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Edito : Un débat majeur va devoir s’ouvrir : Que va faire la France avec les Gaz de Schiste et les hydrates de méthane ?

L'humanité produit actuellement environ 12,5 milliards de tep (Tonnes Equivalent Pétrole) par an, pour une consommation annuelle de l'ordre de 9 milliards de tep, soit deux fois plus qu'en 1973 et cinq fois plus qu'en 1950. En 2010, la consommation d'énergie mondiale a progressé de 5,5 % et les pays émergents contribuent pour les 2/3 à cette augmentation. L'Inde et la Chine représentent à elles seules 40 % de la croissance de la consommation énergétique mondiale et la Chine est devenue le premier consommateur mondial d'énergies en 2010. A ce rythme, et si l'on tient compte à la fois du développement économique en Asie et de l'augmentation de la population mondiale, la consommation mondiale d'énergie pourrait atteindre, selon les prévisions de l'AIE (Agence Internationale de l’Energie), au moins 22 milliards de tep en 2050, presque 2,5 tonnes d'équivalent-pétrole par terrien !

Les réserves énergétiques mondiales - conventionnelles et prouvées d'énergies non renouvelables (fossiles et uranium) sont estimées par l'AIE à environ 965 milliards de tonnes équivalent pétrole, ce qui représente 85 ans de production actuelle. Il faut souligner que cette durée varie sensiblement selon le type d'énergie : 180 ans pour le charbon, 65 ans pour le gaz et 45 ans pour le pétrole conventionnel ; 80 % de cette production énergétique mondiale est assurée par les énergies fossiles et le solde provient du nucléaire et de l'ensemble des énergies renouvelables (biomasse, hydraulique, agrocarburants, éolien et solaire).

Le monde consomme plus de 4,3 milliards de tonnes de pétrole par an (87 millions de barils/jour en 2010) et, même en imaginant une hypothétique stabilisation de la consommation annuelle de pétrole à 6 milliards de tonnes à l'horizon 2030 et en tenant compte des réserves totales de pétrole non-conventionnelles, nous aurons très probablement épuisé la totalité des réserves pétrolières de la planète d'ici la fin de ce siècle. Mais, compte tenu de la fulgurante croissance de l'Asie, le pétrole va devenir de plus en plus coûteux car de plus en plus difficile à extraire. En effet, l'essentiel des réserves "faciles" sera consommé d'ici 25 ans. Le prix du baril a plus que doublé en 8 ans, passant de 46 dollars à 106 dollars et ce n'est qu'un début !

Selon le rapport de prospective publié en mars 2011 par la banque HSBC, dans 49 ans, il pourrait ne plus rester de pétrole exploitable sur Terre, même si la demande n’augmente pas. Selon cette étude, "la pression sur les carburants fossiles pourrait être à la fois persistante et douloureuse, tant les prix du pétrole sont sensibles à tout déséquilibre mineur entre demande et offre d’énergie”. L’Europe, faute de disposer de sources d’énergie suffisantes, devrait être “la grande perdante”, selon le rapport qui souligne en outre que le risque de pénurie existe, “même si la demande n’augmente pas”.

L’Agence internationale de l’énergie prévoit pour sa part une demande mondiale de 99 Mb/j en 2035, dans son scénario médian. Son scénario ‘’business as usual'’, prévoit une demande de 107 Mb/j en 2035 et Karen Ward, auteur de ce rapport, pense qu'en 2050, la demande mondiale de pétrole aura au moins doublé et pourrait atteindre 190 millions de barils par jour.

C'est dans ce contexte économique qu'une information passée relativement inaperçue a été publiée la semaine dernière : les Etats-Unis sont redevenus en 2011 exportateurs nets de produits pétroliers pour la première fois depuis 1949. Comme l'indique le Département de l'énergie (DoE), les raffineurs ont exporté quotidiennement près de 2,9 millions de barils de carburants divers (essence, fioul domestique, gazole) pour 2,4 millions de barils importés. Cette prouesse a deux causes : d'une part, la montée en puissance du gaz et de l'huile de schiste et d'autre part, la baisse de la consommation intérieure provoquée par la récession économique. Une étude réalisée par le MIT prévoit que le gaz naturel fournira 40 % des besoins énergétiques des États-Unis à l'horizon 2030, contre 20 % aujourd'hui, grâce en partie aux abondantes réserves de gaz de schiste. Le gaz de schiste représente à présent 15 % de la production gazière américaine (contre 1 % il y a 10 ans) et cette part devrait monter à 25 % en 2030, ce qui permettra aux Etats-Unis d'être auto-suffisants, alors que le pays envisageait, il y a encore quelques années, des importations massives de gaz liquéfié.

Selon l'Agence internationale de l'énergie, la consommation mondiale de gaz devrait passer de 3000 Gm3 en 2008 à 4.330 Gm3 en 2030 et les Etats-Unis souhaitent abandonner le charbon au profit du gaz naturel et du gaz de schiste plus compétitif et beaucoup moins émetteur de gaz à effet de serre. Les réserves mondiales de gaz de schiste sont immenses : selon l'AIE, elles représenteraient environ 380.000 milliards de m3, soit au moins 120 ans de consommation de gaz naturel, au rythme actuel. L'IFP, pour sa part, les estime à 920.000 milliards de mètres cubes, cinq fois plus que les réserves mondiales de gaz conventionnel !

En France, l'estimation des réserves de gaz de schiste reste incertaine mais ces réserves sont probablement importantes : de l'ordre de 2.400 milliards de m3 selon Total pour le seul secteur de Montélimar, soit 10 à 20 fois la consommation nationale annuelle de gaz, selon que le taux de récupération des gisements s'élève à 20 ou 40 %. Selon d'autres études, l'ensemble des réserves de gaz de schiste en France correspondrait à près d'un siècle de consommation sur les bases actuelles !

Néanmoins, face à la forte opposition des populations locales concernées par l'exploitation des gaz de schiste, le gouvernement français a finalement décidé de suspendre tous les projets prévus en faisant adopter la loi du 13 juillet 2011 qui interdit l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et a abrogé les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique.

Mais, comme l'indique le rapport qui vient d'être publié le 22 mars par la Commission interministérielle sur les gaz et huiles de schiste, même si la technique de fracturation hydraulique doit rester interdite en l'état, il est souhaitable de poursuivre les recherches scientifiques pour essayer de développer des techniques d'exploitation des gaz de schiste sûres et neutres pour l'environnement. Ce rapport souligne que notre pays ne peut pas se permettre de renoncer définitivement à une source potentielle d'énergie très importante alors que nous sommes très dépendants des importations d'énergies fossiles dont le prix s'envole (Sur l’année 2011, le cours du Brent a augmenté de 40 %), que notre facture énergétique dépasse à présent les 61 milliards d'euros par an (2 400 euros par foyer) et que le coût de l'énergie pour les ménages et les entreprises ne cesse d'augmenter.

Mais plus encore que les huiles et gaz de schiste, une autre ressource d'énergie fossile pourrait bouleverser le paysage énergétique mondial avant une dizaine d'années : les hydrates de méthane. Il s'agit de poches de gaz naturel confinées dans des cristaux de glace. Ceux-ci se forment à haute pression et basse température. On les trouve sous les océans dans les bassins sédimentaires ou sous le permafrost des cercles polaires. Le gaz présent dans cette glace se trouve à haute concentration : environ une molécule de gaz pour moins de six molécules d’eau. Ramené à la pression atmosphérique, cela représente un volume de 168 mètres cube de gaz pour 1 mètre cube d’hydrate de méthane.

Les réserves d’hydrate de méthane pourraient représenter jusqu'à 10 fois les réserves mondiales de gaz conventionnel s’élevant à 190 milliards de mètres cubes. Au rythme actuel d’extraction de gaz naturel, cela représenterait 140 à 700 ans de production. Selon l'USGS, le service géologique américain, la quantité de carbone ainsi piégé pourrait s'élever à dix mille milliards de tonnes, soit deux fois la quantité du carbone prisonnier de l'ensemble des gisements mondiaux – exploités ou non – de pétrole, de gaz naturel et de charbon !

Pour l'instant, il n'existe qu'une seule exploitation commerciale d’hydrate de méthane au monde. Elle fonctionne depuis 1978 et est située sur le champ de Messoyakha au nord de la Sibérie. Dans ce site d'exploitation, les hydrates de méthane se sont décomposés mais sont restés prisonniers d’une poche imperméable située sous le permafrost. Mais dans la majorité des autres sites potentiels exploitables, la situation est toute différente et les hydrates de gaz se trouvent dans des couches sédimentaires poreuses. Leur exploitation par liquéfaction provoquerait une remontée très dangereuse de méthane vers la surface. Tous les grands pays industrialisés tentent donc de mettre au point des techniques d’extraction fiables et adaptées à la nature très instable des hydrates de méthane. Il faut en effet savoir que la moindre modification de température ou de pression risque de provoquer la fonte de la poche de glace et de libérer le méthane dans l'atmosphère. Or, l'impact de ce gaz en matière d'effet de serre est de 25 fois celui du CO2 à quantité égale !

Parmi les grands pays pouvant accéder aux hydrates de méthane, le Japon est sans conteste le pays le plus avancé dans la recherche de moyens d’extraction fiables et industriels des hydrates de méthane. Ce pays mise sur cette ressource pour faire face à sa demande croissante d'énergie et renforcer de manière décisive son niveau d'indépendance énergétique sans recourir à une augmentation de la part du nucléaire, une énergie de plus en plus rejetée par l'opinion publique nippone depuis la catastrophe de Fukushima. Selon les prévisions des scientifiques et du gouvernement japonais, cette nouvelle source d'énergie pourrait couvrir, au rythme actuel de la consommation, les besoins énergétiques de l'archipel nippon pendant plus d’un siècle ! Après plus de 10 ans de recherche, le Japon va commencer ses premiers tests d’extraction d'hydrates de méthane en 2013 et vise l'exploitation commerciale à grande échelle d’ici 2016.

Reste que le défi technique et industriel que représente cette exploitation des hydrates de gaz sous-marins est considérable. Plusieurs voies technologiques sont expérimentées. On peut tout d'abord réchauffer ces hydrates avec de l'eau chaude et les pomper sous forme gazeuse. 1 m3 d'hydrate donne alors 164 m3 de gaz à la pression atmosphérique normale et 0,8 m3 d'eau. Mais cette technologie est lourde, complexe et coûteuse. Elle nécessite le forage de puits jusqu’à la couche contenant les hydrates de méthane. Ensuite de chauffer un fluide en surface (eau chaude ou vapeur) et le faire circuler dans le puits. Il est en outre très difficile de réchauffer ces hydrates de méthane car l’eau chaude amenée dans les profondeurs marines se refroidit rapidement sous l'effet de l’eau de mer très froide au contact du pipeline.

Autre méthode : la dépressurisation, à l’intérieur du puits de forage pour provoquer la séparation des hydrates. Il est également possible de pomper le méthane gazeux sous les hydrates en créant une dépressurisation. Mais ces méthodes sont très gourmandes en énergie, surtout quand elles s'appliquent aux hydrates emprisonnés à grande profondeur.

L'utilisation d'un inhibiteur dans la couche géologique contenant les hydrates est également expérimentée mais cette technique est complexe car elle suppose la diffusion du produit dans toute la couche contenant les hydrates à récupérer.

Enfin, une autre méthode est porteuse d'immenses potentialités. Elle a été imaginée par le scientifique Japonais Kazunari Ohgaki de l'Université d'Osaka, en 1996 et consiste à séquestrer le CO2 en l’injectant dans l’hydrate de méthane afin qu’il se substitue à celui-ci. Cette méthode prévoit également l'utilisation d'azote pour accélérer ce processus physico-chimique de substitution. Ces processus font l’objet de divers programmes d’études comme le programme allemand SUGAR lancé par l’Institut Leibnitz pour les Sciences Marines de Kiel.

En coopération avec ConocoPhillips et la Japan Oil Gas and Metals National Corporation (JOGMEC), un laboratoire du ministère américain de l’énergie (DOE) doit prochainement tester, dans le nord de l’Alaska, une nouvelle technologie de récupération des hydrates de méthane qui contiennent 12 % de CO2 dans ce site. Les chercheurs vont essayer de capter ce CO2 puis de le réinjecter dans le forage Ignik Sikumi. Des expérimentations menées par des chercheurs de l’université de Bergen (Norvège) ont en effet montré que le CO2 injecté dans les sables riches en hydrates peut se substituer au méthane extrait.

Cette technique présente des avantages décisifs sur les autres voies d'extraction à l'étude : elle consomme bien moins d'énergie et permet de réduire considérablement le bilan carbone en utilisant le CO2 de puits de gaz voisins. En outre, le CO2 étant plus stable que le méthane, cette technologie ne déstabilise pas les fonds marins et ne produit pas d’eau additionnelle. Mais il y a loin de la démonstration en laboratoire à la mise en œuvre à grande échelle sur le terrain car beaucoup d'inconnues subsistent, à commencer par le degré de porosité des couches sédimentaires qui risque de rendre plus ou moins difficile la pénétration du CO2. Conscients de ces obstacles, les Américains ne tablent pas sur une exploitation rapide de ces nouveaux gisements alors que les Japonais, plus avancés dans leurs recherches, envisagent de commencer l'exploitation industrielle des hydrates du champ de Nakaï (situé à 700 kilomètres au sud-est du Japon), dès ces prochaines années..

Grâce à ses territoires d’outre-mer, la France regroupe 11 millions de km² de zone marine et possède le second domaine maritime mondial, derrière les Etats-Unis. Elle a en outre entamé une procédure de justice internationale pour agrandir d'encore un million de km2 son domaine maritime.

En France, le projet expérimental Fordimhys (Formation and Dissociation of Methane Hydrates in Sediments) de production sous pression d'hydrate de méthane, sponsorisé par Gaz de France, Total et l'Institut français du pétrole et conduit par Jean-Michel Herri et Olivier Bonnefoy, du Laboratoire des procédés en milieux granulaires, devrait permettre de mieux évaluer, d'ici quelques mois, la faisabilité d'une exploitation à grand échelle des hydrates de méthane par notre pays.

On comprend mieux cet enjeu technologique, économique et énergétique quand on sait que l'exploitation des hydrates de méthane ne se limite pas aux immenses réserves qui tapissent les fonds sous-marins. En effet, les hydrates de méthane pourraient également à terme constituer une voie alternative tout à fait rentable pour le transport du méthane sur des distances relativement longues (jusqu'à 6000 km). Le transport des hydrates par bateau pourrait donc se substituer pour une large part à l'acheminement du gaz naturel liquéfié par gazoduc.

Deux siècles après leur découverte par le chimiste britannique Humphrey Davy, la récupération et l'exploitation à grande échelle des hydrates de méthane et l'exploitation massive du gaz de schiste à l'aide de méthodes respectueuses de l'environnement et intégrant systématiquement des systèmes de capture et de séquestration de carbone, pourraient donc révolutionner le paysage énergétique mondial au cours de ces vingt prochaines années. La France, qui a la chance de posséder en grande quantité ces ressources énergétiques précieuses, tant dans son sous-sol que dans son immense domaine maritime, doit, dans un cadre de coopération européenne et internationale renforcée, tout mettre en œuvre pour devenir un pays pionnier dans l'exploitation propre et durable de ce nouvel "or bleu".

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • Bernard 2

    30/03/2012

    Merci pour cet article intéressant.

    Ils nous empoisonnent avec les gaz de schistes, et dans le même temps ils laissent partir le gaz qui sort naturellement des gisements de pétrole !

    http://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/le-scandale-du-g...

    Peut-être la plus grosse source artificielle de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, et personne n'en tient compte dans le calcul de l'énergie grise du pétrole.

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