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Edito : "A la conquête du nanomonde ou les promesses de l'infiniment petit"

Le 29 décembre 1959, le grand physicien américain Richard Feynmann prononçait un discours resté fameux, intitulé « Il y a beaucoup d'espace en bas » ( http://www.resonance-pub.com/feynmann.htm). Devant un auditoire sidéré, Feynman, en génial visionnaire, imaginait et développait, avec un demi-siècle d'avance, les perspectives d'application des nanotechnologies. Feynman soulignait avec une assurance tranquille que " Les lois physiques autorisent a priori la manipulation et le positionnement contrôlé des atomes et des molécules, individuellement, un par un. S'appuyant sur ce constat, il déclara " Pourquoi ne pourrait-on pas écrire les 24 volumes de l'encyclopédie Britannica sur une tête d'épingle ? Plus de 25 ans s'écoulèrent, après ce discours historique de Feynmann, avant que les recherches appliquées en nanotechnologie commencent vraiment en 1985, lorsque Richard Smalley, prix Nobel de chimie, eut découvert une forme de carbone pouvant servir de matière première à ces appareils miniatures. En 1986, K. Eric Drexler, théoricien scientifique, écrivit un ouvrage de nanotechnologie devenu un classique - Engines of Creation - où il expliquait les fondements de la science et ses applications potentielles. Selon lui, la manipulation de la matière au niveau de l'atome peut créer un futur d'abondance utopique, où tout pourrait être rendu meilleur marché et où presque tous les problèmes physiques imaginables pourraient être résolus à l'aide de la nanotechnologie et de l'intelligence artificielle. En 1991, la découverte des nanotubes de carbone par le physicien Japonais Ijima a constitué une nouvelle étape fondamentale pour l'essor des nanotechnologies. Plus récemment, des scientifiques sont parvenus à observer et à manipuler directement des atomes. Parallèlement, des chercheurs des universités de Rice et de Yale ont réalisé les premières étapes vers la création de circuits moléculaires qui pourraient remplacer les actuelles puces de silicium. Pour bien comprendre l'enjeu scientifique et industriel que représentent les nanotechnologies, il faut d'abord faire un constat. Depuis toujours, on extrait de notre terre des matériaux, on les modifie, on les chauffe, on leur applique des pressions, on y suscite des réactions physico- chimiques, on les assemble, on les soude, on les colle, etc. Tout cela utilise beaucoup d'énergie (ce qui entraîne aussi beaucoup de déchets !). C'est sur ce principe de base que repose la technologie actuelle de production industrielle. Avec les nanotechnologies, l'approche en matière de fabrication est d'une nature radicalement différente. La nanotechnologie se définit d'abord par l'échelle spatiale, c'est-à-dire le nanomètre ou un milliardième de mètre (http://perso.wanadoo.fr/nanotechnologie ). Le nanomètre (10 -9 mètre) ne représente que 4 fois le diamètre d'un atome et il faut 1000 nanomètres pour faire un micron. (10 -6 mètre). On se représente mieux le rapport vertigineux entre le nanomètre et le mètre quand on comprend qu'il est le même que le rapport entre le millimètre et une distance de 1000 kilomètres ! Comment s'est faite l'évolution de la technologie jusqu'à ce jour ? Elle s'est appuyée sur une approche globale appelée top-down, c'est-à-dire qu'on part du plus grand pour aller vers le plus petit. Par définition, la nanotechnologie, c'est l'approche inverse (bottom- up), c'est-à-dire partir du plus petit pour aller vers le plus grand. Dans ce contexte, on utilise directement les atomes individuels et, en les manipulant et en faisant appel à des procédés d'assemblage, on forme des groupes d'atomes. Si on était capable de les organiser correctement, on pourrait ainsi former des nanomatériaux ou des nanomachines. Il y a donc une nuance importante quant à la manière de faire les choses. Ce que j'appelle ici " nanotechnologie ", c'est cette façon d'aborder la technologie de la miniaturisation. Il est important de faire cette distinction car au cours des dix dernières années, on a appelé " nanotechnologie " toute technologie liée à l'échelle du nanomètre ou même jusqu'à 100 nanomètres, quel que soit le type d'approche. Pour définir la nanotechnologie, on peut donc dire que c'est la création de nouveaux matériaux, dispositifs ou systèmes, par le contrôle de la matière à l'échelle atomique. C'est également l'exploitation de nouveaux phénomènes ayant lieu à l'échelle nanométrique, parce qu'il est maintenant clairement établi, grâce aux travaux des dix dernières années, qu'à cette échelle, les propriétés fondamentales des matériaux, c'est-à-dire les propriétés biologiques, mécaniques, thermiques, électriques, magnétiques, optiques, dépendent de la taille des nanostructures et peuvent différer énormément du matériau bulk. Par exemple, des nanostructures peuvent posséder des propriétés mécaniques extraordinairement plus élevées que les propriétés du même matériau sous forme de bulk. On dispose déjà d'outils permettant de manipuler des atomes, mais peut-on pour autant fabriquer des nanomachines ? Même si on possédait un appareil capable de manipuler un million d'atomes par seconde, il faudrait à l'heure actuelle 13 milliards d'années juste pour reconstruire une feuille de papier ! Or, la nature fait beaucoup mieux : elle utilise des machines moléculaires, l'ADN, l'ARN, les ribosomes pour construire des êtres vivants. Elle a aussi inventé quelque chose d'extraordinaire. Comme nous l'avons tous appris dans nos cours de biologie, une cellule se reproduit par division : c'est ce qu'on appelle la croissance géométrique. Si on arrivait à faire des réplicateurs basés sur ce principe, notre feuille de papier se ferait en deux minutes. En 1986, Eric Drexler dans son livre, Les engins créateurs, pousse un peu plus loin ce concept de nanotechnologie. Il fonde également par la suite l'institut américain Foresight dont l'objectif depuis une dizaine d'années est de sensibiliser le grand public à ce domaine. Dans son essai, Drexler, s'inspirant des outils et méthodes inventés par la nature pour construire les objets vivants, imagine des « assembleurs » capables de synthétiser de manière parfaite, avec le minimum d'énergie, et sans aucun déchet, n'importe quelle molécule. Son modèle : les ribosomes. Mesurant à peine quelques milliers de nanomètres cubes, ces mini-usines sont chargées de synthétiser, en trois dimensions, toutes les protéines vivantes de la planète en combinant des morceaux d'ARN. Infiniment petits, les ribosomes fabriquent plus grands qu'eux en suivant un " programme ", celui du code génétique. Il y a évidemment un mur entre la chimie organique (qui crée la vie) et la chimie inorganique, mais les nanotechnologistes ne désespèrent pas de trouver la passerelle entre ces deux univers. " Imaginez ce que pourrait être notre monde si nous pouvions construire, sans eau et sans cellules vivantes, des objets possédant un degré de perfection atomique aussi grand que celui des organismes vivants ! " écrit Richard E. Smalley. Voilà sans doute le défi majeur que devront relever les nanotechnologies. Parlons des nanotubes. Les nanotubes de carbone ont des propriétés absolument exceptionnelles. Les nanotubes de carbone sont des molécules 50 000 fois plus fines qu'un cheveu, cent fois plus solides et six fois plus légères que l'acier, qui permettent de nombreuses applications futuristes. Ces molécules peuvent être utilisées aussi bien pour les vêtements des astronautes, les cordes des raquettes de tennis que pour les écrans d'affichage. Elles permettent aussi de stocker des substances diverses. Récemment, un dispositif électronique basé sur ces nanotubes et fonctionnant à 10 terahertz a été mis au point. Des nanotubes ont également été utilisés pour des applications dans le domaine des écrans plats parce que ce sont d'excellents émetteurs d'électrons. On prévoit aussi de les employer pour le stockage d'hydrogène, pour les pompes à chaleur à absorption, pour le renforcement de matériaux. Dans quelques années, nous trouverons des applications de la nanotechnologie pratiquement dans tous les secteurs. En ce qui a trait, par exemple, aux applications potentielles des nanomatériaux, on peut nommer les barrières thermiques, la catalyse à haute sélectivité, les piles à combustible, les batteries, le stockage d'hydrogène, les prothèses, les dispensateurs de médicaments, etc. Pour celles des nanostructures, citons les dispositifs électroniques, photoniques, magnétiques, les bio-détecteurs, les nanosenseurs, etc. Notons que plusieurs de ces dispositifs ont déjà été développés dans les laboratoires. Il reste encore beaucoup à faire en matière de recherche fondamentale dans le domaine de la nanotechnologie mais certaines applications ne sont déjà plus de la fiction. Projetons-nous à présent dans le futur et imaginons que l'on parvienne demain à manipuler les atomes et à former de la matière à partir de ceux-ci, que pourrait-il arriver ? On pourrait ainsi auto-fabriquer à partir d'atomes de la matière, des objets, sans produire de déchets (recyclage à 100 %) Ce rêve est fascinant. Y arrivera-t-on ? On ne le sait pas. On pourrait imaginer faire des matériaux sans défaut, parfaitement optimisés pour une application donnée. En fait, on reproduirait en laboratoire ce que la nature a réussi à réaliser au cours de centaines de millions d'années. Même si ces projections sont encore du domaine de la fiction, rappelons que la technologie a souvent été plus rapide que les prédictions humaines. Permettez-moi de citer un exemple. Lorsque les premiers transistors sont apparus, un comité d'experts fit la prédiction suivante en ce qui a trait aux ordinateurs : " C'est bien, on va arriver à la fin du siècle à faire 5000 opérations par seconde avec un appareil de 3000 livres qui consommera des centaines de kilowatts. " Il est donc facile de se tromper quand on fait des prédictions à partir d'un raisonnement évolutionniste. Cette erreur est due au fait que la microélectronique a été une véritable révolution et non une évolution. Le même comité affirmait qu'on aurait besoin au maximum d'une dizaine d'ordinateurs aux États-Unis. Ceci montre qu'on peut donc se permettre de rêver sans trop se tromper. J'ai la conviction qu'à partir de 2020, nanomatériaux et nanofabrication seront partout présents dans les productions industrielles mettant en jeu des nanomatériaux. Mais il est probable que les grands développements se feront dans le domaine de la nanoélectronique et de la photonique, simplement parce que les besoins en technologies de l'information et des communications ne cessent de croître. On sait qu'en matière de miniaturisation électronique la loi de Moore, énoncée par Gordon Moore en 1965 et qui prévoit que le nombre de transistors par puce double tous les 18 mois a été globalement respectée jusqu'à présent. Ceci explique les progrès extraordinaires de l'informatique car depuis le premier microprocesseur en 1971 (2200 transistors) jusqu'au dernier Pentium IV (42 millions de transistors) le nombre de transistors sur une seule puce a été multiplié par 20.000 ! Avec la technologie CMOS telle qu'on la connaît actuellement, Intel pense réduire la finesse de gravure des puces à 65 nanomètres en 2005 (0,06 micron), 45 nanomètres en 2007 et 30 nanomètres en 2009, contre 140 aujourd'hui (0,14 micron), ce qui permettra d'intégrer un milliard de transistors sur une seule puce ! Mais cette technologie de gravure par lithographie a des limites imposées par les lois de la physique et de l'optique et même en utilisation des longueurs d'ondes situées dans l'ultraviolet extrême, il ne sera pas possible de descendre en dessous de 10 nanomètres, limite qui devrait être atteinte vers 2015. Dans cette course vers l'infiniment petit, la France n'a pas dit son dernier mot et le Laboratoire d'électronique, de technologie et d'instrumentation (LETI) à Grenoble a mis au point en novembre 1999, le plus petit transistor jamais réalisé: 20 nanomètres (http://www.adit.fr/adit_editionpdf/tf/ATF58.pdf "> http://www.adit.fr/adit_editionpdf/tf/ATF58.pdf ). Toutes proportions gardées, un tel transistor (qui ne sera opérationnel qu'en 2015 à cause des problèmes d'intégration) posé sur une puce de circuit intégré d'environ 2 cm carré, équivaut à un cheveu posé au milieu d'un stade de football ! En juin 2001, le géant mondial des microprocesseurs, Intel, annonçait à son tour ((http://www.intel.com/pressroom/archive/releases/20010611tech.htm ) qu'il serait en mesure de produire des transistors de 20 nanomètres vers 2010. Mais pourquoi, me direz-vous, a-t-on besoin de composants électroniques aussi petits ? Il faut bien comprendre qu'aujourd'hui, ce n'est plus le besoin de miniaturisation, mais la course à la puissance qui force l'industrie informatique à faire toujours plus petit. Le calcul est simple : plus les composants sont petits, plus on peut stocker de transistors sur une même surface. Et comme le temps nécessaire pour qu'un électron traverse le système diminue, la vitesse de travail augmente. Les puces de 2015, qui intégreront 1 milliard de transistors de 20 nanomètres fonctionneront à une fréquence d'au moins 20 GHz et auront une puissance de dix à cent fois supérieure à celle des puces actuelles. Quant aux puces-mémoires, leur capacité prévisible sera, à la même époque, époustouflante : 16000 Gigabits, de quoi stocker un milliard de pages, l'équivalent de la Bibliothèque nationale toute entière ! On mesure mieux le chemin parcouru vers l'infiniment petit en rappelant qu'en 1971, la taille des transistors était de 8 microns, en 1978, de 4 microns. Dans le dernier Pentium, elle est de 0,14 micron (140 nanomètres) et cette taille va donc descendre, avec les techniques de photolithographie actuelles, jusqu'à 10 nanomètres (0,01 micron). Pour descendre en dessous de cette barrière et entrer dans le nanomonde, un saut technologique s'impose car la fréquence des photons de lumière devient trop grande pour graver des canaux si fins dans le silicium. Or, cette barrière des 10 nanomètres, nous l'avons vu, devrait être atteinte dans une dizaine d'années. Après 2010, on peut donc imaginer que la convergence entre nanotechnologies et physique quantique permettra un saut technologique majeur avec l'avènement de la nano-électronique quantique. Un pas décisif vers la nanoélectronique quantique a été franchi en 2001. Dans le numéro du 29 juin 2001 de la revue Science, des chercheurs hollandais ont annoncé un transistor à nanotube à électron unique, le premier en son genre à fonctionner efficacement à température ambiante. Alors même que les chercheurs fabriquent des micro puces toujours plus petites, l'idée d'utiliser un type de transistor appelé " transistor à électron unique " (ou SET) semble de plus en plus séduisante. Tout comme beaucoup d'autres appareils électroniques de ce genre, ces transistors peuvent être fabriqués à une échelle moléculaire et ainsi occuper beaucoup moins de place que leurs confrères conventionnels fabriqués en silicium. L'avantage particulier des SET est qu'ils n'ont besoin que d'un seul électron pour alterner entre " marche " et " arrêt ". Par opposition, les transistors utilisés dans la microélectronique conventionnelle ont besoin de millions d'électrons pour réaliser ces mêmes fonctions. Le transistor SET mis au point par ces scientifiques hollandais mesurait seulement 1 nanomètre de large et 20 nanomètres de long. A peine deux mois après cette percée technologique, IBM annonçait, en août 2001, la mise au point d'un nanotransistor 50 000 fois plus fin qu'un cheveu. Ce mini-transistor est basé sur un nanotube de carbone, une molécule cylindrique, composée d'atomes de carbone, 500 fois plus fine que le silicium. Ce procédé ouvrait la voie vers des processeurs beaucoup plus performants que ceux d'aujourd'hui, puisqu'ils contiendraient 10 000 fois plus de transistors dans le même espace. Il y a exactement un mois le 20 mai, IBM annonçait, dans le prolongement de son annonce de 2001, la mise au point d'un nanotransistor dont les performances sont supérieures aux modèles actuels utilisant du silicium, et qui ouvre vraiment la voie à des ordinateurs incomparablement plus petits et plus rapides que ceux que nous utilisons aujourd'hui ( http://www.ibm.com/news/us/2002/05/20.html). Dans le domaine des mémoires, Les chercheurs d'IBM viennent par ailleurs de redécouvrir les avantages d'une technique de stockage des données vieille d'un siècle : la carte perforée. Après six ans de travail, les laboratoires du groupe à Zurich, sont parvenus à percer des trous 6.000 fois plus petits que le diamètre d'un cheveu dans une pièce de plastique de la taille d'un timbre-poste, ce qui permet de stocker 100 gigaoctets d'informations, soit 15 fois plus que le meilleur disque dur magnétique. Les données sont enregistrées sous la forme de 1.000 milliards de trous, percés par une nano-aiguille à haute température, précisent les chercheurs. Pour le Nobel Gerd Binnig ce nouveau type de mémoire nano-mécanique constitue une vraie révolution. Le célèbre chercheur ajoute : "On pense toujours que l'électronique, c'est l'avenir. Nous pensons plutôt que l'avenir appartient à la mécanique, conjointement à l'électronique. Avec ce type de mémoire nano-mécanique, on pourra atteindre des densités d'enregistrement mille fois supérieures à celles d'aujourd'hui". (voir article dans la rubrique nanotechnologies de notre lettre @RTFlash de ce jour et site d'IBM (http://www.zurich.ibmcom/st/storage/millipede.html). Parmi les dernières avancées remarquables vers la nanoélectronique, il faut aussi souligner la production d'un fil nanoscopique par les laboratoires du Centre d'élaboration de matériaux et d'études structurales (CEMES-CNRS, Toulouse) et du Département de physique et d'astronomie de l'université de Aarhus (Danemark). Large de 0.75 nanomètres, soit deux atomes de cuivre, cette structure repousse les limites de la miniaturisation. Le minuscule ouvrier est une molécule organique composée de 90 atomes de carbone et 98 d'hydrogène. Ses quatre minuscules pieds posés sur une surface plane de cristal de cuivre lui confèrent une étonnante propriété : celle d'auto-assembler les atomes de cuivre en un fil atomique. (http://www.sciencemag.org/cgi/content/summary/296/5566/270). « Cette technique représente un nouveau processus d'auto-fabrication nanoscopique pour la nanoélectronique », concluent les chercheurs. On voit donc que depuis 2 ans plusieurs étapes décisives ont été franchies qui ouvrent la voie vers une révolution technologique, la nanoélectronique quantique, qui succédera à partir de 2010 à la technologie actuelle sur silicium. Mais peut-on aller encore plus loin que la nano-électronique et que les transistors mono-électroniques et imaginer des nano-ordinateurs fabriqués à l'aide de molécules biologiques ? Ce rêve ne relève plus tout à fait de la science-fiction depuis qu'en octobre 2001, un groupe de chercheurs sous la direction du professeur Ehud Shapiro de l'Institut Weizmann, a utilisé des molécules biologiques pour créer de minuscules ordinateurs programmables. Selon un article publié dans la revue scientifique Nature, ces nano-ordinateurs sont si petits qu'on en trouve mille milliards (1 000 000 000 000) dans une goutte d'un dixième de millilitre de solution aqueuse à température ambiante. Ces ordinateurs exécutent ensemble un milliard d'opérations par seconde avec une exactitude supérieure à 99.8 % pour chaque opération, tout en consommant une énergie de moins d'un milliardième de watt. Cette recherche pourrait conduire à l'avenir à des ordinateurs opérant à l'intérieur du corps humain en interaction avec son environnement biochimique et permettre de nouvelles applications biologiques et pharmaceutiques. Il est fascinant de constater qu'à ce niveau de recherche, technologies de l'information et sciences du vivant convergent et que les frontières disciplinaires et théoriques multiséculaires entre biologie et physique s'estompent. Les cellules représentent en effet des machines extraordinairement complexes. Comparés à l'organisation de leurs atomes, dont chacun ou presque a une fonction spécifique, les circuits intégrés imaginés en électronique paraissent d'une simplicité enfantine. L'enjeu des nanotechnologies consiste à créer des machines qui rivalisent avec la nature pour aider la médecine. Ce rêve commence à être du domaine du possible grâce à la manipulation de molécules ou même d'atomes au moyen d'outils très élaborés. Grâce à la nanotechnologie, on entrevoit la possibilité d'offrir des traitements pharmacologiques qui seront beaucoup plus ciblés et par conséquent plus efficaces. Exemple type des nanotechnologies, les puces à ADN sont en train de révolutionner la médecine. Avec la connaissance globale et fine des réponses d'une cellule, d'un tissu, d'un organisme, on peut maintenant imaginer que les médicaments de demain s'adresseront à chacun spécifiquement en tenant compte de son caractère individuel et unique. Les nanotechnologies à finalité thérapeutique permettront donc à la fois de définir des traitements "sur mesure", parfaitement adaptés au profil génétique du malade et de cibler ces traitements au niveau moléculaire et cellulaire avec une précision absolue dans l'espace et le temps. Il y a deux ans, deux équipes scientifiques ont chacune mis au point un "moteur moléculaire", en réussissant à faire tourner une molécule soit à l'aide d'un élément chimique, soit par la lumière. Les deux découvertes, l'une réalisée par une équipe américaine, l'autre par une équipe japonaise et néerlandaise, font franchir un pas important aux nanotechnologies : dans ce monde de l'infiniment petit, si on savait déjà fabriquer des "machines" de la taille d'une ou quelques molécules, les moteurs faisaient jusqu'ici cruellement défaut. Ainsi, l'équipe menée par le Dr Ross Kelly, du Centre de Chimie du Boston College, a découvert une molécule qui, sous l'influence d'une réaction chimique provoquée par du chlorure de carbonyle, décrit une rotation de 120 degrés dont on peut décider le sens. Ce moteur transforme ainsi l'énergie chimique en mouvement. La molécule fait alors une rotation sur elle-même de 360 degrés, dans un sens que l'on peut choisir. Ces nanomoteurs pourraient déboucher à terme sur des machineries moléculaires déclenchées par la lumière, source extérieure facile à employer. Ces découvertes ouvrent d'extraordinaires perspectives thérapeutiques dans le domaine médical car il devient désormais envisageable d'imaginer des nanorobots réparant avec une précision incomparable cellules et tissus endommagés. Il y a quelques mois, un autre pas important était franchi dans la recherche sur les nanomachines. Une équipe de l'université Cornell aux Etats-Unis, menée par Carlo Montemagno, a couplé un enzyme à un support et des pales en nickel de quelques nanomètres pour fabriquer ces engins microscopiques. Le carburant utilisé pour faire tourner le tout est la molécule d'ATP, qui est utilisé par tout être vivant pour se fournir en énergie. Les nanomachines ont pu tourner sans discontinuer pendant huit heures. Les scientifiques espèrent, à terme, pouvoir mettre au point des machines qui pourront être injectées dans le corps du patient pour le soigner. (Voir Cornell News http://www.news.cornell.edu/releases/Nov00/propeller.hrs.html ). On mesure mieux l'enjeu industriel et économique des nanotechnologies quand on sait que le marché mondial des nanocomposants est déjà de l'ordre de 30 milliards de dollars par an selon CMP. Mais la National Science Foundation, principal organisme public américain de recherche dans le domaine des nanotechnologies prévoit un chiffre d'affaires mondial de l'ordre de 1000 milliards de dollars par an à l'horizon 2015 ! Malheureusement, dans le domaine des nanotechnologies comme dans celui de l'effort global de recherche, l'Europe est en train de se laisser distancer par les Etats-Unis. En 1997, les budgets annuels gouvernementaux du Japon, de l'Europe et des Etats-Unis pour la recherche sur les nanotechnologies étaient équivalents, soient environ 120 millions de dollars (130 millions d'euros), avec une légère avance pour l'Europe de l'Ouest (128 millions de dollars). En 1999, les Etats-Unis, mesurant l'ampleur de l'enjeu, ont décidé de se donner les moyens de devenir leader dans ce domaine technologique capital pour leur compétitivité. Dans une lettre datée du 14 décembre 1999, Neal Lane, conseiller de Bill Clinton, écrit au président : "Les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre d'être à la seconde place dans le domaine des nanotechnologies. Le pays qui conduira la découverte et la réalisation des nanotechnologies aura un avantage considérable sur la scène économique et militaire pour les décennies à venir. Les nanotechnologies sont la première révolution scientifique et technologique économiquement importante depuis la Seconde Guerre mondiale dans laquelle les Etats-Unis ne sont pas entrés avec la position de leader. Il est temps d'agir". Bill Clinton a répondu en octroyant 500 millions de dollars (550 millions d'euros) au programme national NNI (National nanotechnology initiative) pour l'année 2001, doublant ainsi le budget 2000. L'Etat japonais, pour sa part, a consacré une enveloppe budgétaire de plus de 60 milliards de yens (516 millions d'euros) pour les nanotechnologies durant l'année fiscale 2001, soit presque autant que les Etats-Unis. Le Japon a une forte avance sur les nanotubes de carbones, les fullerènes, les dispositifs à un électron et les techniques de nanofabrication. L'Europe, pour sa part n'a consacré qu'environ 200 millions d'euros à la recherche en nanotechnologies en 2001. George Bush vient d'annoncer une hausse de 13 % des activités de recherche de l'Etat fédéral américain alors que depuis plusieurs années, l'effort de recherche de l'Union stagne à 1,9 % de son PIB, quand celui-ci atteint 2,6% pour les Etats-Unis, et presque 3 % pour le Japon selon les dernières données disponibles (1999). Pour l'année 2002, l'effort de recherche fédéral américain dans le cadre du National Nanotechnology Initiative (NNi) s'élève à 604 millions de dollars, soit plus de 664 millions d'euros ! On voit donc à quel point l'écart se creuse entre les Etats Unis, qui se donnent les moyens de devenir leader dans ce domaine stratégique, et l'Europe. La France compte trois programmes majeurs : les " Matériaux nanostructurés " et le "Réseau de recherche en micro et nanotechnologie" (RMNT) du ministère de la Recherche et de la Technologie et le programme "Nano-objets individuels" du CNRS créé en 1999 à l'initiative de Catherine Bréchignac, alors directrice du CNRS, qui comporte trois axes : physique, biologie et chimie. Le budget des "Matériaux nanostructurés" est de l'ordre de 2,3 millions d'euros, celui du RMNT d'environ 11,5 millions et celui des NO1 de l'ordre de 9 millions d'euros. Au total, la France consacre 23 millions d'euros seulement pour les nanotechnologies, soit presque 30 fois moins que l'effort fédéral américain pour 2002 (664 millions d'euros). La France est également très loin derrière l'Allemagne (laquelle investit 10 fois plus) et l'Angleterre. Les nanotechnologies sont inscrites au 6e programme-cadre de la Commission européenne comme l'un des sept grands thèmes prioritaires. Le sixième programme-cadre européen 2002-2006 qui vient d'être bouclé, prévoit en effet 1,3 milliard d'euros pour le secteur des nanotechnologies/nanosciences, auquel sont joints les matériaux et procédés de production. Mais cet effort réel qui va porter à 216 millions d'euros par an (240 millions de dollars) le budget européen consacré aux nanotechnologies restera néanmoins presque trois fois inférieur à l'effort budgétaire annuel des USA au cours de la même période. Si nous voulons nous donner les moyens de rester dans cette course technologique majeure, et capitale pour notre compétitivité, nous devons donc consentir, au niveau national et européen comme au niveau de nos entreprises, un effort financier considérable pour ne pas nous trouver définitivement distancés par les Etats-Unis et le Japon. Parce qu'elles bouleversent les limites des champs disciplinaires et les relations entre les grands domaines de la connaissance scientifique et qu'elles nous conduisent à une nouvelle représentation de la réalité, et à une nouvelle vision de la nature, les nanotechnologies représentent non seulement un enjeu techno-industriel capital, en tant que moteur de la compétitivité économique, mais aussi un immense défi intellectuel, culturel et éducatif qui doit nous amener à penser le monde dans toutes ses dimensions spatiales et temporelles et dans son irréductible complexité d'organisation.

René TRÉGOUËT

Nanosciences&Nanotechnologies : les liens de référence :

-# Les grands programmes et centres de recherche en France et en Europe :

Forum de coopération européenne en nanotechnologies

http://www.nanoforum.de

Programme nanosciences du CNRS

http://www.cnrs.fr/cw/fr/prog/progsci/nanosciences.html

Réseau National des Micro et Nanotechnologies

http://www.rmnt.org

Pôle d'Innovation en Micro et Nanotechnologies

http://www.minatec.com

Laboratoire d'Electronique et de Technologie de l'Information

http://www-leti.cea.fr

*# Présentation des nanotechnologies :

Nanosites

http://www.nanosites.com/11presentation.html

Numéro spécial de Pour la Science de décembre 20021 sur les nanotechnologies

http://www.pourlascience.com/numeros/pls-290/art-1.htm

Dossier Nanotechnologies du CEA

_nanosciences.pdf ">http://www.cea.fr/fr/presse/dossiers/dossier

_nanosciences.pdf

http://www.minatec.com/actualite/CEA-techno_04-01.pdf

Pour la Science : Numéro spécial sur les Nanotechnologies

http://www.pourlascience.com/numeros/pls-290/art-1.htm

Dossier du magazine d'Aventis sur les nanotechnologies

http://www.corp.aventis.com/future/fr/fut0103/exploring_nanoworld/exploring_nanoworld_1.htm

Article sur les nanomachines biomoléculaires

http://www.courrierinternational.com/mag581-582/couv4.htm

Article de Joël de Rosnay : de la biologie moléculaire à la biotique

http://csiweb2.cite-sciences.fr/derosnay/articles/BiolMol_francais.pdf

Les nanomondes

http://perso.wanadoo.fr/nanotechnologie

Dossier sur les nanotechnologies

http://waglux.free.fr/goon/ref/nanotechnologie

La révolution des nanotechnologies ( 12-2001)

http://www.cmp-cientifica.com/cientifica/frameworks/generic/public_users/NOR/NOR_White_Paper.pdf

Nanodata.com

http://www.nanodata.com

*# Sites anglo-saxons :

Discours historique de R Feymann le 29-02-1959

http://www.resonance-pub.com/feynmann.htm

Institut Anglais des Nanotechnolgies

http://www.nano.org.uk

National Nanotechnology Initiative (USA)

http://www.nano.gov

Nanobiotechnology Center

http://www.nbtc.cornell.edu

NASA Nanotech

http://www.nas.nasa.gov/Groups/SciTech

Nanostuctures Laboratory of Princeton

http://www.ee.princeton.edu/~chouweb

Foresight Institute

http://www.foresight.org

Nanojournal

http://www.nano-tek.org/main.html

Smalltimes

http://www.smalltimes.com/document_display.cfm?document_id=3669

Nano Letters

http://pubs.acs.org/journals/nalefd

Nanotechnews

http://www.nanotechnews.com/nanotechnews/nano

Nanotechology Magazine

http://www.nanozine.com

Nanotech planet.com

http://www.nanotech-planet.com/briefs

Nanobase ( NSF)

http://itri.loyola.edu/nanobase

*# Les Nanotubes de carbone :

Les Nanotubes sur le Web

nanotube.html ">http://www.scf.fundp.ac.be/~vmeunier/carbon_

nanotube.html

Les Nanotubes, matériau du futur

http://www.onera.fr/conferences/nanotubes

Les nanotubes de carbone

http://www.archipress.org/ts/chatelain.htm

Fullerenes et nanotubes de carbone

html ">http://www.imp.cnrs.fr/utilisateurs/guillard/page2.

html

The Nanotube Site

http://www.pa.msu.edu/cmp/csc/nanotube.html

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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