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Edito : Les voyages spatiaux de très longue durée passeront par l’hibernation…ou la cryogénisation

Tous les amateurs de Science-Fiction ont lu des romans et vu des films dans lesquels les astronautes, embarqués dans un vaisseau spatial pour une mission lointaine durant des décennies, voire des siècles, sont placés pendant toute la durée de leur long périple en état "d’animation suspendue", qu’il s’agisse de cryogénisation, ou d’hibernation et de congélation. Aujourd’hui, même si ces scenarios restent encore hors de portée de nos possibilités scientifiques, de nombreux chercheurs envisagent sérieusement de recourir à ces outils pour rendre possibles, au cours de ce siècle, des explorations spatiales aux confins de notre système solaire, et peut-être même au-delà.

C’est en 1967 qu’a eu lieu la première cryogénisation d’un être humain. Il s’agissait de James Bedford, un professeur réputé de psychologie à l’Université de Californie, qui était décédé des suites d’une maladie incurable à l’époque. Le corps du Professeur Bedford fut refroidi artificiellement, immédiatement après sa mort, puis plongé dans une cuve d’azote liquide, à -196°C, dans la perspective d’une future réanimation. Le Professeur Bedford était en effet persuadé que la science finirait par progresser suffisamment pour permettre à la fois de le "ressusciter", puis de le guérir du mal qui l’avait emporté.

Quelques années avant cette première "congélation" d’un être humain, la technique de cryogénisation, ou cryonie, avait été pour la première fois évoquée de manière précise par le physicien américain Robert Ettinger, dans un célèbre essai intitulé "La Perspective de l’immortalité". Ce scientifique était persuadé que la mort n’était qu’un événement résultant de notre ignorance et qu’elle pourrait un jour être vaincue, comme n’importe quelle autre maladie. Après avoir théorisé le transhumanisme en 1972, il fonda en 1976, l’Institut cryonique, où, on ne s’en étonnera pas, son corps a été cryogénisé après son décès en 2011.

Mais Robert Ettinger, contrairement au Professeur Bedford, dont la cryogénisation fut réalisée en 1967 avec des techniques rudimentaires, a eu droit à une "mise en sommeil cryogénique" bien plus sophistiquée que son illustre prédécesseur. Son corps a été placé dans un bain de glace juste après sa mort et son cœur a été maintenu artificiellement en fonction pour que son cerveau soit toujours irrigué, jusqu'à ce qu'une machine prenne le relais. Son sang a également été remplacé par une solution antigel élaborée, qui empêche la formation de cristaux de glace, pouvant endommager les cellules. Mais surtout, Robert Ettinger a bénéficié d’une avancée majeure mise au point il y a une vingtaine d’années : la vitrification. Ce processus délicat, qu'il faut savoir maîtriser, consiste à refroidir le corps en quelques heures, grâce à de l'azote, jusqu'à -125 degrés. Dans une seconde phase, le corps est ensuite refroidi progressivement pendant une dizaine de jours, jusqu'à -196 degrés. Le patient est alors stocké dans de l'azote liquide. Cette technique permet de substituer 60 % de l'eau des cellules par une solution synthétique. Elle présente l’avantage décisif d’éviter une congélation des molécules constituant l’organisme, puisque celles-ci sont ralenties jusqu'à être figées à -125 degrés.

Une nouvelle étape vers la maîtrise de la cryogénisation fut franchie en 2010, lorsque des scientifiques du centre de recherche 21st Century Medicine, dirigés par Gregory Fahy, parvinrent à cryogéniser un rein de lapin puis à le ramener à température ambiante, avant de le greffer avec succès sur un autre animal (Voir NIH). Une autre avancée remarquable a eu lieu en 2016, quand l’équipe de Robert McIntyre (MIT) a réussi à abaisser la température d’un cerveau d'un lapin à -135 degrés Celsius, grâce à l’emploi du glutaraldéhyde, une substance neuroprotectrice qui préserve non seulement les protéines du cerveau mais également, ce qui est bien plus étonnant, tous les neurones et les synapses, ce qui permet d’imaginer, au moins en théorie, selon ces chercheurs, une possible conservation de la mémoire, à l’issue d’une longue cryogénisation…

Reste qu’en dépit de ces progrès impressionnants, les scientifiques considèrent que la cryogénisation de spationautes pour de longues et lointaines missions spatiales n’est sans doute pas envisageable avant la seconde moitié de ce siècle, car des obstacles considérables restent à surmonter. Ramener à la vie un être aussi complexe qu’un humain, qui aura été cryogénisé pendant des décennies, est en effet un défi qui s’annonce immense et un tel exploit nécessitera d’accomplir encore de nombreuses avancées scientifiques et biologiques. Il faudra également disposer, pour réussir pareille prouesse, d’une puissance de calcul inimaginable aujourd’hui, capable de traiter très rapidement un nombre astronomique de paramètres et de données, afin de maîtriser ce délicat "réveil" et de s’assurer notamment que la mémoire et la personnalité du sujet, inscrites dans son cerveau sous forme de "connectome" (ensemble des interconnexions synaptiques) ont bien été préservées…

En attendant ce jour, les scientifiques ne baissent pas les bras et envisagent, pour les futurs voyages spatiaux au long cours, une autre possibilité qui pourrait, elle, devenir opérationnelle bien plus rapidement, l’hibernation. Pour développer cette technique, et pouvoir l’appliquer à l’homme, les scientifiques s’inspirent de la nature, qui compte de nombreux exemples d’animaux dotés de cette étonnante faculté d’hibernation, à ne pas confondre avec l’hivernation, qui s’apparente à une simple réduction d’activité du métabolisme sur quelques semaines, comme celle qui caractérise les ours, par exemple. Le phénomène bien plus complexe et marqué d’hibernation, que l’on observe notamment chez les marmottes, les écureuils, les hérissons ou encore les chauves-souris, se manifeste par des changements réellement impressionnants du métabolisme de ces animaux, destinés à leur permettre de s’adapter à leur environnement, en surmontant au mieux des conditions extérieures parfois extrêmes.

Dans le cas de la marmotte, le métabolisme est réduit de 90 %, avec une seule respiration et seulement cinq pulsations cardiaques par minute. Quant à la température corporelle de cet animal, elle tombe à trois degrés Celsius… Les écureuils possèdent également cette faculté remarquable. Après avoir emmagasiné des réserves de graisse pendant l’été, ils se réfugient dans leur tanière l’hiver, où ils abaissent leur température corporelle à moins de 10°C, diminuent à seulement 3 % du rythme habituel leur respiration, et cessent de s’alimenter. Mais, de façon encore plus surprenante, ces petits mammifères, grâce à des mécanismes que l’on commence à comprendre, ne souffrent pas d’atrophie musculaire, de thrombose, ou de perte de masse osseuse à cause de leur immobilité. En outre, les organismes de ces animaux ont la capacité de se réveiller régulièrement, avant de se remettre en mode "hibernation", une programmation résultant sans doute de leur évolution adaptative, et qui leur permet de se réveiller complètement en cas d’urgence. Il y a un an, une étude a par ailleurs montré que notre ancêtre, l'homme de Neandertal, aurait pu hiberner pour se protéger de températures extrêmes (Voir Science Direct).

Les capacités extraordinaires de ces petits animaux, et peut-être de nos lointains ancêtres, en matière d’hibernation, n’ont pas échappé à la NASA, qui travaille, depuis plusieurs années déjà, en coopération avec de nombreux laboratoires de recherche et des entreprises, sur des méthodes d’hibernation contrôlée qui pourraient permettre, dans un avenir relativement proche (sans doute une vingtaine d’années), d’envisager des missions spatiales lointaines à la fois bien plus sûres pour les spationautes, et également bien moins coûteuses pour le contribuable. La société américaine SpaceWorks a notamment été chargée par la NASA d’explorer les différentes pistes technologiques possibles permettant l’hibernation contrôlée des futurs spationautes. Cette solution présenterait des avantages considérables, d’abord parce qu’elle permettrait de placer les astronautes dans des capsules spéciales, où il serait possible de les protéger de manière bien plus efficace contre les effets néfastes des radiations cosmiques auxquelles ils seront exposés pendant leur long voyage dans l’espace.

Dans l’hypothèse d’une mission habitée vers Mars, il faut en effet savoir que les astronautes partiraient pour au moins deux ans et demi (un voyage d’un an, aller et retour, et un séjour sur la planète rouge de 18 mois). On comprend mieux pourquoi, dans ce scenario, la protection maximale contre les rayonnements cosmiques, pendant le vol, est un élément essentiel à prendre en compte pour la santé des astronautes. Mais, en outre, l’hibernation de l’équipage permettrait une réduction considérable du volume et de la masse totale du vaisseau spatial utilisé. Avec beaucoup moins d'oxygène, d'eau et de nourriture à embarquer, la NASA a calculé que le volume habitable pourrait alors passer de 200 mètres cube à seulement 20 mètres cube, et la masse totale de la fusée pourrait diminuer des deux-tiers….

Pour l’instant, mais rien n’est figé, la NASA envisage de placer en hibernation les spationautes qui iront explorer Mars, et plus tard d’autres planètes encore plus lointaines de notre système solaire (comme certaines lunes de Saturne et Jupiter qui pourraient peut-être abriter des formes de vies) avec une technique appelée "hypothermie thérapeutique". Cette approche, utilisée depuis plus d’un demi-siècle en médecine, consiste à refroidir le corps humain pour minimiser les lésions, ce qui laisse le temps d’intervenir en cas d’arrêt cardiaque, ou d’accident vasculaire cérébral. Concrètement, les médecins commencent à injecter un sédatif, puis remplacent le sang par un soluté salin à 5°C, ce qui arrête le cœur, et abaisse la température corporelle jusqu’à 32°C. Cet état provoque une mise au ralenti du métabolisme et un sommeil léthargique.

Mais certains scientifiques, comme Robert Henning, de l’Université néerlandaise de Groningen, veulent aller encore plus loin. Pour ce chercheur, « Il faut prendre le problème dans l’autre sens : dans l’hypothermie thérapeutique, c’est le refroidissement qui induit la baisse du métabolisme. Tandis que dans la réelle hibernation, c’est l’inverse : sur un signal interne de l’animal, son corps s’arrête de se chauffer ! (Voir YouTube). Le Professeur Henning a découvert que les cellules de hamsters hibernants étaient riches en sulfure d’hydrogène (H2S) et que ce gaz jouait un rôle-clé pour les protéger du froid et de l’oxydation, tout en alimentant en énergie les mitochondries cellulaires. Or chez les animaux non hibernants, le mécanisme qui produit ce H2S cesse de fonctionner avec le froid, ce qui induit des dommages. Selon le Professeur Henning, une meilleure connaissance des mécanismes complexes qui permettent l’hibernation chez de nombreux animaux pourrait permettre, d’ici une vingtaine d’années, d’induire chez l’homme, à l’aide de substances externes, une "torpeur synthétique".

Mais revenons au scenario construit par SpaceWorks et la NASA pour les missions vers Mars. Il prévoit que deux vaisseaux cargos soient envoyés en amont. Le premier se poserait sur la planète rouge, l'autre resterait en orbite. Ces vaisseaux automatisés seraient destinés à emporter tout le matériel et les ressources nécessaires aux astronautes durant leur long séjour (en principe 1 mois) sur place. Le vaisseau habité ne partirait qu’ensuite, pour un voyage d’environ six mois, soit un aller-retour en une année. Ce vaisseau serait principalement composé de capsules d’accueil, prévues pour accueillir jusqu'à six astronautes, les systèmes de production d'oxygène et de recyclage de l'eau, ainsi que les réserves de vivres, qui prendront peu de place, grâce à leur forme concentrée et liquide. Placés en état d’hibernation à tour de rôle (et réveillés également les uns après les autres, pour des raisons de sécurité), les spationautes seraient alimentés par intratraveineuse, à l’aide de bras robotisés. Leur métabolisme serait évidemment étroitement surveillé en permanence, grâce à une multitude de capteurs, et ils seraient soumis à des stimulations électriques régulières, à la fois pour prévenir l'atrophie musculaire et pour stimuler leur cerveau et améliorer la qualité de leur "sommeil".

Il est intéressant de souligner que l’Agence Spatiale européenne envisage, elle aussi, sérieusement, selon un scenario assez proche de celui imaginé par la NASA, de placer ces astronautes en état d’hibernation, dans des nacelles spécialement conçues à cet effet. Pour gérer le vaisseau spatial, surveiller l’équipage en sommeil artificiel, et faire face à des situations imprévues, l’ESA a récemment annoncé qu’elle voulait recourir à un système très puissant d’intelligence artificielle, doté d’une grande capacité d’autonomie, d’une extrême résilience, et capable de faire face à des incidents et situations imprévues… Et si cela vous rappelle quelque chose, c’est normal, car cette IA ressemble étrangement à HAL, l’ordinateur intelligent et sensible (un peu trop d’ailleurs) imaginé il y a plus de 50 ans, par Stanley Kubrick, dans son chef d’œuvre, « 2001, l’Odyssée de l’espace »… (Voir ESA).

Quant aux missions spatiales qui partiront pour explorer des mondes situés en dehors de notre système solaire, probablement au cours du prochain siècle, elles auront sans doute, elles aussi, recours à ces techniques d’hibernation ou de cryogénisation, qui devraient avoir fait des pas de géant d’ici là. Mais ces voyages ne seront envisageables qu’à condition que se produisent des ruptures technologies majeures en matière de modes de propulsion. En effet, même avec les futurs moteurs ioniques, qui pourront peut-être raccourcir à 40 jours le voyage vers Mars, il faudrait encore 75 000 ans pour rallier l’étoile la plus proche de la Terre, Proxima du Centaure, situé à 4,2 années-lumière…

Pour conclure, je voudrais appeler votre attention sur la synergie très positive qui se met en place entre l’exploration spatiale et les avancées en biologie et en médecine : les missions spatiales lointaines ne seront possibles qu’à condition que ces techniques futuristes de cryogénisation et d’hibernation fassent des progrès décisifs. Mais le contraire est également vrai : l’exploration toujours plus lointaine du cosmos permettra à la science, en particulier à la biologie et la médecine, d’accomplir d’extraordinaires progrès…

Quand on considère tous les enjeux scientifiques, industriels et géopolitiques absolument vitaux pour notre avenir, et notre souveraineté européenne, que représentent la maîtrise de missions spatiales de longue durée et l’exploration de notre système solaire, on constate que l’effort que doit accomplir notre continent dans ce domaine reste très important : pendant que la NASA dispose cette année d’un budget annuel de 23 milliards d’euros, l’Agence spatiale européenne devra se contenter de 9 milliards d’euros, pour la période 2021-2027… Si nous voulons que demain, l’Europe garde sa puissance géostratégique face aux Etats-Unis, mais aussi face à la Russie, à la Chine, à l’Inde, et qu’elle soit également en mesure d’aller explorer Mars, puis d’autres planètes plus lointaines du système solaire, avant d’en exploiter un jour les richesses et le potentiel en énergie, nous devons nous donner les moyens humains et financiers au long terme de prendre la tête de cette aventure spatiale qui ne fait que commencer, et ouvre une nouvelle page de l’histoire de l’humanité…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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  • FabriceLyon

    18/03/2022

    Bonjour,
    La protection ontre les rayonnements cosmiques, pendant le vol, pourrait peut-être réalisée en modifiant l'adn des cosmonautes, en intégrant des éléments des Tardigrades ou de Deinococcus radiodurans qui sont résistants aux radiations, tout ceci grâce à CRISPER CAS 9.

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