RTFlash

Espace

Edito : Les trous noirs : grands architectes de l’Univers ?

Cette semaine, je reviens sur la question passionnante de la nature intime des trous noirs et du rôle fondamental que ces mystérieux objets cosmiques semblent jouer dans l’évolution et l’équilibre de l’Univers.

De récentes découvertes, nous allons le voir, viennent effet de confirmer à quel point ces objets recèlent d’étonnantes propriétés et exercent des effets puissants et subtils sur l’ensemble du Cosmos.

Si l’idée de trou noir fut imaginée dès la fin du XVIIIème siècle par Pierre-Simon de Laplace, dans le cadre de la physique newtonienne de l’époque, c’est le physicien Karl Schwarzschild (1873-1916) qui, le premier, proposa en 1916 une solution exacte aux équations de gravitation d’Einstein, permettant d’intégrer ces objets singuliers dans le nouveau cadre de la relativité générale. Ce grand physicien, mort prématurément à 43 ans, comprit qu’une masse aussi gigantesque que celle d'une étoile très dense, concentrée dans un petit volume, déformerait le tissu de l'espace-temps à un tel point que plus rien, pas même la lumière, ne pourrait échapper à son champ gravitationnel.

Un demi-siècle plus tard, un autre grand physicien et cosmologiste, Stephen Hawking (1942-2018), fut à l’origine d’une nouvelle avancée décisive dans la connaissance des trous noirs, en montrant, dans les années 70, que ces derniers se caractérisaient par une « évaporation quantique », dans un processus d’autant plus rapide que ces trous noirs étaient petits. Ce phénomène qui articule de manière fondamentale la relativité et la physique quantique se traduit par un rayonnement, lui aussi d’autant plus intense que le trou noir est minuscule, appelé depuis, le rayonnement de Hawking.

C’est en 1967 que le physicien John Wheeler (1911-2008), l'un des pères de la cosmologie quantique, qui collabora avec Einstein, popularisa le terme de « trou noir », à l’occasion d’une conférence mémorable donnée à l’Institut des Etudes Spatiales Goddard (GISS). Un demi-siècle plus tard, le 10 avril 2019, le monde ébahi put, pour la première fois contempler la photographie d’un trou noir, une prouesse scientifique et technique rendue possible par un long et patient travail d’observation et d’analyse utilisant un vaste réseau de radiotélescopes terrestres fonctionnant de manière parfaitement synchronisée. Trois ans auparavant, en septembre 2015, les physiciens américains Rainer Weiss, Kip S. Thorne et Barry C. Barish, parvinrent, pour la première fois, grâce aux nouveaux interféromètres géants LIGO et VIRGO, à détecter les effets des ondes gravitationnelles résultant de la collision de deux trous noirs situés à 1,3 milliard d’années-lumière.

Il y a quatre mois, LIGO et VIRGO ont permis de faire une nouvelle découverte de taille : celle d’une nouvelle catégorie de trou noir, appelés « intermédiaires ». Ces trous noirs de taille moyenne sont plus lourds que ceux résultant de l’effondrement d’étoiles massives, mais bien plus légers que les trous noirs supermassifs que l’on trouve au centre des galaxies. Le trou noir découvert possède en effet une masse de 142 soleils, issu de la fusion de deux trous noirs de 85 et 65 fois la masse du Soleil.

Il s’agit du trou noir le plus lourd jamais observé avec les ondes gravitationnelles et il ouvre la voie d’une meilleure compréhension de la formation des trous noirs supermassifs. En effet, ces deux trous noirs sont entrés en collision à une vitesse de l’ordre de la moitié de celle de la lumière et ont fusionné en un trou noir unique. Celui-ci, conformément aux lois de la relativité générale, est plus léger que la somme des deux trous noirs initiaux car une partie de leur masse (l’équivalent de 3 soleils) s’est convertie en énergie, sous la forme de vagues d’ondes gravitationnelles selon la célèbre formule d’Einstein E=mc2.

En aout dernier, une étude publiée par des chercheurs de l’Université Cornel (Etat de New-York) a montré que les émissions inhabituelles de rayons gamma pourraient révéler que ce qui semble être des trous noirs supermassifs serait en fait d’énormes trous de ver. Les trous de ver sont des tunnels dans l’espace-temps qui peuvent théoriquement permettre de voyager entre deux points très éloignés de l’espace. Ces étranges objets ont été théorisés en 1957 par le grand physicien John Wheeler, dans le cadre de la théorie de la relativité générale.

Dans cette étude, les chercheurs se sont concentrés sur les trous noirs supermassifs, ayant des masses faisant jusqu’à plusieurs dizaines de milliards de fois celle du Soleil. On trouve de tels trous noirs au centre de pratiquement toutes les galaxies, à commencer par la nôtre, la Voie lactée, qui abrite Sagittarius A, un trou noir d’une masse d’environ 4,5 millions de masses solaires (Voir Arxiv).

Les chercheurs ont comparé les émissions de ces trous de ver avec celles de noyaux galactiques actifs (AGN), dont les émissions électromagnétiques sont bien plus intenses que celles d’une galaxie classique entière. Ces scientifiques ont réussi à modéliser l’évolution des flux de matière s’écoulant à travers les deux entrées d’un trou de ver jusqu’à l’endroit où ces ouvertures convergent. Ils ont alors découvert que ces trous de ver, encore hypothétiques, pourraient émettre une signature gamma spécifique et identifiable dans certaines circonstances particulières, comme la collision de matière en train de s’agglomérer à l’intérieur du trou de ver. La rencontre d’un trou de ver et d’un trou noir, et leur combinaison dans un système binaire émettant des flux d’énergie tout à fait caractéristiques pourraient également être bientôt détectées via des ondes gravitationnelles que peuvent observer Ligo et Virgo, les deux interféromètres laser géants mondiaux.

Selon l’un des chercheurs qui a dirigé ces travaux, Dejan Sojkovic, « Il est tout à fait possible que SgA soit un trou de ver : dans ce cas, il aurait exactement le même aspect qu'un trou noir depuis l'extérieur, et ce n'est qu'en passant son horizon des événements qu'on pourrait voir la différence ». Selon cette étude, il serait même possible de vérifier sur le plan expérimental cette hypothèse car, si SgA est un trou de ver, il est très probable que des étoiles orbitent de l'autre côté de ce passage spatio-temporel. Si tel est le cas, leur champ gravitationnel devrait se manifester à travers ce trou de ver, et avoir un effet suffisant pour perturber l’orbite des étoiles de SgrA ! Cet effet reste pour l’instant trop faible pour être mesuré avec les outils de détection actuels, mais ces scientifiques sont persuadés que ces éventuelles perturbations seront mesurables d’ici 10 ans, grâce à l’arrivée de la prochaine génération de détecteurs….

Il y a trois mois, une autre étude réalisée par des chercheurs russes a également émis l’hypothèse que certains trous noirs supermassifs pourraient être des trous de ver (Voir Space). Selon ces recherches, les trous de ver hypothétiques pourraient émettre un rayonnement gamma dans une circonstance bien précise : lors d’une collision de matière en train de s’agglomérer à l’intérieur du trou de ver. « Ce rayonnement a un spectre spécifique très différent de celui des jets ou des disques d’accrétion des noyaux de galaxies actives. L’observation d’un tel rayonnement serait donc la preuve de l’existence des trous de ver », précise l’étude.

Une autre découverte importante a été réalisée en novembre 2019 par une équipe internationale de recherche, rassemblant différentes universités américaines et italiennes, coordonnée par la NASA et utilisant les ressources puissantes du Centre d’observation aux rayons X Chandra. Ces scientifiques ont pu montrer qu’un trou noir serait en train de favoriser la naissance d’étoiles dans plusieurs galaxies différentes (Voir Chandra). De manière surprenante, ce trou noir, qui est supermassif, semble favoriser la création de nouvelles étoiles jusqu’à une distance de plus d’un million d’années-lumière. « C’est la première fois que nous voyons un seul trou noir stimuler la naissance d’étoiles dans plus d’une galaxie à la fois », souligne Roberto Gilli, de l’Institut national d’astrophysique (INAF) à Bologne, coauteur de l’étude. Ces travaux montent notamment que les jets de matière très puissants émis par ce trou noir ont pu favoriser la formation d’étoiles dans d’autres galaxies, en comprimant les nuages de gaz froid qu’elles contiennent.

Sous l’effet de l’énorme attraction des trous noirs, la matière aspirée se comprime et s’échauffe jusqu’à atteindre des températures inimaginables, de l’ordre de plusieurs milliers de milliards de degrés. Parfois, ce phénomène extrême entraîne la formation et l’éjection de prodigieux jets de matière qui atteignent des vitesses de plusieurs centaines de kilomètres par seconde. Ces jets peuvent alors se propager dans l'espace sur des dizaines de milliers d'années-lumière, sur des distances allant jusqu’à 20 fois le rayon d'une galaxie moyenne ! Ces vents de plasma, qui atteignent le dixième de la vitesse de la lumière, transportent des quantités phénoménales d'énergie et pourraient, selon ces recherches, contrôler la croissance des galaxies.

Il faut également évoquer une extraordinaire hypothèse, formulée en 2000 par l’équipe de Niayesh Afshordi, astrophysicien au Perimeter Institute for Theoretical Physics à Waterloo (Canada), et reprise plus récemment par trois chercheurs de cet Institut, sous le titre « Le trou noir à l’origine du temps » (Voir Inside The Perimeter). Selon ces scientifiques, il se pourrait que l’univers que nous connaissons ne soit que la projection, l’hologramme tridimensionnel d’un trou noir à 4 dimensions, résultant lui-même de l’effondrement d’une étoile quadridimensionnelle, dans un univers préexistant au nôtre.

Dans notre Univers à trois dimensions, il faut une surface à 2 dimensions pour créer une limite à l’intérieur d’un trou noir. Mais dans un hypothétique univers quadridimensionnel, ces chercheurs ont montré que l’effondrement d’une étoile quadridimensionnelle provoquerait la formation d’une branche 3D se déployant lentement dans l’espace-temps. Ce modèle permet également d’expliquer la troublante isotropie (uniformité) de notre Univers. Si un univers à 4 dimensions a pu exister depuis un temps infiniment plus long que notre univers, ses différentes parties auraient eu tout le temps de tendre vers un équilibre de température qui se serait projeté dans notre Univers.

Mais la découverte récente la plus troublante est sans doute celle faite, il y a un an, par le Professeur Xian Chen et son équipe, à l’Université de Pékin. Ces scientifiques ont publié une étude qui pose l’hypothèse que le trou noir supermassif qui se trouve au centre de la Voie lactée aurait contribué à la formation de molécules organiques essentielles à l’évolution de la vie telle que nous la connaissons.

Le chercheur et son équipe ont simulé l’impact que les jets de rayons X – qui auraient été émis en grande quantité à une époque où ce trou noir était plus actif qu’actuellement – pourraient avoir eu sur la production d’une grande variété de molécules organiques indispensables à l’apparition de la vie, comme l’eau (H2O) ou le méthanol (CH3OH). Ces recherches ont montré que les énormes flux de particules à haute énergie émis lors de la « jeunesse » des trous noirs viennent entrer en collision avec les molécules interstellaires, et arrachent leurs électrons, ce qui augmente sensiblement les probabilités de reconfiguration moléculaire et de réactions chimiques favorisant la formation de molécules organiques complexes. « Il est fascinant de constater que si les trous noirs sont des objets extrêmement destructeurs, le trou noir supermassif au centre de la Voie lactée a peut-être été crucial pour l’évolution de la vie dans la galaxie », souligne Xian Chen.

Toutes ces découvertes passionnantes sont encore très loin d’avoir dévoilé la nature infiniment mystérieuse des trous noirs mais elles nous montrent que ces objets d’une étrangeté absolue, loin d’être de simples curiosités cosmiques violentes et exotiques, semblent bel et bien jouer un rôle majeur dans la structure de l’Univers, son évolution et peut-être son origine.

Mais le plus troublant est que ces trous noirs, qui symbolisent la destruction, le désordre et le néant, pourraient bien être également des catalyseurs cosmiques indispensables à l’apparition de la vie et de la conscience, comme si tout notre univers était régi par une puissance intrinsèquement duale et ambivalente, pouvant se manifester tantôt sous forme de chaos destructeur, tantôt sous forme de puissance créatrice et porteuse de complexité et de vie. Face à ce grand mystère, dans lequel s’entremêlent et se fondent les quatre composantes fondamentales de l’Univers, matière, énergie, espace et temps, il n’est pas inutile que, parfois, la raison cède le pas à l’émerveillement face à ces entités insaisissables que Stephen Hawking avait raison d’appeler les « grands architectes de l’univers ».

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

Noter cet article :

 

Vous serez certainement intéressé par ces articles :

Recommander cet article :

back-to-top