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Edito : L’or bleu va changer la donne énergétique mondiale

On estime que 1,1 milliard de voitures circulaient dans le monde en 2012 et ce nombre devrait doubler d’ici 2040.

Pourtant, selon l’Agence internationale de l’énergie, la consommation mondiale de carburant pourrait être divisée par deux au cours de la même période mais à deux conditions : promouvoir massivement des véhicules propres et hybrides et développer parallèlement les biocarburants de nouvelle génération.

La secteur des transports, en plein essor, représente actuellement plus de 20 % de la consommation globale d'énergie dans le monde et L'AIE souligne dans ses derniers rapports que nous devons anticiper l’après-pétrole et qu’il est possible d’organiser cette transition en favorisant de grandes ruptures technologiques (Technology Roadmap: Fuel Economy of Road Vehicles) et en optant pour des politiques volontaristes en matière d’efficacité énergétique dans les transports (Policy Pathway: Improving the Fuel Economy of Road Vehicles).

Mais il faut être réaliste : quels que soient les progrès de la technologie et les efforts des pouvoirs publics pendant les 25 prochaines années, il est peu probable qu’on puisse faire « basculer » en si peu de temps l’ensemble du secteur mondial des transports vers des sources d'énergies totalement propres comme l’électricité (à condition qu’elle soit elle-même produite à partir d’énergies non émettrices de gaz à effet de serre) ou l’hydrogène.

Pour se passer totalement des énergies fossiles dont l’épuisement accéléré des ressources va inéluctablement faire exploser les prix, il va donc falloir avoir également recours aux biocarburants issus de la biomasse (à condition, comme le bois et les déchets végétaux, qu’ils n’entrent pas en compétition avec les cultures vivrières) et de la mer (les algues marines).

On sait en effet aujourd’hui que, si les biocarburants de première génération, issus principalement de certaines céréales, des betteraves, du colza, de la palme ou encore, au Brésil, de la canne à sucre, peuvent être rentables et compétitifs, ils finissent souvent par entrer en compétition avec les productions agricoles destinées à l’alimentation car les terres cultivables ne sont pas extensibles à l’infini. Autre problème majeur : selon plusieurs études scientifiques récentes, le bilan carbone réel de ces biocarburants (de type biodiesel et bioéthanol) et leur contribution nette à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, seraient beaucoup moins favorables que prévu.

C’est d’ailleurs pour ces raisons que l’Union européenne vient d’annoncer, le 17 octobre, qu’elle souhaitait, dans son projet de Directive sur les biocarburants, limiter finalement à seulement 5 % la part de ces biocarburants de première génération dans la consommation totale des transports d'ici 2020.

Les biocarburants de deuxième génération, issus du bois, de la paille et des déchets végétaux, ne présentent pas ces inconvénients majeurs : ils n’entrent pas ou peu en compétition avec les productions agricoles et leur bilan carbone est plus favorable mais, pour le moment, leur production est bien plus coûteuse car elle requiert des procédés chimiques lourds et complexes pour aboutir à des biocarburants de moindre qualité énergétique que ceux de première génération.

En outre, un nouvel obstacle risque de compliquer encore leur essor : les progrès récents des technologies de cogénération permettent à présent d’utiliser le bois et les déchets végétaux pour produire avec un bon rendement de la chaleur et de l’électricité. Ce nouvel usage énergétique va donc entrer en compétition avec la production de ces biocarburants issus du bois et de ses dérivés.

Si l’on prend en compte ces différents facteurs économiques, écologiques et technologiques, on constate que c’est probablement la « biomasse bleue », issue de la mer (terme qui me semble plus approprié que celui trop restrictif de biocarburants de 3ème génération), qui pourrait révolutionner à terme la production de carburants mais également, nous allons le voir, être le moteur d’une nouvelle et immense chaîne de valeur industrielle et technologique.

Les micro-algues unicellulaires constituent le plancton végétal ou phytoplancton. Ce sont des micro-organismes constitués, comme leur nom l’indique, d’une seule cellule. Elles représentent les plus anciennes formes de vie sur Terre et sont apparues il y a au moins 3,5 milliards d’années. Ces micro-algues représentent plus de la moitié de toute la matière organique produite par notre planète et sont à la base de toute la chaîne alimentaire du vivant.

Au fil de leur longue évolution, ces micro-organismes ont développé une biodiversité prodigieuse : 35 000 espèces à ce jour sont inventoriées mais il en resterait au moins dix fois plus à découvrir !

Quant on sait qu’actuellement il n’existe que quelques variétés de micro-algues sur le marché (notamment les spirulines et les chlorelles), principalement pour répondre à certains besoins de l’alimentation animale, de l’industrie agro-alimentaire et de la cosmétique, on mesure mieux l’immense potentiel de développement de cet « or bleu ».

Les micro-algues pourraient devenir le moteur d’une révolution technologique, énergétique et industrielle pour cinq raisons essentielles.

D’abord, contrairement aux biocarburants de première génération (maïs, palme, colza), les algues peuvent être cultivées sur des terres impropres à la production agricole qui n’entrent en compétition ni avec l’élevage, ni avec des cultures vivrières.

Deuxième raison : ces micro-organismes peuvent parfaitement proliférer dans des eaux saumâtres ou usées. Leur production de masse devrait donc avoir un impact limité sur les ressources en eau douce de la planète qui, il faut le rappeler, sont déjà consacrées pour les trois quarts à l’agriculture et à l’élevage.

La troisième raison, nous l’avons déjà évoquée, c’est le rendement sans équivalent de cette « algoculture ». Selon les experts, un hectare d’algues, après une sélection génétique judicieuse, pourrait fournir au moins 25 000 litres d'huile, bien plus que le colza, environ 1500 litres, le tournesol, environ 1000 litres et le soja, environ 500 litres. Avec un tel rendement, il suffirait d'affecter l’équivalent d’à peine 1 % de la surface de la France à la production d'algues pour couvrir l’ensemble de la demande de carburants dans notre pays.

La quatrième raison n’est pas souvent mise en avant mais elle est pourtant décisive : en consommant des énergies fossiles présentes dans le sous-sol depuis des centaines de millions d’années, nous rejetons des quantités considérables de CO2 dans l’atmosphère (autour de 40 milliards de tonnes en 2012) et nous aggravons l’effet de serre responsable du réchauffement climatique. Les micro-algues ont au contraire besoin de consommer de grande quantité de CO2, qu’elles savent extraire directement de l’air, pour croître et se développer. La production et l’utilisation des différents biocarburants issus de ces algues seraient donc neutres en termes de bilan carbone. Par ailleurs, et cela n’est pas négligeable, ces algues n’ont pas besoin d’engrais chimiques et de pesticides pour se développer.

Enfin, dernière raison : on sait à présent tirer de certaines variétés de ces algues, des biocarburants très purs et à haut rendement énergétique dont l’emploi dans les transports pourrait améliorer les performances des moteurs et réduire en bout de chaîne la consommation et la pollution de nos véhicules thermiques.

En France, le Laboratoire d'Océanographie de Villefranche-sur-Mer (LOV) est en pointe dans ce domaine de recherche et travaille depuis plus de 5 ans, en partenariat avec l’INRIA, sur la production de biocarburants issus de la mer qui soient performants et utilisables dans nos moteurs de voitures ou d’avions. Selon les chercheurs du LOV, un litre de micro-algues permet de produire cent grammes d’huile d’excellente qualité et le rendement de ces micro-algues serait trente fois supérieur à celui du colza ou du tournesol.

Aux Etats-Unis, le Département de l'Énergie soutient également activement la recherche sur le développement de biocarburants à partir d'algues et estime comme réaliste la perspective, d’ici 10 ans, du remplacement à hauteur de 17 % du carburant issu du pétrole par des biocarburants issus des algues.

L’Europe s’est également engagée dans cette voie d’avenir et prévoit le remplacement progressif des combustibles fossiles par des biocarburants. Une directive européenne prévoit que d'ici 2020, les énergies renouvelables représentent au moins 20 % de notre consommation totale d'énergie. Une autre directive prévoit que 10 % de l’énergie utilisée par les transports en Europe d’ici 2020 soit issue des énergies renouvelables.

Mais pour développer la production d’agrocarburants à un niveau industriel, de nombreux défis scientifiques, économiques et logistiques restent à relever. Il faut notamment trouver une solution à la question de l’approvisionnement des algues en nutriments, principalement du phosphore et de l’ammoniac qui sont indispensables, avec le soleil et le dioxyde de carbone, pour «nourrir» les algues.

Un projet européen unique au monde vise à créer une nouvelle synergie techno-industrielle entre la production d’algues à grande échelle et le recyclage des eaux usées. L’idée est à la fois assez simple mais très ambitieuse à mettre en œuvre : sachant que les nutriments représentent une part importante dans les coûts de production des algues, pourquoi ne pas nourrir ces dernières gratuitement à l’aide des eaux usées qui contiennent tous les nutriments nécessaires.

C’est dans cette perspective que la compagnie de gestion de l’eau espagnole Aqualia a lancé, avec le soutien de l’Union européenne, un projet visant à démontrer la faisabilité de l’utilisation des eaux usées pour cultiver des algues destinées à la production de biocarburant. Ce projet, implanté à Chiclana, au nord de l’Espagne, vise à terme à produire annuellement, sur une surface de 10 hectares, 200 000 litres de biodiesel par an, et 600 000 mètres cube de biométhane, de quoi alimenter environ 400 véhicules par an.

Outre-Atlantique, plusieurs projets misent également sur la production massive d’algocarburants pour réduire la dépendance américaine aux carburants fossiles. Début 2012, des scientifiques américains ont réussi, en modifiant la bactérie Escherichia coli, à convertir des algues brunes en éthanol, ce qui lève un obstacle majeur à l’utilisation à grande échelle des macroalgues brunes pour la production de biocarburant. Selon les chercheurs, le rendement à l’hectare de ces algues brunes communes serait environ deux fois plus élevé que  celui de la canne à sucre et cinq fois plus important que celui du maïs.

Autre avancée concrète : la société américaine de biotechnologie Joule Unlimited, a récemment annoncé un partenariat avec Audi pour développer une technique de production très innovante. Celle-ci utilise également une bactérie génétiquement modifiée, capable de produire directement du carburant liquide lorsqu'elle est exposée à la lumière et nourrie en CO2 (Voir article).

Contrairement aux autres biocarburants, les algocarburants qui seraient produits avec ce type de bactérie n’ont besoin ni de nutriments, de terre arable, ni d’eau potable, ni d’engrais. Il suffit de remplir de longs tubes de plastique transparent, d’eau usée puis d’y introduire la fameuse bactérie et du CO2. Sous l’effet de la chaleur et de la lumière du soleil, on peut alors produire de grande quantités de bioéthanol et de biogazole ! Cerise sur le gâteau : cette technologie de production a un rendement à l'hectare inégalé, au moins dix fois supérieur à celui de l'éthanol issu de la canne à sucre.

En théorie, avec cette technologie, il ne faudrait que 4 000 kilomètres carrés de réacteurs pour produire le biocarburant nécessaire au parc automobile français et 50 000 km2 pour satisfaire les besoins du parc européen. Au niveau mondial, 250 000 km2 de réacteurs, moins de la moitié de la surface de la France, suffiraient à assurer les besoins mondiaux en carburants !

Il reste cependant à passer du laboratoire à la production industrielle. Celle-ci devrait débuter dès l’année prochaine aux Etats-Unis avec deux sites-pilotes au Texas et au Nouveau-Mexique. L’objectif est de produire un bioéthanol à moins de 0,25 € le litre, soit un prix inférieur à celui du bioéthanol américain issu du maïs.

Toujours avec cette technologie du bioréacteur, il est également prévu de produire du biogazole à un coût estimé à moins de 50 dollars le baril. En outre, ce biogazole possède une qualité énergétique bien supérieure au gazole issu du pétrole, grâce un indice de cétane presque deux fois plus grand. Il permet donc un rendement et une combustion plus complète dans le moteur diesel et une réduction finale de la consommation et de la pollution.

En 2010, la compagnie EADS a d’ailleurs utilisé pour la première fois sur plusieurs vols un biocarburant issu des algues. Celui-ci contenait huit fois moins d’hydrocarbures fossiles que le kérosène dérivé du pétrole et les avions qui ont brûlé ce biocarburant ont réalisé des économies de consommation de l’ordre de 10 %. Selon EADS, ce type de biocarburant pourrait représenter d’ici 20 ans le tiers du carburant nécessaire à l’aviation civile dans le monde !

Mais le potentiel énergétique des algues ne se limite pas à la production de biocarburants performants pour le transport, il peut également venir s’intégrer dans un nouveau binôme énergétique très prometteur dont le second terme est l’hydrogène.

L’hydrogène est un vecteur énergétique potentiel idéal. Il possède une remarquable intensité énergétique et surtout sa combustion ne produit que de l’eau et n’entraîne aucune pollution et aucun gaz à effet de serre. Mais ce gaz n’est pas disponible sur Terre à l’état naturel et le grand défi de ce siècle va être de le produire en grande quantité et de manière propre. Or, l’énergie solaire et éolienne ne suffira pas, à un horizon prévisible, à produire tout l’hydrogène dont le monde aura besoin en 2050 pour sortir des énergies fossiles.

C’est là qu’interviennent certaines variétés de micro-algues qui possèdent la capacité de produire de l’hydrogène à partir d’eau et de lumière. Des chercheurs allemands de l’Université de Bonn dirigée par le Professeur Happe sont ainsi parvenus à isoler le gène qui commande la production d’hydrogène chez l’algue verte et ont ensuite modifié génétiquement cette algue verte pour lui faire produire de grandes quantités d’hydrogène.

En outre, les micro-algues sont de remarquables usines de transformation biochimiques qui peuvent « digérer » et transformer un grand nombre de substances contenues dans nos déchets et qui possèdent également une extraordinaire capacité à absorber le C02 ! A terme, il devrait être possible, grâce à une sélection rigoureuse et à une amélioration génétique de certaines familles de micro-algues, de faire d’une pierre trois coups : produire à bas coût des biocarburants d’excellente qualité, produire de manière propre de grandes quantités d’hydrogène et enfin dépolluer et retraiter nos eaux usées et nos déchets de manière écologique !

A l’heure actuelle, le litre de carburant d’algue coûte encore dix fois plus cher que le pétrole mais cette situation pourrait évoluer plus vite que prévu car le prix du baril de brut ne pourra que grimper inexorablement sous le double effet de l’épuisement des ressources physiques et de l’augmentation de la demande mondiale. Dans le même temps, le coût de production du baril d’algocarburant va fortement diminuer à mesure que la technologie de production progressera et les deux courbes pourraient bien se croiser avant une dizaine d’années…

Mais l’exploitation énergétique à grande échelle des algues n’aura de sens que si elle rentre dans le cadre d’une chaîne industrielle qui ne se limite pas à l’énergie mais intègre également l’alimentation humaine et animale, les médicaments, les cosmétiques et les technologies écologiques de dépollution des eaux. C’est donc bien une nouvelle économie qui est à imaginer et à bâtir.

Le jeu en vaut la chandelle car, pour prendre l’exemple du seul pétrole, nous ne pouvons continuer sur la trajectoire de consommation actuelle. Le monde consomme déjà 4,4 milliards de tonnes de pétrole par an et si nous restons sur ce rythme, imposé principalement par la croissance économique de l’Asie, nous consommerons plus de 6 milliards de tonnes de pétrole par an à l’horizon 2030. Une telle perspective n’est pas supportable car la planète doit absolument réduire de moitié ses émissions de CO2 d’ici 2050 et cet objectif vital ne pourra être atteint ou approché que si nous parvenons à réduire dans les mêmes proportions notre consommation d’énergies fossiles et de pétrole.

Seul le développement massif et cohérent des énergies renouvelables, articulé sur la synergie du triptyque éolien, solaire et biomasse (terrestre et marine), complété par l’hydrogène, comme vecteur, peut nous permettre, conjointement à une amélioration sans précédent de l’efficacité énergétique de nos sociétés et de nos économies, de relever le double défi, énergétique et climatique qui nous attend.

Dans cette perspective, la conception et le développement d’une industrie globale de production et de transformation des ressources immenses et inépuisables en biomasse issues de la mer doivent devenir un objectif stratégique majeur de notre pays.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • zelectron

    26/10/2012

    On peut aussi laisser un peu de phytoplancton pour les poissons ? :-)

    Votre billet nous laisse sur notre faim:

    - Vous n'évoquez pas la géothermie (peut-être à cause de l'incurie d'EDF, pilote de l'installation de Soulz dont l'orgueil l'empêche de demander conseil aux islandais qui maitrisent cette technique parfaitement)

    - L'hydrogène constitue une autre ressource (à ce jour difficile à produire et à stocker, mais de moins en moins) surtout pour l'usage des piles à combustible ( H² peut-être pour l'instant sous forme extraite de CH4?)

    - La robotisation des véhicules associés à des routes communicantes (certains utilisent le mot intelligent à toutes les sauces: ce terme est réservé aux êtres humains et englobe même son irrationalité) peut générer des économies prodigieuses (en "carburants", vies et blessés humains, casses de voitures et autres collatéraux gaspillages des ressources de forces de police, personnels hospitaliers et annexes, auto-écoles et prévention routière...etc...)

    J'ajoute que vos billets que je lis depuis pratiquement l'origine sont un régal d'idées et de synthèse. Merci pour votre patience à les produire.

  • JP.Baquiast

    1/11/2012

    Cher Sénateur, comme vous m'y avez autorisé précédemment j'ai republié votre article qui recoupe directement nos préoccupations éditoriales à http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2012/131/orbleu.htm
    J'ai référencé à cette occasion un projet allemand qui va dans votre sens http://www.psfk.com/2012/10/algae-powered-building.html

  • Jean Paul VIGNAL

    3/11/2012

    Merci, cher Monsieur Basquiat, de suivre ma Lettre depuis si longtemps et avec une telle attention.
    Cela m'honore.
    Bien Cordialement
    René TREGOUET

  • René TREGOUET

    3/11/2012

    Merci, cher Monsieur Basquiat, de suivre ma Lettre depuis si longtemps et avec une telle attention.
    Cela m'honore.
    Bien Cordialement
    René TREGOUET

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