RTFlash

Matière

Edito : L’ordinateur quantique arrive à grand pas…

Avant Propos

Chers lecteurs de RT Flash,

Je remercie les 27 lecteurs de RT Flash qui, cette semaine, ont adhéré et fait des dons à notre association. En ajoutant les 2.020 euros que vous avez apportés, vous avez ainsi permis à notre cagnotte d'atteindre 13.957 €.

Certes, nous ne nous approchons que lentement de notre objectif de 20.000 € mais les messages particulièrement sympathiques que j'ai reçus de plusieurs parmi vous, ces temps derniers, m'ont fait chaud au cœur.

J'ai la conviction que vous êtes de plus en plus nombreux à avoir pris conscience de la somme de temps que les 3 membres de notre toute petite équipe (toujours les mêmes !) ont apporté depuis 22 ans, et ce bénévolement, pour vous permettre de recevoir, gratuitement et sans publicité, RT Flash chaque semaine.

Sauf pour l'un des rédacteurs, à qui l'association verse chaque semaine un petit défraiement bien mérité, les deux autres rédacteurs, dont moi-même, n’avons pas perçu le moindre centime de rémunération depuis 1998. Aussi, tous les dons que vous versez à notre Association, l'ADIST, servent à faire fonctionner (rémunération des techniciens, fonctionnement technique, juridique, etc...) RT Flash. Sans ces moyens de fonctionnement, RT Flash ne pourrait plus être mis en ligne, chaque semaine.

Je sais pouvoir compter sur vous car, sans vous, nous n'aurions plus d'avenir, ne recevant plus, comme par le passé des subventions des Instituts de Recherche. Par ailleurs, nous maintenons notre résolution de n’accepter aucune ressource de publicité, ce qui incite de plus en plus d'enseignants, et nous les remercions, à recommander la lecture de RT Flash à leurs élèves.

Si vous voulez aider RT Flash, Lettre d'Informations Scientifiques, gratuite et sans publicité depuis 1998,

appuyez sur le lien suivant : Adhérez à notre Association ou faites un DON pour sauver RT Flash, vous bénéficierez d'une réduction fiscale de 66 %

EDITO

Près d’un siècle après l’avènement de la mécanique quantique, véritable séisme conceptuel au coeur de la physique, porté par de géniaux scientifiques, Max Planck, Einstein, De Broglie, Niels Bohr, Dirac, Max Born, Schrödinger, Heisenberg, les avancées et innovations ouvrant la voie vers un ordinateur quantique totalement opérationnel ne cessent de s’accélérer depuis quelques mois. Les géants de l’informatique et du numérique se livrent une compétition acharnée pour être le premier à maîtriser pleinement cette technologie qui s’annonce comme une rupture scientifique aussi importante qu’en leur temps le téléphone, la radio, la télévision, le transistor ou l’Internet.

Sans entrer dans des détails trop techniques, rappelons seulement que le « qbit », formulé il y a 25 ans, représente la plus petite unité de calcul quantique possible. Mais contrairement au bit classique, qui ne peut prendre que deux valeurs, 0 ou 1, le qbit possède intrinsèquement deux états de base simultanés, grâce au phénomène étrange de superposition quantique. En informatique quantique, la puissance de calcul croit de façon exponentielle et la capacité de calcul double, pour chaque qbit ajouté à l’ordinateur, à condition toutefois que ces qbits puissent conserver leur nature quantique, fragile et très difficile à préserver dans la durée, ce qui suppose notamment que les processeurs composant un ordinateur quantique soient refroidis à une température proche du zéro absolu…

On se souvient qu’en septembre 2019, Google avait fait sensation en annonçant qu’il avait conçu une unité de calcul qui avait atteint le niveau de « suprématie quantique », c’est-à-dire le stade auquel, pour un type de calcul donné, une machine quantique était bien plus rapide que n’importe quel superordinateur conventionnel. Pour illustrer le bond réalisé par l'informatique quantique, Google avait alors affirmé qu'il avait pu réaliser avec sa machine Sycamore, refroidie à une température proche du zéro absolu, et ses 53 qubits (54 moins 1, non fonctionnel), un calcul spécialisé en seulement trois minutes, contre 10 000 ans pour un supercalculateur classique…

Cette fois, Google a franchi une nouvelle étape qui nous rapproche un peu plus d’un ordinateur quantique complet. Il a annoncé en septembre dernier la réussite d’une nouvelle expérience de chimie quantique, qui utilise toujours la puce Sycamore, dans une version réduite à 12 qubits (Voir Science).

Ses chercheurs ont commencé par simuler, à l’aide de la méthode de Hartree-Fock un état simplifié de l’état énergétique d’une molécule composée de 12 atomes d’hydrogène, chacun des 12 qubits représentant l’unique électron d’un des atomes. Ils ont ensuite modélisé une réaction chimique à l’intérieur d’une molécule constituée d’atomes d’hydrogène et d’azote, en intégrant des nombreux paramètres d’énergie, de pression, de vitesse et de température.

Ce nouveau calcul était deux fois plus ambitieux que le précédent record de simulation quantique de réaction chimique, détenu depuis 2017 par IBM, en utilisant six qubits. Nicholas Rubin, qui dirige ces recherches, précise que « Ce calcul quantique à 12 qbits est encore modeste et correspond à un système moléculaire d’un niveau de complexité que les scientifiques pouvaient calculer avec les premiers ordinateurs des années 1940. Mais lorsque nous doublerons le nombre de qbits, pour passer à 24, nous arriverons probablement à la capacité de modélisation des ordinateurs des années 1980. Et lorsque nous doublerons à nouveau le nombre de qbits, pour arriver à 48, nous serons probablement au-delà de la capacité de calcul de n’importe quel ordinateur classique actuel. » Google considère que l’étape qui vient d’être franchie est très importante car elle montre qu’il est possible d’envisager des ordinateurs quantiques programmables, n’étant pas seulement cantonnés à certains types de calculs et pouvant être utilisés pour n’importe quelle tâche.

Toujours en septembre dernier IBM, également bien décidé à rester dans cette course technologique majeure vers le meilleur ordinateur quantique,  a annoncé une ambitieuse « feuille de route », vers un ordinateur quantique opérationnel et universel. IBM vise en effet les 127 qbits dès l’année prochaine, pour atteindre les 433 qubits en 2022 et les 1121 qbits en 2023. Ce futur microprocesseur quantique à plus de 1000 qbits sera baptisé « Condor », et il devrait afficher un taux d’erreur très bas (sans doute 0,0001 %, contre 1 % aujourd’hui) et surtout disposer d’une puissance de calcul phénoménale. Pour atteindre cet objectif, les chercheurs d’IBM développent un nouveau type de refroidisseur à dissolution capable de contenir les températures de ces puces de plus en plus volumineuses, et travaillent également sur de nouvelles technologies d’interconnexion entre processeurs, pour obtenir, in fine, une machine la plus puissante et la plus fiable possible.

Il y a un mois, une autre avancée majeure vers l’ordinateur quantique était annoncée par le constructeur canadien D-Wave Systems. Cette machine, baptisée Advantage, ne contient pas moins de 5000 qubits, soit deux fois et demi plus que la précédente version.

Reste que certains scientifiques s’interrogent pour savoir quel est le gain de puissance réelle de cette nouvelle machine présentée par D-Wave Systems. Car ce constructeur canadien, pionnier dans l’informatique quantique, a choisi une voie technologique différente de celle de ses concurrents, et qui nécessite entre 10 à 1000 qubits de correction d’erreur pour 1 qubit de calcul actif.

Tristan Meunier, directeur de recherche au CNRS à l’institut Néel à Grenoble, souligne, quant à lui, le réel bond technologique que représente cette nouvelle machine de D-Wave : «la machine de D-Wave s’appuie sur une conception et une fabrication tout à fait remarquables, notamment en ce qui concerne le nombre de qubits, les modules d’interconnexion et la qualité du système de refroidissement. D-Wave est parvenue à compenser la relative faiblesse des performances de leurs qubits par le contrôle d’un grand nombre d’entre eux et une grande connectivité.», précise cet expert en physique quantique.

D-Wave ne se prive d’ailleurs pas de souligner, contrairement à ses concurrents, qu'il propose déjà aux entreprises des machines quantiques opérationnelles, vendues avec des progiciels « sur mesure »  qui répondent parfaitement aux besoins de ses clients. La firme canadienne précise que ces nouvelles machines sont notamment utilisées pour modéliser et concevoir en un temps record des nouvelles molécules anti-virales. Autre exemple, selon D-Wave, la machine acquise par un grand distributeur de commerce canadien lui aurait permis d’optimiser un processus calculé en 2 minutes contre 25 heures auparavant…

Mais Google réplique en expliquant que la voie technologique choisie par D-Wave n’a pas d’avenir car elle va se heurter à des obstacles physiques insurmontables, à mesure que ses machines gagneront en puissance et compteront plus de qbits. Google affirme que son prototype, bien qu’il ne comporte que 60 qbits, est capable de réaliser une succession d’un millier d’opérations sans erreur, et que sa puissance double chaque fois qu’un qubit est ajouté, « ce qui est loin d’être le cas de D-Wave », s’empresse d’ajouter Google.

Enfin, il y a quelques jours, IonQ a fait sensation en dévoilant une machine présentée comme « l’ordinateur quantique le plus puissant du monde ». IonQ affirme que les ressources immenses en calcul de cet ordinateur seront prochainement commercialisées, via les plates-formes de développement quantique Amazon Bracket et Azure Quantum de Microsoft. IonQ, mais cela reste à confirmer, serait parvenu à battre le record du volume quantique d’IBM. Cet indicateur permet d’évaluer la performance d’un ordinateur quantique en fonction du ratio entre son efficacité et son taux d’erreurs. IBM a récemment annoncé avoir atteint l’échelon 64 de volume quantique sur un ordinateur de 27 Qubits. IonQ affirme, pour sa part, être parvenu à quatre millions sur l’échelle du volume quantique sur un ordinateur de 32 Qubits. Cette prouesse résulterait du choix technologique de IonQ, qui repose sur le recours à des ions piégés et stabilisés à l’aide de champs électromagnétiques, une approche qui lui aurait permis de descendre le taux d’erreur par qbit à 0,1 %.

Mais alors que les premières machines quantiques sont déjà sur le marché, les recherches se poursuivent activement pour simplifier la fabrication de ce type d’ordinateurs très fragiles et en diminuer le coût de construction et d’exploitation. Les physiciens de l'Université Aalto et du centre de recherche technique (VTT) en Finlande sont parvenus à développer un nouveau détecteur capable de mesurer des quanta (paquets d'énergie) à une résolution jusque-là inégalée (Voir Nature). Cette équipe, dirigée par Mikko Möttönen, a mis au point un nouveau type de détecteur en graphène, capable de mesurer le voltage d'un qubit 100 fois plus rapidement que l'alliage d'or-palladium habituellement utilisé pur cette tâche. Cette avancée majeure pourrait permettre de construire des machines quantiques bien plus fiables et moins onéreuses.

Mais si l’on parle beaucoup en ce moment de ces ordinateurs quantiques, dont on attend des performances qui défient l’imagination, on parle moins d’une autre rupture technologique tout aussi importante, qui repose également sur la physique quantique : je veux parler de l’Internet quantique, qui est, lui aussi, en train de sortir des laboratoires et de devenir une réalité qui va faire entrer notre monde numérique dans une nouvelle dimension. Il y a quelques jours, une équipe de recherche regroupant des chercheurs l'IPhT (Institut de Physique Théorique-CEA-CNRS) et des scientifiques des Universités de Genève et de Bâle, est parvenue pour la première fois à « intriquer » les sorties de deux fibres optiques partageant un photon unique à 2 km de distance. Ils ont ainsi pu montrer qu’il est possible de produire et de moduler sur de longues distances, grâce à l'utilisation de répéteurs quantiques, des formes d'intrication quantique, ce qui constitue une avancée importante vers la construction d'un internet optique quantique hautement sécurisé.

Cette percée scientifique survient seulement quelques semaines après l’annonce, par des chercheurs de l’Université de Bristol (Royaume-Uni), de la mise en service d’un réseau métropolitain de communication quantique présenté comme le plus grand jamais créé (Voir Science Advances). Ce réseau utilise également le principe de l’intrication quantique, et a été déployé sur le réseau de fibre optique de la ville en seulement quelques mois, pour un coût modique, au regard de ses performances (330 000 euros). « Au lieu de répliquer tout le système de communication pour chaque utilisateur, nous avons utilisé le multiplexage qui sépare les photons (particules de lumière) émises par un système pour qu’elles puissent être reçues par plusieurs personnes », précise Siddarth Joshi, le responsable de ce projet-pilote, qui ajoute, « Cette technique peut encore être considérablement améliorée, et je suis convaincu que, demain, nous pourrons en faire bénéficier l’ensemble des abonnés à l’Internet ».

Nous voyons donc que la technologie quantique, après être restée pendant presque un siècle du domaine de la science-fiction, va totalement révolutionner l’informatique, mais également les télécommunications et plus largement l’ensemble du monde numérique. Concrètement, cela veut dire que dans une dizaine d’années, les centres de recherches, les entreprises et les professionnels, je pense notamment aux médecins, aux ingénieurs, aux architectes, ou encore aux urbanistes, auront accès, pour un coût acceptable, à une puissance de calcul proprement inimaginable aujourd’hui. Cela permettra, par exemple, à un médecin, d’identifier en quelques heures l’ensemble des anomalies et mutations génétiques d’un patient, et d’en prévoir les multiples conséquences pour sa santé. Il sera alors possible, toujours grâce à cette puissance quantique distribuée, de concevoir en quelque heures (au lieu de plusieurs années) des médicaments « sur mesure » associant des molécules complexes et répondant exactement aux besoins thérapeutiques d’un malade.

Dans le domaine des matériaux, cette puissance quantique permettra de concevoir, au niveau atomique, des matériaux composites extrêmement complexes, possédant des propriétés parfaitement définies, en fonction d’applications précises. Cette puissance quantique permettra également de gérer en temps réel, de manière intelligente, la production, la distribution, le stockage et la consommation finale d’énergie, ce qui permettra une accélération décisive vers la décarbonation totale de notre économie et le passage aux sources d’énergie exclusivement renouvelables.

Cette puissance quantique permettra également de concevoir et de réaliser des villes résilientes, autoadaptatives, capables d’anticiper les dysfonctionnements, d’autoréparer leurs infrastructures essentielles et d’adapter à chaque instant l’offre à la demande de transports. On peut également imaginer qu’une telle puissance de calcul disponible permettra enfin d’anticiper des catastrophes naturelles majeurs, que nous ne savons pas encore prévoir aujourd’hui ; je pense notamment aux tremblements de terre dévastateurs, aux éruptions volcaniques, ou à certains événements météorologiques extrêmes, dont la fréquence et la puissance ne cessent d’augmenter, y compris dans notre pays.

Nous devons savoir tirer les leçons de cette extraordinaire aventure quantique, qui ne fait que commencer, et comprendre à quel point il est important pour nos sociétés, surtout en ces temps troublés, où l’Humanité est confrontée à de nouvelles menaces d’une ampleur inédite, de continuer à investir sur le temps long, dans des domaines de recherche hautement spéculatifs et fondamentaux. Les pères de la physique quantique eux-mêmes n’auraient sans doute pas imaginé que, ce qui apparaissait alors comme une curiosité conceptuelle et mathématique particulièrement abstraite, déboucherait, un siècle plus tard, sur une révolution technique, économique et finalement sociale absolument considérable.

Demain, qui sait si des recherches théoriques qui peuvent parfois nous sembler aujourd’hui inutiles et bien éloignées de nos préoccupations quotidiennes, comme la matière noire, la gravitation quantique ou la recherche de nouvelles particules inconnues, ne seront pas à l’origine d’autres révolutions scientifiques majeures, qui changeront la face du Monde… 

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

Noter cet article :

 

Vous serez certainement intéressé par ces articles :

Recommander cet article :

back-to-top