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Edito : Physique, optique et nanotechnologies vont révolutionner la lutte contre le cancer

Dans la lutte contre le cancer, l’immunothérapie est en train de marquer des points décisifs pour guérir ou contrôler certains cancers parmi les plus graves et les plus mortels, comme le montrent les nombreuses communications de l’ASCO 2021, la plus grande réunion mondiale de cancérologie qui s’est tenue de manière virtuelle, du 4 au 8 juin dernier, et sur laquelle j’aurai bientôt l’occasion de revenir en détail. Mais ces extraordinaires progrès dans les traitements immunothérapiques ne doivent pas faire oublier d’autres avancées tout aussi décisives, mais moins bien médiatisées, qui utilisent les nouvelles potentialités de la physique, de l’optique et des nanotechnologies pour combattre cet adversaire protéiforme et redoutable qu’est le cancer.

Chaque année 180 000 patients, soit plus de la moitié des malades du cancer, ont recours à la radiothérapie pour traiter leur cancer, avec 60 % de chances de guérir. Mais ce traitement, qui peut utiliser différents types de rayonnement (à base d’électrons, de photons ou de protons), en dépit d’une efficacité croissante, n’est pas exempt d’effets secondaires et ne peut pas être appliqué à tous les cancers. En effet, certaines régions du corps, et certains types de tissus sont trop fragiles pour pouvoir être irradiés, ou réagissent mal à ces radiothérapies. C’est par exemple le cas du cancer du pancréas, ou encore du cancer du poumon, ou du cancer du cerveau. Mais dans des temps prochains, plusieurs ruptures technologiques devraient permettre de vaincre ces obstacles et d’élargir considérablement le champ d’application et l’efficacité des radiothérapies.

Parmi celles-ci, on peut évoquer la radiothérapie flash, en cours d’expérimentation à l'Institut Curie. Contrairement à la radiothérapie conventionnelle, la radiothérapie flash consiste à bombarder une tumeur de manière beaucoup plus intense, sur un temps bien plus bref. Si la dose totale de radiations n’est pas modifiée, sa durée, en revanche, est divisée par 10 000, ce qui change tout. Depuis 25 ans, le chercheur Vincent Favaudon, à l’origine de cette technique novatrice, ne cesse de l’améliorer, avec l’espoir d’en faire une thérapie de routine d’ici la fin de cette décennie.

Ces recherches ont permis de mieux comprendre pourquoi les cellules malignes et les cellules saines réagissaient de manière différente. On sait à présent que les altérations de l'ADN subies par les cellules cancéreuses ne seront pas les mêmes, en fonction de la durée et de l’intensité de l’irradiation. Autre découverte, la radiothérapie flash se montre particulièrement efficace lorsqu’elle est utilisée de manière intra opératoire, c’est-à-dire quand la tumeur est exposée à la suite d’une intervention chirurgicale.

Les essais chez l'animal ont montré que cette radiothérapie ultra-brève était particulièrement efficace contre certaines tumeurs, de la peau, du poumon ou encore du cerveau. Comme le précise Marie Dutreix, directrice de recherche au CNRS, qui dirige ce projet de recherche à l'institut Curie, « Nous expérimentons en priorité la radiothérapie flash sur certains cancers qu'on ne peut pas traiter avec la radiothérapie classique, parce que le tissu environnant est trop sensible. C’est notamment le cas des tumeurs du pancréas ou du sein, car on sait que le cœur est souvent dans le champ d'irradiation et risque d’être endommagé par une irradiation conventionnelle ». En Suisse, la radiothérapie flash a également fait la preuve de son efficacité en venant à bout d'un lymphome cutané résistant chez un patient âgé de 75 ans. Reste cependant à miniaturiser l’équipement de radiothérapie flash, pour qu'elle puisse s’intégrer dans les blocs chirurgicaux, et à vérifier l’efficacité thérapeutique sur la durée de ce nouvel outil. Mais Marie Dutreix est persuadée que cette radiothérapie ultra-brève se substituera, à terme, aux dispositifs actuels de radiothérapie et qu’il sera alors possible de détruire définitivement de nombreuses tumeurs en seulement une ou deux séances, au lieu de plusieurs dizaines aujourd’hui…

En attendant que la radiothérapie flash devienne, dans quelques années, un traitement de référence contre le cancer, la biotech française Nanobiotix est en train de donner un deuxième souffle à la radiothérapie classique, tout en élargissant sensiblement le champ d’action des immunothérapies.

« Les tumeurs où l'immunothérapie donne les meilleurs résultats, sont celles qui portent de nombreuses mutations, qui les rendent très immunogènes, comme les mélanomes, ou les cancers du poumon dus au tabagisme. A la différence de ces tumeurs dites « chaudes », de nombreuses autres tumeurs dites « froides » ne répondent pas, ou mal aux immunothérapies disponibles. Notre approche a montré sa capacité à « réchauffer » ces tumeurs, élargissant ainsi le champ de l'immunothérapie », explique le patron de Nanobiotix, Laurent Levy.

Bien qu’ils ne concernent encore qu’un nombre modeste de patients, les résultats obtenus par Nanobiotix, validés par plusieurs études internationales, sont remarquables. Son produit-phare, le NBTXR3 est composé de nanoparticules d'oxyde de hafnium injectées directement dans la tumeur. Il permet d’amplifier, sans augmenter la dose de rayonnement, l’efficacité de la radiothérapie. Mais il y a plus : les cellules malignes ainsi détruites rendent la tumeur plus visible par le système immunitaire, et viennent à la fois renforcer l'action des traitements immunothérapies et réduire le risque de métastases.

Autre technologie très prometteuse, l’hadronthérapie, une approche qui consiste à cibler de manière bien plus précise les tumeurs avec des noyaux atomiques, comme des protons ou des ions carbone, au lieu de photons de haute énergie. Six ans après avoir traité son premier patient, en juin 2015, la Mayo Clinic est devenue le leader mondial du traitement par faisceaux de proton. Les patients adultes atteints de tumeurs cérébrales représentent environ 10 % des patients traitées par la Mayo Clinic dans son établissement de faisceaux de protons au cours des cinq dernières années. Les patients atteints d’un cancer de la prostate, qui représentent environ 20 % des patients atteints d’un faisceau de protons, peuvent généralement être traités en moins d’une semaine, contre six semaines avec une radiothérapie traditionnelle. La protonthérapie est également particulièrement efficace chez les patientes atteintes d’un cancer du sein, en particulier sur le côté gauche, car les faisceaux de protons réduisent considérablement les effets néfastes de l’irradiation sur le cœur et les poumons.

La quantité de rayonnement que le traitement par protons épargne à un patient moyen équivaut à 50 000 mammographies ou 5 000 tomodensitométries thoraciques, ce qui constitue un avantage décisif pour les jeunes patients. La radiothérapie protonique a déjà été utilisée pour traiter plus de 200 000 patients dans le monde au cours des 30 dernières années. Il y a quelques semaines, les chercheurs de la Mayo Clinic ont développé une nouvelle technique de protonthérapie pour cibler plus spécifiquement les cellules cancéreuses qui résistent à d’autres formes de traitement La technique est appelée LEAP, un acronyme pour « thérapie par particules biologiquement améliorée ».

Pour parvenir à réparer les milliers de lésions de l’ADN qu’elles subissent chaque jour, nos cellules ont développé des modes de réparation complexes qui reconstituent l’ADN endommagé. « Nous avons comparé les effets de la fourniture de la même quantité d’énergie ou de la même dose dans les cellules cancéreuses en utilisant un modèle de dépôt d’énergie dense avec LEAP par rapport à la diffusion de la même énergie de manière plus diffuse », explique le Docteur Murmurer. « Étonnamment, nous avons découvert que les cancers impliquant la voie ATM-BRCA1-BRCA2 sont extrêmement sensibles à notre nouvelle technique de protons concentrés ». Avec cette nouvelle technique LEAP, les chercheurs américains ont constaté que les tissus normaux environnants étaient épargnés et que leurs mécanismes de réparation de l’ADN restaient intacts.

En France, il y a trois centres qui utilisent la protonthérapie, qui traitent surtout les tumeurs du crâne et les tumeurs pédiatriques : Paris-Saclay, Nice et Caen. L’avantage décisif des protons est que ces particules peuvent libérer toute leur énergie, sans dispersion, uniquement sur la cible tumorale. La protonthérapie évite les effets délétères des autres rayonnements, avec possibilité, dans certains cas, de traiter de plus grands volumes ou d’augmenter la dose d’irradiation pour plus d’efficacité, sans toxicité accrue. En priorité les tumeurs de l’enfant, neurologiques surtout, qui touchent le cerveau ou la moelle épinière ou les deux (médulloblastome) et quelques autres cancers plus rares (néphroblastome, par exemple). On guérit 80 % de ces jeunes patients. La protonthérapie permet également de guérir 90 % des mélanomes oculaires de l’adulte, traités avec cette technique. De nombreuses autres indications sont envisagées, comme la maladie de Hodgkin, et certains cancers du sein.

On peut cependant regretter, qu’en raison de son coût très élevé (environ 50 millions d’euros pour une installation et 1000 euros pour une séance), l’hadronthérapie ne soit pas plus répandue dans notre pays, compte tenu de ses performances thérapeutiques vraiment exceptionnelles. Est-il vraiment impossible que nos douze grandes régions, alliées à nos dix grandes métropoles, et pourquoi pas avec le concours d’entreprises privées (dans le cadre d’un nouveau dispositif fiscal incitateur), puissent réaliser sur ces 6 prochaines années ( durée du mandat qui commencera dimanche prochain) un investissement d’avenir qui consisterait à doter chaque grande région d’au moins un centre d’hadronthérapie qui pourrait prendre en charge les cancers les plus difficiles avec d’excellentes chances de succès ?

En Suisse, des chercheurs de l’EPFL ont, quant à eux, développé une remarquable technique combinant la nanophotonique et l’IA, pour détecter de manière fiable, rapide et précoce de nombreux cancers. « De nombreux décès par cancers pourraient être évités si nous pouvions simplement disposer de biocapteurs fiables pour la détection précoce des tumeurs et le suivi du traitement », explique Hatice Altug, qui dirige ces recherches. Les scientifiques de l'EPFL ont réussi à combiner deux techniques : la nanophotonique et la science des données. Les puces optiques utilisées pour la biodétection comprennent des nanostructures en silicium, conçues pour piéger efficacement la lumière sur le bioséchantillon. La lumière qui traverse la biopuce est captée par une caméra spéciale capable d’analyser les millions de pixels qui composent les images.

En utilisant conjointement les ressources d’une vaste banque de données et la puissance de l’IA, les chercheurs peuvent traiter intelligemment les informations d'intensité de ces nombreux pixels, en tenant compte de l'efficacité de chaque pixel et en ajustant sa contribution à l’image d’ensemble. Ils ont ainsi pu, en utilisant une lumière d'une seule couleur, obtenir des résultats de biodétection d’une sensibilité équivalente à ceux obtenus à partir des biocapteurs classiques, mais avec un dispositif bien plus simple et moins onéreux. Ces scientifiques ont appliqué leur nouveau biocapteur au diagnostic du cancer en détectant les exosomes tumoraux, qui sont des biomarqueurs du cancer à un stade précoce. Ils ont montré qu’il était possible, à l’aide ce cette nouvelle technique, de surveiller en temps réel les exosomes du cancer du sein, à la fois chez des patientes saines et malades. Cette avancée ouvre la voie à l’utilisation généralisée de dispositifs de détection fiables, compacts et peu coûteux, de nombreux types de cancers.

Il faut enfin évoquer la remarquable innovation des chercheurs Mathias Fink et Michael Tanter, qui ont développé, au terme de dix ans de recherche, la technologie d’“élastographie par ondes de cisaillement”. Un système d’échographie par ultrasons capable de capter 10 000 images par seconde (contre une cinquantaine pour les échographies classiques), permettant d'observer les “ondes de cisaillement” qui parcourent le corps humain. « Il s’agit de petites vibrations produites par le cœur, le son de la voix, ou artificiellement, qui parcourent le corps humain à très haute vitesse, et dont le déplacement nous informe sur la rigidité et l’élasticité des tissus », décrit Mathias Fink. Ce nouvel outil permet de cartographier les rigidités dans le corps humain, et de remplacer les palpations couramment utilisées par les médecins pour identifier et caractériser certaines tumeurs. Par exemple, une échographie ne permet pas toujours de distinguer une lésion bénigne ou maligne, ce qui oblige souvent les médecins à recourir à des biopsies invasives. Mais en établissant une cartographie précise de la rigidité des tissus, l’EOS permet d’affiner de manière très sûre.

On le voit, ces avancées remarquables contre le cancer s’inscrivent dans des champs disciplinaires situés en dehors de la biologie, ce qui montre bien à quel point il est devenu capital de concevoir des projets de recherches et de monter des équipes de chercheurs qui soient capables de faire sauter les barrières conceptuelles, méthodologiques et expérimentales, encore fortes, qui séparent les disciplines scientifiques relevant de la matière (optique, physique, chimie, matériaux), de celles relevant du vivant (biologie, médecine, génétique) et du calcul (informatique, IA). Parallèlement, ce décloisonnement disciplinaire doit s’accompagner d’un élargissement et d’un enrichissement de nos approches théoriques du cancer, en tant que maladie globale, dans laquelle le microenvironnement des mécanismes de communication cellulaires, et les modes de vie, on le sait à présent, jouent un rôle central.

Si nous voulons atteindre le nouvel objectif ambitieux qui vise la guérison ou le contrôle de trois cancers sur quatre dès 2030 et le contrôle de tous les cancers d’ici 20 ans, nous devons dorénavant miser davantage sur les potentialités thérapeutiques immenses ouvertes par les progrès des sciences physiques et numériques qui pourront, en synergie avec les sciences de la vie, porter au cancer des coups décisifs…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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