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Edito : Hyperloop et Maglev : ne laissons pas la Chine dominer les transports mondiaux du futur…

On le sait, pour éviter un embrasement climatique qui aurait des conséquences désastreuses pour l’humanité, le monde doit tendre vers une décarbonation complète d’ici 2050 ou du moins redescendre à cette échéance en dessous des 10 gigatonnes de CO2 (contre 40 gigatonnes aujourd’hui), niveau jugé compatible par les scientifiques avec la capacité d’absorption du CO2 par notre planète. Aujourd’hui, le secteur des transports, avec ses 1,5 milliard de véhicules (dont seulement vingt millions de véhicules électriques) représente, avec environ 15 gigatonnes de CO2 par an, le deuxième secteur le plus émetteur de GES, derrière celui de la production d’électricité. Le transport aérien, pour sa part, représente déjà près de 3 % des émissions mondiales de CO2, soit plus d’un milliard de tonnes par an. Mais si l’on tient compte des effets, longtemps sous-estimés des traînées de givre des avions, son effet global sur le réchauffement climatique est estimé à plus de 5 %. Et selon les dernières prévisions concordantes des grandes compagnies aériennes, le nombre d’avions dans le monde devrait doubler au cours des 20 ans qui viennent, portant la flotte mondiale à 46.930 appareils, contre 22.880 en 2020. Quant au nombre de passagers transportés, il pourrait passer de quatre milliards par an en 2023, à plus de dix milliards en 2050…

Certes, l'Organisation de l'aviation civile internationale (Oaci), une agence des Nations unies, a réussi à faire signer par 193 pays, le 7 octobre 2022, un accord ambitieux prévoyant une aviation civile neutre en carbone en 2050. Mais, outre le fait que cet accord ne soit pas juridiquement contraignant, beaucoup de scientifiques et d’ingénieurs doutent qu’il soit possible de concilier à la fois un doublement attendu du trafic aérien et une décarbonation complète de ce mode de transport. Selon les compagnies aériennes, aller vers une aviation décarbonée représente un investissement d’au moins 1 550 milliards de dollars d’ici 2050 et suppose de nombreuses ruptures technologiques et industrielles qui restent incertaines en si peu de temps…

Selon l’ADEME, un trajet quotidien de 5 kilomètres pendant un an génère 4,4 kg de CO2 en TGV, et 35 kg en voiture. Un voyage de 500 kilomètres va entraîner des émissions de CO2 de 1,2 kg par personne en TGV, 97 kg en voiture et 203 kg en avion. Si on prend l’exemple d’un trajet Paris-Toulouse, l’ADEME montre que chaque passager émet 79 kg de CO2 en avion contre 1,3 s’il prend un TGV, soit 56 fois moins. L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) souligne que le transport routier représente à lui seul près des ¾ des émissions de GES du transport, l’aviation et le transport maritime près de 12 % chacun. Quant au transport ferroviaire, il n’émet que 1,2 % du CO2 lié aux transports. Toujours selon l’AIE, l’empreinte carbone du transport pourrait augmenter de 60 % d’ici 2050, alors que pour tenir les engagements de l’Accord de Paris sur le climat, nous devons au contraire réduire les émissions liées au transport de passagers de 70 % d’ici 2050.

C’est dans ce contexte que nous allons devoir résoudre une redoutable mais inexorable équation : comment satisfaire une augmentation, même maîtrisée, de la demande mondiale en déplacements et réduire en même temps sensiblement les émissions de CO2 liées aux transports. Une des solutions à cette question-clé réside incontestablement dans le développement de nouveaux modes de transports ferroviaires, à la fois plus rapides, plus sobres en énergie, plus souples et bien sûr avec une très faible empreinte carbone. Parmi ceux-ci, on compte les TGV de nouvelle génération, comme le TGVm, plus économe en énergie, qui entrera en service en 2025, mais également les futurs trains à sustentation magnétique, déclinés dans plusieurs versions technologiques, dont l’une particulièrement disruptive, l’Hyperloop. Imaginé par Elon Musk, ce concept de train à sustentation magnétique se déplaçant à très grande vitesse (de 660 à 1000 Km/h) dans des tubes à basse pression d’air, a été progressivement abandonné ou mis en veilleuse dans de nombreux pays, car sa réalisation se heurte à plusieurs obstacles technologiques, industriels et économiques considérables. En France, la start-up Hyperloop TT, qui s’était installée près de Toulouse, a déposé son bilan, après des promesses fracassantes.

Pourtant, il est un pays, la Chine, qui ne compte pas renoncer à cette rupture majeure dans les transports terrestres et a parfaitement saisi tout l’intérêt qu’elle pouvait tirer à terme du développement, à sa manière, de ce concept audacieux et futuriste. Récemment, une étape importante, mais malheureusement peu médiatisée, a été franchie en Chine, où l’entreprise Casic (China Aerospace Science and Industry Corporation) est parvenue à propulser son prototype Hyperloop à plus de 623 km/h, battant ainsi le record japonais de 603 km/h, enregistré en 2015, pour un train magnétique. Casic souligne, sans donner plus de détails, que ce train expérimental serait en mesure d’atteindre les 1 000 km/h sur une voie d’essai plus longue. Actuellement, la Chine ne compte qu'une seule ligne maglev à usage commercial, reliant l'aéroport Pudong de Shanghai à la gare Longyang dans la ville. Ce Transrapid de Shangaï permet d’effectuer un trajet de 30 km en seulement 7 minutes à bord d'un train atteignant une vitesse de 430 km/h. C'est également la première ligne Maglev à usage commercial au monde. Plusieurs nouveaux réseaux maglev sont prévus, dont un reliant Shanghai et Hangzhou, capitale de la province voisine du Zhejiang, et un autre reliant Chengdu, capitale de la province du Sichuan, et la ville de Chongqing, dans le sud-ouest de la Chine.

Le développement et la promotion du train à grande vitesse restent une priorité majeure en Chine, qui vise à connecter une grande partie de son vaste territoire, pour que le voyage en train soit rapide et accessible au plus grand nombre. En juillet 2023, l’académie chinoise des sciences ferroviaires a annoncé que son projet CR450 progressait rapidement. Ce nouveau concept de train magnétique à très grande vitesse a en effet atteint la vitesse vertigineuse de 453 km/h sur une section du réseau de Fuqing à Quanzhou, établissant ainsi un nouveau record mondial de vitesse sur des voies normales. A terme, la Chine envisage de créer une première ligne maglev reliant les deux plus grandes mégapoles du pays, Pékin et Shanghai (1.300km) en 3h30.

Issu de recherches menées dès 1922 par l’ingénieur allemand Hermann Kemper, le concept de train Maglev (Contraction des mots Magnétique et Lévitation) est développé depuis 1962 au Japon et depuis 1973 en Allemagne. Il repose sur le principe de la répulsion magnétique entre le train et les rails. Les rails contiennent des bobines métalliques interconnectées, qui font fonction d’électroaimants. Le train intègre également des électroaimants supraconducteurs, appelés bogies. À l’arrêt, le Maglev (sauf la version chinoise) repose sur des roues en caoutchouc. Au démarrage, le Maglev avance lentement sur ces roues, permettant ainsi aux aimants situés sous le train d’interagir avec ceux de la voie de guidage. Lorsque ce train atteint 150 km/h, le champ magnétique généré devient suffisamment intense pour soulever le train à 10 cm au-dessus de la voie, éliminant ainsi le frottement pour permettre des vitesses extrêmement élevées, supérieures à 500 km/h, qui seraient impossibles à atteindre, pour des raisons physiques et énergétiques, avec des trains classiques qui sont en contact direct avec les rails. La technologie Hyperloop de Tesla utilise la même technologie qui a l’avantage d’être particulièrement sûre.

En 2009, le Japon, fort de son expérience reconnue dans le domaine de la grande vitesse depuis 1962, a décidé de se doter d’un réseau magnétique Maglev. La ligne Chuo Shinkansen devrait relier les mégapoles de Tokyo et Nagoya, distantes de 345 km, d’ici 2027. Le trajet ne devrait durer que 40 minutes, soit plus rapide que les vols entre les deux villes si nous prenons en considération les temps de déplacements entre les centres villes et les aéroports ainsi que les temps d’embarquement. A terme, d’ici 2037, le Maglev devrait relier Tokyo à Osaka, distantes de 510 km, en moins d’une heure. Au total, plus de la moitié de la ligne Maglev reliant Tokyo à Nagoya sera enterrée, traversant les montagnes et passant sous les zones urbaines.

Pendant ce temps, les concepteurs du Maglev chinois cherchent à rattraper à marche forcée leur retard technologique sur leur éternel rival japonais. Ils ont notamment opté pour des aimants supraconducteurs refroidis à l’azote liquide, bien moins chers que leurs concurrents japonais, qui nécessitent de l’hélium liquide pour fonctionner. Le train magnétique chinois est également conçu de manière à pouvoir léviter à l'arrêt et sans avoir à accélérer au préalable, contrairement au train nippon de la ligne Shinkansen Chūō. En outre, l'utilisation de fibre de carbone devrait diminuer au moins d’un tiers le poids du Maglev chinois, ce qui se répercutera par des économies importantes dans la construction des lignes et des ponts.

En Europe, l’Allemagne, après avoir abandonné en 2008 son projet de liaison en Transrapid (version allemande du Maglev) entre Berlin et Hambourg, vient de décider, en novembre dernier, de relancer les recherches sur le train à sustentation magnétique (Voir TMH). Il est vrai que, dans le cadre de son objectif "Fit for 55 % in 2030" et du nouveau "Pacte vert" pour lutter contre le changement climatique, le Parlement européen a adopté il y a quelques semaines la nouvelle directive européenne sur le climat, qui relève l'objectif de l'UE de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici 2030 (contre 40 % actuellement) et rend la neutralité climatique d'ici 2050 juridiquement contraignante. Mais la Commission européenne a annoncé en décembre dernier que l’ensemble des mesures déjà prises par les Vingt-Sept leur permettraient d’espérer une baisse de 51 % de leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, ce qui risque d’être encore insuffisant pour atteindre ce nouvel objectif ambitieux de 55 % pour l’UE. Dans ce contexte, la Commission appelle tous les états-membres à « redoubler d’efforts » pour mettre en œuvre le nouveau Pacte vert européen. L’Europe va devoir notamment accélérer la décarbonation du secteur des transports (voitures, camions, cars et avions) qui représente plus du quart de ses émissions de CO2.

Dans cette perspective, dictée par des impératifs climatiques et environnementaux de plus en plus puissants, l’UE, comme ses états-membres, envisage une véritable réinvention des transports ferroviaires en articulant quatre niveaux de déplacements complémentaires : les futurs trains magnétiques, capables à terme de relier les mégapoles européennes les plus éloignées en moins d’une demi-journée, le réseau à grande vitesse "classique", destiné à compléter, pour un coût économique moindre, ces liaisons structurantes privilégiant la rapidité de déplacement, les TER, destinés à devenir de véritables RER Intercités, et enfin les navettes hybrides (électrique et hydrogène), souples, légères et modulaires, à faible coût d’exploitation, permettant de donner une nouvelle vie aux milliers de km de lignes secondaires abandonnées ou sous-exploitées.

En septembre dernier, une entreprise polonaise Nevomo a créé l’événement en réussissant un test grandeur nature d’un prototype de train magnétique sur une voie classique. Ce train est capable d’utiliser les infrastructures existantes en ajoutant simplement quelques composants supplémentaires sur la voie. Avec des rames adaptées, le train pourrait ainsi atteindre la vitesse maximum de 550 km/h. Lors du test, réalisé sur une voie classique de 720 m de long, le MagRail, leur prototype grandeur nature de 6 m de long, a lévité jusqu’à 20 mm au-dessus du sol, et est passé de 0 à 100 km/h en 11 secondes, pour finalement atteindre une vitesse maximale de 135 km/h. Selon Przemek Ben Paczek, PDG et cofondateur de Nevomo, « En tirant parti des infrastructures existantes, nous proposons une approche rentable et respectueuse de l’environnement pour moderniser le transport ferroviaire ». Cette avancée technologique majeure n’a pas échappé à la SNCF qui a conclu, comme le réseau ferroviaire italien (RFI) un accord de coopération afin d’évaluer l’intérêt et la faisabilité de cette technologie et de transposer ce concept prometteur aux besoins spécifiques de notre pays en matière de grande vitesse.

Mais revenons à la Chine qui s’est réappropriée de manière étonnante le concept d’Hyperloop, en réussissant à combiner de manière ingénieuse et visionnaire le Maglev et le transport ferroviaire en enceinte à basse pression. La Chine vise deux objectifs, d’une part, poursuivre l’aménagement de son immense territoire et d’autre part, maintenir sa compétitivité en développant, d’ici 2050, un réseau Hyperloop d’environ 12 000 Km, qui lui permettrait de relier en moins de sept heures (sur la base d’une vitesse réaliste de 600 km en croisière) les mégapoles chinoises les plus éloignées, distantes de plus de 4000 km, comme Kashi (à l’Est) et Guanzhuo (A l’Ouest au Sud), et Harbin (Au Nord) et Nanning (Au Sud). Ces grandes dorsales pourraient alors se substituer en grande partie au transport aérien, qui ne ferait pas mieux en termes de temps total de trajet, si l’on tient compte des temps incompressibles à prévoir entre le domicile (ou le bureau) et l’avion qui décolle, puis, à l’arrivée, entre l’aéroport et le centre- ville. Mais la Chine vise aussi un autre objectif stratégique mondial : s’imposer, face au Japon, aux Etats-Unis et à l’Europe, comme un acteur technologique, industriel et commercial incontournable sur le futur marché gigantesque de l’ultra rapidité terrestre (de 600 à 1000 km/h) qui va exploser sous l’effet de la lutte contre le changement climatique et de la décarbonation des transports. Quant au coût, souvent présenté comme exorbitant, d’un tel réseau magnétique ultrarapide, il faut le relativiser et le replacer dans une perspective d’investissement sur une génération. Dans le cas de la Chine, un tel réseau Hyperloop de 12 000 km, reliant les principales mégapoles du pays, coûterait environ 1560 milliards de dollars, ce qui représente, étalé sur vingt ans, une dépense de 78 milliards par an, à peine 0, 5 % du PIB annuel de la Chine (17 500 milliards de dollars en 2023). La Chine a donc tout à fait les moyens financiers, et la volonté politique, de réaliser un tel réseau magnétique qui lui permettrait de s’assurer une avance économique et technique décisive sur le reste du monde.

Notre pays, qui a su en son temps lancer de grands projets d’avenir – centrales nucléaires, TGV, Avion supersonique – sous l’impulsion décisive du Général De Gaulle, serait bien inspiré de renouer avec cette capacité visionnaire, en ayant la lucidité et l’audace de lancer lui aussi de grands projets de transports disruptifs à long terme. Un réseau Hyperloop français de 4000 km pourrait relier entre elles toutes nos métropoles de plus de 500 000 habitants, représentant presque la moitié de la population française. Un tel réseau hyperrapide mettrait à moins de deux heures le trajet entre les grandes villes les plus éloignées, ce qui serait une véritable révolution territoriale, économique et sociale. Quant au coût de ce réseau magnétique, il représenterait un investissement annuel d’environ 80 milliards d’euros sur vingt ans, soit à peine 1 % de notre PIB annuel. Si nous avions l’audace et la clairvoyance de lancer un tel projet d’avenir avant la fin de la décennie, il pourrait être achevé d’ici le milieu du siècle et transformerait alors de manière radicale notre pays, en le plaçant sur de bons rails pour affronter les nombreux défis économiques, sociaux et environnementaux qui nous attendent…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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