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Edito : La science est-elle en train de devenir la nouvelle religion universelle du XXIème siècle ?

Alors que commence le troisième millénaire, un sondage récent publié par le Parisien montre à quel point la science occupe désormais une place capitale dans notre société. A cet égard, ce sondage est particulièrement éclairant puisqu'il montre que 77 % de nos concitoyens font confiance aux chercheurs pour améliorer la société au cours du XXIe siècle. 86 % d'entre eux pensent que les maladies aujourd'hui incurables, comme le cancer ou le SIDA, trouveront un traitement. Selon ce sondage, seules 22 % des personnes interrogées disent faire confiance aux hommes politiques pour améliorer la société au cours du nouveau siècle, contre 28 % pour les autorités religieuses ou spirituelles et 42 % pour les philosophes. Dans le même temps, les Français sont préoccupés par les conséquences des avancées de la science: 78 %, contre 21 %, jugent ''importante'' la menace des progrès technologiques pour l'environnement. Si les Français sont majoritairement favorables à la thérapie génique -87 % estiment souhaitable de modifier les gènes pour guérir des maladies- ils redoutent en revanche les dérives eugénistes : ainsi 92 % des sondés ne pensent pas qu'il soit souhaitable de pouvoir choisir certaines caractéristiques de son enfant comme la couleur des cheveux ou des yeux et 85 % ne jugent pas non plus souhaitable de pouvoir choisir le sexe de son enfant. Ils sont aussi nombreux à prévoir un net allongement de l'espérance de vie humaine. Un quart d'entre eux, 25 %, pensent même qu'à la fin du siècle, elle atteindra 100 ans tandis que 13 % l'imaginent même dépasser le siècle. Mais cet optimisme entretenu par les extraordinaires avancées scientifiques de cette dernière décennie, notamment dans les sciences de la vie, n'empêchent pas nos concitoyens d'exprimer de réelles interrogations face à ce progrès qui porte en lui beaucoup d'espoirs mais aussi beaucoup d'incertitudes et de menaces pour nos libertés et notre dignité. Cette dimension fondamentalement ambivalente du progrès apparaît nettement dans ce sondage qui nous révèle que 78 % des Français considèrent que les innovations peuvent constituer une menace pour l'environnement. Cette forte inquiétude s'explique sans doute par les manifestations très concrètes, dans notre vie quotidienne, du pouvoir de plus en plus grand de l'homme sur la nature, qu'il s'agisse du réchauffement du climat, du clonage humain ou des OGM. Mais le principal et remarquable enseignement de ce sondage concerne le rôle que nos concitoyens assignent à la science. Sur ce point essentiel, les Français attendent avant tout que les progrès technologiques permettent de ''mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons'' (61 %), devant l'amélioration des moyens de communication au niveau mondial (41 %), et celles de l'habitat (29%) et des transports quotidiens (27 %). Cette perception de la science et de sa finalité par nos concitoyens est très intéressante car elle montre que la vieille distinction conceptuelle et épistémologique entre science et technologie n'est pas encore morte : nous attendons de la technologie qu'elle améliore de manière concrète notre vie quotidienne mais nous attendons de la science qu'elle nous aide à mieux comprendre notre univers, qu'il s'agisse du monde physique ou de la sphère du vivant dont nous sommes issus. Quant à l'espoir suscité par le progrès scientifique, il est frappant de constater qu'il s'accompagne d'une grande lucidité et de craintes non dissimulées face à la perspective d'une science omnipotente, sans contrôles ni limites, qui pourrait finir par "déshumaniser " notre société et par instrumentaliser l'homme en réduisant au-delà du supportable sa liberté et sa dignité. A la croyance dogmatique et naïve dans un progrès scientifique qui devait conduire au paradis sur terre a succédé une confiance raisonnée, mais certainement pas sans bornes, dans un progrès scientifique réfléchi et maîtrisé. Nous savons que la science contribue d'une manière de plus en plus déterminante à améliorer nos conditions de vie et la richesse matérielle globale de nos économies et de nos sociétés mais nous avons cessé, sans doute définitivement, d'identifier science et bonheur, science et sagesse. Dans un remarquable et très dense entretien publié récemment par l'Express, le grand philosophe Georges Steiner, tirant l'enseignement des grandes tragédies du XXème siècle, en arrivait à la terrible conclusion que la culture n'avait pas rendu l'homme plus humain et n'avait pas évité le triomphe de la barbarie. Il en va de même pour la science qui peut nous donner puissance et richesse, et peut-être demain l'immortalité, mais est à tout jamais impuissante à nous rendre sages, vertueux et heureux. A mesure que la connaissance scientifique progresse, la dimension spirituelle et affective irréductible de l'homme se révèle et s'affirme. A nous d'accepter ce troublant paradoxe et d'en faire le moteur de notre créativité et de notre épanouissement dans ce nouveau siècle qui se lève.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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