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Edito : Augmenter l'espérance de vie en bonne santé doit devenir le nouveau défi planétaire !

Parmi les indicateurs fondamentaux qui montrent l’évolution globale du niveau et de la qualité de vie des humains sur terre, il en est deux peu contestables et complémentaires qui méritent d’être étudiés avec attention : l’espérance de vie à la naissance et l’espérance de vie en bonne santé ou sans incapacité (EVSI) qui exprime le temps de vie réel moyen autonome (c'est-à-dire sans pathologies invalidantes nécessitant le recours régulier à un tiers) dont disposent les habitants d’une population donnée.

S’agissant de l’évolution de l’espérance de vie à la naissance dans le monde, toutes les études scientifiques et les données démographiques concordent pour montrer qu’elle a connu depuis un siècle une progression sans précédent dans la longue histoire de l’humanité.

C’est ainsi qu’au cours des seules soixante dernières années, on estime que l’espérance de vie moyenne de la population mondiale est passée de 46 ans et demi à 67 ans et demi, soit une augmentation totale de 21 ans sur cette période ou encore une progression moyenne annuelle de quatre mois !

Contrairement à beaucoup d’idées reçues et à un certain discours catastrophiste, souvent repris et amplifié par les medias, l’espérance de vie globale a non seulement progressé de manière spectaculaire dans le monde depuis la fin de la seconde guerre mondiale mais elle a progressé, sur cette durée et en dépit des épidémies, des conflits et catastrophes diverses, dans toutes les régions du monde sans exception.

C’est en Asie que la progression de l’espérance de vie moyenne a été la plus importante depuis soixante ans : elle atteint à présent 69 ans, soit 28 ans de vie gagnée sur la période ! Vient ensuite l’Amérique du Sud où l’espérance de vie à la naissance atteint aujourd’hui les 74 ans, soit un gain de 23 ans depuis 1950.

L’Afrique n’échappe pas à cette tendance générale. Même si la progression de l’espérance de vie moyenne sur ce continent a été moins forte qu’au niveau mondial, elle a tout de même progressé de 15 ans depuis 1950, atteignant aujourd’hui les 54 ans.

Enfin, même si l’on considère spécifiquement la situation de l’Afrique subsaharienne, souvent montrée comme une région marquée de manière irréductible par la pauvreté et le sous-développement, on constate que l’espérance de vie a quand même progressé de 13 ans dans cette partie du monde particulièrement touchée par les catastrophes sanitaires et climatiques en tout genre.

Quant à l’écart moyen entre les pays les plus pauvres et les plus développés, il est aujourd’hui de 21 ans (77 ans d’espérance de vie pour les premiers, contre 56 ans pour les pays émergents), contre plus de trente ans au sortir de la seconde guerre mondiale, ce qui contredit également les discours sur le creusement inéluctable des inégalités entre pays riches et pays en voie de développement.

Il y a quelques semaines, la célèbre revue scientifique « Lancet » a publié une vaste et passionnante étude concernant l’évolution de la mortalité, de l’espérance de vie dans le monde, et intitulée "Une analyse globale de l'évolution de la mortalité par âge et par sexe dans le monde" (Voir article et article).

Cette somme scientifique a été réalisée par près de 500 scientifiques et 30 institutions du monde entier et s’est appuyée sur l’ensemble des données épidémiologiques disponibles, issues de tous les pays du monde. Ce travail gigantesque porte sur l’évolution de l’espérance de vie dans le monde entre 1970 et 2010 mais également sur l’évolution de l’espérance de vie en bonne santé (EVBS) entre 1990 et 2010. La notion d’EVBS est très intéressante car, contrairement à l’espérance de vie à la naissance, elle intègre à la fois l’espérance de vie totale et la durée de vie « en bonne santé », c'est-à-dire sans incapacité et handicap majeurs altérant l’autonomie personnelle au point de rendre indispensable une prise en charge médico-sociale constante. 

Cette étude confirme sans surprise qu’au niveau mondial, l’espérance de vie moyenne à la naissance a continué sa progression et est passée de 63 ans à 67 ans pour les hommes et de 68 à 73 ans pour les femmes. Au cours de la même période, l’espérance de vie en bonne santé a également progressé mais moins vite, passant de 54 à 58 ans pour les hommes et de 58 à 62 ans pour les femmes. Au final, on constate une augmentation du nombre d’années de vie « en mauvaise santé » à mesure que l’espérance de vie totale à la naissance continue sa progression.

Cette étude confirme également que c’est dans les pays les plus riches qu’on constate une espérance de vie à la naissance et une espérance de vie en bonne santé maximales. Le Japon vient en tête de ce classement mondial avec une espérance de vie à la naissance de 86 ans pour les femmes et de 79 ans pour les hommes et une espérance de vie en bonne santé de 72 ans pour les femmes et de 69 ans pour les hommes.

En France, l’espérance de vie à la naissance atteint 84,3 ans pour les femmes et 77,5 ans pour les hommes et l’espérance de vie en bonne santé est de 69 ans pour les femmes et 65,5 ans pour les hommes. 

Il est intéressant de noter que les Etats-Unis, en dépit du niveau très élevé de leurs dépenses de santé, affichent une espérance de vie à la naissance de 80,5 ans pour les femmes et de 76 ans pour les hommes et une espérance de vie en bonne santé de 67,4 ans pour les femmes et de 65 ans pour les hommes. Ces résultats inférieurs à ceux du Japon et des grands pays européens montrent que l’espérance de vie ne dépend pas seulement du niveau scientifique et médical d’un état mais également des modes de vie et de facteurs sociaux et culturels puissants.

Cette étude montre que la mortalité globale diminue sur la durée (à l’exception des zones de guerre) partout dans le monde. Si l’on tient compte de l’augmentation de la population mondiale entre 1970 et 2010 (+ 3,7 milliards d’habitants au cours de cette période), on constate que le taux de mortalité est passé de 11,7 à 7,7 pour 1.000 habitants en à peine quarante ans, soit une diminution globale moyenne de 34 % !

En matière de mortalité infantile, l’évolution est spectaculaire : en dépit d’une augmentation globale du nombre de naissances dans le monde de 12 %, le nombre de décès d'enfants de moins de 5 ans a diminué de 58 % en quarante ans, passant de 16,4 millions en 1970 à 6,8 millions en 2010.

Quant à l'espérance de vie à la naissance, elle continue à augmenter partout dans le monde, avec une progression de 11,1 ans pour les hommes et 12,1 ans pour les femmes de 1970 à 2010.

S’agissant de l’âge moyen de la mort, qui intègre à la fois le vieillissement de la population mondiale et la diminution du taux de mortalité des tranches d’âge les plus jeunes, il a augmenté dans toutes les régions du monde depuis 1970, progressant parfois de huit mois par an dans certains pays !

Bien qu’il ne soit pas question ici de nier la persistance d’injustices et d’inégalités considérables entre pays et régions du monde, on ne peut qu’être frappé par le fait qu’en dépit des immenses problèmes que connaît notre planète, la situation de la population mondiale sur le plan médical et sanitaire, y compris sur la question cruciale de l’accès à l’eau potable, s’est améliorée depuis quarante ans à un rythme qui dépasse toutes nos prévisions et qui dément de manière cinglante les discours et prévisions pessimistes en la matière et l'idée qu'il existerait une fatalité de la misère dans certaines régions du monde.

S’agissant de l’évolution démographique en Europe, l’espérance de vie sans incapacité (EVSI) est estimée depuis 2005 dans tous les états de l’Union européenne. Selon la dernière étude de l'Inserm, publiée en avril 2012, cette espérance de vie sans incapacité s’élève à 61,3 ans pour les Européens (soit 80 % de leur espérance de vie à la naissance) et à 62 ans pour les européennes (soit 75 % de leur espérance de vie à la naissance). Voir Etude

Il est intéressant de noter la disparité importante -11 ans et demi- qui sépare les deux pays situés aux deux extrémités du classement européen de l’espérance de vie à la naissance : la Suède (79,6 ans) et la Lituanie (68 ans). En matière d’espérance de vie sans incapacité, c’est encore la Suède qui arrive en tête de ce classement européen (71,7 ans), devançant de plus de 19 ans le pays en fin de classement, la Slovaquie (52,3 ans).

Si l’on considère à présent le ratio espérance de vie sans incapacité/espérance de vie totale, on constate que les Suédois arrivent une fois de plus en tête, avec 90 % de l’espérance de vie sans incapacité majeure.

En France, l'espérance de vie à la naissance a continué à progresser au cours de ces dernières années mais, selon les travaux de l’Inserm, l'espérance de vie sans incapacité a légèrement diminué puisqu’en 2010, l’EVSI des Françaises représentait 74,4 % de leur durée de vie totale contre 76 % en 2008 et celle des Français représentait 79 % contre 80,6 %. Il faut cependant relativiser cette progression négative de l’EVSI qui correspond à une définition plus stricte et restrictive que celle de l’espérance de vie en bonne santé (EVBS) car elle intègre notamment la perception par les personnes âgées des réductions de leur autonomie dans la vie quotidienne.

L’étude de l’Insee montre également que les Françaises ont l'espérance de vie la plus longue de l’UE mais ne se classent qu’à la 10ème place en matière d’espérance de vie sans incapacité. Globalement, ces travaux montrent une diminution légère mais constante de l'espérance de vie sans incapacité depuis 2006 en Europe, pour tous les pays européens où l'espérance de vie est élevée.

Ces travaux nous montrent que les femmes européennes vivent à présent, en moyenne, six ans de plus que les hommes alors que l'écart en matière d’espérance de vie sans incapacité n’est lui que de huit mois entre hommes et femmes ! Résultat de cette évolution : un Européen moyen peut espérer vivre en bonne santé 80 % de sa vie totale  alors qu’une Européenne n’aura que 75 % de sa vie totale sans incapacité majeure.

En France, les femmes vivent 7 ans de plus que les hommes en moyenne et l'écart d'EVSI est à présent des sept mois. Les Français peuvent espérer vivre en bonne santé 80,4 % de leur espérance de vie totale contre 74,4 % chez les femmes.

Cette évolution démographique, médicale et sanitaire mondiale, européenne et nationale doit nous interroger et nous devons en mesurer toute l’ampleur et toutes les conséquences humaines, sociales et économiques. Il est en effet clair que le monde est en train de vivre un véritable basculement démographique et qu’un des enjeux de société majeur de ce siècle va être de parvenir non seulement à maintenir ce rythme historique de progression globale de l’espérance de vie totale mais également à faire en sorte que l’espérance de vie en bonne santé augmente au moins aussi rapidement et si possible plus vite que l’espérance de vie totale.

Or, les dernières données disponibles révélées par ces remarquables travaux montrent que cette espérance de vie en bonne santé, après avoir très longtemps augmenté au moins aussi vite que l’espérance de vie totale, semble stagner et même régresser dans les pays les plus développés, ce qui doit nous alerter et nous conduire à une réflexion approfondie sur les finalités et les moyens de nos politiques de santé et d'accompagnement du grand âge.

Il serait en effet inutile de continuer à déployer des efforts considérables pour augmenter encore l’espérance de vie totale dans nos pays développés si cette augmentation devait s’accompagner d’une progression durable du nombre d’années de vie en mauvaise santé et en perte d’autonomie.

C’est pourquoi, pour faire face au vieillissement inéluctable de sa population, notre société doit sortir d’une approche strictement axée sur les avancées, certes considérables et indéniables de la science et de la médecine, et doit admettre que la qualité des années de vie gagnées dépend de manière essentielle de facteurs éducatifs, sociaux et culturels qui n’ont pas été suffisamment pris en compte jusqu’à présent et sur lesquels nous pouvons agir beaucoup plus vigoureusement et efficacement.

La prise en compte de ces facteurs liés à l’environnement et à nos choix de vie peut permettre, en combinaison avec la prévention génétique et génomique personnalisée rendue possible par l’arrivée du séquençage ultra-rapide et abordable (moins de 1000 euros d’ici 2020) d’un génome humain, de mettre en œuvre une véritable politique à grande échelle de prévention et de détection très précoce des pathologies liées au vieillissement, qu’il s’agisse des maladies cardio-vasculaires, du cancer ou des maladies neuro-dégénératives, comme la maladie d’Alzheimer qui devrait toucher plus de 115 millions de personnes dans le monde en 2050, c'est-à-dire quatre fois plus de personnes que le cancer (27 millions de nouveaux cas par an prévus en 2050).

On peut même imaginer encore plus loin et compléter la prévention génétique personnalisée par une chimio-prévention active, elle aussi sur mesure, qui consisterait à recommander à certaines personnes la prise de certaines molécules thérapeutiques spécifiques, pour prévenir ou retarder considérablement l’apparition de risques pathologiques particuliers identifiés génétiquement.

Enfin, la rupture démographique que représente une planète dans laquelle le nombre de centenaires passera d’ici 40 ans de 500 000 à plus de six millions nécessitera, parallèlement aux progrès scientifiques et médicaux, la mobilisation de nouveaux outils technologiques et notamment des robots d’assistance personnelle et des vêtements intelligents. La combinaison de ces deux technologies, déjà très avancées dans certains pays comme le Japon ou la Corée du Sud, est appelée en effet à se généraliser très rapidement car elle sera un élément indispensable dans la panoplie de moyens et services nouveaux qui devront être développés et déployés pour assurer aux personnes très âgées une bonne qualité de vie et une autonomie satisfaisante.

L’exemple suédois nous montre qu’il est parfaitement possible, s’il existe à la fois un consensus social et une volonté politique forte dans la durée, de vieillir dans de bonnes conditions jusqu’au terme de sa vie et nous devons à présent mettre en œuvre de véritables programmes d’éducation et de prévention qui permettront, combinés aux avancées médicales et technologiques attendues, d'ajouter des années à la vie mais surtout d'ajouter de la vie à ces années précieuses que nous avons gagnées.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • pline

    5/01/2013

    Je me demande , si , compte tenu des progrès scientifiques, l'augmentation de l'espérance de vie des chats domestiques , contredit les discours sur la progression des inégalités de part le monde.

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