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Les cosmologistes s'aventurent de l'autre côté du Big Bang

Qu'existait-il avant qu'existe l'Univers ? La physique, comme le sens commun, bute sur cette question métaphysique, aux accents presque théologiques. Celle d'un avant la création, d'une pré-origine, d'une antériorité au commencement.

Une nouvelle pièce vient d'être apportée au débat, avec la présentation, dans l'édition en ligne de Nature Physics du 1er juillet, d'un travail théorique de l'Allemand Martin Bojowald, de l'Institut de physique et de géométrie gravitationnelles de l'université de Pennsylvanie. Il conclut que, s'il est possible d'apprendre quelque chose de ce qu'il y avait avant le début de tout, nous ne pouvons en avoir qu'une compréhension incomplète. Que nous en sommes réduits, à jamais peut-être, aux affres de la spéculation.

Certes, grâce à la théorie de relativité générale d'Einstein, formulée en 1915 et décrivant l'évolution à grande échelle de notre Univers, ainsi qu'à la découverte par l'astronome américain Edwin Powell Hubble, dans les années 1920, que cet Univers est en expansion, il est possible de regarder en arrière. De remonter le temps, jusqu'à l'hypothétique - mais admis par la plupart des scientifiques - événement fondateur, le Big Bang initial, voilà quelque 13,7 milliards d'années. Mais ce compte à rebours s'arrête à une infime fraction de seconde de la "déflagration" originelle : 10 - 43 seconde exactement, quantité temporelle incompressible appelée temps de Planck.

L'Univers que nous connaissons, avec ses milliards de galaxies, était alors tout entier concentré dans un volume infinitésimal - 10 millions de milliards de milliards de fois plus petit qu'un atome -, d'une densité et d'une chaleur incommensurables. Au-delà, ou plutôt en deçà de cet état, les équations de la relativité générale d'Einstein, qui considèrent l'espace-temps comme un continuum, deviennent inopérantes.

C'est alors la mécanique quantique qui impose ses lois : celle d'un monde physique qui, à l'échelle de l'infiniment petit, évolue de façon non pas continue mais "discrète", par bonds minuscules, et où règne l'indétermination, l'incertitude, qui veut, par exemple, que l'on ne peut connaître à la fois la vitesse et la position d'une particule, ni, a fortiori, son évolution, future ou antérieure.

Pour franchir l'obstacle, certains physiciens ont échafaudé un système combinant physique classique et mécanique quantique : la gravité quantique à boucles. Un de ses chefs de file, Abhay Ashtekar, directeur de l'Institut pennsylvanien où travaille Martin Bojowald, a ainsi bâti un modèle mathématique avec lequel il a réussi à traverser la barrière du Big Bang. A regarder de l'autre côté du miroir.

Qu'y a-t-il découvert ? Dans un article publié, en 2006, dans Physical Review Letters, il décrit l'existence, avant le Big Bang, d'un autre Univers physiquement semblable au nôtre, mais à l'évolution inversée. Au lieu d'être en expansion (de moins en moins dense, de plus en plus froid), il était au contraire en contraction (de plus en plus dense, de plus en plus chaud). Des forces gravitationnelles l'auraient fait se rétracter sur lui-même, jusqu'à ce qu'il atteigne un état où ces forces sont devenues répulsives. Il aurait alors "rebondi", pour donner naissance à l'Univers où nous vivons.

"Attention aux représentations trompeuses !", met toutefois en garde un autre tenant de la gravité quantique à boucles, Carlo Rovelli, du Centre de physique théorique de Luminy (université de Marseille) : "Les notions d'avant et d'après deviennent incertaines quand on s'approche du Big Bang." Il en veut pour image quelqu'un qui marcherait en ligne droite vers le nord et qui, ayant atteint le Pôle, continuerait dans la même direction, mais ne progresserait pas pour autant plus au nord.

"De l'autre côté du Big Bang, le temps va-t-il en arrière ou en avant ? Les deux Univers se succèdent-ils, ou sont-ils comme deux jumeaux partant dans deux directions différentes, sans que l'on puisse dire que l'un précède l'autre ?", s'interroge Carlo Rovelli.

Plus qu'il n'éclaire sur l'Univers antérieur, le récent travail de Martin Bojowald incite lui aussi à la prudence. Selon son modèle, associant équations de la relativité générale et de la mécanique quantique, il est mathématiquement possible de remonter au-delà du Big Bang. Il est en revanche impossible d'en connaître toutes les caractéristiques. Tout simplement parce que le Big Bang agit comme un "mélangeur" : un état transitionnel au cours duquel sont irrémédiablement perdus certains aspects de l'Univers précédent. Ce que le chercheur baptise "l'oubli cosmique".

Le scénario cyclique qui, de contraction en expansion, ferait se succéder, depuis la nuit des temps et pour l'éternité, des Univers identiques les uns aux autres, semble ainsi battu en brèche. "Deux Univers qui se suivent ne peuvent jamais être les mêmes", estime Martin Bojowald. Ce que paraît confirmer la cosmologie moderne, qui observe que l'expansion de l'Univers actuel s'accélère et, supputent la plupart des scientifiques, se poursuivra.

Faut-il alors désespérer de percer un jour l'écran du Big Bang ? Gabriele Veneziano, professeur au Collège de France et chef de la division de physique théorique du CERN de Genève, ne le croit pas. Partisan d'une autre approche de la gravité quantique, la théorie des cordes, il observe que celle-ci est compatible avec l'hypothèse d'un Univers antérieur s'étant rétracté sur lui-même avant de rebondir vers le nôtre.

De cet autre monde, pense-t-il, doivent persister des traces, dans le spectre du rayonnement fossile hérité des âges brûlants du cosmos. Des indices que les détecteurs d'ondes gravitationnelles, comme l'instrument franco-italien Virgo, permettront peut-être, un jour, de faire parler. A moins de considérer, avec certains astrophysiciens, que le temps commence avec le Big Bang et qu'il n'y a pas d'avant.

LM

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