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Edito : En 2050 l'Europe sera t-elle encore une puissance économique ?

Il y a quelques semaines ont été publiés en ligne deux rapports, sans relations directes apparentes, mais qui éclairent, sous deux angles différents, les menaces et les défis sans précédent dans son histoire auxquels va devoir faire face notre continent européen au cours de ce siècle. Le premier de ces rapports a été publié par la Société Générale. Il s'agit d'une une étude sur l'avenir de la démographie mondiale et ses répercussions économiques qui va à l'encontre de bien des idées reçues et mérite d'être analysée et commentée. Selon cette étude, la forte croissance démographique dans le monde et particulièrement en Asie au cours des prochaines décennies devrait entraîner un déplacement considérable des richesses des pays développés vers les pays émergents et un appauvrissement de l'Europe.

La Terre devrait compter 9 milliards d'individus d'ici 2050 contre 6 aujourd'hui, soit une croissance de 50 %, tirée par l'Asie et l'Afrique, tandis que la population des pays développés devrait plafonner à 1,26 milliard de personnes dès 2030, a indiqué Véronique Riches-Flores, chef économiste Europe de la Société Générale. En 2050, les plus de 60 ans seront 2 milliards et la proportion des inactifs par rapport aux actifs devrait passer de 11 % aujourd'hui à plus de 25 % en 2050 dans le monde, d'après l'étude. "Ce choc démographique va induire un déplacement des richesses spectaculaire", a commenté Véronique Riches-Flores lors d'une conférence de presse.

En premier lieu, le taux de dépendance, c'est-à-dire la proportion de seniors inactifs par rapport à la population d'âge actif (14-64 ans), restée quasiment inchangée au cours du demi siècle passé (durant lequel la population a gagné 150 % contre 50 % d'ici 2050), va doubler, passant de 11 % aujourd'hui à 25 % en 2050.

Au niveau mondial, la baisse du nombre d'actifs équivaudrait à une perte en termes de PIB par tête de 6,6 % au cours de la période 2005-2050, soit de 0,15 % par an, selon cette étude. Les pays émergents les plus dynamiques ne sont pas épargnés par ce vieillissement et la baisse de la population active. L'économiste précise que les économies en développement sont toutefois mieux parées que les autres pour affronter cette évolution grâce au potentiel de gains de productivité.

Avec le taux de fécondité le plus faible du monde, l'Europe devrait être la plus touchée, avec un manque à gagner estimé à 18 %, soit 0,35 % par an, suivie par l'Amérique du Nord (9,3 % soit 0,2 % par an). Tous les pays d'Europe occidentale se verraient menacés d'un appauvrissement, avec une baisse du revenu par tête allant de 9 à 23 % selon les cas.

Résultat : une forte redistribution du PIB mondial. Le poids de l'Asie gagnerait 8 points dans le PIB mondial, celui des Etats-Unis 4 points, celui de l'Afrique un point. Grand perdant de ces bouleversements, l'Europe, dont le poids se trouverait réduit de plus de 12 points.

Autre phénomène attendu, l'épargne reculerait avec le vieillissement de la population dans les pays développés (il n'y a qu'en France que l'épargne concerne avant tout les personnes âgées), alors que les pays en développement continueraient de remplir leur bas de laine. Enfin, conséquence du vieillissement et d'une insuffisante maîtrise des dépenses publiques, le ratio dette/PIB pourrait être multiplié par cinq dans l'Union européenne des 25 d'ici deux décennies à peine. En se fondant sur la théorie du cycle de vie, qui suggère qu'un individu épargne pendant sa vie active puis consomme son épargne lors de sa retraite, cette étude prévoit en effet une "désépargne" marquée dans les pays industrialisés entre 2015 et 2030.

A l'inverse, dans les pays en développement, la tendance à épargner devrait se développer, d'où un déplacement massif des sources d'actifs à attendre à travers la planète.

A l'opposé de notre Europe vieillissante et en déclin démographique, les Etats-Unis bénéficient d'une immigration élevée (1 à 1,2 % de la population active depuis le début des années 1980) et d'une stabilisation de sa fécondité qui permettra de faire croître la population active en âge de travailler, c'est-à-dire entre 15 et 64 ans, à peu près au même rythme que les plus âgés.

De son côté, la France, championne européenne de la natalité, et la Suède, également sauvée par sa natalité et sa politique d'immigration, permettront de stabiliser la population en âge de travailler, bien qu'elle décline proportionnellement aux personnes âgées. En revanche, ce sont le Japon et l'Allemagne qui présentent les profils les plus inquiétants.

Selon cette étude, seule une série de mesures combinant une importante hausse de la productivité, un allongement de la durée du travail, une participation accrue de toutes les tranches de la société, une réforme des systèmes de retraite et une immigration très élargie pourrait contrebalancer le coût du vieillissement de la population.

A cet égard, l'étude souligne que la politique volontariste d'immigration des Etats-Unis a été d'une grande pertinence (la population américaine est passée en un siècle de 100 à 300 millions) et va permettre à la population active américaine, à l'opposé de la population active européenne, de continuer à croître d'ici à 2050. A cette date, les USA pèseront encore 31 % du PIB mondial, contre seulement 20 % pour l'Europe, 18 % pour la Chine, 8 % pour l'Inde et 5 % pour le Japon.

Cette évolution démographique inéluctable éclaire d'une lumière nouvelle le débat sur l'immigration qu'il va falloir aborder d'une manière globale et pragmatique, en se dégageant des discours idéologiques simplistes. Il faut en effet admettre qu'en l'Europe, il est trop tard pour se lancer dans une politique d'immigration comparable à celle que mènent les Etats-Unis depuis 25 ans, car les pays de l'Europe de l'Est aussi se trouvent concernés par le vieillissement et il n'y a donc plus de "réservoir" de main d'oeuvre possible. Rien qu'en France, pour stabiliser le taux de dépendance, c'est-à-dire le nombre de seniors rapporté aux actifs, il nous faudrait accueillir 32 millions d'immigrés d'ici à 2050, ce qui n'est évidemment pas possible.

En outre, l'étude de la Société Générale rappelle qu'en 2040, les quatre pays qu'on appelle désormais les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) cumuleront, à eux seuls, 45 % de seniors de la planète. Ils auront donc besoin, eux aussi de bras pour faire tourner leurs économies.

Selon les termes implacables de cette équation démographique, l'Afrique restera donc, à l'horizon 2040, le seul continent susceptible de générer une émigration massive.

L'autre rapport, non moins alarmant et riche d'enseignement, a été publié par l'ONG Christian Aid et s'intitule "Marée humaine : la véritable crise migratoire » (Voir notre article dans la rubrique « Climat&Environnement). Dans cette étude, l'organisation affirme que les pays développés, principaux responsables de la pollution à l'origine du réchauffement climatique, doivent prendre en charge l'aide aux populations les plus touchées. "Nous pensons que les migrations forcées sont la menace la plus grave qui se pose pour les populations pauvres des pays en développement", estime John Davison, un des principaux auteurs de ce rapport.

S'appuyant de manière rigoureuse sur les derniers travaux du GIEC, qui estime qu'en 2080, 3,2 milliards de personnes, soit un tiers de la population mondiale, manqueront d'eau et que 600 millions manqueront de nourriture, ce rapport prévoit qu'en l'absence de " mesures préventives fortes", le réchauffement climatique portera à un milliard, en 2050, le nombre de réfugiés. Selon cette étude, ces flux migratoires envenimeront certains conflits et en créeront de nouveaux dans les pays en développement. Ces "réfugiés climatiques chercheront évidemment à tout prix à quitter leurs pays d'origine pour se rendre dans les pays développés et notamment en Europe, ce qui provoquera des tensions économiques et politiques très fortes.

Cette double évolution démographique et migratoire mondiale, provoquée à la fois par le vieillissement accéléré de nos sociétés développées et le réchauffement climatique, va évidemment avoir des conséquences socio-économiques et géopolitiques majeures et il va falloir qu'en une génération, nos responsables politiques sachent penser l'avenir à long terme et ouvrent un grand débat démocratique sur les nouveaux modèles d'immigration mais aussi de coopération et de co-développement avec le Sud, qui peuvent le mieux servir les intérêts de notre pays, si nous voulons, d'une part, que notre pays et l'Europe conservent leur niveau de vie et demeurent des puissances économiques de niveau mondial au milieu de ce siècle et, d'autre part et de manière indissociable, que les pays pauvres ou en voie de développement puissent, avec notre aide, lutter efficacement contre le réchauffement climatique et s'engagent dans un développement économique durable et soucieux de l'environnement.

Face à de tels périls et à ces grandes évolutions économiques, démographiques et climatiques planétaires, il va falloir remettre à plat tous nos modèles, dogmes et schémas d'analyse et de pensée en matière d'immigration, de développement économique et de coopération avec les pays les plus démunis et comprendre que notre avenir, notre destin commun est lié et que nous avons intérêt à prévoir, gérer et organiser, au niveau mondial comme au niveau européen et national, ces flux migratoires massifs et durables qui seront inévitables, à l'horizon 2050.

Cette évolution des esprits sera sans doute très difficile c'est pourquoi nous devons dès à présent commencer à construire ensemble, en dehors de toutes références idéologiques du passé, un nouveau cadre et de nouveaux modèles qui permettent de penser, d'anticiper et de maîtriser, autant que faire se peut, cette évolution planétaire irrésistible qui ouvre un nouveau chapitre dans l'histoire tourmentée de l'humanité.

René Trégouët

Sénateur honoraire du Rhône

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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