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Quand tous les PC du monde se donnent la main

Vijay Pande, 32 ans, qui est chercheur à la célèbre université Stanford de San Francisco, avait de grands projets. Il voulait découvrir l'un des plus grands secrets de la biologie, à savoir la façon dont chaque protéine prend sa forme spécifique, une structure tridimensionnelle, à partir de chaînes d'acides aminés. Ce processus mystérieux, qui ne dure souvent qu'un millionième de seconde, étant difficilement observable à l'intérieur de la cellule, le physicien décida d'en réaliser une simulation informatique. Or celle-ci nécessitait un ordinateur gigantesque qui aurait englouti des millions de dollars par an rien qu'en factures d'électricité. Or Vijay Pande ne disposait d'aucuns moyens financiers. Il a pourtant obtenu sa supermachine. Et pour quasiment rien. Cette superbécane est en effet née de dons - pas de dons en argent mais d'apports en puissance de calcul. Plus de 200 000 personnes réparties dans le monde ont installé sur leur PC* un programme téléchargé sur , qui permet au groupe de travail de Vijay Pande de disposer de la capacité non utilisée de leurs machines. Le propriétaire du PC reste toutefois maître chez lui : le système ne ralentit en aucun cas le fonctionnement des applications habituelles de sa machine. On compte environ 50 millions d'ordinateurs personnels sur la planète, dont seule une minorité ont vraiment beaucoup à faire. Le peu de traitement de texte ou d'exploration sur la Toile qu'effectuent la plupart des utilisateurs entame à peine les ressources des machines modernes. Un vrai gaspillage ! Vijay Pande a trouvé les premiers participants au projet Folding@home en passant des petites annonces. Aujourd'hui, 50 000 ordinateurs appartenant à des bricoleurs, des chercheurs, mais aussi à des policiers, des vendeurs, des jeunes et même des entreprises, planchent à chaque instant sur ses calculs. Un classement actualisé en permanence leur indique leur rang dans le championnat de zèle informatique. Celui qui remplit sa mission ne gagne rien, ni voiture ni bouquet de fleurs. La seule conséquence de cette lutte pour les places d'honneur, c'est que les fondus d'informatique passent leur temps à améliorer leur équipement. Les résultats de chacun sont collectés via Internet par le serveur de Stanford, qui distribue sans arrêt de nouvelles tâches. Pour Vijay Pande, le plus difficile a été de répartir les calculs de telle sorte que les ressources de chaque ordinateur soient utilisées au mieux. “Imaginez que vous ayez 50 000 secrétaires.” Son équipe est parvenue à l'aide d'astuces mathématiques à décomposer la simulation principale en minicalculs séparés. Le “distributed computing” n'est pas une invention de Vijay Pande. Il y a déjà plusieurs années que les chercheurs tentent de regrouper et d'utiliser les forces inemployées des PC de monsieur Tout-le-monde. Des millions de personnes participent ainsi à la recherche d'une intelligence extraterrestre avec SETI@home en bourrant leur PC de données fournies par le radiotélescope d'Arecibo, à Porto Rico. D'autres s'efforcent de découvrir de nouveaux nombres premiers ou des traitements contre le sida. Grâce à la force du collectif, Vijay Pande n'a mis que deux ans et demi pour décrypter l'assemblage de sa protéine modèle (BBA5). Un simple PC aurait eu besoin de milliers d'années. Le chercheur sait désormais comment l'albumine test acquiert sa structure tridimensionnelle atome par atome. Des mesures complexes effectuées en laboratoire lui ont fourni la preuve que sa simulation correspondait à ce qui se passe dans la réalité. Il entend désormais s'attaquer à de plus grosses protéines - et faire appel à un nombre encore plus grand de donneurs informatiques. Vijay Pande est un chercheur bon marché - son équipe de dix personnes fonctionne avec à peine 500 000 dollars par an de subventions. Cette somme devrait faire réfléchir les huiles d'IBM. Le géant de l'informatique, qui s'intéresse lui aussi à l'assemblage des protéines, est en train de construire un superordinateur, Blue Gene, qui devrait être prêt en 2004. Prix de revient : 100 millions de dollars.

Courrier International :

http://www.courrierinternational.com/mag/INTsciences.htm

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