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Edito : Bactéries résistantes : un défi scientifique mondial

Depuis quelques années, l'apparition et le développement de bactéries résistantes aux antibiotiques est devenu un défi médical mondial. Ce phénomène résulte largement d'une utilisation excessive à grande échelle d'antibiotiques. Or, il existe très peu d'alternatives pour le traitement des micro-organismes multi-résistants aux antibiotiques et aucune nouvelle famille d'antibiotiques n'est attendue avant au moins 10 ans.

Ces infections bactériennes graves et parfois mortelles touchent à présent la plupart des pays développés. Ce phénomène de résistance inquiète médecins et scientifiques et début août, des scientifiques de l'INRA (Institut national de la recherche agronomique), de l'INVS et de l'Institut Pasteur ont signalé la brusque apparition d'une salmonelle (bactérie représentant "une des premières causes d'infections alimentaires chez l'homme") qui résiste à presque tous les antibiotiques. Il semble que le foyer d'origine de cette nouvelle menace bactérienne se situe en Egypte et résulte directement de l'utilisation massive d'antibiotiques dans l'élevage de volailles.

La propagation de cette bactérie devient préoccupante : en France, le nombre de cas est passé de moins de 500 pour la période 2002-2008 à 270 cas pour la période 2009-2010.

Il y a quelques semaines, c'est une autre bactérie, E. Coli, qui a provoqué 76 décès en Europe du fait de sa virulence et de son extrême résistance aux antibiotiques. Ce phénomène de résistance accru s'étend à présent à d'autres colibacilles, un type de bactéries présent en grande quantité dans les tubes digestifs des hommes et des animaux.

Selon les dernières estimations scientifiques, ces bactéries résistantes seraient responsables d'au moins 25 000 morts par an dans l'Union européenne ! Face à cette situation alarmante, la quasi totalité des scientifiques travaillant sur cette question met en cause un mauvais usage et une surconsommation des antibiotiques. Certains chercheurs soulignent que, chez l'homme, la moitié des antibiotiques sont prescrits sans justification médicale, pour des affections maladies virales notamment pour lesquelles ces traitements sont totalement inutiles. Lorsqu'ils ne sont pas utilisés à mauvais escient, les antibiotiques peuvent également être administrés à un dosage insuffisant pour éliminer l'ensemble de la population bactérienne, laissant se développer les bactéries les plus résistantes.

Notre pays n'échappe pas à cette mauvaise utilisation des antibiotiques : l'Agence française de sécurité sanitaire a récemment rappelé que la France se situait nettement au-dessus de la moyenne européenne dans ce domaine, même si notre consommation globale d'antibiotiques a diminué de 16 % entre 2001 et 2011.

Mais ce phénomène ne concerne pas seulement les humains, il touche aussi les animaux : pendant de longues années, l'élevage a utilisé les antibiotiques de manière massive et inconsidéré jusqu'à ce que des mesures restrictives soient enfin prises il y a quelques années. La Suède est le premier pays à avoir, en 1986, interdit l'utilisation des additifs antibiotiques en alimentation animale et, grâce à cette mesure, les cas de résistance bactérienne ont sensiblement diminué dans ce pays. Mais ces pratiques restent malheureusement en vigueur dans d'autres pays comme les Etats-Unis.

Il faut également souligner l'insuffisance de recherche et d'innovation dans ce domaine pourtant capital : si les bactéries sont de plus en plus résistantes, c'est qu'elles ont le temps de s'adapter à des molécules qui n'évoluent pas assez vite.

Face à ce grave défi de santé publique, des solutions existent mais elles supposent trois conditions : une prise de conscience des populations concernées, une réorientation des stratégies de recherche médicale et une véritable volonté politique. Dans la revue Nature, le président du département de médecine de l'université de New York vient de proposer par exemple de réduire très sensiblement l'usage des antibiotiques pour les enfants et les femmes enceintes. On sait en effet, comme le montrent les exemples canadiens ou suédois, que la diminution de la consommation d'antibiotiques et l'optimisation de leur usage diminue de manière considérable la capacité de résistance des bactéries.

Dans le domaine de la pharmacologie, il faut rappeler que, depuis dix ans, 25 molécules ont cessé d’être commercialisées et seulement dix nouvelles ont fait leur apparition. Reste qu'à long terme, les antibiotiques seront toujours rattrapés par la capacité infinie d'adaptation de ces organismes vivants. C'est pourquoi, parallèlement à la recherche de nouvelles familles d'antibiotiques, il faut également développer d'autres approches scientifiques comme la vaccination et les virus bactériophages qui offrent un immense potentiel encore sous-exploité, dans la lutte éternelle contre les bactéries.

Le développement de ces nouvelles voies d'action est d'autant plus nécessaire que l'utilisation massive des antibiotiques n'est pas sans conséquences sur l'affaiblissement général de notre système immunitaire et sur l'augmentation de certaines pathologies, comme l'obésité, le diabète de type 1, les inflammations intestinales, certaines allergies et l'asthme. A cet égard, une étude américaine qui vient d'être publiée dans la revue "Nature" est révélatrice.

Elle montre que l'absence de la bactérie Helicobacter pylori, qui a largement disparu de nos estomacs, perturbe la régulation de deux hormones produites dans l'estomac, et serait liée à l'augmentation des cancers de l'œsophage, de l'asthme et des allergies. Cette étude recommande donc d'utiliser des antibiotiques à spectre plus étroit, moins nocifs pour les "bonnes"bactéries" et de favoriser la consommation des produits "probiotiques", qui favorisent un bon équilibre bactérien dans notre organisme.

Parmi les nouvelles voies de recherches prometteuses, celle des virus bactériophages semble particulièrement intéressante. Ces virus ont été identifiés il y presque un siècle, en 1915, par le chercheur britannique, Frederick W. Twort et en 1917, le canadien Félix d'Herelle a mis en évidence le potentiel des phages dans le traitement des infections bactériennes chez l'humain. En 1933, il a fondé en Géorgie un institut de recherche qui est devenu une référence mondiale en matière de phages et traite de nombreuses infections ayant résisté aux antibiotiques les plus puissants.

En 2006, aux États-Unis, des virus bactériophages ont été employés avec succès comme conservateur alimentaire pour lutter contre la listériose. Ce type de virus constitue également un outil irremplaçable de recherche et un vecteur très efficace permettant d'introduire de l’ADN dans des bactéries.

Plus récemment, des chercheurs américains dirigés par le Professeur V. Fischetti ont réussi à protéger des souris de la colonisation par le streptocoque A ou à éliminer une infection en utilisant une enzyme produite par le bactériophage C1. Cet enzyme présente la remarquable propriété d'avoir une action très toxique et spécifique sur certaines bactéries dangereuses pour l'homme, sans perturber  la microflore normale composée de micro-organismes utiles.

On le voit, la lutte jamais achevée contre les bactéries est à un tournant de son histoire et doit se diversifier pour pouvoir continuer à progresser. Quatre axes devront être développés : tout d'abord il faut aller chercher dans la nature de nouvelles familles d'antibiotiques capables de neutraliser les bactéries les plus résistantes. Ces antibiotiques existent à l'état naturel sur la peau de certaines grenouilles tropicales et les chercheurs travaillent depuis plus de 20 ans à l'élaboration d'une nouvelle classe d'antibiotiques issue d’une nouvelle famille de peptides aux propriétés remarquables, les magainines.

Ces peptides possèdent la capacité de faire éclater la membrane d’une multitude de bactéries, y compris celles résistant aux antibiotiques traditionnels. Soulignons au passage que ces antibiotiques naturels présents chez de nombreux batraciens tropicaux et encore peu exploités sont une raison supplémentaire de tout mettre en œuvre pour préserver à tout prix les forêts tropicales qui constituent d'immenses réservoirs de biodiversité dont nous aurons absolument besoin demain pour concevoir les médicaments du futur.

Le deuxième axe concerne les virus bactériophages qui ont d'immenses potentialités thérapeutiques mais qui sont encore mal connus et doivent faire l'objet de recherches accrues.

Il faut également poursuivre les recherches visant à la mise au point de nouveaux vaccins et à l'amélioration des vaccins existants car, comme nous l'avons souvent souligné dans notre lettre, la vaccination à grande échelle reste un outil irremplaçable de prévention et de lutte contre les grandes maladies infectieuses. Dans ce domaine, les avancées se poursuivent et l'utilisation à large échelle de nouveaux vaccins contre le méningocoque A et le pneumocoque en Afrique devrait permettre à terme de sauver plusieurs centaines de milliers de vie par an dans le monde.

Mais, dernier point, la lutte contre les bactéries passera également par un changement profond des comportements et habitudes, tant chez les malades que dans le corps médical. Il est essentiel que nous apprenions à utiliser de manière beaucoup plus adaptée et personnalisée, comme le montrent de récentes études, la panoplie d'antibiotiques dont nous disposons si nous voulons voir diminuer sensiblement et durablement ces phénomènes très préoccupants de multi résistances bactériennes.

Depuis des millénaires, l'homme a appris à cohabiter avec les bactéries qui étaient là bien avant lui et sont, pour la plupart, indispensables à sa survie et sa santé. En nous appuyant sur notre connaissance plus vaste de la complexité du vivant et de l'interdépendance de toutes les espèces qui la composent, nous devons poursuivre notre combat inlassable contre les bactéries pathogènes, non de manière exclusivement frontale et générale, mais en combinant une multitude de nouveaux outils chimiques, biologiques et peut-être demain physiques (nanovecteurs) pour pouvoir combattre de manière sélective et intelligente, quand cela est nécessaire, ces prodiges d'adaptation naturelle qui, depuis plus de trois milliards d'années, ont façonné notre Terre et joué un rôle décisif dans l'apparition de la vie et l'évolution biologique jusqu'à l'apparition de l'homme.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • JTE

    3/09/2016

    La vie microscopique de la peau, similaire à celle sur la planète :
    - http://www.universcience.tv/video-planete-corps-sur-la-peau-10369.html

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