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Edito : Qui sera le premier à installer une base lunaire permanente sur la Lune ?

On le sait, à l’issue de l’extraordinaire programme Apollo, lancé en 1960 par le Président Kennedy, douze hommes (six missions Apollo) ont marché sur le sol lunaire entre 1969 et 1972 et tous ceux, dont je fais partie, qui ont aujourd’hui plus de 60 ans, se souviendront à tout jamais de cette nuit magique du 20 juillet 1969 au cours de laquelle on put voir ces images d’anthologie montrant Neil Armstrong poser le pied sur la Lune et prononcer ces paroles devenues célèbres, « C’est un petit pas pour l’Homme, mais un grand pas pour l’Humanité ».

Mais depuis maintenant près d’un demi-siècle, pour de multiples raisons à la fois économiques et politiques, plus aucun astronaute n’a foulé le sol de notre satellite. L’exploration scientifique de la Lune n’a cependant jamais cessé, notamment avec la remarquable mission américaine « Lunar Prospector » (1998-1999) qui a permis de dresser une cartographie fine de la Lune et d’enrichir considérablement nos connaissances sur les caractéristiques chimiques, magnétiques et gravitationnelles de notre satellite.

A partir de 2007, la Chine, en dévoilant un ambitieux programme d’exploration lunaire, est devenu un concurrent spatial redoutable des Etats-Unis et de l’Europe : la sonde Chang'e 3 lancée le 1er décembre 2013, s’est posée sans encombre, le 14 décembre de la même année, dans la Mer des pluies pour une mission d'une durée de 3 mois. En janvier 2019, une autre sonde chinoise, Chang'e 4, a été la première à se poser sur la face cachée de la Lune, un exploit technologique qui a confirmé la maîtrise spatiale de l’Empire du Milieu.

Mais depuis quelques mois, la Lune est revenue au centre de la compétition technologique, économique et géopolitique mondiale que se livrent les puissances spatiales confirmées et émergentes : USA, Europe, Chine, Russie, Japon et Inde. Le grand projet du moment, le Lunar Orbital Platform-Gateway (Portail en orbite lunaire) ou LOP-G, fruit d’une coopération internationale, vient de connaître un sérieux coup d’accélérateur. Cette station sera donc composée d'un module de propulsion et de production d'énergie (PPE, Power Propulsion Element) qui sera fourni par la Nasa. Ce sera le premier élément de cette station à être lancé avec un lanceur privé. Son lancement est prévu durant la seconde moitié de 2022 et vient d’être confirmé dans le budget 2020 de la NASA, qui s’élève cette année à 25,2 milliards de dollars, soit une hausse record de plus de 2,5 milliards de dollars par rapport à l’année dernière.

Cette station lunaire orbitale comptera aussi deux modules d'utilisation dont l'un sera réalisé par la Nasa et l'autre par l'ESA (Esprit), et deux modules d'habitation (d'un volume global de 125 m3, à comparer avec le volume habitable de 388 m3 de l’ISS). Un sas permettant les activités extravéhiculaires et l'amarrage d'engins visiteurs est également prévu. L’ensemble sera complété par un système robotisé intelligent, Canadarm3,  que fournira le Canada, et enfin par un module de ravitaillement, qui sera fourni par l’Agence Spatiale Japonaise, la Jaxa.

Cette station, qui ne sera pas occupée en permanence, économies obligent, est prévue pour accueillir jusqu’à quatre astronautes, pour des séjours allant jusqu’à trois mois. Gateway a été conçue pour être un outil polyvalent de recherche et d'expérimentation scientifique et technologique ; elle sera également un lieu d'escale pour rejoindre la surface de la Lune ou d'autres lieux du système solaire. « L’idée est de tester le concept de l'exploration de notre système solaire, qui prévoit que les vaisseaux long-courriers seront assemblés à Gateway, en orbite lunaire », explique Craig Kundrot, directeur de la recherche sur la vie dans l'espace à la Nasa. L'assemblage modulaire des différents éléments de Gateway devrait commencer en 2022, pour une mise en service, dans sa première configuration, en 2025.

Cette station orbitale lunaire, et ce n’est pas un hasard, sera installée sur une orbite NRHO (Near Rectilinear Halo Orbit) dans le système Terre-Lune, ni circulaire ni elliptique. Sur cette orbite, les distances minimale et maximale de la Gateway, par rapport à la Lune, seront respectivement de 1.500 km et de 70.000 km. Cette orbite très particulière présente plusieurs avantages : elle permet des communications ininterrompues avec la Terre ; elle autorise également des orbites stables et proches de la Terre pour permettre une rentrée rapide en cas d'urgence. Enfin, elle permet d’envisager l'assemblage de futurs véhicules spatiaux prévus pour de longues missions d’exploration, notamment vers Mars. Car il faut bien comprendre que, pour les Etats-Unis, ce projet de Portail en orbite lunaire s’inscrit dans un dessein plus vaste de reconquête de la Lune, le programme Artemis, et, à plus long terme, vers 2040, de conquête et d’exploration de Mars, avec le programme « Moon to Mars ».

Depuis 2017, les Etats-Unis ont fait de "l'enjeu lunaire" une nouvelle priorité dans les projets spatiaux futurs. En mai 2019, la NASA a présenté officiellement son nouveau plan de reconquête de la Lune, qui prévoit notamment 37 lancements de fusées d’ici 2028, une mission habitée vers la Lune chaque année, à partir de 2024, et la construction d’une base lunaire permanente, d’ici la fin de la décennie. Le Président Trump et son Vice-Président, Mikee Pence, ont récemment confirmé les nouvelles ambitions américaines de reconquête de la Lune, précisant qu’il ne s’agit pas seulement de poursuivre l’exploration scientifique de notre satellite, mais également d’amorcer son exploitation minière et énergétique et d’en faire une vaste base de départ pour l’exploration du système solaire et les vols spatiaux vers Mars.

Reste que les Américains vont devoir compter avec deux compétiteurs très sérieux, la Chine et l’Europe. La Chine a annoncé qu’elle allait poursuivre ses missions spatiales vers la Lune, avec l’objectif clair d’un premier vol habité avant la fin de cette décennie, suivi de la construction d’une base lunaire permanente, qui utilisera les ressources et les capacités de la future fusée de transport lunaire nommée "Longue Marche 9" (CZ-9), qui aura plus de cent mètres de haut et dont la mise en service est prévue à l'horizon 2025.

L’Europe a également annoncé, en janvier 2019, qu’elle comptait se doter d’une base lunaire permanente, sachant qu’un tel projet se heurte à au moins trois obstacles redoutables : les rayonnements cosmiques et radiations intenses qui menacent la santé et la vie des personnes qui résideront de longues périodes dans cette base lunaire, le coût faramineux d’acheminement des matériaux nécessaires, et l’approvisionnement suffisant en eau et en oxygène pour plusieurs centaines de personnes, voire un millier de résidents, comme le prévoit l’ESA d’ici 2050.

Le projet de l'Agence spatiale européenne (ESA) envisage de recueillir et d’utiliser sur place les matériaux nécessaires à la construction de la base et à sa protection. L’idée consiste à utiliser le régolithe, poussière de roche issue du bombardement de l'astre par les météorites. Ce régolithe deviendrait la matière première pour alimenter un système d’impression 3D "additive", qui consiste à déposer de la matière et à la solidifier couche après couche, afin de construire les différents bâtiments qui constitueront la station lunaire. L’ESA compte avoir recours au procédé d’impression 3D développé par Monolite UK et utilisant leur imprimante D-Shape, qui repose sur une réaction chimique entre un substrat (du sable) et un liant (une solution de sels de magnésium). Cette imprimante robotisée dépose des couches de sable successives dont la structure finale est proche de celle du grès, avec une résistance à la traction supérieure à celle du béton, ce qui rend inutile le recours à des armatures de métal.

Cette technique a été expérimentée avec succès, avec un mélange fabriqué à partir de cendres volcaniques trouvées aux alentours du lac de Bolsena (Italie) reproduisant la composition du régolithe. Grâce à cette approche, il serait possible de construire, à l’aide de petits robots à chenilles, des parois d’une épaisseur de 1,8 m, jugée suffisante pour offrir pendant dix ans une bonne protection contre les rayonnements nocifs et les micrométéorites, autre danger non négligeable pour une base lunaire permanente.

Une autre question cruciale est celle de l’approvisionnement en eau. Mais, sur ce point essentiel, une étude publiée en juillet 2019 a changé la donne, en montrant que les 12 000 cratères ombragés, situés près du pôle sud de la Lune, abritaient très probablement des dépôts de glace, de plusieurs mètres d’épaisseur (Voir Science alert), ce qui pourrait représenter des millions de tonnes d’eau gelée, relativement faciles à récupérer.

La question de la production autonome d’énergie pourrait être également résolue par l’emploi des briques en régolite lunaire. Celles-ci ont en effet une bonne capacité calorifique qui leur permet de stocker de la chaleur pendant le jour lunaire, chaleur qui pourrait être utilisée à la fois pour la régulation thermique des bâtiments et pour produire une partie de l'électricité nécessaire au fonctionnement de la base.

Soulignons également que, l’année dernière, des chercheurs écossais des universités de Glasgow et Edinburgh ont publié une étude montrant qu’il est possible d’utiliser une voie électrochimique pour l’extraction d’oxygène à partir de roches de régolithe lunaire. A présent, la première usine prototype d’oxygène va tenter cette extraction à plus grande échelle. Si cette technologie tient ses promesses, elle pourrait approvisionner cette future base lunaire en oxygène (Voir Science Direct). « Le fait d’avoir notre propre installation nous permet de nous concentrer sur la production d’oxygène, en le mesurant avec un spectromètre de masse lors de son extraction du simulateur de régolithe. Pouvoir acquérir de l’oxygène à partir des ressources trouvées sur la Lune serait évidemment extrêmement utile pour les futurs colons lunaires, à la fois pour respirer et pour la production locale de carburant de fusée » explique la chimiste Beth Lomax de l’Université de Glasgow, en Écosse.

L’installation, située au Centre européen de recherche et de technologie spatiales de l’Agence spatiale européenne aux Pays-Bas, compte utiliser la technique développée par ces chercheurs écossais, appelée “électrolyse au sel fondu”. Cette approche permet d’extraire de l’oxygène tout en produisant des résidus métalliques utilisables. Concrètement, le régolithe est combiné avec du chlorure de calcium ; le mélange est chauffé à environ 950 degrés Celsius. Enfin, dernier stade du processus, un courant électrique est appliqué, ce qui permet d’extraire l’oxygène et fait migrer le sel vers une anode, où il peut être facilement retiré. Cette technique est d’autant plus prometteuse qu’elle permet non seulement d’extraire jusqu’à 96 % de l’oxygène du régolithe, mais également de récupérer un mélange d’alliages métalliques pouvant s’avérer très utile.

La Russie, le Japon et l’Inde ont également dans leurs cartons des projets de vols habités sur la Lune et de construction de bases lunaires permanentes sur notre satellite, mais il semble néanmoins peu probable, tant sur le plan économique que technologique, que ces projets – qui ne doivent pas pour autant être pris à la légère – soient réellement en mesure d’inquiéter les trois grands compétiteurs dans cette course à la base lunaire : l’Europe, les Etats-Unis et la Chine.

Il faut bien comprendre que le premier pays qui parviendra à installer une base lunaire permanente réellement sûre et opérationnelle sur la Lune disposera d’un avantage considérable sur les plans scientifiques et économiques mais également stratégique et géopolitique. En matière scientifique, la Lune constitue en effet un extraordinaire terrain d’observation et d’expérimentation dans tous les domaines de la connaissance, qu’il s’agisse des sciences physiques, de l’énergie, de la chimie, de la biologie ou de la médecine.

Sur le plan économique, il est également envisageable d’exploiter à terme les nombreuses richesses minières et énergétiques que recèle notre satellite, comme l’hélium-3, un gaz léger présent en grande quantité sur la lune et qui pourraient fournir à la Terre, selon les dernières estimations scientifiques établies, plusieurs siècles de consommation d’énergie. Le sous-sol lunaire contient également de grandes quantités d’oxygène, de silicium, d’aluminium, de fer, de chrome de nickel et de titane, autant d’éléments qui pourraient, à terme, être acheminés sur Terre - à condition toutefois que le coût du transport spatial baisse suffisamment au cours de ce siècle - mais aussi utilisés pour fabriquer des engins spatiaux et produire les carburants qui alimenteront les vols spatiaux très longue distance vers Mars et d’autres planètes ou satellites du système solaire.

Enfin, il ne faut pas se voiler la face, les pays qui disposeront d’une base lunaire permanente auront un avantage militaire et stratégique tout à fait déterminant par rapport aux autres nations. On peut en effet imaginer, même si l’Europe, les États-Unis et la Chine s’en défendent, que les grandes puissances spatiales ont toutes dans leurs cartons des projets secrets de systèmes d’armes à faisceaux d’énergie dirigée, ou utilisant des missiles hypervéloces, qui seraient installés dans leur base lunaire et pourraient frapper, de manière extrêmement précise et très difficilement détectable et interceptable, n’importe quel point du globe, tout en étant quasiment invulnérables.

Quoi qu’il en soit, l’Europe, qui est plutôt bien partie dans cette course technologique et stratégique majeure vers une base lunaire permanente, doit tout mettre en œuvre pour réussir à relever ce défi et ne doit pas se laisser distancer par les Américains et les Chinois qui redoublent d’efforts pour être les premiers à franchir cette étape décisive, qui ouvrira grande les portes vers l’exploration humaine de notre système solaire et la colonisation de Mars.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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