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Edito : Vie et Cosmos : le lien se dévoile…

Je reviens cette semaine sur deux questions qui se rejoignent et que j’ai abordées régulièrement dans notre lettre, car elles sont à la fois essentielles et passionnantes : peut-il y avoir de la vie ailleurs que sur notre planète et l’apparition de la vie sur Terre est-elle liée au Cosmos ? Au cours de ces derniers mois, de nombreuses études et découvertes sont venues relancer ces questions qui font l’objet de vifs débats au sein de la communauté scientifique. Nous ne pouvons pas évoquer toutes ces avancées, mais quelques-unes d’entre elles méritent cependant d’être rappelées, car elles ouvrent sur de nouveaux questionnements scientifiques, mais philosophiques.

En octobre dernier, des scientifiques des Universités de Berlin (RFA) et Boulder (Colorado-USA) ont publié une étude remarquée, intitulée, « Composés azotés, oxygénés et aromatiques de faible masse dans les cristaux de glace d’Encelade ». Dans cette étude, ils décrivent la découverte de nouveaux composants nécessaires à l’émergence de la vie dans un océan situé sur Encelade, l'une des 82 lunes de Saturne officiellement répertoriées. Sur ce petit satellite saturnien de 500 km de diamètre, des scientifiques de la NASA ont identifié, en analysant les dernières données recueillies par la sonde Cassini, des composés organiques contenus dans les geysers d'eau liquide qui sont projetés dans l'espace depuis l'océan souterrain de 10 km de profondeur, constitué d’eau à l’état liquide et situé sous une épaisse couche. Ces différents composés, qui transportent de l'azote et de l'oxygène, jouent un rôle clé dans la production d'acides aminés — des molécules complexes qui servent d'éléments constitutifs à la fabrique des protéines. Or, on le sait, sans protéines, pas de vie, du moins telle que nous la connaissons sur Terre (Voir MNRAS).

En 2017, les chercheurs avaient déjà détecté, dans les geysers d’Encelade, d'autres grosses molécules organiques qui pourraient provenir de réactions chimiques entre le coeur d’Encelade et l’eau réchauffée par les cheminées hydrothermales, un phénomène que l’on retrouve d’ailleurs sur Terre, dans les fonds océaniques, et qui est le siège de formes de vie tout à fait surprenantes, comme ces grands vers tubulaires, découverts en 1977, capables de décomposer le sulfure d’hydrogène ambiant à l’aide de bactéries spécifiques, pour produire les sucres nécessaires à leur survie…"Nos recherches montrent que l'océan d'Encelade possède de nombreux blocs de construction nécessaires à l’émergence de la vie, ce qui rend plausible l’hypothèse d’une forme de vie exotique sur cette Lune", souligne Frank Postberg, professeur de sciences de la Terre à L’Université de Berlin et co-auteur de l'étude.

Selon ces scientifiques, les fissures hydrothermales dans l'océan souterrain d'Encelade pourraient avoir un fonctionnement proche de celles que l’on trouve sur Terre, dans les fonds océaniques. "Pour la première fois, nous avons formellement identifié des composés organiques plus petits et solubles, en l’occurrence des précurseurs potentiels d'acides aminés ; cela est surprenant et montre que les conditions nécessaires à la vie peuvent exister ailleurs que sur Terre", souligne le professeur Frank Postberg.

Une autre découverte, qui a eu lieu il y a quelques semaines, mérite d’être rapportée. Une équipe internationale de recherche a annoncé avoir réalisé une avancée majeure sur le processus de formation du phosphore, l’un des éléments essentiels des « briques » du vivant. "La façon dont le phosphore est apparu sur Terre est encore un mystère. Nos travaux ont montré qu’une quantité importante de phosphore est déjà disponible dans les premières étapes de la formation des étoiles et également dans les ingrédients initiaux de notre système solaire" explique Victor Rivilla, chercheur à l’Observatoire d’astrophysique Arcetri en Italie (Voir article MNRAS).

Le phosphore est non seulement indispensable à la constitution de l’ADN, mais il participe également de manière essentielle au processus de photosynthèse et la respiration des plantes. En analysant la masse de données provenant du radiotélescope d’Atacama, au Chili, les chercheurs ont pu étudier la composition physico-chimique d’une portion de notre galaxie, appelée AFGL 5142, située dans le bras de Persée, l’un des deux principaux bras en spirale de la Voie lactée, à environ 6400 années-lumière de la Terre ; les scientifiques ont pu découvrir l’existence d’un lien de causalité entre la formation de molécules contenant du phosphore et la création d’étoiles massives. Selon cette étude, la formation d’étoiles dans cette région du Cosmos provoque de puissants flux gazeux qui viennent percer les nuages de gaz interstellaires. Il semble que ce processus soit à l’origine d’une production abondante de molécules de phosphore. "Ce matériau enrichi peut alors former de nouvelles étoiles et planètes, qui contiendront du phosphore sous la forme de différentes molécules" explique Victor Rivilla.

Pour essayer de mieux comprendre le long périple de ces molécules dans l’espace interstellaire, les chercheurs se sont focalisés sur 67P/Churyumov-Gerasimenko, une comète bien connue découverte en 1969, qui traverse tous les six ans notre Système solaire. Grâce à la sensibilité du spectromètre de la sonde Rosetta, lancée en mars 2004, les scientifiques ont pu avoir la certitude qu’elle contenait bien du phosphore.

Ces études et découvertes confirment l’hypothèse selon laquelle le phosphore se forme dans les nuages de gaz des régions de formation d’étoiles comme AFGL 5142. Lorsque ces étoiles finissent par former un système solaire autour d’elles, le phosphore qu’elles contiennent se diffuse alors dans l’ensemble des planètes et corps célestes de ce nouveau système solaire, y compris dans les astéroïdes et comètes. Sachant qu’il est très probable que de nombreuses comètes similaires à 67P se soient écrasées sur notre Terre au cours de sa « jeunesse »,  il y a plus de trois milliards d’années, il est vraisemblable que ces comètes aient pu ensemencer notre jeune planète avec de grandes quantités de phosphore, contribuant ainsi à faciliter l’émergence de la vie sur Terre.

Cette découverte est d’autant plus intéressante qu’elle s’articule avec une autre étude publiée en début d’année et portant sur le rôle du phosphore dans l’apparition de la vie sur Terre (Voir PNAS).On le sait, cet élément joue un rôle-clé dans la formation des molécules biologiques. Il entre dans la composition de l'ADN mais aussi de l'ATP, unité énergétique de base de notre organisme, et permet aux cellules de construire leur membrane. Bien que le phosphore se trouve en très faible concentration dans l'eau, on retrouve cependant cet élément de manière bien plus concentrée dans les lacs situés dans des régions arides. C’est pourquoi ces scientifiques ont analysé des échantillons du Lac Mono en Californie, du Lac Magadi au Kenya et du lac Lonar en Inde. Ces chercheurs ont pu observer que la concentration en phosphore dans ce type de lac pouvait être jusqu’à 50.000 fois plus élevée que celle constatée dans les océans.

Selon cette étude, ce sont justement ces niveaux particulièrement élevés de phosphate dans ces lacs qui auraient provoqué les réactions chimiques nécessaires à l’intégration du phosphore dans l'ARN et  les protéines à l’origine des toutes premières molécules du vivant. Cette hypothèse est d’autant plus crédible qu’il y a quatre milliards d’années, l’atmosphère de la Terre était riche en CO2, ce qui favorisait la formation de lacs riches en phosphore qui auraient fini par réunir toutes les conditions pour que s’amorcent les processus chimiques conduisant à l'apparition de la vie.

Il faut également mentionner la récente étude publiée par des scientifiques américains de l’Université d’Harvard, intitulée « L'hémolithine : une protéine météorique contenant du fer et du lithium ». Ces chercheurs ont analysé la météorite Acfer 086, trouvée en Algérie il y a 30 ans, à l’aide d’un outil à spectrométrie de masse (Voir article Arxiv). Ils ont ainsi pu identifier une chaîne molécule moléculaire de glycine, constituée d’atomes de fer, d'oxygène et de lithium. Fait remarquable, cette étrange molécule, que les chercheurs ont baptisée hémolithine, possède une structure très proche de celles de protéines terrestres connues. C'est la première protéine jamais découverte dans une météorite extraterrestre », précise l’étude. Des acides aminés avaient déjà été découverts dans des météorites, mais leur structure atomique plus simple ne leur permettait pas d’être considérés comme des protéines à part entière. Ces recherches viennent donc à nouveau conforter la l’hypothèse d’une origine extraterrestre de la vie sur Terre.

Notons qu’en juin 2018, la Nasa a annoncé que le rover Curiosity qui explore la planète Mars depuis 2012 avait découvert différentes molécules dans des roches vieilles de trois milliards d’années. Parmi les molécules identifiées par le rover, il y avait du méthanethiol et du diméthylsulfure, des dérivés du tiophène, un composé organosulfuré bien connu pour participer à la chimie du vivant sur Terre. Or, sachant que ce tiophène était présent sur la planète rouge alors que celle-ci avait encore son atmosphère et recelait de grandes quantités d’eau sous forme liquide à sa surface, il n’est pas exclu que ces tiophènes constituent une preuve de l'existence d'une forme de vie, dans le lointain passé de Mars (Voir Astrobiology).

Une autre anomalie troublante est la présence, en quantité bien plus abondante que prévue, de méthane sur Mars, avec un niveau de concentration dans l’atmosphère qui varie curieusement selon un cycle saisonnier. Or, on le sait, ce gaz est produit par la présence d’organismes vivants sur Terre ; mais qui peut également résulter de différentes réactions géologiques et physiques. Les prochaines missions européennes et américaines d’exploration martienne, qui prévoient d’utiliser des rovers équipés de capteurs et de moyens d’analyse bien plus performants que Curiosity, devraient permettre d’en savoir plus sur les origines exactes de cette étrange production de méthane martien.

C’est dans ce contexte de découvertes scientifiques foisonnantes, allant vers une probabilité de plus en plus grande de vie disséminée dans l’Univers - à des stades et sous des formes sans doute extrêmement diverses - qu’a été publiée il y a quelques jours une passionnante étude conduite par le Professeur Totani, de l’Université de Tokyo. Dans son travail intitulé « L’émergence de la vie dans le cadre d’un Univers inflationniste », ce scientifique de renom a combiné de manière originale et novatrice des modèles biologiques et cosmologiques (Voir Nature), pour essayer de construire un nouveau cadre théorique global d’explication de l’apparition de la vie, processus lent et complexe, à partir d’un environnement cosmique dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas spécialement favorable au vivant, tant les conditions qui y règnent et les phénomènes qui s’y déroulent sont violents et extrêmes.

Selon l’hypothèse du Professeur Totani, l'émergence de la vie dans l'Univers serait étroitement liée au processus d'inflation cosmique, qui correspond à l’énorme accélération de la taille de l’Univers, qui aurait été multipliée par un facteur 1026  en une fraction de seconde, juste après le big bang. Le Professeur Totani souligne que notre conception de la vie et de ses origines reste limitée par les conditions tout à fait particulières que nous trouvons sur Terre, et qui auraient permis la constitution des premières molécules d’ARN et d’ADN.

Ce chercheur remarque également que l'ARN, en tant que polymère, doit être constitué de 40 à 100 nucléotides pour posséder la propriété fondamentale d'autoréplication nécessaire à l’apparition de la vie. Mais selon lui, ce nombre de 40 à 100 nucléotides n'aurait pas dû être possible dans le volume d'espace que nous considérons comme l'univers observable, et l’ARN n’aurait pu, statistiquement parlant, dépasser les 20 nucléotides, si l’on tient compte du nombre probable dans notre Univers observable. Mais il en va tout autrement si l’on prend en compte la fantastique inflation initiale de l’Univers. Car, si cette théorie inflationniste très étayée était vérifiée, l’Univers, dans son ensemble, serait au moins 1000 fois plus vaste que notre seul Univers observable. Ce « Méga-Univers » comprendrait alors infiniment plus étoiles, et l’apparition de molécules d'ARN plus complexes, et nécessaires à l’émergence de la vie, deviendrait bien plus probable, voire inévitable…

La théorie du Professeur Totani est à la fois fascinante et particulièrement originale, car elle dépasse conceptuellement les frontières traditionnelles entre la physique et la biologie, la matière inerte et la vie. Elle repose également, bien que par un autre biais, sur la question récurrente de l’étrange ajustement des six constantes fondamentales de la physique, soulevée de manière remarquable par l’astronome anglais Martin Rees, l’astrophysicien franco-vietnamien Trinh Xuan Than, ou le philosophe des sciences Etienne Klein. Il est en effet à présent solidement démontré qu’il suffirait d’une infime modification dans la valeur de l’une de ces constantes, pour que la vie ne puisse pas apparaître.

On le voit, la compréhension de cet étrange phénomène que constitue la vie ne peut plus se circonscrire à l’étude la biologie, ni même à celle des sciences de la Terre, mais doit à présent englober tous les champs du savoir, y compris la physique et la Cosmologie. Ainsi se dessine peu à peu un vaste et foisonnant scenario, sur fond de toile cosmique, dans lequel l’apparition de la vie, même si elle n’était nullement écrite, semble consubstantiellement liée à la nature de notre Univers, de ses lois d’une extraordinaire précision et de son évolution vers des structures conscientes d’elles-mêmes et capables de comprendre leur propre genèse et de révéler le lien qui les unit au Cosmos.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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