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Edito : Les Prix Nobel 2006 consacrent l'importance de la recherche fondamentale sur le génome

Le prix Nobel de chimie vient d'être décerné à l'Américain Roger Kornberg pour ses travaux qui ont permis de mieux comprendre la machinerie extraordinairement sophistiquée qui permet aux gènes de conduire à la fabrication des protéines, molécules aux multiples fonctions (hormonales, nerveuses, immunitaires...) nécessaires à la vie. Travaillant sur des cellules de levure, aux mécanismes assez comparables à ceux qui interviennent chez l'homme, Roger Kornberg a réussi une grande avancée en "cristallisant", en donnant une vue tridimensionnelle de l'ARN (acide ribonucléique) polymérase", une enzyme essentielle pour l'expression des protéines

La production des protéines est en effet un processus très complexe faisant intervenir de très nombreux éléments. Le génome est empaqueté dans la chromatine, formée d'une succession d'éléments structurés - nucléosomes - qui renferment notamment l'acide désoxyribonucléique (ADN) et des protéines. Mais ce génome est énorme, et seuls 5 % de nos gènes sont reconnus capables d'exprimer des protéines.

Il est donc capital que la cellule soit capable d'identifier et de localiser précisément ces gènes : c'est la mission de l'ARN polymérase, aidée de co-facteurs, qui va, par synthèse, copier l'ADN - une opération dite de transcription. Une fois copiée, l'information des gènes est transférée hors du noyau par l'ARN "messager", vers les parties de la cellule qui produisent les protéines.

Roger Kornberg, en cristallisant cette machinerie complexe, a éclairé son fonctionnement d'une lumière nouvelle. Cette vision tridimensionnelle va en effet accélérer et faciliter la compréhension du fonctionnement de ce processus biologique tout à fait essentiel. L'Académie royale des sciences de Suède a reconnu que "Kornberg est le premier à avoir créé un véritable schéma de ce processus au niveau moléculaire, notamment dans le groupe important d'organismes appelés eucaryotes". "Sa contribution a culminé avec la création d'images détaillées par cristallographie décrivant le mécanisme de la transcription en action dans le cas d'une cellule eucaryote", a-t-elle souligné dans ses attendus.

Certes, les retombées concrètes de cette avancée fondamentale ne seront pas immédiates mais, à terme, si l'on parvient à agir sur le fonctionnement de l'ARN polymérase, il sera possible de moduler l'expression de tel ou tel gène de manière sélective, ce qui constituerait une révolution médicale et thérapeutique immense.

La génétique et la génomique (analyse moléculaire et physiologique complète du matériel héréditaire et étude des fonctions des gènes) sont décidemment à l'honneur pour ces Nobel 2006 puisque le Nobel de médecine, et ce n'est évidemment pas un hasard, a récompensé une découverte des Américains Andrew Z. Fire et Craig C. Mello, elle aussi fondamentale, concernant un fascinant mécanisme biologique : l'ARN interférent (ou ARNi).

En 1998, Fire et Mello ont montré que l'on pouvait réduire spécifiquement l'expression de protéines contenues dans des cellules de Caenorhabditis elegans en introduisant de l'ARN double brin (ARNdb) dans ces cellules. Ce phénomène fut alors nommé ARN interférence. L'ARNdb va reconnaître spécifiquement l'ARN messager (ARNm), ce qui va entraîner une forte réduction de l'expression des protéines correspondantes, voire même leur inhibition totale. Ceci est lié au fait que la reconnaissance ARNdb/ARNm peut avoir deux conséquences : soit la dégradation de l'ARNm, soit l'arrêt de la traduction des protéines. Ces deux chercheurs ont reçu le 2 octobre 2006 le prix Nobel de physiologie et de médecine pour leurs travaux.

Tout commence en 1990 grâce à un biologiste amoureux des changements de couleur des fleurs de pétunias. Le professeur Richard Jorgensen, de l'université de Tucson (Arizona), intervenait alors sur les mécanismes moléculaires de coloration en intégrant dans le patrimoine héréditaire de ces plantes des gènes capables de modifier la lecture des gènes naturellement impliqués dans la coloration. Parvenu à transformer ses pétunias mauves en pétunias blancs, le professeur Jorgensen avait bâti une autre expérience, visant à introduire plusieurs copies du "gène mauve" pour obtenir des fleurs d'un mauve encore plus intense. Il obtint à l'inverse des fleurs d'une totale blancheur.

Restait à comprendre comment les gènes introduits étaient devenus muets tout en rendant silencieux les propres gènes de la plante. En 1994, Wassenegger montra que l'introduction d'ARN double brin dans des cellules d'Arabidopsis thaliana déclenche une méthylation de l'ADN correspondant. Mais il fallut attendre la publication dans Nature - le 19 février 1998 - d'un article signé par Andrew Fire et Craig Mello pour résoudre ce mystère de l'ARN interférent. Dans cette publication, les deux chercheurs démontraient, chez le ver Caenorhabditis elegans, de quelle manière il était possible d'inactiver un gène en interceptant l'ARN messager, maillon essentiel entre l'ADN et les protéines. Les auteurs fournissaient ainsi à la communauté scientifique une clé moléculaire essentielle permettant de comprendre différents phénomènes contradictoires que ne parvenaient pas à expliquer les connaissances d'alors.

Fire et Mello proposèrent de dénommer "interférence de l'ARN" ce phénomène dont le champ d'application apparaît désormais beaucoup plus large qu'on ne pouvait l'imaginer il y a huit ans. On a tout d'abord compris que ce phénomène fournissait un nouvel et remarquable outil expérimental permettant - en leur imposant progressivement une inactivation partielle voire quasi totale - d'étudier la fonction des milliers de gènes qui constituent les génomes des organismes vivants.

Fin juillet 2002, les travaux des équipes du professeur Leonid Gitlin, de l'université de Californie, et du professeur Jean-Marc Jacques, de l'Université du Massachusetts, publiés dans la revue Nature, ouvraient de nouvelles perspectives à la technique de l'interférence de l'ARN : pour la première fois, ce mécanisme s'avèrerait efficace sur des cellules humaines. Il a permis de bloquer in vitro leur infection par les virus du sida et de la poliomyélite. Ces résultats suggèrent donc que les ARN interférents pourraient être utilisés pour contrer des infections virales chez l'homme.

A présent, c'est bien la perspective d'user bientôt de ce phénomène à des fins thérapeutiques qui mobilise les énergies. L'idée centrale est d'utiliser certaines molécules ciblées d'ARN à des fins thérapeutiques. De nombreux travaux sont en cours chez l'animal, qui visent à traiter des affections cancéreuses ou des infections d'origine virale. L'administration de l'ARN étranger peut, comme pour les médicaments, se faire très simplement, par voie intraveineuse ou orale.

L'association de ces deux découvertes fondamentales, celle du prix Nobel de chimie Roger Kornberg et des prix Nobel de médecine Fire et Mello ouvre des perspectives thérapeutiques immenses dans une multitude d'affections et de pathologies dans lesquelles un ou plusieurs gènes sont impliqués. En effet, ces deux percées scientifiques nous laissent entrevoir l'avènement d'une véritable révolution conceptuelle et médicale qui se traduira par la possibilité d'agir directement "à la source" d'une anomalie ou d'un dysfonctionnement de la cellule en désactivant ou en activant de manière sélective un ou plusieurs gènes impliqués dans une maladie.

Mais avant d'en arriver là, il faudra mieux comprendre et mieux maîtriser ce mécanisme complexe de l'ARN interférent et également, en s'appuyant sur la cartographie complète du génome humain, mieux connaître le rôle de chaque gène, les interactions entre gènes et les implications de tous nos gènes dans les diffèrents pathologies, un travail colossal qui prendra encore des années de recherche.

Il reste que ces deux prix Nobel de Chimie et de Médecine confirment de manière éclatante le rôle central de la génétique et de la génomique dans la médecine de demain qui sera totalement personnalisée et permettra de concevoir et de mettre en oeuvre des médicaments et thérapies "sur mesure", en fonction du profil génétique unique de chaque patient. Ces Nobel confirment également l'importance de la recherche fondamentale et d'une vision à long terme, en matière de progrès scientifique et de compétitivité économique.

Dans les sciences de la vie comme en physique ou dans le domaine de l'énergie et des technologies de l'information, il est illusoire d'imaginer que nous resterons compétitifs en misant uniquement sur la recherche appliquée. L'informatique n'a pas progressé en améliorant la lampe mais en inventant le transistor puis en utilisant les nouveaux concepts issus de la mécanique quantique.

De la même façon la médecine ne progressera pas de façon majeure en améliorant les approches et thérapies actuelles mais en développant des concepts et outils radicalement nouveaux et transdisciplinaires qui permettront d'agir directement au niveau cellulaire et génétique sur les causes des maladies.

Parmi ces outils, signalons le moteur de recherche Internet qui permet de mettre en relation des profils de maladies avec ceux de médicaments potentiels. Cet outil gratuit, baptisé "Connectivity Map" et développé par des scientifiques du Broad Institute de Harvard et du MIT, se base sur une caractérisation du changement de profil d'expression des gènes observé lors du développement d'une maladie ou lors de la prise d'un traitement médicamenteux. Il permet une meilleure compréhension du mécanisme d'action du médicament et peut aussi être utilisé à des fins de découverte de traitement pour des maladies. Il a déjà permis la découverte d'une nouvelle piste de traitement pour la prise en charge des leucémies résistantes aux corticoïdes.

Le grand défi des années à venir sera donc pour notre pays de redonner à la recherche fondamentale toute la place qu'elle mérite pour anticiper, et non subir, les prochaines révolutions scientifiques qui vont bouleverser ce siècle.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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