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Edito : Transition énergétique : Pourquoi ne pas revoir fondamentalement le triptyque production, stockage et distribution ?

Cette semaine, l’actualité nous conduit à revenir sur un sujet ô combien essentiel, celui de la transition énergétique en cours qui doit nous conduire à abandonner le plus rapidement possible l’ensemble des énergies fossiles, pour y substituer tant dans le secteur économique que dans ceux du bâtiment et des transports, les énergies renouvelables et propres, à très faible émission de CO2.

Il y a quelques jours, a été publié le dernier rapport de l’Agence internationale des énergies renouvelables (Irena) et il est dommage que cette étude n’est pas trouvée un plus large écho médiatique, car elle comporte plusieurs informations et prévisions qui peuvent éclairer nos choix en matière énergétique et changer profondément notre avenir.

Cette étude souligne notamment que "Toutes les technologies renouvelables seront compétitives par rapport aux énergies fossiles en 2020". Selon l’Irena, les coûts moyens des renouvelables devraient atteindre entre 30 et 100 dollars le mégawattheure (MWh), selon les technologies considérées (éolien, solaire, géothermie, biomasse, etc.), alors que les énergies fossiles affichent des coûts qui se situent entre 5 et 17 cents le kWh (50 et 170 dollars le MWh), selon des pays et les conditions locale de production (Voir IRENA).

L’Irena précise que depuis 2017, les coûts moyens des nouveaux projets de parcs d'éolien terrestre et de centrales solaires ont fluctué entre 6 et 10 dollars le kWh (60 et 100 dollars le MWh). Dans l'éolien, terrestre, certains nouveaux projets sont à présent mis en service avec un coût de production inférieur à 5 cents le kWh. Toujours l'an dernier, des projets dans la géothermie, la biomasse ou l'hydroélectricité se sont développés avec des coûts se situant autour de seulement 7 cents le kWh. Quant au solaire à concentration (solaire thermodynamique) et à l'éolien marin, certains projets mis en service d'ici 2020 auront des coûts de production situés entre 6 et 10 cents le kWh. Ces baisses de coûts sont l’effet d’une évolution technologique rapide, mais également d’une concurrence internationale accrue.

Et cette diminution des coûts de production va se poursuivre, car l'Irena estime que pour chaque doublement de la capacité mondiale installée, les coûts baissent de 14 % pour l'éolien marin, 21 % pour l'éolien terrestre, 30 % pour le solaire à concentration et 35 % pour le photovoltaïque. L’Irena anticipe que les installations terrestres atteignent des coûts moyens pondérés globaux de 0,05 $/kWh en 2020. L'éolien en mer reste plus onéreux, avec des prix affichés de l'ordre de 0,14 $/kWh pour les parcs construits en 2017. Le rapport de l’Irena montre que la chute des coûts de production de l'électricité solaire a été de 73 % depuis 2010. Principale raison de cette baisse spectaculaire, la chute de 81 % du prix des modules photovoltaïques depuis le début de la décennie. Quant au coût du solaire photovoltaïque, il devrait passer de 10 cents à 6 cents le kWh d’ici les trois prochaines années…

Ces projections de l’Irena concernant la baisse du coût de production de l’électricité d’origine renouvelable rejoignent globalement celles de l’institut allemand Fraunhofer, qui prévoit un coût du kWh issu du solaire photovoltaïque de seulement 4,3 centimes dans le sud de l’Europe en 2030, c’est-à-dire nettement inférieur à l’électricité issue des centrales à charbon (6 à 8 cts le kWh) et également inférieur au coût de production de l’électricité nucléaire (5 à 6 cts le kWh pour les centrales anciennes, déjà amorties et 10 à 12 cts le kWh pour la future génération de centrales nucléaires).

Mais, on l’oublie trop souvent, l’économie globale de l’énergie et le niveau réel de compétitivité d’une filière énergétique ne dépendent pas seulement du coût de production, mais également du mode des possibilités technologique et des coûts liés au stockage et à la distribution de cette énergie jusqu’à l’utilisateur final.

Dans le cadre de la révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), le Commissariat général au développement durable (CGDD) vient de publier une intéressante étude portant justement sur les solutions de stockage d'électricité. Il faut en effet savoir que, d’ici dix ans, plus du tiers de l’électricité produite dans notre pays le sera à partir des différentes sources d’énergie renouvelables. Mais il faut tenir compte des particularités géoclimatiques de la France. En France, l’énergie éolienne est plus importante durant les mois d'hiver, alors que l’énergie issue du solaire atteint son meilleur potentiel pendant les mois d’été. La demande d'électricité fluctue également en fonction des cycles journaliers, hebdomadaires et saisonniers.

Selon cette étude, compte tenu des évolutions technico-économiques prévisibles, les batteries pourraient fournir une solution intéressante pour traiter les fluctuations journalières, alors que les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) s’avèrent bien adaptées pour lisser les fluctuations hebdomadaires.

Ces STEP fonctionnent selon un principe simple et connu de longue date : En cas de production électrique excédentaire, elles sont utilisées pour pomper de l'eau d'un réservoir aval à un réservoir amont. A contrario, quand la demande d'électricité est forte, cette eau va servir à faire tourner des turbines pour produire de l'électricité. On estime que notre pays dispose d’environ 7 TWh de stockage en France soit 1,5 % de la consommation annuelle, et il est prévu d’installer 4 TWH de stockage supplémentaire d’ici 2030.

Parallèlement au développement de ces STEP, les batteries industrielles de nouvelle génération et de grande capacité sont également amenées à jouer un rôle important dans le développement de grosses capacités de stockage et de lissage de l’énergie. Fin 2015, les chercheurs du CNRS et du CEA ont présenté un prototype de batterie sodium-ion au format industriel, qui remplace le lithium (un métal rare) par du sodium, bien plus abondant sur Terre.

Les avantages de ce nouveau type de batteries sont multiples et considérables : outre un coût de fabrication bien inférieur aux batteries actuelles, ces batteries au sodium sont bien plus stables que celles au lithium et également plus faciles à recycler. Mais ce n’est pas tout, ces batteries au sodium, qui devraient être produites au stade industriel en 2020, ont également une durée de vie plus longue (au moins 10 ans) et une vitesse de recharge dix fois plus rapide que celles au lithium. Ces batteries pourraient permettre, tant dans le secteur du stockage industriel et domestique que dans celui des transports électriques, d’avancer bien plus vite vers la décarbonisation de notre économie.

En Suisse, des chercheurs de l’Empa et de l’UNIGE travaillent pour leur part sur une batterie solide au sodium. Cette solution permet d’utiliser une anode métallique et de stocker davantage d’énergie de manière plus sûre. Ces scientifiques ont réussi à identifier un conducteur ionique non-organique solide très stable, à base de bore, qui permet une bonne circulation du sodium, tout en supprimant tout risque d’inflammabilité de la batterie lors de la recharge. Cette batterie a été testée par les chercheurs de l’Empa et de l’UNIGE. Les premiers essais de cette batterie solide ont confirmé ses potentialités d’avenir.

Il faut également évoquer une autre solution technologique très prometteuse dans ce domaine du stockage de l’électricité, le « Power To Gas ». Cette technique consiste à transformer l'électricité renouvelable en hydrogène par électrolyse de l'eau ; cet hydrogène peut ensuite être injecté, jusqu’à une proportion  de 20 %, dans les réseaux de distribution de gaz, ou être transformé en méthane, après une combinaison avec du CO2. Les études de prospective énergétique de l'ADEME et GrDF estiment que cette technologie devrait être pleinement opérationnelle en France à l'horizon 2030 et pourrait permettre de produire entre 20 et 30 TWh/an de gaz renouvelable injectable dans les réseaux existants, ce qui en ferait une excellente solution de stockage pour la production électrique excédentaire de longue durée. A l’horizon 2050, le « Power To Gas » pourrait permettre de valoriser entre 21 et 72 TWh d’électricité pour produire de 14 à 46 TWh de gaz de synthèse.

Autre solution d’avenir qui pourrait venir bouleverser le stockage et la distribution d’énergie : l’utilisation à grand échelle de l’hydrogène. Le Cabinet McKinsey a révélé, dans une étude publiée il y a quelques semaines, que l'hydrogène pourrait représenter près d'un cinquième de l'énergie totale consommée à l'horizon 2050 au niveau mondial, ce qui  permettrait de réduire les émissions annuelles de CO2 d'environ 6 gigatonnes par rapport aux niveaux actuels et de contribuer ainsi, à hauteur de 20 %, à la diminution requise (environ 28 gigatonnes-équivalent CO2) pour limiter le réchauffement climatique à 2 degrés.

A Grenoble, la société Sylfen a développé, après dix ans de recherche en coopération avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, une solution hybride, appelée Smart Energy Hub. Cette technologie permet de stocker les surplus d’électricité produite et de les réutiliser en fonction des besoins. Le secret de cet outil réside dans la réversibilité du processeur d’énergie. Concrètement, ce Smart Energy Hub peut fonctionner, soit comme un électrolyseur pour transformer en hydrogène le surplus d’électricité créé localement, soit comme une pile à combustible pour restituer à la demande cet hydrogène sous forme d’électricité. Grâce à sa réserve permanente, ce système remarquable peut basculer instantanément de la charge à la décharge et répondre ainsi de manière très efficace aux fluctuations brutales de consommation.

Dans le domaine de la distribution de l’énergie jusqu’à l’utilisateur final, une autre révolution est en cours pour permettre d’accélérer la capacité du réseau à s’adapter aux fluctuations et pics de production liés à l’arrivée massive des énergies renouvelables dans la production d’électricité. Selon une récente étude réalisée par l'Ademe et les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d'électricité, RTF et Enedis, la valeur économique des réseaux électriques intelligents justifie le déploiement des « Smart grids » qui permettent d’utiliser de manière bien plus souple et efficiente le réseau, en ajustant en temps réel l’offre et la demande d’énergie, mais également en réduisant sensiblement les gaspillages d’énergie et les coûts d’exploitation de ce réseau électrique.

En France, Enedis a déjà installé plus de sept millions de compteurs « intelligents » Linky et trente-cinq millions d’autres doivent l’être d’ici à 2021. Concrètement, Linky est communicant et peut acheminer des informations montantes (du consommateur au gestionnaire) et descendantes (du gestionnaire au consommateur). Mais Linky ouvre également le développement à grande échelle de l’autoconsommation, ce qui doit permettre aux ménages de produire, consommer ou revendre leur propre électricité.

Il faut enfin évoquer, dans l’émergence de ce nouveau paysage énergétique, le rôle moteur, c’est le cas de le dire, des constructeurs automobiles, qui ont tous pris le virage inéluctable de l’après pétrole et investissent massivement dans la recherche de solutions innovantes de stockage domestique de l’énergie. L’idée est simple : faire coup double en accélérant l’électrification du parc automobile et en élargissant les débouchés et marchés pour leurs technologies de batteries pour véhicules électriques.

Pour atteindre ces objectifs, les constructeurs parient sur le concept de réseaux intelligents d’énergie, ou « Smart energy networks », comme le Powerwall de Tesla, ou le xStorage de Nissan. Ces dispositifs de stockage domestique ont l’ambition de coupler la maison et la voiture, toutes deux transformées en unités de production et de stockage de l’énergie. L’idée est de réduire la consommation énergétique globale de ce système maison-voiture, tout en compensant les fluctuations entre la production et la consommation d’électricité, en stockant sur de très courtes durées de petites quantités d’énergie dans des unités statiques. Dernière annonce en date dans ce domaine, celle d’Audi, qui mène une expérimentation très intéressante avec des ménages de la région d’Ingolstadt et de la région de Zurich. Dans ce projet, un logiciel de contrôle mis au point par Ampard distribue intelligemment l’énergie solaire en fonction de la demande d’énergie prévisible de la voiture, des ménages et du système de chauffage. Mais ce qui rend cette solution très novatrice, c’est qu’elle est prévue, pour la première fois, pour communiquer et interagir avec le réseau électrique, de manière à contribuer à sa stabilisation et son utilisation optimale.

Ce rapide panorama de la transition énergétique en cours nous montre que, si nous voulons accélérer le basculement vers les énergies propres et faire en sorte que celles-ci assurent d’ici 2050 plus de la moitié de l’ensemble de nos besoins énergétiques, nous devons non seulement favoriser par tous les moyens l’essor des énergies renouvelables, à présent compétitives (éolien, solaire, biomasse et également énergies marines encore très sous-exploitées) mais également passer d’une vision verticale et centralisée de la production d’énergie à une vision réticulaire, décentralisée et intelligente de l’économie de l’énergie, intégrant les capacités et demandes d’énergie liées à l’activité économique (industrie, commerce, services numériques), au résidentiel (bureaux et logements) et enfin aux déplacements (transports publics et privés).

C’est seulement si nous arrivons à concevoir et à mettre en œuvre rapidement, au niveau planétaire, ce nouveau système global, intégré et intelligent d’utilisation de l’énergie, que nous aurons une chance de pouvoir satisfaire l’ensemble des besoins énergétiques de l’Humanité de manière équitable, durable et supportable par notre planète et que nous parviendrons peut-être à limiter les effets du changement climatique majeur que nous sommes en train de provoquer.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • AtomicBoy44

    23/02/2018

    "Ces baisses de coûts sont l’effet d’une évolution technologique rapide, mais également d’une concurrence internationale accrue."

    FAUX. C'est la surproduction Chinoise qui a fait baisser les couts du solaire. Il n'y a pratiquement plus de producteur de solaire au silicium en Europe. Les allemands ont tous fermés boutique.

    Quand a l'éolien, il suffit de regarder les difficultés de VESTAS au danemark pour comprendre que la même chose lui pend au nez !

    " l’institut allemand Fraunhofer, qui prévoit un coût du kWh issu du solaire photovoltaïque de seulement 4,3 centimes dans le sud de l’Europe en 2030, c’est-à-dire nettement inférieur à l’électricité issue des centrales à charbon (6 à 8 cts le kWh) et également inférieur au coût de production de l’électricité nucléaire (5 à 6 cts le kWh pour les centrales anciennes, déjà amorties et 10 à 12 cts le kWh pour la future génération de centrales nucléaires)."

    Comparaison qui n'a aucun sens car les services fournis dans un réseau électrique sans stockage ne sont pas les mêmes entre solaire PV et combustibles fossiles. Si le soleil brillait 24/7 nous le saurions.

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