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Edito : Nous devons aller vers une économie circulaire qui fasse du recyclage une richesse

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE) la consommation mondiale de charbon, première source d’émissions de CO2, a dû atteindre un nouveau record en 2022. La consommation mondiale de charbon augmentera cette année de 1,2 % par rapport à 2021, à plus de 8 milliards de tonnes, battant un record atteint en 2013 (Voir IEA). Depuis 1990, l’année de référence pour mesurer l’évolution du mix énergétique vers la décarbonation, la production mondiale de charbon, loin de se réduire, aura en fait augmenté de 66 %, passant de 4,8 à 8 milliards de tonnes. La demande mondiale de charbon devrait se maintenir à ce niveau au moins jusqu’en 2025, selon l’AIE.

S’agissant du pétrole, la consommation mondiale a, elle aussi, continué à croître de plus de 1 % par an, passant de 3,1 milliards de tonnes en 1990, à 4,25 milliards de tonnes en 2022, soit 37 % d’augmentation en 32 ans. Enfin, s’agissant du gaz, la consommation mondiale a littéralement explosé, passant de 1,95 milliard de tonnes en 1990… à 4,1 milliards de tonnes en 2022, soit un doublement en trente deux ans. L’humanité consomme également environ 160 milliards de tonnes de biomasse (sous différentes formes solides et liquides), ce qui représente plus de dix fois sa consommation énergétique totale et fait de la biomasse, de loin, la première des énergies renouvelables.

Le sable, principal composant du ciment, du béton, de l’asphalte et du verre, a vu sa consommation mondiale multipliée par quatre en trente ans. Celle-ci a dépassé les 44 milliards de tonnes en 2021, soit une hausse de près de 5 % en une année, selon l’ONU. La production mondiale de verre atteint pour sa part les 140 millions de tonnes et a augmenté de 40 % depuis vingt ans. En mai dernier, Saint-Gobain a réussi une première mondiale : la production de 2000 tonnes de verre plat en remplaçant totalement le sable par du calcin, alimenté le four uniquement avec du biogaz et utilisé de l'électricité 100 % décarbonée pour la chaîne de production, 100 % de calcin et 100 % d'énergie décarbonée. Dans ce secteur industriel, la marge de progression est considérable, puisque seuls 5 % des 200 000 tonnes de verre plat issues de la déconstruction en France sont transformées en calcin réutilisable. Saint-Gobain a donc décidé, dans une première phase, d’incorporer 50 % de calcin dans son verre plat d'ici 2030.

La production de métaux a également connu une augmentation considérable au niveau mondial : la production de minerai de fer a ainsi doublé depuis 2000, pour atteindre les 2,5 milliards de tonnes en 2021. La production mondiale d’acier, après un léger recul en 2020, a progressé de 3,5 % en 2021, pour atteindre 1,95 milliard de tonnes, soit un doublement depuis 2005. L’aluminium a vu sa production mondiale tripler en vingt ans, pour atteindre 65 millions de tonnes en 2020. La production mondiale de cuivre a doublé depuis 1990, passant de 10 à 21 millions de tonnes. La consommation mondiale de bois a dépassé en 2020 la barre symbolique des quatre milliards de m3, dont la moitié correspond à la production industrielle.

En France, l’industrie sidérurgique, responsable de 7 % des émissions de CO2, a déjà entamé sa transition vers la décarbonation, avec comme objectif de diminuer ses émissions de GES de 35 % par rapport à 2015 d’ici à 2030. Pour parvenir à cet objectif, cette industrie va combiner l’utilisation de l’hydrogène et de l’électricité verte. Pour produire du fer, elle va remplacer le coke – charbon obtenu par pyrolyse de la houille – par de l’hydrogène vert. Il y a quelques mois, un consortium industriel européen a lancé la société GravitHy, qui va investir 2,2 milliards d’euros pour construire sa première usine à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône). Celle-ci sera opérationnelle en 2027 et devrait produire 2 millions de tonnes de fer bas carbone chaque année, qui pourra être utilisé comme matière première, pour créer de l’acier vert, ou commercialisé directement.

Dans le même temps, la production de déchets plastiques a, elle, plus que doublé depuis 20 ans, pour atteindre les 460 millions de tonnes par an (2020). En 2020, on estime que 25 millions de tonnes de plastique ont été rejetées dans l'environnement, dont 7 Mt dans les cours d'eau, lacs et océans, et les plastiques représentent près de 90 % du total des déchets marins. On estime que, depuis 1945, l'humanité a produit plus de 10 milliards de tonnes de plastiques et ce matériau polluant et difficile à recycler (certains plastiques mettent plusieurs siècles à se dégrader et à être éliminés par la nature) est désormais le troisième produit le plus fabriqué par l’homme derrière le ciment et l’acier.

Et le pire reste à venir, car l’IFPEN estime que la production annuelle de plastiques pourrait franchir la barre du milliard de tonnes en 2050, une perspective insupportable, pour l’environnement, comme pour le climat. En décembre dernier, des négociations ont commencé en Uruguay pour parvenir, d’ici 2024, à un traité international contraignant, prévoyant enfin l’obligation par les états de prendre en compte la gestion, l’élimination, mais aussi l’ensemble du cycle de vie, dès la conception, des matières plastiques. L'Europe ne recycle encore que le tiers de ses déchets plastiques et, au niveau mondial, seulement 33 millions de tonnes, soit 9 % des déchets plastiques, ont été recyclées. « En concevant dès le départ des produits pour la réutilisation et le recyclage, en éliminant les additifs dangereux, on pourrait réduire de plus de 80 % ces déchets plastiques d'ici 2040 » estime la directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), Inger Andersen.

Heureusement, plusieurs ruptures technologiques majeures sont en cours et pourraient permettre, si la volonté politique est là, d’aller plus vite vers une production et une utilisation de plastiques entièrement recyclables. On assiste notamment au développement de plastiques biosourcés de deuxième et troisième générations, à partir de déchets végétaux ou d'algues. En France, la start-up Eranova a inauguré le 18 février 2022 un démonstrateur à côté de Marseille pour transformer des algues d'échouage de l'étang de Berre, en granulés bioplastiques. Une autre solution prometteuse consiste à produire des plastiques à partir du CO2 rejeté par l'industrie dans l'atmosphère. C’est la voie prise de manière remarquable par le groupe allemand Covestro. Il y a un an, Christoph Gürtler, chef des technologies d’incubation et de catalyse chez le chimiste Covestro, et Walter Leitner, directeur de catalyse moléculaire du réputé Institut Max Planck, ont présenté un procédé innovant permettant d’obtenir des composés organiques par réaction catalytique des polyols et de remplacer partiellement, mais à terme totalement, les dérivés du pétrole par du CO2 pour fabriquer un composé précurseur du polyuréthane. Covestro produit déjà 5000 tonnes par an de ce nouveau type de plastique, appelé cardyon, en utilisant le CO2 rejeté par une installation de production d’ammoniac.

En France, la société clermontoise Carbios pourrait bien devenir l’un des leaders mondiaux du recyclage plastique, grâce à la mise au point d’un procédé révolutionnaire, le recyclage enzymatique, qui a permis à cette entreprise d'obtenir le soutien d'actionnaires majeurs, comme L’Oréal, Michelin ou Nestlé. Ce processus consiste, d'une part, à recycler des types de plastiques PET jusque-là non-traités par les méthodes de recyclage conventionnelles (textiles, pots de yaourt, films plastiques), mais aussi, d'autre part, de multiplier le recyclage de ces emballages plastiques. Carbios a réussi à dépasser les limites actuelles du recyclage mécanique, thermique ou chimique, en développant sa propre méthode baptisée C-ZYME, biologique et naturelle, à base d’enzymes non polluantes. Avec ce procédé révolutionnaire, il devient possible et rentable de recycler pratiquement à l’infini les plastiques.

En attendant d’être totalement recyclables, ces matières plastiques peuvent déjà être valorisées de manière transversale, en étant réutilisées dans de nombreux secteurs, comme la construction. Au Kenya, l’entreprise Gjenge Makers a mis au point une machine qui transforme les déchets plastiques en matériaux de construction durables. Les briques obtenues sont cinq fois plus résistantes que le béton et plus légères. La start-up française SAMJI fabrique pour sa part des briques en plastique recyclé ayant un haut pouvoir d’isolation thermique et pouvant intégrer un isolant phonique.

On peut aussi évoquer la start-up Neolitik, créée en 2021 par Marc Dib. Cette entreprise produit des dalles de revêtement pour sols extérieurs, composées d’un nouveau matériau, l’EcoLithe, qui contient 12 kg de plastique par m2. Ayant un aspect proche de celui du béton, EcoLithe est deux fois plus résistante et deux fois plus légère. Dans un premier temps, les dalles EcoLithe seront utilisées sur des chantiers expérimentaux. « Après avoir été testées et avoir obtenu des certifications, on devrait être prêt pour une commercialisation à grande échelle vers septembre 2023 » espère-t-il. Entièrement recyclables, ces dalles EcoLithe, avec une empreinte carbone dix fois plus faible que celle du béton, devraient permettre de réduire la facture carbone des bâtiments, un argument de taille à l’heure actuelle.

Selon le think tank Circular Economy, 100 milliards de tonnes de matériaux sont consommées chaque année par l’humanité, soit douze tonnes pour chaque habitant de notre planète. Et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’étude montre que la proportion de matériaux réutilisés, qu’il s’agisse des métaux, des minerais ou du pétrole, du charbon et du sable, s’est réduite, passant de 9 %, en 2021, à 8,6 % aujourd'hui (Voir CGRI).

« Cette tendance négative globale s’explique par trois facteurs : des taux d’extraction élevés, une reconstitution des stocks et de faibles niveaux de traitement et de recyclage en fin de vie », soulignent les auteurs de l’étude, qui précisent que depuis 1970, l’utilisation mondiale des matériaux a été multipliée par trois. Ce rapport prévoit que le besoin mondial en matières premières pourrait augmenter d’au moins 70 % d’ici 2050, passant à 170 milliards de tonnes de matériaux. Ces prévisions alarmantes rejoignent celles d’un récent rapport de l’OCDE qui prévoit que la consommation mondiale de matériaux pourrait monter à 167 milliards de tonnes par an en 2050, « Une hausse qui sera insoutenable pour la planète, le climat et l’environnement », selon cette organisation internationale.

La majorité des matériaux utilisés sont non métalliques et servent à la construction de logements et d’infrastructures. La Chine, par exemple, prévoit de doubler son parc immobilier et ses infrastructures existantes d’ici 2050 et ce pays immense, tant par la population que par la superficie, a utilisé depuis vingt ans plus de ciment, tous les deux ans, que les États-Unis pendant tout le XXe siècle. « Nous allons vers une catastrophe mondiale si nous continuons à traiter les ressources mondiales comme si elles étaient illimitées. Les gouvernements doivent adopter de toute urgence des solutions d'économie circulaire si nous voulons atteindre une qualité de vie élevée pour près de 10 milliards de personnes d'ici le milieu du siècle sans déstabiliser les processus planétaires critiques » souligne Harald Friedl, directeur général de Circle Economy. Ce rapport regrette que seuls 13 pays (dont la France) aient défini pour l’instant des feuilles de route vers l’économie circulaire. Mais il pointe également plusieurs actions et initiatives positives mises en œuvre, pour le traitement des déchets dans différents pays, comme le Brésil ou le Nigéria.

Une saisissante étude publiée en 2020 (Voir Nature) nous apprend que, pour la première fois dans l’histoire de notre espèce, la masse totale des routes, des bâtiments en tout genre ainsi que de l'ensemble des produits manufacturés, a été comparée à celle de la biomasse vivante, c'est-à-dire des arbres, des plantes, du milieu marin et des animaux. Résultat, alors que la totalité des formes de vie sur Terre pèse environ 1, 12 tératonne, le poids des produits fabriqués par l'humanité se situe aujourd'hui autour des 1,15 tératonne. Selon ces chercheurs, il y aurait, chaque année, l'équivalent de huit villes semblables à New York qui seraient ajoutées dans le monde.  L'agriculture intensive et la déforestation ont réduit de moitié cette masse depuis la période néolithique, il y a 10 000 ans, et la planète a par exemple perdu un million de km² de forêts depuis vingt ans. L’étude prévoit qu’à ce rythme, le poids des constructions des êtres humains pourrait atteindre les 3 tératonnes en 2040. L'OCDE estime pour sa part que le produit mondial brut pourrait quadrupler d’ici 2060. Dans une telle perspective, les émissions de gaz à effet de serre liées à la gestion des matières premières pourraient passer de 28 à 50 milliards de tonnes d'équivalent CO² au cours des quatre prochaines décennies.

Ce rapport de l’OCDE est largement corroboré par une récente étude de l’ONU, intitulée "Le poids de villes en 2050" (Voir International Resource Panel) qui souligne que les villes représentent déjà 60 % du total de la consommation intérieure de matières (CIM) dans le monde et rappelle que l’urbanisation de la planète ne cesse de s’accélérer : la population urbaine va en effet passer de 55 % aujourd’hui à 68 % en 2050. Elle atteindra alors 4,7 milliards de citadins, soit 2,5 milliards d’habitants de plus qu’aujourd’hui et plus du tiers de cette croissance urbaine sera concentré dans trois pays, l’Inde, la Chine et le Nigéria. Selon cette étude, la CIM doit absolument être réduite de moitié et redescendre de 17 à 8 tonnes par habitant et par an à l’horizon 2050, pour redevenir compatible avec un développement durable et respectueux de l’environnement et du climat. Cette réduction drastique mais nécessaire reviendrait à économiser 44 milliards de tonnes de matériaux chaque année d’ici à 2050.

Ces récentes études et travaux s’accordent sur le fait que, pour construire une nouvelle croissance mondiale durable, pleinement compatible avec la sauvegarde du climat et de l’environnement, et susceptible de fournir à l’ensemble des habitants de la planète les biens et services vitaux élémentaires - nourriture saine, logement décent, éducation, transports, travail  - il ne suffira pas de réduire notre consommation globale de matières premières et d’améliorer conjointement l’efficacité énergétique de nos économies et industries. Il faudra également revoir complètement l’organisation de nos modes de production économique et énergétique et redéfinir de nouveaux concepts d’urbanisation verte et d’aménagement du territoire à l’échelle des continents. Le défi qui nous attend est immense mais nullement hors de notre portée, si nous savons sortir des vieux schémas de pensée, réorienter nos sociétés vers l’innovation technique et socialement utile, et concevoir le recyclage valorisant, à tous les stades de production et d’utilisation, comme un processus potentiellement créateur de richesses infinies, tant sur le plan individuel que collectif…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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