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Edito : Préparer le monde d’après par des infrastructures d’avenir

Le coronavirus a déjà tué près de trois millions de personnes dans le monde en un peu plus d’un an et constitue, à l’exception du Sida qui a tué 36 millions de personnes depuis son apparition en 1981, la pire pandémie que le monde ait connue depuis l’épouvantable « grippe espagnole » qui tua plus de 50 millions de personnes entre 1918 et 1919.

A ce drame humain s’ajoute un drame économique et social dont on peine encore à mesurer l’ampleur. Dans ses dernières prévisions, la Banque mondiale prévoit que le PIB mondial n'atteindra que près de 84 000 Mds$ en 2020 et 87 000 Mds$ en 2021, soit une perte cumulée de plus de 10 000 milliards de dollars sur deux ans, par rapport à la situation qui aurait prévalu sans pandémie. Le FMI vient, pour sa part, d’estimer à 22 000 milliards de dollars les pertes économiques cumulées pour l’économie mondiale de la pandémie de coronavirus, entre 2020 et 2025, ce qui correspond à une chute brutale de 6 % par an, en moyenne, du produit mondial brut sur cette période.

Face à cette situation catastrophique, la grande majorité des économistes s’accordent sur le fait qu’il faudra, dans le meilleur des cas, au moins 10 ans, non pour effacer cette pandémie, qui laissera des effets traces indélébiles sur nos sociétés, mais pour reconstruire un développement économique mondial durable et résilient, tirant les dures leçons de cette épreuve qui est loin d’être terminée.

Pour éviter que le monde ne sombre dans une récession économique interminable et ravageuse, et pour favoriser une reprise de l’activité qui soit à la fois porteuse de richesses, d’emplois et d’amélioration des conditions de vie pour le plus grand nombre, il est un levier peu évoqué, mais qui peut pourtant, j’en suis convaincu, être un puissant moteur, s’il est utilisé à bon escient : celui des grandes infrastructures et équipements dont le monde a plus que jamais besoin, notamment dans les domaines de l’énergie et des transports. C'est une voie essentielle que viennent de retenir les Etats Unis.

La Corée du Sud a annoncé il y a quelque semaines, la construction du plus grand parc éolien marin du monde d’ici 2030. Ce projet, d’un montant record de 36 milliards d’euros est l’un des volets majeurs du Green New Deal du président Moon Jae-in, lancé l’année dernière pour tenter de rendre la péninsule neutre en émissions de carbone d’ici 2050. L’installation proposera une capacité maximale de 8,2 gigawatts (GW), soit l’énergie produite pas six centrales nucléaires. Elle doit voir le jour au large de Sinan, une ville côtière au sud-ouest du pays. La construction de ce parc éolien offshore devrait créer jusqu’à 5 600 emplois et permettra à la Corée-du-Sud d’atteindre plus facilement son objectif de neutralité carbone d’ici 2050.

En Europe, le grand rival du parc éolien sud-coréen sera le parc éolien britannique « Dogger Bank », dont la construction va s’étaler sur 7 ans, pour un montant total de plus de 10 milliards d’euros. Ce parc immense, qui s’étend au large des côtes du Yorkshire, à l’est de l’Angleterre, regroupera 280 éoliennes géantes, réparties sur trois zones de développement en mer sur près de 1700 km². La construction des installations terrestre a démarré début 2020.Lorsqu’il sera totalement achevé, Dogger Bank, avec sa puissance installé de 3,6 GW, pourra répondre à  la consommation électrique de 6 millions de foyers, soit environ 5 % de la production d’électricité britannique.

Début février, le Danemark a présenté un plan visant à construire la première île énergétique au monde dans la mer du Nord, qui produira et stockera suffisamment d'énergie verte pour couvrir les besoins en électricité de 3 millions de ménages européens. L'île artificielle, qui, dans sa phase initiale, aura la taille de 18 terrains de football, sera reliée à des centaines d'éoliennes offshore et fournira à la fois de l'électricité domestique et de l'hydrogène vert pour la navigation, l'aviation, l'industrie et les transports lourds. Cette décision intervient alors que l'Union européenne a dévoilé des plans visant à transformer son système électrique afin qu'il repose essentiellement sur les énergies renouvelables d'ici dix ans et à multiplier par 25 sa capacité d'énergie éolienne en mer d'ici 2050. Cette île énergétique sera achevée en 2033, pour un montant de 28 milliards d’euros et sera située à 80 kilomètres au large de la côte ouest du Danemark. Elle devrait aider le Danemark à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 70% d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990.

En Afrique, continent qui va voir sa population multipliée par deux d’ici 25 ans, l’amélioration d’une production énergétique durable est devenue vitale pour le développement. Ce continent a la chance de disposer d’un immense potentiel hydroélectrique (qui lui permettrait de produire le double de sa consommation actuelle d’electricité) mais celui-ci n’est encore exploité qu’à 10 % de ses capacités. Néanmoins, plus d’un GW d’hydroélectricité a été installé depuis 2019 en Afrique et l’IHA (Association internationale de l’hydroélectricité) prévoit un doublement de la croissance des capacités hydroélectriques en Afrique d’ici 5 ans.

Parmi les grands projets hydroélectriques du continent, il faut citer le barrage de la Renaissance (GERD) sur les eaux du Nil qui sera achevé en 2023 et doit atteindre une capacité de 6,45 GW. Construit par l’Ethiopie, cet immense barrage va permettre, non seulement de satisfaire l’ensemble des besoins électriques de ce grand pays de 110 millions d’habitants, en plein essor, mais encore de devenir le premier exportateur d’électricité vers les autres pays d’Afrique. Il permettra également l’irrigation de 500 000 hectares de terres supplémentaires.

Autre projet majeur pour ce continent, le barrage du grand Inga, en République démocratique du Congo. Toujours suspendu à un accord entre l’Europe, la Chine et la RDC, cet ouvrage d’un coût de 80 milliards de dollars, représenterait, en cas d’achèvement complet (8 barrages au total) le complexe hydroélectrique le plus puissant du monde, l’équivalent de 24 centrales nucléaires, avec 40 à 44 GW de capacités, soit 40 % de toute la production africaine d’électricité et deux fois la production du barrage chinois des « Trois Gorges ».…. Quand on sait que seulement 10 % des habitants de la RDC (85 millions d’habitants) ont accès à l’electricité, on mesure mieux le rôle majeur que pourrait jouer pour ce pays et le reste du continent, ce vaste projet hydraulique, à condition toutefois de bien veiller à y associer les populations locales et d’en évaluer sérieusement l’impact global sur l’environnement.

Les autres énergies renouvelables, solaire et éolien notamment, sont également appelées à jouer un rôle majeur pour répondre aux besoins énergétiques croissants du continent africain : en juin 2019 ; le plus grand parc éolien d'Afrique a été inauguré sur la rive Est du lac Turkana, au Nord du Kenya. Baptisé Lake Turkana Wind Power avec ses 365 éoliennes, ce parc atteint une puissance de 310 MW et fournit 20 % des besoins en électricité du Kenya. En Tunisie, un consortium international, TuNur, envisage de construire dans le  sud-ouest du pays, une immense centrale solaire, d’une puissance de 4,5 GW d’électricité. Une partie de la production électrique de cette installation solaire hors normes serait acheminée vers le réseau européen, et pourrait alimenter plusieurs millions de foyers, en utilisant notamment la nouvelle ligne électrique sous-marine de 192 km de long qui devrait relier en 2025 la Tunisie et l’Italie.

Le développement de l’énergie solaire à l’échelle planétaire va également passer par la réalisation de centrales géantes d’une capacité de production inédite. A la fin de l’année dernière, l’entreprise Sun Cable a ainsi annoncé son projet de centrale solaire hors normes construite à Newcastle Waters, en Australie. D’un montant total de 20 milliards de dollars, cette immense installation s’étalera sur 120 km2, le long de l’axe de la voie ferrée qui relie Alice Springs à Darwin, un emplacement idéal pour acheminer les matériaux utilisés à la construction de la ferme solaire. Les travaux devraient débuter en 2023 et la production d’électricité trois ans plus tard. L’exportation de l’énergie générée est quant à elle prévue pour 2027. Les responsables de cet équipement d’une capacité de 10 gigawatts destinent en effet deux tiers de leur production à l’alimentation en électricité de Singapour. Outre Singapour, la future infrastructure est aussi conçue pour fournir de l’électricité aux habitants de zones isolées du Territoire du Nord.

En juillet 2020, EDF Renouvelable a remporté, en partenariat avec le chinois Jinko Power, un appel d'offres pour la construction d'une centrale solaire géante à Al Dhafra, à 35 kilomètres au sud de la ville d'Abu Dhabi. Cette installation qui devrait être achevée en 2022 aura une superficie de 42 km2, et alimentera en électricité l'équivalent de 160.000 foyers chaque année. Cette mégacentrale sera en outre la première de cette taille à utiliser des modules bifaciaux. Cette technologie très prometteuse consiste à capter le rayonnement solaire par les deux faces des modules photovoltaïques, ce qui augmente sensiblement la puissance de l'installation.

En France, le projet Horizéo, porté par Engie et Neoen, en Gironde, prévoit d’installer une plateforme énergétique bas carbone avec un immense parc solaire, une production d’hydrogène, un data center et de l’agrivoltaïsme. Ce parc photovoltaïque d’une surface de 10 km2 aura une puissance d’un GW et devrait être le plus grand de France : il pourra alimenter l'équivalent de la consommation d’électricité de 600.000 habitants. Horizéo sera à la fois un parc photovoltaïque, une plateforme de production d'énergie verte qui alimentera un data center, et un large espace dédié l’agrivoltaïsme, qui permettra de faire de l’agriculture biologique en circuit court pour alimenter les cantines scolaires du département.

En matière de voies fluviales, notre pays, après vingt ans d’atermoiements, s’est enfin donné, il y a quelques mois, les moyens de réaliser le canal Seine-Nord Europe, un canal à grand gabarit de 107 kilomètres, qui reliera l’Oise au canal Dunkerque-Escaut, de Compiègne  à Aubencheul-au-Bac, près de Cambrai. D’un montant de 4,5 milliards (dont 1,8 mialliards financé par l’UE), la réalisation d’une telle infrastructure fluviale est une première en France. Ce canal très attendu va enfin relier les bassins de la Seine et de l’Oise au réseau européen, donnant à Paris et au sud de la région des Hauts-de-France un accès au réseau fluvial à grand gabarit. L’enjeu est à la fois économique et écologique : doubler les trafics fluviaux français et permettre à un bateau de transporter jusqu’à 4 400 tonnes de marchandises, soit l'équivalent du chargement de 200 camions. Une fois le canal réalisé, ce sont 30 000 emplois pérennes qui pourraient être créés grâce au canal. Comme le souligne le rapport de Michel Lalande de 2018, ce canal devrait « valoriser l’ensemble du losange Paris-Le Havre-Dunkerque-Strasbourg »,et contribuera de manière puissante à l’attractivité économique de la région des Hauts de France.

En matière de grandes infrastructures ferroviaires à vocation européenne, le projet de liaison transalpine, ou projet Lyon-Turin, après de nombreuses années d’incertitudes et de controverses, est enfin entrée dans une phase décisive et irréversible, avec le creusement du tunnel principal sur 57 km. Le coût de cet ouvrage (8,5 milliards) doit être pris en charge à 40 % par l'Europe, 35 % par l'Italie et 25 % par la France, mais Bruxelles pourrait monter sa participation à 50 %. Lorsque cette liaison sera achevée, en 2030, plus d'un million de camions seront retirés des routes alpines, évitant 3 millions de tonnes de CO2 par an, soit l'équivalent produit par une ville de 300.000 habitants. Cette nouvelle liaison Lyon-Turin constituera le chaînon manquant entre l’est et l’ouest de l’Europe et le maillon central du corridor ferroviaire méditerranéen ».

Après l’ouverture des tunnels du Lötschberg (34 km) en 2007 qui relie Frutigen (canton de Berne) et Rarogne (canton du Valais) et du Saint-Gothard (54 km) en 2016, qui relie Erstfeld dans le canton d'Uri à Bodio dans le canton du Tessin, la Suisse a inauguré en  septembre dernier un nouveau tunnel : le Ceneri. Long de 15 km, il relie Vigana et Vezia dans le Tessin.

En 2025, ce nouveau réseau ferroviaire européen sera complété par la mise en service du tunnel du Brenner qui traversera sur 64 km, un nouveau record, les Alpes orientales, reliant Innsbruck en Autriche à Fortezza en Italie. 320 trains de marchandises et 80 trains de voyageurs circulant respectivement à 160 km/h et à 250 km/h pourront emprunter quotidiennement le tunnel. Le tunnel du Brenner permettra à terme de multiplier par trois les capacités de transport par le rail sur cet axe : 1,8 million de poids lourds embarqués au lieu des 600.000  aujourd'hui sur les voies ferrés existantes, à ciel ouvert. Le fret ne mettra plus que 50 minutes en moyenne, pour traverser ce tunnel, contre deux heures aujourd'hui par la voie ferrée actuelle. Cet ambitieux projet d'infrastructure sera la clef de voute d'un nouvel axe ferroviaire européen longitudinal stratégique qui facilitera les échanges entre la Scandinavie et le sud de l'Italie en passant par l'Allemagne et l'Autriche et permettra de développer le ferroutage en décongestionnant les autoroutes soumises à une croissance inexorable du trafic de poids lourds.

En Europe du Nord, les grandes infrastructures de transports sont également en train de bouleverser les territoires et de rapprocher les espaces. En 2000 a été achevé l’extraordinaire pont-tunnel,de l’Öresund, une merveille technologique et architecturale qui relie, grâce à un pont de 16 km, suivi d’un tunnel de 4km, Malmö et Copenhague, le Danemark et la Suède, le continent européen et la péninsule scandinave. Cet ouvrage sans pareil a permis la création de puissants pôles européens de compétences, comme ceux de Göteborg-Oslo (biotechnologies), et de Stockholm-Helsinki (télécommunications)…

Il y a quelques semaines, un autre chantier gigantesque a commencé. Il s’agit du tunnel du Femharn Belt, qui va relier les villes de Puttgarden, dans le Schleswig-Holstein en Allemagne, et Rødbyhavn, dans le Lolland Falster au Danemark. Le projet devrait voir le jour en 2029 et profondément changer les plans de circulation vers le Danemark et la Suède puisqu’il permettra de s’affranchir soit du passage en ferry, soit du franchissement du pont de l’Öresund. Ce tunnel immergé de 18km, comprendra deux fois deux voies autoroutières et deux fois une voie ferrée. L’Allemagne et le Danemark seront ainsi reliés en 10 minutes en voiture à 110 km/h et en 7 minutes en train, permettant à ces derniers de relier Hambourg et Copenhague en trois heures (au lieu de quatre heures et demie).

En Europe du sud, de grands projets d’infrastructures refont également surface et suscitent un regain d’intérêt. C’est par exemple le cas du projet séculaire de tunnel sous le détroit de Gibraltar, pour relier l’Europe et l’Afrique. L’idée de relier le Maroc à l’Espagne via un tunnel de près de 40 kilomètres creusé sous le détroit de Gibraltar a été lancée pour la première en 1869 par l’ingénieur français Laurent de Villedemil. L’Espagne et le Maroc avait lancé en 1979 une étude sur sa faisabilité, mais pour des raisons à la fois économiques, techniques et politiques, ce projet était resté au point mort.

Mais depuis quelques mois, les choses avancent et un accord de principe semble se dégager entre les différents acteurs de ce projet, sous l’égide de la société espagnole d'études pour la communication fixe à travers le détroit de Gibraltar (SECEGSA). Le tracé retenu pour ce tunnel serait celui reliant la ville de Tarifa (Espagne) à celle de Malabata (région de Tanger, au Maroc). Long de 39 kilomètres, dont 28 sous la mer, à une profondeur de 475 mètres et avec une pente de 3 %. Le tunnel, qui sera équipé d’une voie ferrée, permettra d'établir un lien direct entre l'Europe et l'Afrique, reliant ainsi leurs réseaux de chemins de fer.

Mais le projet de dimension mondiale de loin le plus ambitieux et le plus porteur de développement économique mais aussi aux plus lourdes conséquences politiques est celui lancé par la Chine en 2013, le fameux projet des « Nouvelles routes de la soie », en référence aux anciennes routes de la soie qui, depuis l’Antiquité, ont relié la Chine à l’Occident, en passant par l’Asie centrale, permettant pendant des siècles le développement de flux humains, culturels et commerciaux très riches entre l’Asie et l’Europe.

Le projet chinois, estimé à plus de 1000 milliards de dollars envisage plusieurs liaisons autoroutières et ferroviaires qui relieraient l’Est de la Chine à la Russie et l’Europe, en passant par le Kirghizistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan, l'Iran et la Turquie. Deux autres routes sont envisagées pour rejoindre l'Europe : une passant par le Kazakhstan et la Russie, et l'autre traversant le Kazakhstan via la mer Caspienne. Cette route permettra notamment de faciliter le commerce entre la Chine populaire et les pays d'Asie centrale. Une liaison ferroviaire allant de la région autonome ouïghoure à l'Iran et desservant le Tadjikistan, le Kirghizistan et l'Afghanistan est également envisagée.

La Chine estime que sa « belt and road initiative » aura un impact sur plus de 4,4 milliards d'habitants, soit 63 % de la population du Globe. Et qu'elle pourrait peser sur 29 % du PIB mondial. Le pouvoir chinois attache une telle importance à ce projet qu’il l’a fait inscrire dans sa Constitution et a affirmé sa volonté de le mener à bien d’ici 2049, pour le centenaire de la République populaire de Chine, même s’il doit en financer lui-même la plus grande partie… Dans sa version inachevée, cet axe routier stratégique mondial est déjà, pour une partie, une réalité et en février 2019, la première livraison par la route de marchandises européennes, un camion néerlandais chargé de lubrifiants automobiles, n’a mis que 12 jours pour faire un voyage de 7 400 km de l’Allemagne jusqu’à l’ouest de la Chine, en passant par la Pologne, la Biélorussie, la Russie et le Kazakhstan.

Il est vrai que la Chine, qui était encore il y a trente ans un pays sous développé en matière d’infrastructures, a conscience de l’importance absolument décisive pour son développement économique, mais aussi pour son rayonnement géopolitique, de disposer d’infrastructures ferroviaires et routières suffisamment nombreuses et de qualité pour irriguer cet immense pays, grand comme les Etats-Unis, mais quatre fois et demi plus peuplé. Et l’effort déployé par la chine pour atteindre ce but est proprement incroyable : en 20 ans, ce pays s’est doté du plus grand réseau ferré à grande vitesse du monde, 39 000 km et vise un réseau de 70 000 km en 2035. A cet horizon, la totalité des 70 métropoles chinoises de plus de 500 000 habitants seront reliés à ce réseau à grande vitesse. Parallèlement au développement spectaculaire de son réseau, la Chine ne cesse d’améliorer ses technologie de transports : elle a ouvert fin 2019, sa première ligne à grande vitesse complètement automatisée entre Pékin et Zhangjiakou, distantes de 175 km. Le TGV atteint la vitesse maximale de 350 km/km, reliant ces deux villes en 47 minutes, au lieu de 3 heures. En matière de routes, la Chine a réussi à se doter en trente ans du plus grand réseau autoroutier du monde, 142 000 km qui relient toutes les villes du pays de plus de 200 000 habitants…

En matière maritime, la Chine tente également depuis presque vingt ans de convaincre la Thaïlande de construire, grâce à un aide financière chinoise massive, le canal de Kra,qui relierait l’océan Indien et l’océan Pacifique en connectant la mer d’Andaman au golfe de Thaïlande. Pour la Thaïlande, le canal de Kra, dont le coût de construction est estimé à 30 milliards de dollars, donnerait la possibilité de relier plus facilement ses deux façades maritimes. Ce canal  permettrait d’économiser environ 3 jours de traversée en raccourcissant de 1 200 kilomètres l’une des routes maritimes les plus fréquentées du globe, reliant l’Asie du Sud Est à l’Europe ou l’Afrique. Cette nouvelle liaison bouleverserait également l’équilibre géopolitique de toute cette région d’Asie du Sud-Est, en faveur de la Chine, et de l’Inde, mais au détriment de Singapour qui voit passer le quart du commerce maritime mondial.

Evoquons enfin un dernier projet dévoilé en 2015 par le président de la Société des chemins de fer russes Vladimir Ivanovitch Iakounine, un proche du Président russe Vladimir Poutine. Il s’agit de rien moins qu’une autoroute transcontinentale d’une longueur record de 20 300 km, reliant Paris à New-York, via le détroit de Bering. Baptisée Trans-Eurasian belt Development, cette liaison routière suivrait un itinéraire similaire au Transsibérien, à travers des villes d’Ekaterinbourg, Irkoutsk et Vladivostok, puis après avoir traversée par un tunnel les 88 km du détroit de Béring, elle se poursuivrait vers Fairbanks, en Alaska, avant de traverser les provinces du sud du Canada (de la Colombie britannique à l’Alberta), puis de bifurquer sur Minneapolis, Chicago, Washington et enfin New York.

Le trajet aller-retour serait d’environ deux semaines, à une vitesse de 130 km/h de moyenne. Vladimir Iakounine voit cette liaison, qui se veut une réponse géopolitique aux nouvelles routes de la soie lancées par la Chine,  comme un « projet de civilisation » ; il souligne qu’il permettrait un développement économique et touristique sans précédent de tout le Nord-Est de la Sibérie, une immense région, aussi grande que l’union européenne, qui compte moins de 10 millions d’habitants et recèle un potentiel considérable de développement économique et touristique.

Il faut nous rappeler qu’en 2040, même selon les estimations les plus prudentes, la population mondiale atteindre 9,2 milliards d’êtres humains et comptera 1,4 milliard d’habitants en plus qu’aujourd’hui, l’équivalent de la population actuelle de la Chine…C’est donc maintenant que nous devons être capables de voir loin et de préparer le monde de demain en sachant faire les investissements d’avenir qui permettront à tous les hommes de se déplacer plus facilement, et d’avoir un meilleur accès à une énergie propre, à l' eau potable et à une alimentation suffisante. Les grandes civilisations du passé, l’Egypte, la Mésopotamie, la Grèce, Rome, la Chine, nous ont montré que des réalisations et infrastructures qui ont pu paraître, en leur temps, irréalisables et trop ambitieuses, ont finalement pu changer le monde. Les grands ouvrages, ponts, routes, canaux, tunnel, centrales de production d’énergie, lorsqu’ils sont bien conçus, bien réalisés et bien entretenus, et servent l’intérêt général, ne sont pas les ennemis de la nature et de l’environnement ; ils peuvent changer la vie des hommes et sont porteurs de progrès techniques, économiques et sociaux majeurs, comme la longue histoire de l’homme le prouve.

Marchons sur les traces de ces bâtisseurs et ingénieurs romains qui, il y a deux mille ans, ont su réaliser l’impossible, en amenant l’eau d’Uzès à Nîmes, sur plus de 40km de reliefs tourmentés, avec, comme point d’orgue, le magnifique pont de Gard, merveille d’architecture et de construction, que nous pouvons toujours admirer aujourd’hui, et qui est la preuve éclatante que, lorsque l’homme sait conjuguer l’audace à l’ingéniosité, il peut dépasser ses limites pour le bien commun.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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