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Voitures à hydrogène : un défi techno-économique pour la planète

Si des centaines de véhicules roulent d'ores et déjà dans le monde grâce à une pile à combustible, cette technologie ne s'imposera pas tant qu'elle restera aussi chère et que les gouvernements ne feront pas une priorité de la lutte contre le réchauffement de l'atmosphère, a estimé l'Agence internationale de l'Energie (AIE). "Les gouvernements doivent adopter des politiques volontaristes pour réduire les émissions de gaz carbonique. Il faut aussi réduire drastiquement le coût de ces technologies. Si ces deux conditions ne sont pas remplies, il sera très difficile aux piles à combustibles d'atteindre la masse critique nécessaire pour décoller commercialement", a estimé Giorgo Simbolotti, l'un des auteurs d'un rapport consacré par l'AIE à cette technologie "propre".

Dans l'hypothèse la plus favorable, les véhicules mus par une pile à combustible à l'hydrogène pourraient être commercialisés à partir de 2025 et représenteraient 30 % du parc automobile en 2050, soit 700 millions de véhicules. La consommation mondiale de pétrole en serait ainsi réduite de 13 %. Avec l'apport d'autres technologies nouvelles, un tel développement du parc mondial de ce type de véhicule permettrait de diminuer de moitié d'ici 2050 les émissions de gaz carbonique, principal fautif du réchauffement de la planète, pronostique l'agence, qui présentera ses conclusions la semaine prochaine au sommet sur le climat de Montréal.

La pile à combustible, dont le principe est connu depuis la fin du XIXème siècle, produit simultanément de l'électricité et de la chaleur à partir d'une réaction chimique entre l'oxygène de l'air et l'hydrogène. Cette technologie offre un excellent rendement énergétique et a un impact réduit sur l'environnement, car elle ne produit ni suies, ni gaz polluants. Mais elle très chère. Une pile à combustible coûte actuellement 2.000 dollars par kilowatt d'énergie produite. Il faudrait ramener ce coût à 100/200 USD pour engager une production de masse, tout en sachant que le coût des moteurs actuels de voiture est de l'ordre de 50 USD par kilowatt. "L'opinion publique a aussi beaucoup d'idées fausses" sur l'hydrogène, a souligné devant la presse le directeur exécutif de l'AIE Claude Mandil. "La principale est que l'on ne peut pas extraire l'hydrogène d'un puits, comme le pétrole". Or, "l'hydrogène, comme l'électricité, il faut le fabriquer", notamment à partir du très polluant charbon. Une utilisation accrue de l'hydrogène impliquera d'améliorer les techniques de capture et de stockage du gaz carbonique dégagé lors de sa fabrication, a rappelé M. Mandil.

L'AIE estime qu'il faut diviser de trois à dix fois le coût de revient actuel de l'hydrogène, actuellement de l'ordre de 50 dollars par gigajoule (soit l'équivalent de 8 kilogrammes d'hydrogène), pour que les voitures à pile à combustible puissent être compétitives. Il faudrait y ajouter 1 à 2 USD/Gj pour refléter le coût des pipelines d'acheminement, 7 à 10 USD/Gj pour les installations de cryogénisation et de 3 à 6 USD/Gj pour les stations-services. Les voitures seront également difficiles à construire à des prix compétitifs, car l'hydrogène est un gaz très peu dense. Pour le stocker, il faut donc le comprimer très fort (jusqu'à 700 fois la pression atmosphérique) ou le geler à -253° C. Les technologies existent mais leur coût est très élevé, y compris du point de vue énergétique, puisque jusqu'à 60 % de l'énergie de l'hydrogène embarqué dans une voiture pourrait être consommé dans son stockage.

Pour l'AIE, le développement de la pile à combustible rendra nécessaire dans le demi-siècle des investissements additionnels pouvant atteindre 1.000 milliards de dollars dans les pipelines de transport, 700 mds USD dans les stations-services et 2.300 milliards de dollars dans les véhicules. Une somme colossale, à comparer toutefois aux 16.000 milliards de dollars que la planète devra investir dans l'énergie d'ici 2030.

Il est vrai que quand le cours du baril de pétrole dépasse les 60 dollars, toutes les technologies propres gagnent en compétitivité économique. On a ainsi vu fleurir, à la mi-septembre, lors du Salon de Francfort, des consortiums entre grands constructeurs pour développer des systèmes hybrides combinant moteur thermique et moteur électrique (Audi-VW-Porsche et BMW-DaimlerChrysler-GM). Même PSA, chantre du diesel propre et inventeur du filtre à particules, annonce pour 2006 la présentation d'un Berlingo hybride gazole-électricité.

Mais le grand chambardement technologique et environnemental, c'est de l'hydrogène qu'on l'attend, et de cette pile à combustible dont le principe a été découvert en... 1839. Dans son livre L'Economie hydrogène, l'économiste Jeremy Rifkin estime qu'il s'agit là de la « plus importante révolution en matière d'application de l'énergie depuis l'invention du moteur à combustion ». Les spécialistes de la PAC savent bien que le secteur des transports sera le dernier à utiliser cette technologie, en raison des contraintes imposées par la mobilité. Le chauffage des logements ou l'alimentation en énergie des bâtiments industriels passeront bien avant. Quelques véhicules, bus ou voitures Mercedes ou Honda, circulent déjà. Mais le coût des prototypes reste encore prohibitif.

« C'est une technologie de long terme pour l'automobile, reconnaît Pascal Hénault, directeur de la recherche et de l'innovation de PSA, mais si l'on veut être considéré comme un partenaire sérieux dans ce domaine, on ne peut participer aux études du bout des lèvres. » A Carrières-sous-Poissy, en région parisienne, PSA réunira avant la fin de l'année dans un nouveau bâtiment ses équipes spécialisées sur la pile à combustible, soit une cinquantaine de chercheurs.

Chez Renault, on étudie de longue date le dossier PAC. Mais depuis la présentation du concept car Fever en 1998, développé sur la base d'un break Laguna guère attrayant et au coffre encombré par les réservoirs d'hydrogène, l'ancienne Régie oeuvre dans la plus grande discrétion. D'autant que le nouveau patron de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, expert en communication maîtrisée, a annoncé pour le mois de février prochain une grande déclaration sur la stratégie du groupe, notamment dans le domaine de l'innovation. D'ici là, silence radio sur les choix verts de l'alliance Renault-Nissan.

Au niveau national aussi, la PAC est à nouveau d'actualité, après les atermoiements de ces dernières années. Désormais, avec le Centre national de recherche technologique de Belfort-Montbéliard, les industriels disposent d'un centre de tests grandeur nature des prototypes en cours de développement. La difficulté pour les centres de recherche (CNRS, CEA, etc.) et pour les industriels comme EDF, Total, Air liquide, Renault, ou PSA est qu'il faut travailler autant sur la pile elle-même que sur l'alimentation en hydrogène. On vit en effet sous la logique de la poule et de l'oeuf : s'il n'existe pas de réseau de distribution d'hydrogène, comme il y en a pour l'essence ou le gazole, aucun constructeur ne se risquera à produire de gros volumes des véhicules « PACés ». A l'inverse, pas un seul industriel de l'énergie n'investira massivement dans les réseaux sans parc automobile suffisant.

Les chercheurs étudient donc d'autres solutions. Renault a pris à l'automne dernier une participation de 10 % dans le capital de la société italo-américaine Nuvera. Celle-ci élabore des systèmes de production d'hydrogène dans le véhicule, ce qui évite d'avoir à embarquer des réservoirs ou des bouteilles de gaz. L'automobile devient alors une centrale électrique sur roues, autosuffisante. Les derniers projets présentés par PSA adoptent, eux, le système du « rack », que l'on remplace quand il est vide. Mais tous savent que le temps joue pour la pile à combustible. Le temps qui passe dans les laboratoires de recherche, mais aussi le temps qu'il fait, tant la question du réchauffement climatique préoccupe maintenant les décideurs.

AIE

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