Elles sont incontestablement les vedettes du Mondial de l’automobile qui a ouvert ses portes à Paris il y a quelques jours. Il s’agit bien sûr des nouvelles voitures hybrides à très basse consommation présentées par Peugeot et Renault.
Rompant délibérément avec la technologie hybride classique popularisée par Toyota et sa Prius, PSA propose un nouveau concept hybride deux fois plus sobre que ses concurrents japonais. Ce système full-hybrid combine un moteur 3-cylindres essence de 82 chevaux équipant notamment les Peugeot 208 et Citroën C3, un moteur pompe-hydraulique, un stockeur d'énergie (accumulateur de pression) et une boîte automatique spécifique à train épicycloïdal.
Concrètement, ce dispositif qui se passe de batterie est conçu de manière à pouvoir récupérer l’énergie à la décélération et au freinage puis à la stocker dans les accumulateurs. «Nous pouvons ainsi récupérer jusqu’à 95 % des phases de décélération», souligne Karim Mokadden, responsable du développement de «l'Hybrid Air» chez PSA. Le réservoir à air comprimé situé sous le plancher peut stocker jusqu'à 150 kilojoules à 250 bars de pression, ce qui correspond à un récipient de 35 cl de carburant.
Ce véhicule unique en son genre peut fonctionner selon trois modes différents : en mode uniquement thermique sur route et autoroute, mode air en ville et enfin en mode mixte, thermique et hydraulique. Selon Peugeot, cette nouvelle technologie permet une économie d’environ un tiers de carburant en cycle mixte et de 40 % en cycle urbain. La mise en route du 3 cylindres est contrôlée par un alternodémarreur et se fait tout en douceur.
Grâce à ce remarquable système technique, la puissance disponible varie de 82 ch en mode économique à 102 ch en mode sportif, lorsque se combinent les moteurs thermique et hydraulique. Autre nouveauté : les deux rapports fixes d'entraînement direct des roues motrices peuvent être utilisés à vitesse stabilisée : le premier correspond à un rapport de 3e longue utilisable en milieu urbain, le second à une 6e pour la voie rapide et l'autoroute.
En ville, où la conduite est assortie de nombreux freinages, l'hydraulique récupère presque toute l'énergie cinétique disponible, jusqu’à sa puissance maximale de 30 kW (45 ch). Grâce à cette approche novatrice, le rendement du système hydraulique est excellent lorsqu'il est utilisé à pleine puissance, contrairement à un système électrique dont l'efficacité est réduite à cause de l’effet joule. Avec cette technologie, PSA est sur la bonne voie pour atteindre l'objectif fixé par le gouvernement consistant à commercialiser d’ici 2020, à un prix attractif, une voiture ne consommant que 2 litres aux 100 kilomètres.
L’autre surprise de ce « Mondial » est sans conteste l'Eolab, un concept-car produit par Renault qui vise, lui aussi, une consommation moyenne inférieure à deux litres au 100 pour 2020. L'Eolab est une berline du segment B qui utilise massivement des matériaux ultralégers et composites et notamment le magnésium et l’aluminium. Ce véhicule est équipé d’un petit moteur 3 cylindres atmosphérique bien plus léger que les moteurs actuels. Au total, les ingénieurs de Renault, en combinant ces différentes solutions techniques de pointe, sont parvenus à réduire de plus de 400 kg le poids de ce véhicule, par rapport à une voiture actuelle d’habitabilité équivalente !
Avec seulement 955 kg, batterie de 6,7 kW comprise, l'Eolab peut parcourir 66 km uniquement en mode électrique, grâce à son moteur électrique de 50 kW (68 ch). Ensuite, son moteur thermique 3 cylindres essence 1.0 litre de 75 ch prend le relais. Une fois la batterie déchargée, l'Eolab redevient une voiture hybride ordinaire et consomme 3,6 l/100 km en cycle mixte. L’approche adoptée par Renault avec l’Eolab est très différente de celle de Peugeot avec son Hybrid Air et consiste à pouvoir intégrer progressivement ces avancées technologiques (une centaine en tout) à l’ensemble des véhicules, l’objectif étant de pouvoir produire d’ici 2020 une voiture de série reprenant l’ensemble de ces technologies pour un coût d’achat équivalent à celui d'une Clio.
Le parc automobile mondial, qui compte aujourd’hui plus d’un milliard de véhicules, devrait en compter 1,5 milliard en 2030 et franchir la barre des deux milliards avant 2040. On estime que ce parc émet (hors poids-lourds) environ 3,8 milliards de tonnes de CO2 par an, ce qui représente un peu plus de 10 % de l’ensemble des émissions humaines de CO2 (36 Gtonnes hors déforestation)
Imaginons que, d’ici 20 ans, la moitié du parc automobile mondial -soit 750 millions de voitures- soit constitué de ces véhicules hybrides à très basse consommation, c’est environ 375 milliards de litres de carburant qui pourrait être économisé chaque année, soit environ 15 % de la consommation mondiale de carburant prévu en 2030 ou encore l’équivalent des trois quarts de la consommation annuelle actuelle de carburant des Etats-Unis ! Un tel scénario se traduirait en outre par une réduction d’au moins 2,5 gigatonnes des émissions annuelles mondiales de CO2 dues aux voitures, l’équivalent de plus de la moitié de l’ensemble des émissions de CO2 de l’Union européenne…
Cette nouvelle génération de véhicules hybrides émerge au moment où les estimations très optimistes des réserves mondiales prouvées de pétrole sont sérieusement remises en cause. Les estimations annuelles de la revue hebdomadaire américaine « Oil and Gas Journal » viennent juste d’être publiées, les réserves mondiales prouvées de pétrole brut se sont stabilisées au 1er janvier 2014, à 224 milliards de tonnes (+ 0,3 %), ce qui ne représente que 60 années de consommation, en supposant que la production mondiale reste à son niveau actuel. Et c’est bien sur ce point crucial que réside la grande inconnue car, comme le soulignait récemment Bernard DURAND, spécialiste des questions pétrolières, « Quand nous parlons des réserves mondiales de pétrole, nous nous focalisons uniquement sur la taille de la baignoire mais nous ignorons le fait qu’il faut considérer cette question en prenant en compte le débit du robinet qui remplit cette baignoire et celui de la bonde qui la vide ». Or, Bernard DURAND rappelle de manière très pertinente que depuis 25 ans, la bonde vide la baignoire plus vite que le robinet ne la remplit…
La production mondiale de pétrole brut a atteint 3,75 milliards de tonnes en 2013 et tourne à présent autour de 93 millions de barils/jours, en légère hausse sur un an (+ 0,8 %). Selon Total, le niveau actuel de production mondial serait déjà proche du niveau maximum -de l’ordre de 95 millions de barils par jour- et l’AIE rappelle qu’en 2013, la production mondiale de pétrole conventionnel a diminué de 1,6 %. L’agence internationale prévoit également un déclin de la production de l’ordre de -7% par an à partir de 2025.
Nous allons donc devoir résoudre une équation redoutable : comment faire face à la fois au doublement annoncé du parc automobile mondial d’ici 2040 (deux milliards de voitures à cette échéance), à la raréfaction et au renchérissement inéluctable du pétrole et à la nécessité absolue de diminuer de moitié nos émissions de gaz à effet de serre liées aux utilisations énergétiques ?
Les véhicules "verts" hybrides et électriques devraient passer de 2,5% de la production automobile mondiale en 2013 à 5 % en 2016, et 6,3 % en 2020, selon les prévisions du consultant PWC. Le constructeur japonais Toyota, pionnier incontesté de cette technologie à laquelle bien peu de constructeurs et de politiques croyaient à l’origine, a vendu depuis 1997 6,5 millions de véhicules "Full Hybrid" (essence-électriques), ce qui représente un éclatant succès industriel et commercial que l’Europe devrait méditer…
En France, le nombre de véhicules hybrides et électriques dépasse à présent les 200 000 et avec près de 50 000 unités vendues en 2013 (contre 14 000 voitures électriques), les voitures hydrides représentent déjà 2,5 % du marché et leurs ventes augmentent de 60 % par an.
Au moment où les députés français examinent le projet de loi sur la transition énergétique, un rapport de l'Agence internationale de l'Energie (AIE) vient de montrer que "L'efficacité énergétique est le premier carburant du monde" et estime ce marché à au moins 310 milliards de dollars par an.
Ce rapport montre que les investissements consacrés à l'efficacité énergétique "améliorent la productivité de l'énergie", c'est-à-dire la quantité d'énergie nécessaire pour générer un point de PIB. L’étude précise que la consommation totale d'énergie finale dans les 18 pays étudiés a diminué de 5 % entre 2001 et 2011, ce qui s’est traduit, au cours de la dernière décennie, par une réduction globale de la consommation de 1,7 gigatonne équivalent pétrole (Mtep), c'est-à-dire autant que la consommation cumulée des Etats-Unis et de l'Allemagne en 2012.
Mais cette étude rappelle également qu’au cours des dix dernières années, l'intensité énergétique globale a été réduite de 1,6 % par an. Or, il faudrait réaliser d’ici 2035 un effort deux fois plus important -de l’ordre de 3 % par an- pour limiter les effets du changement climatique et parvenir à réduire suffisamment les émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l’énergie.
Mais en matière de transports, les ruptures technologiques que représentent le véhicule tout électrique et le véhicule à pile à combustible, utilisant de l’hydrogène comme carburant, se heurtent à au moins trois obstacles de taille qui ne seront probablement pas surmontés avant une dizaine d’années.
Le premier est celui de l’autonomie car les automobilistes sont psychologiquement habitués à une voiture capable de faire au moins 500 km sans refaire le plein et à trouver partout des stations-service. Le second obstacle concerne la sécurité qui devra être au moins aussi grande sur ce type de propulsion que sur les meilleurs moteurs thermiques. Enfin, le dernier obstacle et non le moindre concerne évidemment le prix : pour accepter de « basculer » du moteur thermique, qui existe depuis plus d’un siècle et qui a fait ses preuves, vers des technologies nouvelles de motorisation, les automobilistes voudront que ces véhicules ne coûtent pas plus cher que les voitures actuelles, tout en offrant un niveau de performances (puissance, fiabilité, sécurité, longévité) au moins aussi bon…
Dans ce scénario, ces voitures hybrides de nouvelle génération me semblent pouvoir constituer, pour au moins les 20 prochaines années, le « chaînon manquant » incontournable qui permettra de faire la « soudure » entre la voiture thermique, telle que nous l’avons connue depuis les origines, et la généralisation des véhicules entièrement électriques ou à hydrogène performants et accessibles au plus grand nombre. Si nous considérons les obstacles technologiques encore très importants qui restent à surmonter pour produire en série une voiture tout électrique ou à hydrogène qui aura une autonomie d’au moins 500 km, qui sera parfaitement fiable et qui ne coûtera pas plus de 15 000 euros, nous sommes bien obligés d’admettre que ces nouveaux véhicules hybrides à très basse consommation ( moins de deux litres aux 100 km) vont prendre une place majeure dans le parc automobile mondial au moins jusqu’en 2040 et peut-être au-delà…
Les Japonais sont les premiers qui ont parfaitement compris, il y a presque 20 ans, ces enjeux économiques, écologiques et technologiques et ils ont su parier résolument sur les voitures hybrides, avec le succès industriel et commercial que l’on sait…
Mais la technologie qui a fait les beaux jours de ces voitures hybrides de première génération est à présent dépassée et nos deux grands constructeurs nationaux ont montré qu’il était possible, grâce à de nouvelles ruptures technologiques, de concevoir et surtout de produire d’ici le fin de la décennie des voitures très compétitives qui se rapprocheront de l’objectif mythique d’une consommation d’1 litre aux 100km !
Pour ne pas rater cette nouvelle révolution technologique et industrielle, il est capital que l’Etat joue son rôle de stratège et mette immédiatement en œuvre un plan très ambitieux de recherche fondamentale et appliquée permettant à notre Pays de conforter son avance dans ce domaine si essentiel pour notre avenir et de prendre la première place mondiale dans ce qui est à la fois une compétition technique et économique impitoyable mais également un enjeu de société et de civilisation majeur : disposer au niveau mondial de transports individuels et collectifs performants, propres, sobres, sûrs et accessibles à tous.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat