie, les choses ne sont jamais simples et l’exemple allemand est là pour nous le rappeler. En 2011, le gouvernement allemand décidait la sortie définitive du nucléaire, une décision qui va obliger l’Allemagne à accélérer considérablement le rythme de développement, déjà très soutenu des énergies renouvelables, principalement l’éolien et le solaire.

En 2013, on estime que l’Allemagne produit déjà 23 % de son électricité à partir des différentes énergies renouvelables mais, en raison du cadre législatif allemand qui garantit sur le long terme le prix d’achat des énergies renouvelables aux producteurs, la facture moyenne de ces énergies ne cesse de s’alourdir depuis quelques années, surtout pour les ménages.

En Allemagne, la facture moyenne annuelle d’électricité d’une famille est ainsi passée de 488 à 1006 euros entre 2000 et 2013 et aujourd’hui, pour un foyer allemand moyen de quatre personnes, le surcoût, lié à la taxe en faveur des énergies renouvelables, est estimé à plus de 200 € par an et devrait passer à 250 € dès l’an prochain.

Si l’on compare à présent le prix de l’électricité pour les consommateurs dans les différents pays de l’Union européenne, on constate qu’il existe un écart considérable entre les pays, en fonction de leurs choix énergétiques. C’est ainsi qu’en France le prix de l’électricité reste l’un des plus bas d’Europe avec 14,5 centimes TTC du KWh, contre 18,4 en moyenne dans l’Union européenne et 26 centimes pour l'Allemagne…

Le paradoxe de cette transition énergétique allemande est qu’elle ne se traduit pas pour autant par une réduction massive des émissions allemandes de CO2. Celles-ci, en dépit de la montée en puissance des énergies renouvelables, après avoir diminué de 3 % en 2011 (pour atteindre tout de même 917 millions de tonnes par an) ont même augmenté outre-Rhin de 2 % en 2012 !

La raison de cette situation est assez simple : le cours du charbon mondial est tombé à un niveau historiquement bas et les producteurs d’énergie se détournent des centrales à gaz, performantes mais chères, et ouvrent à tour de bras de nouvelles centrales à charbon, beaucoup moins coûteuses mais bien plus polluantes et désastreuses pour le climat.

Rappelons que la production mondiale de charbon a augmenté de 40 % au cours des 10 dernières années et que le charbon, sera, d’ici cinq ans, devenu la première source mondiale d’énergie, devant le gaz et le pétrole !

Bien que cette vérité ne soit pas souvent rappelée, un Allemand émet aujourd’hui 11,5 tonnes de CO2 par an, contre seulement 6 pour un Français ! La différence est tout simplement considérable puisqu’elle varie presque du simple au double.

Quant au coût global réel de sortie du nucléaire en Allemagne, il s’annonce pour le moins abyssal et varie dans une fourchette qui va de 150 milliards d’euros (selon RWE) à…1 700 milliards d’euros, selon une récente estimation du groupe Siemens qui prend en compte non seulement le coût de substitution à l’énergie nucléaire mais également le coût de démantèlement des centrales nucléaires et les investissements nécessaires à l’adaptation du réseau électrique aux énergies renouvelables.

En France, pays européen qui se distingue en produisant les trois quarts de son électricité à partir de l’énergie nucléaire, le gouvernement a annoncé en 2012 sa décision de réduire la part du nucléaire dans la production nationale électricité de 75 % à 50 % d’ici 2025.

Si cette réduction peut sembler raisonnable, exprimée en pourcentage, on semble avoir oublié qu’en valeur absolue elle s’élève tout de même à 134 TW heure par an (soit pratiquement l’équivalent de la consommation totale d’électricité des foyers français), ce qui représente 17 fois la production électrique annuelle actuelle du parc éolien français !

Le dernier rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), publié le 11 septembre dernier (Voir Assemblée Nationale) s’interroge d’ailleurs sur le réalisme du calendrier de cette forte réduction de la part du nucléaire dans notre production électrique et rappelle à juste titre la nécessité de définir une « trajectoire raisonnée » dans la réduction de la part du nucléaire, afin de prendre en compte les réalités technologiques, industrielles, économiques et sociales qui conditionnent une telle décision politique.

Au niveau mondial, une étude mérite d’être évoquée, celle publiée il y a quelques semaines dans la revue « environnement sciences et technologies » par deux climatologues mondialement réputés, Pushker Kharecha, et James Hansen et intitulée « L’impact de l’énergie nucléaire sur la prévention de la mortalité produite par les émissions de gaz à effet de serre » (Voir American Chemical Society).

Cette étude très sérieuse visait à évaluer les avantages pour la planète, en termes d'émissions de gaz à effet de serre et de mortalité globale, de l'utilisation de l'énergie nucléaire par rapport à l'ensemble des énergies fossiles.

Dans cette étude de 13 pages, intitulée "Analyses prospectives de la mortalité et des émissions de gaz à effet de serre liées à l'utilisation d'énergie nucléaire", les deux scientifiques rappellent que l'augmentation considérable des émissions de CO2 (qui ont été multipliées par 10 depuis un siècle) a porté la concentration de CO2 dans l'atmosphère à un niveau sans précédent depuis au moins 800 000 ans - 400 ppm - . Aujourd'hui, le stock de carbone présent dans l'atmosphère s’élève à 830 gigatonnes dont au moins le quart provient de l'utilisation des énergies fossiles.

Ce travail a essayé d'évaluer le plus rigoureusement possible, en partant de l'ensemble des données disponibles, l'impact réel de l'utilisation d'énergie nucléaire depuis sa création, en matière d'environnement et de santé humaine.

Cette étude montre que, même en prenant en compte les accidents nucléaires, cette énergie a évité au bas mot 1,8 million de décès dans le monde depuis 40 ans. Selon ces recherches, l'utilisation de l’énergie nucléaire a permis d'éviter bien plus de décès qu'elle n'en a provoqués.

Ce travail confirme également que l'énergie nucléaire a globalement permis d'économiser en moyenne l'émission nette de 64 gigatonnes d'équivalent CO2 depuis 40 ans, ce qui correspond à deux années d'émissions mondiales de CO2 (au niveau de 2012) ou encore à sept années d'émissions européennes de carbone (valeur 2012). Ce sont ainsi plusieurs centaines de centrales thermiques au charbon, très polluantes et fortement émettrices de CO2, que l’utilisation de l’énergie nucléaire a permis d’éviter, indiquent Pushker Kharecha et James Hansen.

Cette étude souligne également qu’une sortie totale du nucléaire au niveau mondial risquerait de provoquer une mortalité supplémentaire de 420 000 à 7 millions de personnes et se traduirait par une augmentation sensible des émissions humaines de CO2, ce qui risquerait de faire basculer le réchauffement climatique au-delà de la limite des 2°C considérée comme le seuil tolérable.

En conclusion, Pushker Kharecha et James Hansen considèrent que « L'énergie nucléaire, malgré les différents défis qu'elle pose, doit continuer à être utilisée dans la production globale d'électricité afin de réduire les conséquences catastrophiques que pourrait avoir un réchauffement climatique incontrôlable ».

Il faut en effet rappeler, en supposant que la consommation électrique mondiale reste à son niveau actuel, ce qui est peu probable, compte tenu du fort développement économique en Asie (l'AIE prévoit au contraire une augmentation de la consommation mondiale d'électricité de 70 % d'ici 2030), que la substitution de la production électronucléaire mondiale actuelle par des centrales utilisant les énergies fossiles (gaz et charbon à parité), entraînerait au bas mot une augmentation annuelle des émissions mondiales de CO2 de 500 millions de tonnes, équivalent d’environ 12 % des émissions de CO2 de l’Union européenne !

Et encore cette prévision d’augmentation des émissions de CO2 se base sur l’hypothèse d’une substitution pour moitié par centrales à gaz et pour moitié par centrales au charbon. Dans l’hypothèse probable où cette substitution se ferait essentiellement à l’aide de centrales au charbon, moins coûteuses mais deux fois plus émettrices de CO2 que les centrales à gaz, l’impact sur les émissions mondiales de CO2 serait encore plus catastrophique.

On peut bien sûr balayer les conclusions de cette étude d’un revers de main et en nier les résultats parce que ceux-ci sont dérangeants et ne vont pas dans le sens de l’opinion dominante. Ce travail rigoureux d’analyse, réalisé par des scientifiques à la réputation incontestable, doit cependant nous conduire à nous interroger sur la place que l’énergie nucléaire doit avoir dans le bouquet énergétique mondial au cours des prochaines décennies, si nous souhaitons réellement limiter de manière drastique les émissions humaines de CO2 liées à la production croissante d’électricité au niveau planétaire.

Sans nier ou minimiser le moins du monde la dimension tout à fait particulière de l’énergie nucléaire qui comporte effectivement des risques spécifiques et pose des problèmes considérables de gestion, notamment en matière de retraitement et de stockage des déchets radioactifs à très longue durée de vie, nous devrions peut-être commencer à admettre que cette énergie s’est avérée, depuis son origine, globalement bien moins nocive, en termes de mortalité réelle et d’impact sur le climat, que l’ensemble des énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole), dont l’utilisation massive entraîne chaque année plusieurs millions de décès (directs et indirects) dans le monde et accélère le réchauffement climatique.

Sait-on par exemple qu’en Chine, on estime qu’au moins 700 000 personnes décèdent chaque année des suites de la pollution provoquée par l’utilisation intensive des centrales à charbon et qu’en Europe, selon une étude de l’Université de Stuttgart publiée en 2012, les 350 centrales thermiques en service entraîneraient le décès prématuré d’au moins 25 000 personnes par an !

Une autre étude scientifique publiée dans le Lancet fin 2012 estime pour sa part que la pollution, au niveau mondial, principalement liée à l’utilisation des énergies fossiles dans les transports et l’industrie, est responsable d’environ 3,2 millions de décès par an et qu’elle est à présent devenue, si l’on additionne les effets de la pollution atmosphérique à ceux de la pollution intérieure, la deuxième cause planétaire de mortalité, juste derrière l’hypertension artérielle !

Le temps est venu de regarder ces réalités en face et de sortir de nos visions réductrices, souvent guidées par des cadres idéologiques, simplistes et dépassés.

Au lieu de succomber aux incantations et aux idées reçues, nous devons nous poser la question de savoir si une sortie rapide du nucléaire, au niveau mondial comme au niveau national, est vraiment possible, compte tenu de la nécessité de réduire dès à présent très rapidement nos émissions de CO2 liées à la production électrique (un objectif qui va être très difficile à atteindre même en imaginant une forte montée en charge des énergies renouvelables dans la production électrique) et de ne pas augmenter la pollution et l’impact sur l’environnement déjà considérable, liés à l’utilisation accrue des énergies fossiles, notamment depuis le décollage de la production mondiale de gaz de schiste et de pétrole non conventionnel.

Même si cet objectif de sortie totale du nucléaire au niveau mondial peut apparaître comme souhaitable et nécessaire pour de multiples raisons scientifiques, techniques mais également sociales et morales, l’arrêt complet de la production d’énergie nucléaire me semble tout simplement impossible à court et moyen terme, compte tenu de l’évolution démographique mondiale, de l’explosion de la demande mondiale en énergie, du grand virage énergétique marqué par l’irruption de nouvelles sources d’énergie fossile et bien entendu de la nécessité absolue de réduire au moins de moitié nos émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2050.

Qui peut en effet sérieusement croire, en dépit de la progression réelle et nécessaire des énergies renouvelables et des progrès en matière d'efficacité énergétique, que la consommation mondiale d'énergie et d'électricité va comme par magie se ralentir ou se stabiliser dans les années à venir alors que la population mondiale va augmenter de plus de 2 milliards d'habitants d'ici 2050 et que, partout sur la planète, de vastes régions, en Asie, en Amérique du Sud mais également -et cela est nouveau- en Afrique, sont en train de sortir du sous-développement et connaissent un  rythme de croissance économique bien supérieur à la moyenne mondiale.

Si nous considérons que la question du réchauffement climatique constitue bien le défi majeur et prioritaire que doit relever à tout prix l’Humanité, alors nous devons faire preuve de réalisme et intégrer, au moins comme énergie de transition, l’énergie nucléaire comme l’un des facteurs qui permettra, en dépit de tous les problèmes qu’il peut entraîner, d’éviter un basculement climatique catastrophique au cours de la deuxième partie de ce siècle.

Confucius aimait à dire que « Quand le sage désigne la Lune, l’idiot regarde le doigt ». Par cette maxime, il voulait faire comprendre à ses contemporains que, lorsqu’ils sont confrontés à une situation nouvelle, ils doivent sortir de leurs carcans mentaux, dépasser leurs préjugés et combattre leurs idées reçues pour appréhender cette situation inédite dans toutes ses dimensions et trouver des solutions appropriées.

Telle est, me semble-t-il, l’attitude que nous devons avoir pour considérer les dangers mais également les potentialités de l’énergie nucléaire, dans la perspective de l’échéance intangible du changement climatique mondial qui doit être notre priorité absolue et guider l’ensemble de nos choix énergétiques, économiques et politiques.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • zelectron

    20/09/2013

    Plutôt que de gaspiller des sommes vertigineuses EDF doit s'entourer d'ingénieurs et de scientifiques y compris de toutes nationalités pour aller de l'avant (y compris pour démanteler les centrales hors d'âge) sinon dans une génération (c'est demain) nous allons avoir de très gros soucis, pour ne pas dire plus.

    Pour récupérer une grande partie de ses moyens EDF doit procéder à des licenciements importants, serrer ses contrats avec les tiers, chasser les passe-droits et autres facilités y compris à certaines "œuvres de charité".

  • Jacques Tesseire

    21/09/2013

    Confusius aurait dit... qu'il y avait plusieurs façons d'envisager de la fission nucléaire..., et que, paradoxalement la science (poussée à de fausses "performances rentables") s'est empressée de tester puis exploiter la filière la plus dangereuse en terme de déchets de longue "vie"...!§!

    Comme TEPCO, qui s'est empressée de faire des centrales au bord de l'eau..., alors que le site naturel initial aurait été 20 m plus haut...! Donc, Doc René, hors des tsunamis si entouré d'un mur de 10 m de haut... Tout cela pour quelques stupides ridicules économies de pompage !

    La conclusion qu'aurait Confusius est qu'une fois de plus...: l'humanité s'est précipitée sans prendre le temps de s'aligner intérieurement à sa part haute universelle pour demander les voies les plus sages, efficaces et saines à vivre (que celles-là) ; et de se les retourner effectivement au niveau quantique et multidimensionnel, elle seules de façon exclusivement littérale par essence !

    Dans sa précipitation "courante" de décideur ne prenant pas le temps; l'Allemagne s'est donc trompée elle aussi une fois de plus...!

    Mais, questionnons-nous sur le fond : l'ALL-MENT" n'est-il pas mondial avec nos vies statiques attendant des surcroîts immenses et impossibles d'énergies extérieures (sodas sucrés pour les obèses), au lieu de se bouger copieusement et sainement pour garder une santé autonome et responsable ?

    Voilà hélas, une fois de plus, avec trop de démissions à raccourcis technologiques sensés "faire la différence", ce que notre humanité refuse d'apprendre à dire venir : sa sécurité saine, lucide, vraie et optimale pour tout en gestion répartie, décentralisée des énergies naturelles déjà existantes : sols, eaux, végétations et bois en abondance, tout humus retenu en terrasses rizières à talus arborés !

    Alors, les moussons et cyclones démentiels viennent nous le rappeler, car l'esprit des choses, nos apprentissages terrestres les plus doux, sains, réussis, ne peuvent visiblement être séparés de l'ensemble !

    Il n'y a que les enfermés en viles villes à ne pas le voir, ni le croire !

  • Lel

    21/09/2013

    L'Allemagne souffre du délai trop court de la fermeture de ses centrales nucléaires, mais à long terme, elle sera gagnante. Reste qu'une suppression plus progressive est en effet souhaitable.

  • SIRIUS

    25/09/2013

    A long terme tout le monde fera du nucléaire parce qu'il n'y aura rien d'autre et que ses inconvénients ont été ridiculement exagérés par des politiciens de bas niveau. L'Allemagne passe au charbon, grand bien lui fasse ! Pour une fois qu'on est moins c... qu'eux. Et surtout, ne fermons pas Fessenheim, en parfait état de marche et de sûreté.

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