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Comment transformer les déchets agricoles en pétrole

Dans un parc industriel de Philadelphie se dresse une nouvelle machine capable de changer n'importe quoi (ou presque) en pétrole. Sans rire. "Nous tenons là la solution de trois des plus grands problèmes de l'humanité", proclame Brian Appel, président-directeur général de Changing World Technologies, la société qui a construit cette installation pilote et vient d'en terminer la première mise en place industrielle dans le Missouri. "Ce procédé peut permettre de résoudre le problème des déchets à l'échelle mondiale. Il peut augmenter nos réserves de pétrole et freiner le réchauffement de la planète." Excusez-moi, intervient un journaliste frissonnant dans la froidure matinale, mais ça m'a l'air trop beau pour être vrai. "C'est ce que tout le monde dit", répond Brian Appel. Ce chef d'entreprise, grand et affable, a rassemblé une équipe de scientifiques, d'anciens chefs d'Etat et de gouvernement et d'investisseurs fortunés pour développer et commercialiser ce qu'il présente comme le procédé de dépolymérisation thermique (PDT). Ce procédé est conçu pour traiter pratiquement tous les déchets imaginables, dont les fientes de dinde, les pneus, les bouteilles en plastique, les eaux sales des ports, les ordinateurs obsolètes, les ordures municipales, les tiges de maïs, les effluents de pulpe de papier, les déchets médicaux infectieux, les résidus des raffineries de pétrole et même les armes biologiques comme les spores de la maladie du charbon. A en croire Brian Appel, les déchets entrent d'un côté et ressortent de l'autre sous la forme de trois produits, tous de valeur et sans danger pour l'environnement : du pétrole de grande qualité, du gaz propre et des matières premières minérales purifiées. Contrairement à d'autres processus de transformation de solides en carburant liquide, telle la conversion de poudre de maïs en éthanol, le procédé fonctionne avec tout élément à base de carbone. Si un homme de 79 kilos tombait dans la machine, il en ressortirait sous la forme de 17 kilos de pétrole, 3 kilos de gaz, 3 kilos de minéraux et 56 litres d'eau stérilisée. Certes, personne n'envisage de mettre des gens dans une machine à dépolymérisation thermique, mais un sous-produit humain très intime pourrait bien servir de matière première. "Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas transformer en pétrole les eaux usées, y compris les excréments humains", s'enthousiasme Terry Adams, consultant sur le projet. La municipalité de Philadelphie est justement en discussion avec Changing World Technologies pour un projet de ce type. Aujourd'hui, dans l'enceinte du Naval Business Center de Philadelphie, la matière première provient d'un élevage industriel de dindes : des plumes, des os, de la peau, du sang, de la graisse, des intestins. Une benne déverse plus de 600 kilos de ces déchets dans une broyeuse de 350 chevaux qui malaxe l'ensemble pour en faire une purée d'un brun-gris. De là, cette pâte dégouline dans une succession de réservoirs et de tuyaux vibrants et sifflants, où la mixture est chauffée avant d'être digérée et décomposée. Deux heures plus tard, un technicien en blouse blanche actionne une valve d'où s'écoule un liquide couleur miel qui déborde un peu en remplissant un récipient de verre : du pétrole, vraiment superbe ! "Les chaînes de carbone les plus longues sont des C-18, ou de ce genre-là", commente Brian Appel en lançant des coups d'oeil admiratifs au liquide. "C'est du pétrole très léger. En gros, c'est l'équivalent d'un mélange, moitié fioul, moitié essence." La transformation de déchets contenant du carbone et de l'hydrogène en pétrole et en gaz est un truc que la nature maîtrise depuis longtemps. Pour l'essentiel, le pétrole brut provient de plantes et d'animaux unicellulaires qui meurent et reposent sur les fonds des océans, où ils se décomposent avant d'être broyés par le glissement des plaques tectoniques. Sous la pression et la chaleur, les longues chaînes de polymères, à savoir l'hydrogène, l'oxygène et les molécules porteuses de carbone de ces créatures défuntes, se décomposent en hydrocarbures de pétrole à chaîne courte. Mais, pour y parvenir, la Terre prend tranquillement son temps, généralement quelques milliers, voire des millions, d'années, parce que la chaleur et les modifications de pression du sous-sol sont chaotiques. Les machines à dépolymérisation thermique accélèrent le processus justement en augmentant la chaleur et la pression à des niveaux qui décomposent les longs liens moléculaires de la matière première utilisée. De nombreux scientifiques ont cherché à transformer des solides organiques en carburant liquide en utilisant des déchets, mais ces tentatives sont surtout connues pour leurs échecs. "Le problème, avec la plupart de ces méthodes, c'était qu'elles essayaient d'effectuer la transformation en une seule étape - en surchauffant la matière pour en éliminer l'eau tout en décomposant simultanément les molécules", explique Brian Appel. Ce qui entraîne une consommation excessive d'énergie sans éliminer le risque que des substances nocives contaminent le produit fini. En général, le contenu en BTU

Courrier International : [http://www.courrierinternational.com/">British Thermal Unit, unité de chaleur britannique ; 1 BTU = 0,2520 kilocal] du pétrole ou du gaz qui en résulte dépasse à peine la quantité requise pour le fabriquer. La dépolymérisation thermique, poursuit Brian Appel, a fait preuve d'une efficacité énergétique de 85 % avec des matières premières complexes comme les fientes de dinde. "Ce qui signifie que, pour récupérer 100 BTU, nous n'en consommons que 15." Il ajoute que le rendement est encore supérieur avec des matières premières relativement sèches comme le plastique. Or qui dit efficacité dit profit, Brian Appel n'en doute pas. "Nous avons procédé à tant de tests à Philadelphie que nous connaissons déjà les coûts, dit-il. Dans notre première véritable usine, nous estimons que nous produirons du pétrole à 15 dollars le baril. D'ici trois à cinq ans, nous arriverons à 10 dollars." Brian Appel a récolté plus de 12 millions de dollars de subventions fédérales pour la construction d'usines de démonstration capables de traiter de la fiente de poulet et du fumier en Alabama, des déchets agricoles et de la graisse dans le Nevada. Des sites de retraitement des déchets de dinde et de fumier au Colorado, et de porc et de fromage en Italie sont déjà à l'étude. Selon lui, la première génération de centres de dépolymérisation sera opérationnelle dès 2005. Et, d'ici là, on saura parfaitement si cette technologie est aussi miraculeuse que le prétendent ses partisans.

Courrier International : [http://www.courrierinternational.com/

Changing World Technologies :

http://www.changingworldtech.com/techfr.htm

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