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Climat : une évolution troublante

Jamais la France n'avait connu ça. De la pointe de la Bretagne et du golfe de Gascogne jusqu'aux bords du Rhin, une tempête imprévue balaie le pays, avant d'aller dévaster l'Allemagne, arrachant les toits, renversant les pylônes, brisant les vitraux et les tourelles des cathédrales, déracinant les arbres; des vents soufflant jusqu'à 200 kilomètres à l'heure; les forêts normandes, lorraines et alsaciennes, les bois de Boulogne et de Vincennes, autour de Paris, la forêt aquitaine offrent le même spectacle de désolation: des millions d'arbres cassés ou carrément arrachés, les racines à l'air. Un ouragan en pleine Europe tempérée, des arbres affaiblis par des hivers trop pluvieux et des étés trop secs: pour beaucoup de climatologues, il s'agit non pas d'un phénomène isolé, mais d'un signe du réchauffement de toute la planète. C'est l'ouragan Mitch, en novembre 1998, qui marque un tournant. Il ravage le Honduras et la plus grande partie du Nicaragua, tuant au moins 10 000 personnes, mais il n'est pas classé parmi les catastrophes naturelles à la fois tragiques et imprévisibles. Il vient après les glissements de terrain du Pérou, en 1982, l'ouragan Andrew aux Etats-Unis, en 1992, les inondations en Inde, en 1996, puis en Chine, en 1997, et, tout récemment, les torrents d'eau et de boue qui ont enseveli des dizaines de milliers de personnes au Venezuela. Désormais, on se demande si ces cataclysmes, contrairement à ce que l'on pensait, n'ont pas un lien entre eux et s'ils ne sont pas les premiers symptômes de ce changement climatique annoncé mais difficile à confirmer. De fait, les indices s'accumulent. Selon Météo-France, les dix années que nous venons de vivre sont parmi les plus chaudes depuis 1949. En 1999, la température maximale moyenne dans les 22 régions françaises devrait être de 17,1 ºC. En 1989, 1990 et 1997, on a atteint 17,3 ºC. Le record. Paris intra-muros n'échappe pas à la règle: l'observatoire de Montsouris, le plus ancien de France, a enregistré pour cette décennie des maximales au-dessus de la normale, avec une pointe en 1990. Les années d'après guerre avaient connu une situation comparable. Est-ce la répétition d'un “accident” passager ou la preuve d'une modification durable? Jean-François Stranart, ingénieur à Météo-France, ne veut pas trancher, mais qualifie l'évolution de “troublante”. En revanche, il n'attribue pas la hausse de 2,5 ºC en un siècle de la température minimale enregistrée en fin de nuit à des phénomènes climatiques, mais à l'action humaine, c'est-à-dire aux conséquences de l'urbanisation, avec la multiplication des chauffages et des véhicules automobiles. Dans le monde entier, les chiffres ressemblent peu ou prou aux données françaises. La très puissante NOAA - National Oceanic and Atmospheric Administration - qui gère, de ses laboratoires du Colorado, les observations de plusieurs centaines de stations météo dans le monde, vient d'annoncer que 1999 serait pour les Etats-Unis la deuxième année la plus chaude du siècle (avec une température moyenne de 13,1 ºC), derrière 1998 (avec 13,5 ºC). Et, au niveau planétaire, la moyenne a progressé de 0,24 ºC entre 1880 et 1998. L'Office météorologique mondial, basé à Genève, va encore plus loin: depuis 1860, les sept années les plus douces se situent dans la dernière décennie, et le XXe siècle serait le plus chaud du millénaire. La fonte des glaciers est l'un des signes les plus évidents de ce réchauffement. Depuis le milieu des années 80, ceux des régions tempérées reculent de 20 à 30 mètres par an. Cette régression est principalement due à des températures estivales élevées. C'est une partie de la neige accumulée pendant l'hiver, celle qui permet la reconstitution de la glace, qui fond. Or le phénomène s'est déjà produit dans le passé, souligne Louis Reynaud, du Centre de glaciologie de Grenoble: “Dans les années 1660, il y avait très peu de glaciers dans les Alpes. Une période de refroidissement longue de deux siècles a suivi, au cours de laquelle les masses de glace se sont reconstituées. Elles étaient à leur maximum au début du XIXe siècle.” Plus spectaculaire, et peut-être plus significatif, la banquise arctique perd de sa substance. Cette immense étendue de glace flottante située au pôle Nord diminue, selon les observations des satellites, de 37 000 kilomètres carrés par an, en moyenne, depuis 1978. Soit plus que la Belgique et le Luxembourg réunis. Un constat encore plus inquiétant vient d'être dressé par des chercheurs américains qui ont utilisé les sonars des sous-marins nucléaires: l'épaisseur de la couche de glace est passée, en trente ans, de 3,1 mètres à 1,8 mètre, soit une diminution de 40%. Le responsable de cette fonte serait un nouveau courant chaud issu du Gulf Stream. De l'autre côté de la Terre, c'est encore pis. Car les deux énormes plaques de glace - les ice-shelfs - qui enserrent la péninsule située à l'ouest du continent antarctique sont en train de fondre et de se fractionner en une série d'icebergs qui dérivent dangereusement vers le nord. A cause de l'augmentation importante de la température de cette partie du globe (2,5 ºC en cinquante ans) 3 000 kilomètres carrés de glace sont ainsi partis à la mer, déstabilisant une partie de la calotte glaciaire. Il n'y a pas que dans les régions polaires que la physionomie des continents se modifie. Les zones tropicales paient aussi leur tribut au réchauffement. Dans la Caraïbe et surtout au coeur du Pacifique, les archipels coralliens risquent de disparaître purement et simplement. Les atolls, qui ne dépassent le plus souvent que de quelques mètres le niveau des mers, pourraient être engloutis par les flots si celles-ci montaient par suite du réchauffement, qui fait “gonfler” les océans de 1,5 millimètre par an. La Méditerranée elle-même est en train de changer de nature, sans qu'on y prenne garde, et de devenir une mer quasi tropicale. Alerté par des pêcheurs et des plongeurs, le ministère italien de l'Environnement a confié une étude à l'Icram, l'Institut de recherches sur la mer de Palerme. Les conclusions sont renversantes. Les poissons tropicaux, venus des rivages africains, sont en train de coloniser la mer Méditerranée, devenue en certaines saisons presque aussi chaude que la mer Rouge. La sécheresse n'est pas venue tout de suite. Elle s'est d'abord manifestée par une extension des déserts existants. Le plus touché, le Sahara - malgré une année 1999 exceptionnellement pluvieuse - progresse sans arrêt, tandis que le lac Tchad n'apparaît plus que comme une vaste lagune aux rives marécageuses. Puis c'est en Asie que des sécheresses temporaires ont anéanti les récoltes de céréales. Jusqu'à cet automne dramatique de 1997, quand les forêts d'Indonésie prennent feu et que les fumées obscurcissent le ciel pendant des mois. Des centaines de milliers d'hectares de céréales sèchent alors sur pied. Actuellement, du nord-est du Brésil au nord-ouest de la Chine, en passant par le Moyen-Orient, l'aridité menace des zones autrefois bien arrosées et fertiles. Plus près de nous, en Espagne, le manque d'eau touche la plus grande partie du pays et les réserves dans les barrages sont tombées à 45% de leurs capacités. Selon les météorologues espagnols, cette année sera la plus sèche du siècle pour la péninsule Ibérique.

L'Express : http://www.lexpress.fr/editorial/zooms/climat/ouverture.htm

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