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Edito : Les énergies marines : une formidable chance pour notre pays !

Je reviens sur les récentes avancées technologiques, mais aussi politiques, qui vont faire de l’ensemble des énergies marines l’un des moteurs majeurs de la transition énergétique en cours pour sortir de l’ère des énergies fossiles et aller vers un Monde décarboné.

Boosté par les avancées techniques des machines, l’effondrement du prix du kWh marin et la maturité de l’éolien flottant, l’éolien marin connaît depuis quelques mois, partout dans le monde, une formidable accélération qui conduit les principaux organismes de prospection à réviser sans cesse leurs prévisions sur la part de cette énergie dans le futur. Rappelons que le potentiel énergétique de l’éolien marin est gigantesque, il dépasserait les 400 000 TWh par an selon les principales études sur le sujet, ce qui représente dix fois la production mondiale d’électricité prévue en 2040…

L’AIE estimait en 2019 que l’éolien offshore pourrait produire au niveau mondial près de 1 280 TWh en 2040, soit environ 3 % de la production globale d'électricité par an envisagée à cet horizon. Mais ces prévisions ont toutes les chances d’être dépassées, si l’on en croit l'Ocean Renewable Energy Action Coalition (OREAC), qui regroupe les acteurs majeurs de l'industrie éolienne offshore. Pour cette organisation, l’éolien marin pourrait couvrir 10 % de la consommation électrique mondiale en 2040, et assurer le cinquième des besoins mondiaux en électricité prévue par l’AIE au milieu de ce siècle…

L’Europe vient également, dans le cadre de son nouvel objectif de réduction de 55 % de ses émissions de CO2 adopté début décembre, de décider d’investir massivement dans l’éolien en mer afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle souhaite multiplier par cinq le nombre de turbines offshore d’ici 2030, et compte produire en 2050 trente fois plus d’énergies marines qu’elle n’en produit aujourd’hui. La commission a proposé de porter à 60 GW la capacité éolienne en mer d’ici 2030, et à 300 GW d’ici 2050. Ce nouvel objectif devrait permettre à l’UE de produire au moins 1500 TWH à partir de l’éolien marin en 2050, soit le tiers de la production électrique européenne envisagée à cette date.

En France, après des années de désintérêt et de tergiversations, l’Etat et les collectivités territoriales semblent, enfin, avoir pris conscience de l’immense potentiel marin de notre pays. Si l’on intègre les dernière décisions en la matière (le parc du Cotentin qui a été décidé le 5 décembre dernier et alimentera dans 3 ans 800 000 foyers en électricité), c’est au total, sept parcs éoliens qui devraient être construits d'ici 2026, ainsi que quatre fermes pilotes flottantes. Cette accélération de l’éolien marin devrait lui permettre de représenter environ 6 % de la production électrique nationale en 2030. C’est un premier pas encourageant pour notre pays, dramatiquement en retard dans ce domaine, mais, pendant ce temps, le Premier Ministre anglais, Boris Johnson, vient d’annoncer qu’en 2030, l’éolien marin sera en mesure de répondre à la demande en électricité de la quasi-totalité des foyers britanniques. Il est vrai que le seul parc géant de Dogger Bank, situé en Mer du Nord, produira, en 2026, 18 TWh d’électricité (l’équivalent de la production annuelle de deux gros réacteurs nucléaires), de quoi alimenter six millions de foyers anglais en électricité.

Le Royaume-Uni est bien décidé à exploiter toutes les potentialités de ses gisements d’énergie marine, et notamment l’énergie des courants et marées. Notre voisin britannique va construire dans l’estuaire de la Dee, au sud de Liverpool, une centrale marémotrice qui pourra fournir une électricité décarbonée à 82.000 foyers dès 2027. Pour ce projet, il est prévu de fermer l’estuaire par un barrage long de 6,7 km. Lors des marées montante ou descendantes, l’eau traversera huit turbines de 16 MW chacune, ce qui permettra de produire en moyenne 300 millions de KWH par an, de quoi alimenter 800 00 foyers en électricité. Rappelons qu’en France, l’usine marémotrice de la Rance, mise en service en 1966 par le Général de Gaulle, assure une production annuelle d’électricité propre de 500 millions de kWh.

Au niveau européen, l’énergie des marées connaît également un retour en grâce et l’Europe s’est engagée depuis quatre ans dans le projet FLOTEC, destiné à exploiter le potentiel énergétique des océans en utilisant des turbines flottantes marémotrices. C’est dans le cadre de ce projet qu’a été développée la nouvelle turbine marémotrice SR2000, la plus puissante au monde. Elle a été conçue pour être immergée dans toutes les eaux profondes d'au moins 25 mètres et sa plate-forme flottante contient deux turbines à axe horizontal situées juste au-dessous de la surface de la mer, de manière à pouvoir exploiter le plus efficacement possible les courants de marée. En situation réelle, cette turbine s’est montrée capable de générer plus de 18 MWh (mégawatt-heure) sur une période continue de 24 heures, une performance qui la met au même niveau que les éoliennes marines. L’Union européenne souhaite à présent parvenir à satisfaire 10 % de ses besoins énergétiques d’ici 2050 (soit environ 500 TWH par an), grâce à l'énergie des marées et des vagues.

Mais le nouveau moteur incontestable, qui est en train de faire exploser les potentialités énergétiques des mers et océans, est l’éolien flottant, enfin arrivé à maturité technique. Il est vrai que depuis ses débuts, il y a onze ans, en Norvège, l’éolien flottant a accompli des progrès énormes : la puissance des machines flottantes a été multipliée par quatre, pour atteindre 9,5 MW, et ces monstres des mers peuvent à présent être ancrés sur des fonds allant jusqu’à 300 mètres de profondeur, et résister à des vagues de 20 mètres de haut. Ainsi implantées bien plus loin du littoral que les éoliennes marines classiques, elles peuvent bénéficier de vents plus puissants et plus constants et produisent de 30 à 50 % d’énergie en plus en moyenne. Enfin, autre avantage important, leur impact visuel est considérablement réduit par rapport à leurs homologues situées plus près des côtes.

L’éolien flottant de grande capacité est probablement l’avenir de l’énergie éolienne ; il est également appelé à jouer, avec le solaire à haut rendement et le solaire organique, un rôle majeur dans la transition énergétique vers un monde décarboné. En Ecosse, le projet Hywind, qui sera terminé en 2022, préfigure cette révolution du flottant : il s’agira de la première ferme éolienne flottante de taille commerciale, équipée de onze machines flottantes de 155 mètre de haut et 8 MW de puissance. Ce parc permettra d’alimenter 80.000 ménages ; il sera complété par une méga-batterie lithium-ion d’un MWh qui peut stocker une partie de l’énergie produite.

Mais l’Europe veut aller encore plus loin et travaille, dans le cadre de la MEA - Marine Energy Alliance -, à la conception d’une unité flottante de production d’hydrogène en mer, à partir de l’éolien flottant. L’idée est de décupler d’ici 20 ans la production d’hydrogène vert, à partir des énergies marines, de façon à pouvoir utiliser à grande échelle cet hydrogène, soit directement comme carburant propre (pour les camions, trains et avions), soit pour produire de l’électricité non carbonée via des piles à combustibles, soit comme vecteur d’équilibre énergétique en le réinjectant à hauteur de 20 % dans les réseaux gaziers (Power-toGas).

Il y a quelques jours, Le groupe norvégien Equinor et l’allemand RWE ont annoncé qu’ils rejoignaient le projet NortH2 aux Pays-Bas, dans le cadre du plus grand projet de production d’hydrogène vert d’Europe, pour produire de l’hydrogène par électrolyse à partir de l’électricité générée par des éoliennes offshore en mer du Nord. Cet ambitieux projet a été lancé en début d’année par la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Shell, Groningen Seaports, Gasunie (infrastructures et transport de gaz) et la province de Groningue. Il prévoit de réaliser un réseau de parcs éoliens offshore, d’électrolyseurs, de stations de stockage du gaz et de pipeline pour convertir l’énergie éolienne en hydrogène vert, le stocker et l’acheminer vers les grandes régions industrielles de l’Europe. Le projet vise une capacité de production éolienne de 4 GW en 2030 et plus de 10 GW en 2040. Si cet objectif final est atteint, il permettra de réduire de dix millions de tonnes supplémentaires les émissions de CO2 de l’UE, l’équivalent des émissions annuelles de CO2 de la métropole de Lyon.

En France, quatre projets éoliens flottants « pilotes » viennent finalement d’être confirmés par le gouvernement français, pour une puissance installée totale de 103 MW : un en Bretagne et trois en Méditerranée (Gruissan et Leucate, dans l’Aude, et Faraman, dans les Bouches-du-Rhône). Ces trois parcs flottants seront équipés de machines très performantes d’une puissance allant de 8 à 9,5 MW et devraient fournir, à terme, environ 350 millions de kWh par an (0,36 TWH), de quoi alimenter 80 000 foyers en électricité.

Mais le potentiel énergétique récupérable des énergies marines est loin de se limiter à l’énergie éolienne et marémotrice ; il intègre également deux autres gisements bien moins connus et médiatisés et pourtant considérables, même si leur exploitation est encore peu développée : l’énergie houlomotrice (énergie des vagues) et l’énergie thermique des mers (ETM), qui représentent ensemble environ 76 000 TWH par an d’énergie récupérable, soit deux fois la production électrique mondiale prévue à l’horizon 2040…

Parmi les pays qui font le pari de développer l’énergie des vagues, au potentiel immense mais d’une exploitation techniquement difficile, on trouve l’Australie. Le Carnegie Wave Energy Project, installé dans la ville de Perth, teste la technologie CETO 5, mise au point par la société australienne Carnegie. Cette dernière a développé des générateurs d’électricité sous-marins conçus pour exploiter le potentiel d’énergie contenu dans le mouvement des vagues. Chaque générateur marin est assez puissant pour alimenter 1 000 foyers australiens en électricité. Financé par l’Agence australienne de l’énergie renouvelable (ARENA), ce dispositif est considéré comme le premier réseau de générateurs d’énergie houlomotrice au monde à être connecté à un réseau électrique.

Concrètement, le dispositif développé par Carnegie repose sur des bouées immergées et rattachées à des unités de pompage sous-marines. En se déplaçant, ces bouées produisent une pression hydraulique qui est transformée en énergie électrique dans une centrale terrestre. Le grand avantage du système, par rapport à l’éolien et au solaire, est qu’il n’est pas intermittent et peut produire de l’électricité de manière stable et régulière. Selon les experts, la ressource houlomotrice en Australie Occidentale est si importante qu’en généralisant l’emploi de ces générateurs, il serait possible de fournir à cet état australien dix fois l’énergie dont il a besoin.

Il faut également évoquer le projet Eco Wave Power, porté par une compagnie suédoise, qui a été primé par les Nations unies, il y a quelques mois. La grande innovation de ce système réside dans le fait qu’il n’utilise pas de bouées immergées et ne requiert pas de réseaux coûteux de transports d’énergie vers les côtes. Dans le projet Eco Wave Power, les modules de production d’énergie sont arrimés à la côte, sur des digues déjà construites, à l’interface de la terre et de l’eau. Cette technologie innovante et parfaitement respectueuse de l’environnement est expérimentée avec succès depuis quatre ans à Gibraltar et devrait fournir d’ici 10 ans 15 % des besoins en électricité de cette enclave britannique à un tarif compétitif (4,5 centimes euros le kWh).

En France, le projet HACE («Hydro Air Concept Energy »), développé depuis six ans par le chercheur Jean-Luc Stanek, est lui aussi très innovant, car il peut exploiter la houle légère et produire de l’électricité avec de petites vagues, d’une hauteur de 0,5 mètre à 2,5 mètres. Ce système repose sur la combinaison de modules dont le nombre peut varier en fonction de la puissance souhaitée. Cette technologie est particulièrement souple et peut être déployée presque partout, y compris sur un lac. La puissance installée peut également varier, selon les besoins, de 200 kW à 10 MW. Enfin, point décisif, cette solution est très compétitive, puisque le coût du kWh produit tourne autour de 5 centimes d’euros. En février 2019, le projet s’est vu décerner le prix de l’excellence par la Commission Européenne, dans le cadre du programme Horizon 2020 Instrument PME.

Il faut enfin évoquer une énergie marine fort peu connue et moins médiatisée, mais riche de promesses, l’énergie thermique des mers (ETM). Selon l’Irena, le potentiel de production d’électricité à partir de l’énergie thermique des mers serait de l’ordre de 44.000 TWh (térawattheures) par an, c’est-à-dire largement de quoi couvrir la totalité de la production mondiale d’électricité prévue en 2040 (41 000 TWh par an, selon l’AIE). La technologie ETM repose sur les principes fondamentaux de la thermodynamique de Carnot et utilise la différence de température de l’eau de mer entre les grands fonds marins et les eaux de surface. Lorsque cet écart de température dépasse les 20 degrés, cette source d’énergie, propre et inépuisable, devient exploitable. Ces conditions thermiques se trouvent entre 30° de latitude nord et 30° de latitude sud, dans une vaste zone de 60 millions de km², et 35 pays, situés dans cette zone intertropicale, pourraient exploiter cette source d’énergie.

Bien qu’elle nécessite des investissements initiaux importants, l’ETM présente l’avantage, comme l’énergie des vagues, d’être constante et prévisible, et elle permet également de coupler la production électrique à d’autres services fortement consommateurs d’énergie, comme la désalinisation de l’eau de mer, ou encore la réfrigération et l’aquaculture. De nombreux essais d’ETM sont en cours dans le monde, notamment en Chine, à Hawaï et au Japon. C’est toutefois la Corée du sud qui devrait mettre en service d’ici un an la première centrale ETM en région équatoriale à Tarawa Sud, un atoll de la république des Kiribati, dans les Etats du Pacifique. Cette centrale ETM devrait assurer l’indépendance énergétique de cet état insulaire, très dépendant des énergies fossiles, et favoriser son développement économique.

En matière d’énergies marines, la technologie fait des pas de géant : en 2030, constructeurs et ingénieurs tablent sur une nouvelle génération d’éolienne marine de 20 MW de puissance (250 mètres de haut). En outre, ces machines seront pilotées par des systèmes sophistiqués et autonomes d’intelligence artificielle qui assureront en temps réel leur orientation optimale par rapport à la direction et la force des vents. Chacune de ces géantes des mers pourra produire jusqu’à 150 millions de kWh par an, de quoi alimenter 30 000 foyers en électricité (chauffage compris).

Sachant qu’actuellement les deux éoliennes marines les plus performantes sont l’Halliade X de General Electric et la Gamesa, de Siemens, il serait plus que souhaitable que la France, qui possède à la fois toutes les compétences techniques et industrielles requises et l’un des plus grands domaines maritimes du monde (11 millions de km2), prenne l’initiative d’un ambitieux programme de recherche visant à concevoir et à produire ces machines du futur qui joueront un rôle décisif dans la transition énergétique mondiale et peuvent, de surcroît, assurer à notre pays un leadership technologique et économique précieux au niveau mondial, sur ce marché qui pourrait atteindre, selon la Commission européenne, plus de 800 milliards d’euros pour la seule Union européenne, d’ici 2050.

Il serait incompréhensible que la France, grande puissance maritime, et pays d’excellence scientifique, ne se donne pas les moyens de relever ce grand défi des énergies marines qui seront demain la clef de voute (avec le solaire à haut rendement) du nouveau paysage énergétique mondial et permettront à la fois de fournir à l’Humanité une énergie abondante, propre et inépuisable, et de rendre à de nombreux pays émergents d’immenses services économiques et écologiques, qui accéléreront leur développement et amélioreront sensiblement la vie de leurs habitants.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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